Oblivion était donc enfin prête à suivre Wolgorn et Rogos jusqu'en Enfer. Le Bourreau devait tirer son chapeau au Dullahan pour avoir réussi à convaincre cette sauvageonne, mais il était trop vexé pour cela. Le dénouement de la quête confiée par le noble Minos était proche et il était trop pressé à l'idée de l'achever pour discuter. Il s'était aussi fixé un agenda à remplir le plus vite possible afin d'être pleinement disponible en cas de guerre. Il lui fallait par conséquent économiser le plus de temps possible s'il voulait accomplir ses projets avant de retourner au travail. Répondant à l'impatience de son compère, l’Étoile de l'Ombre usa des fées pour téléporter le trio de la villa d'Elis jusqu'à l'Inframonde. Il avait visiblement assez récupéré de ses efforts pour utiliser de nouveau ses pouvoirs mystiques. Ce n'était guère le cas du Russe, qui se laissa emporter par le glissement du tissu spatio-temporel.
 
La Berserker et les deux Spectres se matérialisèrent au sein du Royaume des Morts, à proximité de la Cascade de Sang. Leur cible, l'Arbre Sapindus, était enraciné de l'autre côté du ruisseau, mais plus pour longtemps. Si ce maudit végétal avait un peu plus de conscience, il tremblerait de peur à l'idée de ce qu'il allait subir ! C'en était fini pour cette aberration de parasiter le sol des Enfers ! Jusque-là, les Spectres et leurs maîtres n'avaient jamais osé y toucher par respect pour son statut de résident naturel de l’Outre-monde. Mais aujourd’hui, l'armée d'Hadès ne pouvait plus supporter le poids d'une entité qui assistait l'ennemi. Le Sapindus trahissait certes les Spectres à son insu, mais ce facteur était dorénavant insuffisant pour l'épargner.

Wolgorn jeta un œil à Oblivion, qui tenait toujours fermement la hache du Humbaba dans ses bras. Manifestement, son statut d'âme morte l'épargnait relativement en Enfer, d'autant plus que Rogos avait posé des sortilèges sur la jeune femme. L'Exécuteur se tourna vers elle et indiqua l'arbre du pouce, la cible à abattre.

"Nous y voici. Pour prouver ton allégeance à sa Magnificence Hadès, tu trancheras pour nous l'Arbre Sapindus ! Dès que ce sera fait, nous te donnerons ton Surplis. Tu seras alors une Spectre à part entière, éternellement fidèle à la Justice infernale et dévouée corps et âme à notre souverain." déclara-t-il.

Tandis que sa voix se faisait plus solennelle malgré son épuisement, le Russe accompagna ses paroles en pointant l'arbre plus vigoureusement avec son index. Son cœur battait à l'approche de l'événement tant attendu par les troupes spectrales. Bien que la mission se soit déroulée non sans litiges, ils étaient parvenus à soustraire l'arme légendaire aux terribles gardiens mésopotamiens. La lutte fut de longue haleine, autant éprouvante physiquement que psychologiquement, mais au moins ils parviendraient à soulager leur armée d'un lourd fardeau. Cette pensée consola partiellement Wolgorn de sa précédente défaite, un sacrifice les ayant menés à la victoire.

Il montra ainsi la marche à suivre à ses compagnons et traversa le Ruisseau de Sang à pied, maculant son manteau d'un rouge profond. S'il pouvait dépasser son amertume et se satisfaire de ce modeste succès, il aurait déjà fait un grand pas. Néanmoins, cela n'allait pas ce faire sans avoir craché toute la bile qui secouait ses tripes. Le Bourreau devait être empreint d'une haine pure au service de la Justice, brûlant d'éradiquer le Mal jusqu'à la racine. La première étape de ce processus était justement d'éventrer la souche du Sapindus ! Il fallait se débarrasser de ce qui était inutile, voire dangereux pour le devoir du soldat.

-Les… les Lois des Enfers?
 
Pas ces mêmes lois qui m’ont transformée en zombie incapable de penser, me forçant à avancer sans réfléchir vers une mort qui, si ça n’avait pas été de l’intervention de Prayer, aurait été certaine? Ces lois-là? Ou d’autres dont je n’ai jamais entendu parler? Même au Sanctuaire, ces informations ne circulent pas très bien, surtout parmi les Chevaliers d’Argent… Il y a surement autre chose, qui encore une fois n’aura pas été divulgué, et qui maintenant me concerne.
 
