En route pour le Sanctuaire, Théophile eut à passer par les ruines de la Palestre, lui donnant encore une fois la chance de réfléchir au futur des futurs chevaliers. D’étranges sacrifices étaient parfois nécessaires pour atteindre la victoire, il ne l’ignorait pas, mais la destruction de ce qui aurait pu être sa nouvelle maison semblait… exagérée, pour ce que ça avait donné. Mais le mal était déjà fait, et pour ceux qui avaient eu le courage de rester, il fallait aider à reconstruire.

Finalement, n’ayant pas été convoqué, l’Ours n’était même pas certain d’avoir la permission de se rendre au Sanctuaire. On ne pouvait sans doute pas y entrer comme dans un moulin. Mieux valait commencer le travail là où il était demandé, et si ça ne plaisait pas à quelqu’un ils pouvaient venir le chercher.

-Hé Théo! Tu as deux minutes?

-Ouin, bougez pas j’arrive!

Au moins, le moral était bon : la Palestre avait déjà recommencé la construction et les endroits considérés comme des pertes totales étaient devenu des endroits parfaits pour l’entraînement.
Désormais, les Saints en devenir n'hésitaient pas à se servir de leur environnement déjà en piètre état pour se cacher, lancer des projectiles ou même découvrir les joies du terrain inégal ou du morceaux tranchant enfoui entre les débris... Bien des techniques que Théo lui-même leur avait appris, en se calquant sur les procédés militaires, tout en leur donnant l'impression de se battre dans une situation un peu plus réaliste. Tous les grands combats ne se déroulaient pas sous les yeux d'un public bien assis...

Et puis, les éveillés aimaient bien taper assez fort pour briser des bâtiments. Les apprentis se prêtaient donc à l'exercice avec joie, mais il semblait bien qu'un ancien dortoir ait finalement vaincu leur volonté. En craquant ses jointures, le Québécois s'approcha du petit groupe, puis les salua avant de s'adresser au formateur qui les supervisait.

-Ah ben coudonc, vous en avez trouvé un qui explose pas. Y a pas d'quoi là-d'dans qui s'récupère?

-Tous les matériaux qui peuvent être réutilisés ont été récupérés. Mais la fondation est solide, le bâtiment a été renforcé, nos jeunes amis n'arrivent pas à le niveller.

Après avoir passé assez de temps en sa compagnie, la majorité des occupants de la Palestre parvenaient à comprendre sans problème l'épouvantable accent du Québécois. Ce dernier hocha la tête puis s'approcha de la bâtisse problématique pour l'observer, tâtant les murs et examinant les plus petites failles de la brique avec son cosmos. C'était comme ils disaient, la fondation était assez solide pour résister à bien des catastrophes, il allait falloir une frappe un peu plus ciblée pour se débarrasser de tout ça.

-Ouin non, envoyez pas les kids frapper ça à la cave, le building va leur tomber d'ssus. Va falloir placer une charge en bas, pis prendre beeen du recul, j'peux peut-être vous arranger ça.

Ce serait une expérience nouvelle : avec suffisamment de concentration, Théo parvenait à laisser une "charge" de cosmos loin de lui et la faire exploser plus tard, mais c'était une technique encore en cours de raffinement et ils ne seraient pas plus avancé si c'était lui qui se trouvait coincé sous des décombres. Peut-être qu'il pourrait la lancer? Le moment était bon pour expérimenter un peu.

Assise sur le haut de ce qui avait été, dans une autre vie, un pilier soutenant un toit, la jeune femme méditait. Sa mission en terre d'Egypte s'était bien déroulée. Enfin. Elle s'était déroulée, quoi, et c'était déjà pas mal. Le chevalier d'Or avait été sympathique, bien qu'un peu spécial. Dans tous les cas, il avait été efficace, et c'était bien suffisant. Puisque régional de l'étape, il avait tiré parti de sa connaissance des us et coutumes de la république, et c'était non sans mal qu'il avait réussi à convaincre la populace qu'ils n'étaient pas des monstres à deux têtes et quatre bras venus les massacrer - et ce quand bien même ils pourraient. Les autres membres de leur expédition, eux, n'avaient pas eu ce loisir. Si le premier - comment s'appelait-il déjà ? Torve ? Toby ? - avait été couché par une courante un peu trop sauvage, le deuxième, après une introduction digne d'une chanson de Pink Floyd, avait pris ses jambes à son cou quand il avait fallu mettre main à la pâte. Tu parles d'un Phoenix. Un Bip-bip de tex avery, oui !

Si le résultat était là, la forme elle, avait été loin d'être parfaite. Éconduite plus d'une fois, elle avait du user d'une patience sans failles pour enfin avoir accès aux dirigeants, d'abord du Caire, puis du pays. Et ce malgré le fait qu'elle aurait pu, à tout moment, les réduire en miettes. Littéralement. Heureusement que son masque ne laissait rien paraître, sinon les égyptiens auraient pu prendre la mouche. Au final, ce ne fut que grâce à l'intervention d'Azir qu'ils avaient tous les deux eu accès au président Egyptien, et elle avait eu le magnifique rôle de pot de fleur pendant la plupart des échanges.

Autant dire qu'elle l'avait un peu mauvaise. S'enfermant dans sa cabine tout le long du retour en bateau, Cassandre passa le voyage à ruminer. Au moins, le retour serait plus calme, seule dans son coin. Tout juste débarquée, elle laissa le soin à son supérieur hiérarchique de se taper la paperasse. Après tout, les chevaliers d'or avaient du temps libre non ? C'était l'occasion de l'occuper en faisant le rapport au grand Pope. Ou à qui de droit. Et elle profita de l'occasion pour déambuler, son masque toujours figé au milieu de sa figure, dans les méandres dorés aux environs du sanctuaire.

Jusqu'à arriver à cet endroit là même, la Palestre. Elle n'y avait plus remis les pieds depuis ... presque deux ans ? Peut-être trois. Depuis que Gareth lui avait interdit de ... Ce n'était plus important. Le bateau était arrivé à l'aube, et, à cet instant, il n'y avait encore personne au centre d'entraînement. N'ayant pas spécialement envie de se coucher, elle s'était donc assise sur son perchoir, et assistait à la scène. Un homme, la quarantaine, peut-être plus, semblait absorbé par la vision d'un bâtiment. Et, surprenant la jeune grecque, il fit appel au cosmos pour ... l'analyser ? C'était inopiné, et surtout, pas la fin de l'histoire. Apparemment il préparait quelque chose, le balourd. Ça promettait.

"Dis donc, biscottos, t'es sur de toi ? Tu vas tout casser, et si tu casses tout, il faudra reconstruire." Lança-t-elle narquoise, toujours prostrée sur son promontoire en pierre.

Alors que Théo s’apprêtait à prendre son courage à deux mains et s’engouffrer dans le dortoir en ruines pour trouver le meilleur endroit pour poser sa « charge », une voix féminine l’interrompu à grands coups de provocation, et il se retourna pour en trouver la provenance. Pourtant, il ne voyait personne, et il fut bien tenté de répliquer à son tour —tout d’abord en demandant si elle l’avait vraiment traité de petit biscuit aux amandes— mais quand il aperçut enfin la jeune femme perchée sur un vieux pilier, il s’abstint à la dernière seconde de faire un commentaire, se contentant de soutenir son regard avec froideur.

Il pensait savoir de qui il s’agissait. Il assumait que les têtes blanches ne couraient pas les rues au Sanctuaire.

Comme bien des agents de FIRMAMENT, la Grande Ourse avait décortiqué le peu de vidéo qui avait pu être tiré du duel entre la Sainte des Gémeaux et le Chevalier Noir, avait participé à de longues et fastidieuses discussion sur la meilleure façon de réagir à une telle démonstration de puissance, mémorisé chaque seconde d’enregistrement, et après l’acquisition de son armure il s’était bien demandé ce qui se passerait s’il devait la rencontrer un jour. Techniquement, il ne pouvait confirmer que c’était bien elle, pas avec ce masque sur son visage, mais il ne pouvait qu’assumer. Et même si, quelque part, il préférait la prudence, sa grande gueule avait de la difficulté à faire preuve de cette même prudence.

-Ouin, t’as d’l’air d’en savoir que’qu’chose, hein?

Tout ce dommage n’avait pas été nécessaire et le Québécois n’en ressentait pas le besoin de faire preuve de tact à ce sujet. En s’appuyant sur le mur endommagé, il l’invita d’un coup de menton à descendre pour qu’ils puissent poursuivre la conversation à une hauteur acceptable, son cou le remercierait plus tard, puis poursuivit ses explications, la demoiselle n’ayant peut-être pas de grandes connaissances en construction, la démolition ayant tendance à plus intéresser les jeunes éveillés. Et même les non-éveillés, alors qu’il eut une pensée pour Fanny.

-C’t’une perte totale, faut le niveler pour pouvoir reconstruire, pis pour ça faut péter la fondation sinon le reste va jamais tomber. Pis avec c’qui a été récupéré, on va reconstruire mais en plus p’tit, la Palestre c’est plus c’que c’était. Tant qu’à faire, avoir une arène plus loin des dortoirs ce serait cool aussi. Ah, tiens, moi c’est Théo, chevalier d’la Grande Ourse. J’viens d’entrer en fonctions.

La jolie grecque pencha un peu la tête, observant la scène. Son regard passa du grand gaillard à la structure, avant de revenir sur son interlocuteur. Il allait tout casser, sans doute d’un coup sec qui enverrait valser l’intégralité du temple. Ce n’était pas une méthode très distinguée, et ce manque de doigté ne plaisait pas vraiment à la belle. Il fallait de la finesse, que diable ! D’un bond félin, elle rejoignit le sol, afin de répondre aux présentations initiées par le chevalier de Bronze. « Salut à toi Théo de la Grande Ourse. Je m’appelle Cassandre. »

Le Serpentaire écouta le canadien lui faire un topo de la situation. Elle pensait avoir compris…« Du coup faut tout effacer, ce qui semble logique. Il est souvent plus facile de partir de nouvelles bases plutôt que de retaper celles qui sont branlantes. On pourrait dire la même chose de notre ordre, selon certains… »

La jeune femme masquée se frotta les mains ardemment, et forma un triangle avec ces deux dernières. « Et hop. » Au niveau du sol du temple, juste à la base de toutes ses colonnes et de tous ses murs, un portail trans dimensionnel s’ouvrit. Si elle n’avait pas le talent de sa sœur, elle était tout de même capable, après de longues années d’entrainement, d’ouvrir des portes sur d’autres dimensions. Des dimensions qui, étonnamment, sentaient toujours le pain d’épice. Cassandre, ouvrit une autre porte, quelques mètres plus loin, juste au-dessus d’une zone où personne ne se trouvait, et la gravité fit le reste. Le temple, happé par le premier portail et ressortant par le deuxième s’effondra dans un fracas assourdissant. Ne restaient plus que les bases du temple, découpées au scalpel.

Grace au masque, la jeune femme ne fut gênée ni par la poussière que l’entreprise avait créée, mais ce n’était pas le cas du reste de l’assemblée. « Ah. Désolée. » s’excusa-t-elle une fois que cette dernière se dissipait, laissant réapparaître la jeune femme qui s’époussetait. Un apprenti, les yeux comme des soucoupes, la héla. « Mais bordel, vous êtes qui vous ? ». Etonnée, le chevalier d’argent se tourna vers le malotru. « Je viens de le dire, je m’appelle Cassandre. Ouvre un peu tes oreilles, mon petit. »

La jeune femme se tourna vers l’autre chevalier. Il avait beau être âgé, elle ne l’avait jamais croisé au Sanctuaire, que ce fusse avant ou après son départ. D’un autre côté, elle venait tout juste de remettre les pieds au bercail, et, mis à part son altercation avec feu son maître devenu un esprit vengeur et tordu qui vivait dans le sous-sol du temple habité par sa sœur – pfiou c’est du mérite que de prononcer ça rapidement – elle n’avait pas vraiment eu le temps de prendre la température du camp Athénien. C’était peut-être le moyen, d’ailleurs.

« T’es là depuis longtemps, grand gaillard ? »

Le Québécois prit quelques secondes à comprendre correctement les présentations de la demoiselle, et surtout le fait que, de toute évidence, elle n'était pas la Sainte des Gémeaux tant redoutée. Il allait vite découvrir que ce n'était pas si simple, mais pour l'instant, il laissa paraître son soulagement en écarquillant les yeux et en hochant lentement la tête de haut en bas, et le reste de sa posture changea aussi pour être bien plus décontractée.

-Aaaah, s'cuse, j'pensais qu't'étais... euh, l'autre là. Ça fait plus de sens de même, à part pour décalisser la place tu dois pas avoir de Chevalier d'Or qui vient icitte souvent.

Quelque chose lui disait que critiquer aussi ouvertement les soldats d'élite du Sanctuaire n'était peut-être pas une bonne idée devant la dénommée Cassandre —qui en faisait peut-être partie, il ne pouvait pas le savoir, mais puisqu'elle se prêtait aussi au jeu, il n'était pas trop inquiet. Puisqu'elle semblait vouloir les assister dans leur projet de nettoyage, Théo voulut lui donner un peu plus de détails sur le plan technique, mais la jeune femme fut plus rapide. Sa technique engloutit les bases même du bâtiment pour les recracher plus loin dans un grand nuage de poussière, mais la Grande Ourse allait devoir laisser ses allergies de côté pour rejoindre les cris d'incompréhension d'un autre apprenti.

-Mais coudonc t'es qui criss?!

La même apparence, les mêmes pouvoirs, un nom comme seule différence, ça ne pouvait pas être une coincidence! Ne pas trop se laisser emporter était difficile : Ce n'était pas comme si un chevalier de Bronze nouvellement promu, bien informé ou non, pouvait en savoir tant que ça sur une éveillée jamais rencontrée. Vu l'obstination de la demoiselle à utiliser cet autre nom —d'emprunt?— le militaire ravala son ressentiment et décida de laisser couler, d'autant plus qu'il avait maintenant un objectif un peu plus important : commencer à faire ses preuves en tant que Saint, d'abord en déballant sa petite histoire pour bien montrer que, malgré son âge et sa faible puissance, il n'était pas non plus à prendre à la légère.

-Théo. Pis non, j'viens d'arriver y a... deux s'maines, me semble, j'ai eu l'armure une couple de jours juste avant ça. J'rais ben v'nu avant mais bon, la paperasse, le déménagement, ça gruge ton temps c'est pas long. Pis toi? T'as pas exactement l'air d'une débutante non plus.

Le regard posé sur l’ancienne bâtisse, Cassandre se rendit compte qu’elle n’avait porté que peu d’attention aux paroles du grand Canadien. Sans doute était-elle plus intéressée par la destruction que la parlotte, en ces instants. Elle répondit cependant à celui-ci dès que la baraque fut déposée, en pièces détachées à même le sol. « L’autre là ? Oh. Même en portant le masque on me confond avec elle. Pff. Je lui accorde la ligne, elle mange mieux que moi, mais j’ai beaucoup plus de style que ma sœurette, mon grand, sache-le. »

Elle sourit derrière son masque. Ainsi il ne mâchait pas ses mots, et n’avait pas spécialement une belle image de la chevalerie, ou du moins, de sa strate la plus gradée. Pourquoi-pas. Tout avis était acceptable, tant qu’il n’était pas basé sur des préjugés. Or, c’était un peu le cas, mais la jeune grecque évita d’avoir le dernier mot sur le sujet. Enfin presque…

« Et ne te fourvoie pas, les chevaliers d’or, contrairement aux traditions ont tendance à trainer leur guêtres un peu partout. En fait, ils n’aiment rien plus que de fuir leur rôle de gardien. Tu me diras, si je devais rester entre quatre murs toute la journée, je péterais également un câble, aussi beaux soient-ils. »

Après tout, une cage dorée pouvait aller à certains, mais pas à elle. Se faire couper les ailes … C’était peut-être là le seul point positif de n’avoir jamais été acceptée en tant que Chevalier des Gémeaux. De toutes façons, ce point n’était plus vraiment d’actualité.

« Moi ? J’ai eu mon armure il y a quelques mois. On va dire que j’ai suivi une certaine éducation, mais que l’armure que je convoitais … Était hors de portée, dirons-nous. Ce n’est pas bien grave, Athéna a toujours un plan B. » Les dernières paroles avaient été prononcées d’un ton plus froid que le reste du discours. Se rendant compte qu’elle parlait d’un sujet qu’elle n’avait spécialement ni envie ni besoin d’aborder, elle soupira et dirigea la discussion dans une autre direction.

« Je ne vois bêtement pas trop de quoi tu parles, en fait très cher. Είμαι Έλληνας βλέπετε. Je suis grecque, Athenian born and raise, ou quelque chose comme ça. J’ai visité quelques pays au cours de mon apprentissage. La Bulgarie, l’Egypte. Mais disons que nous n’avons pas spécialement besoin de papiers pour ça… Si ? »

Peut-être était-elle dans l’illégalité à chaque fois qu’elle partait en vadrouille ? Elle devait se renseigner à ce sujet-là !

Saint sacrament, elles sont deux. Impossible de cacher sa stupeur devant cette révélation, mais ce n’était pas trop difficile de garder le reste de ses réflexions pour lui, autant pour ne pas trop se mettre dans le pétrin que pour ne pas blesser inutilement la demoiselle. Car le grand Québécois pouvait se méfier autant qu’il le voulait, elle n’avait rien fait pour le mériter et s’il devait laisser parler son instinct, la dénommée Cassandre passait sans doute bien assez de temps dans l’ombre de sa sœur comme ça. Quoique, vu son attitude, peut-être était-ce le contraire dans la vie de tous les jours? Le monde serait bien assez fou pour ça…

-Ben, une job c’t’une job, si tout l’monde devait choker dès qu’ça leur tente pas personne arriverait jamais à rien. ‘Doit ben en avoir une coupe qui restent derrière une fois d’temps en temps, au moins?

Étrange, qu’une organisation aussi ancienne et puissante que les Saints d’Athéna n’aient pas un meilleur rapport avec l’autorité. Encore plus étrange quand on voyait l’image publique qu’ils avaient choisi. Cela dit le Sanctuaire devait rarement avoir besoin de toute sa force d’élite au même endroit en même temps, mais il se demandait bien ce qu’ils pouvaient faire de leur journée.

-Eh, m’a ben finir par voir comment faire comme tout l’monde. C’est pas mal nouveau pour moi mais check ben ça, encore une couple de s’maines pis tu sauras même pu que j’ai aucune idée kessé chuis en train d’faire.

Ainsi, Cassandre n’était pas là depuis bien longtemps non plus, pas assez pour vraiment en avoir fait une carrière encore, mais elle avait eu une formation bien plus assidue que la sienne et elle avait passé beaucoup plus de temps dans l’univers éveillée, comme il lui avait déjà dit, bien qu’elle ne semblait pas comprendre à quoi il faisait allusion. Retenant un rictus, la Grande Ourse releva la tête pour rassembler ses pensées, cherchant ses mots pour bien lui répondre.

-Ouin, ben pas moi, faque même si y avait une exception pour moi, fallait pogner des visas pour le reste d’la famille. Le voyage pour… euh… le travail, y a probablement du monde qui gère ça en arrière, mais changer d’citoyenneté c’t’un ‘ti peu plus compliqué. Pis sinon tant qu’tu fasses attention à c’que tu ramènes tu d’vrais être correcte, j’connais un gars y a ramené d’la bouffe en souvenir à sa famille, une espèce de galette au poulet, y ont passé la s’maine d’après en quarantaine à l’hôpital.

Après tout, même s’ils n’y étaient pas toujours tenus, la loi était là pour une raison et plus ils pouvaient s’y tenir, le mieux s’était. En changeant la répartition de son poids d’un pied à l’autre, Théo se plaça en position de « repos », les mains derrière son dos.

-Pis sinon, t’as déjà voyagé pas mal pour des missions, ça donne quoi exactement comme mission? C’est-tu genre… faut sauver le monde d’un titan ou d’un monstre à chaque fois?

« Ah oui, clairement, si tu as une famille à ta charge, disons que c’est moins évident. » Marmonna la jeune femme. Elle n’avait pas pensé à cette possibilité. Déjà parce qu’elle n’avait pas de famille, et encore moins de papiers en règles. De toutes façons en tant qu’européenne parlant une tripotée de langues, elle pouvait s’en sortir dans presque toute situation. Et si ce n’était pas suffisant, elle pouvait toujours disparaître, littéralement, en ouvrant un portail dimensionnel.

Mais à priori ce n’était pas le seul point qui semblait tatillon pour le canadien. Il semblait se poser quelques questions concernant les taches adressées aux chevaliers, avec raison d’ailleurs. Quand on arrivait à un nouveau poste, on avait sans aucun doute quelques interrogations. Le contenu du boulot « Les missions ? Disons que …. Il y a un peu de tout. On peut être envoyé à l’autre bout de la terre pour nous battre contre un monstre, titan, ou créature surnaturelle oui. »

C’était rarement arrivé ceci dit. Elle n’avait croisé le fer que peu de fois avec des monstres mythologiques, et à chaque fois, c’était des entités de plutôt bas niveau. Il ne s’était pas attaqué à des Balrogs ou à des Minotaures, … Elle avait plutôt joué la carte de la discussion, ces derniers temps d’ailleurs.

« Après, il arrive qu’on fasse dans le diplomatique. Ma dernière mission au Caire était de ce type là d’ailleurs. J’ai dû mettre un peu d’eau dans mon vin, car, disons-le, l’image qu’ils ont des femmes en Egypte n’est pas réellement alignée sur la nôtre, mais même comme ça, cela s’est plutôt bien passé. » Ajouta-t-elle. La mission s’était très bien finie, c’était un fait, et malgré quelques réticences, les dirigeants Egyptiens avaient fini par comprendre qu’ils n’étaient pas là pour profiter d’eux, mais plutôt pour les aider. Ou du moins c’était l’impression qu’elle avait eu…

« Pourquoi cette question d’ailleurs ? Tu n’aimes pas les voyages ? » La jeune femme posa la question sans vraiment réfléchir, comme parfois cela pouvait lui arriver. Cependant elle se souvint qu’il avait parlé de sa famille. Peut-être qu’il s’agissait plutôt de ça. Peut-être devait-il faire attention à ses missions, histoire d’éviter d’abandonner une famille qui n’avait, sans doute, pas vraiment choisi de le suivre dans cette aventure. Elle réfléchit quelques secondes de plus à ce qui se passerait si elle passait l’arme à gauche, et, concrètement, n’avait pas spécialement peur des réactions. Sa sœur chialerait un peu. Ses parents, pas vraiment. Elle n’était que la roue de secours de toutes façons. Sous son masque, son visage se ferma momentanément, avant de se détendre. Ce n’était de toutes façons pas pour tout de suite.

OK, alors les missions pour les chevaliers de bronze à argent étaient assez variées, allant du combat jusqu'à la diplomatie. Cassandre semblait en avoir plus à dire sur cette dernière que sur les batailles épiques contre... des monstres, rien que ça. Et des titans. Qu'est-ce qui était le plus impressionnant, l'idée de se battre contre le surnaturel plus souvent que contre d'autres éveillés —même pas mentionnés— où le fait que la demoiselle en parle comme si ce n'était rien, sans bien plus de passion que pendant son explication sur la négociation en Égypte. Les poings sur les hanches, Théo siffla, prenant quelques secondes pour digérer l'information.

-Ben calisse. C'est p't'être stupide à dire mais là j'ai quasiment hâte de voir un monstre.

Il n'y avait pas de "peut-être", c'était juste stupide, mais le Québécois avait de la difficulté à craindre ces créatures millénaires après avoir été témoin de ce que l'homme était capable de créer. Il n'en laissa rien paraître, cependant, et passa plutôt à autre chose quand la Sainte lui demanda pourquoi il n'aimait pas les voyages. Le visage de sa femme lui vint à l'esprit, et il tourna la tête pour observer derrière lui avant de lui expliquer.

-Ben, c'est relatif, disons. Chuis resté loin d'ma famille pendant tellement longtemps, maintenant que j'ai une chance d'être avec elle, ça m'fait bizarre de repartir pis jamais savoir quand j'va revenir. Tsé, mes enfants, ils... oh, attends.

Une faible mélodie se faisait entendre par-dessus leur conversation, et la Grande Ourse se dépêcha de sortir son téléphone de sa poche pour voir de quoi il en retournait. Ce n'était pas très poli de sa part de vérifier ses messages en plein milieu d'une conversation, mais ils étaient des Saints et étaient rarement contacté pour rien, mieux valait s'assurer que ce n'était pas une urgence. Grand bien lui en prit: le message était d'Amphion, l'un des nombreux assistants de la Palestre, qui avait de très mauvaises nouvelles: Colombe, autre Ourse du Sanctuaire et collègue bronze, s'était envolée pour New York sans permission dans un but de conquête et n'avait plus redonné de nouvelles depuis. New York. La ville où Reagan avait été vu pour la dernière fois. Reagan, Chevaliers Noir. Ennemis des Saints, comme 97% des éveillés en services dans le monde en ce moment. Et un chevalier de bronze était là-bas. Toute seule.
L'écran du téléphone explosa entre les mains du soldat, et il lança ce qu'il restait de l'appareil contre un pilier avec rage.

-Sacrament! Esti de tabarnak de sacrament!

Mais derrière cette fureur se cachait une peur encore plus honnête que tous ses jurons, une inquiétude que toutes les remontrances du monde n'allaient jamais effacer, pas même quand il serait face à face avec Colombe. S’il retrouvait Colombe. Parce qu'il connaissait la petite, il se doutait qu'elle manigançait sans doute quelque chose d'inoffensif, et qu'elle n'avait pas de mauvaises intentions, mais il était rare qu'elle disparaisse complètement. Et s'il s'était passé quelque chose? La pauvre était peut-être en danger, et personne n'allait l'aider en territoire inconnu...
Il n'y avait pas trente-six solutions. En passant une main nerveuse dans ses cheveux, le soldat y repensa quelques secondes sans rien dire, puis soupira.

-Faut que j'y aille. Y a une Sainte qui vient de disparaître à New York, j'va aller la chercher. Tu peux v'nir si tu veux, je sais pas de quoi ça va avoir l'air mais ch'rais pas surpris si ça finit mal.

« Ne sois pas si pressé. Lorsque tu tomberas nez à nez avec une méduse ou un géant, tu auras loisir de prendre du temps pour leur dire directement ! »

Elle avait eu la "chance", lors de sa courte étape en Bulgarie, de tomber sur une Ala, une créature mythologique du coin. Elle avait capturé plusieurs enfants au cours de l’année passée et son maître avait été amené à devoir enquêter, puis à se débarrasser de la bête. Bien entendu, il avait embarqué dans son entreprise sa jeune apprentie, et cette dernière avait pris part au combat final. Elle avait failli se faire foudroyer par le démon, qui maitrisait apparemment l’art d’invoquer les orages. Si d’entrée de jeu elle s’était présentée sous une forme humaine, elle avait vite troqué son apparence pour celle d’un gigantesque serpent vert, aux yeux rouges sang. Cassandre avait pu esquiver la plupart des attaques de son opposante, sautant de porte dimensionnelle à porte dimensionnelle, mais elle n’avait su utiliser le Thunder Claw sur le monstre de façon pertinente pour l’affecter, ce dernier était sans doute immunisé aux dégâts électriques. Heureusement, son mentor avait su profiter d’une faille et attirer l’attention de la bête pour que la jolie grecque utilise un portail dimensionnel pour décapiter la bête. Sa tête voguait sans doute entre Jupiter et Neptune, en ce moment, portée par les vents cosmiques. Ce combat avait été l’une des treize étapes qui avaient décrété qu’elle était digne de porter son armure d’argent. Armure qu’elle n’avait jamais ressorti depuis, mais c’était une autre histoire.

Alors qu’elle allait répliquer, un coup de bigot interrompit les deux chevaliers. Ou plutôt, un message. Un message qui ne semblait pas être des plus positifs, vu la réaction du canadien. Ce dernier avait écrasé son téléphone de façon plus que dangereux. Autant pour lui que pour les passants. Imaginez seulement si un bout de verre avait blessé quelqu’un ! Il semblait lui proposer une opportunité de fausser compagnie aux travaux barbants du sanctuaire, mais la jeune femme ne pouvait laisser partir un chevalier de bronze tout seul à l’aventure. Encore moins pour retrouver un autre chevalier de bronze potentiellement dans le pétrin.

« Tut tut. Tu ne peux pas te barrer du Sanctuaire comme ça, sans ordre de mission. N’oublie pas ton rang. Si les chefs l’apprennent, et bien … Et bien tu vas passer un mauvais quart d’heure. » Balança-t-elle sévère en levant l’index comme pour gronder le chevalier de l’ours. Bien entendu, elle n’allait pas s’arrêter après ces simples paroles. Sans lui laisser le temps d’intervenir, elle continua, en souriant derrière son masque, fier d’elle. « Par contre si un chevalier d’un rang supérieur te disait de te bouger pour aller secourir ton amie … Tiens, faisons comme ça. En tant que chevalier d’argent je te somme d’aller chercher la Sainte dont tu parles. Et puis flute, mieux encore. Tu vas m’accompagner ! On devrait être capables de prendre le jet du vieux. »

New York n’était pas la porte à côté, ils auraient besoin d’un moyen de transport, et quoi de mieux que l’avion de son géniteur ? Il fallait bien profiter des avantages de la belle vie ! Alors qu’ils commençaient à s’éloigner de la Palestre, un homme héla en direction de la jeune femme. « Dites, c’est vous Cassandre, non ? Le Grand Pope m’a fourni ceci pour vous. » lança-t-il alors qu’il lui tendait une lettre. La Grecque remercia l’individu et rangea l’enveloppe dans sa poche. Elle aurait tout le temps de la lire dans l’avion, de toutes façons.