Rogos semble tout de même croire qu’en leur présence, je ne devrais pas être soumise à quoi que ce soit. Pas moyen de le savoir tant que nous n’aurons pas essayé. Je serre la hache entre mes mains encore plus fort en observant le Dullahan invoquer des petites fées qui nous encercle et quelques secondes plus tard, la pièce s’obscurcit. En voyant le peu de couleur qui reste autour de moi tournoyer de plus en plus rapidement, je titube, soudainement prise d’un étourdissement, mais il ne dure qu’une seconde avant que nous n’arrivions devant un ruisseau rempli de sang à l’aspect et à l’odeur maladive… Le Ruisseau de Sang, oui. Et de l’autre côté, trônant près de la Cascade, l’objet de cette quête : l’Arbre Sapindus. Enfin… nous y sommes.
Je regarde autour de moi d’un air absent, ne ressentant rien de particulier après ce petit voyage, si ce n’est qu’un vague sentiment de terreur. Après tout ce qui s’est passé, après avoir souffert, trahi, fui, combattu, fui à nouveau, et souffert… me revoilà ici à nouveau. J’ai promis de ne plus poser de problème aux deux Spectres, mais ce retour aux Enfers me fait à nouveau regretter mes décisions, l’atmosphère de mort que j’ai tant voulu éviter.
Je ne dis rien, mais jette un coup d’œil inquiet à la hache que je tiens toujours. Il est déjà trop tard pour reculer, mais après avoir abattu cet arbre, je sais bien que je ne serai plus jamais la même. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est de m’assurer que ce soit pour le mieux. Ce n’était pas dans les meilleures circonstances, mais j’ai choisi ma voie, et maintenant je me dois d’être prête à aller jusqu’au bout.
 
-Je sais, je t’ai entendu la première fois Wolgorn.
 
J’observe le Bourreau traverser le ruisseau de sang sans problème pour rejoindre l’arbre et vient pour en faire autant, malgré le dégoût que m’inspire le cours de… sang, je ne vois pas de raison de ne pas faire comme le Spectre, mais son compagnon sans tête m’arrête à temps en me prévenant que le liquide est très chaud. Comment chaud, je ne veux pas savoir, mais s’il prend le temps de me prévenir c’est qu’il y a une raison. Pourtant, tout comme Wolgorn, il le traverse sans trop de problème et s’approche de l’arbre à son tour. Ils doivent s’être protégé d’une quelconque façon… mais je ne sais pas comment accomplir le même exploit, alors pour moi la seule option sera de ne pas toucher le sang.
 
Déchirant un pan de tissu de mes nouveaux vêtements, j’attache la hache sacré dans mon dos et me penche pour approcher ma main du ruisseau. Une longue aiguille jaillit de ma paume, au niveau de mon poignet, et s’enfonce dans le liquide bouillant, grandissant jusqu’à ce qu’elle frappe le fond, m’offrant un support plus ou moins solide. Je sens la chaleur remonter le long de l’aiguille, si je veux vraiment traverser je vais devoir faire vite.
Je tends l’autre main, créé une deuxième aiguille, et tend prudemment la jambe gauche. Une autre aiguille surgit de sous mon pied et avant de perdre l’équilibre, je fais de même avec l’autre jambe. Le poids de la hache pèse de façon désagréable dans mon dos, mais faute de pratique je ne pourrai pas aller bien vite ainsi. Comme une araignée à la grâce et à l’efficacité discutable, j’avance lentement mais surement, faisant très attention à où je vais, mes bras tremblants sous l’effort, serrant les dents pour ne pas hurler ou même gémir de douleur à cause des aiguilles désormais brûlantes, me retrouvant trop souvent obligée de me contorsionner pour avancer, me retrouvant même de dos, la hache pendant dangereusement dans mon dos en menaçant de tomber à tout instant…
 
Ça n’arrive heureusement pas, je n’ose imaginer les tourments qui m’attendent aux mains de mes collègues si je ruine tout à la dernière minute, et je me laisse tomber sur la berge de l’autre côté aux pieds des deux Spectres, roulant sur le dos en rétractant les quatre aiguilles, le souffle court, incapable de bouger mes mains et mes pieds tant j’ai mal, une vague de cosmos traverse ma peau et fait disparaitre les trous et les brûlures. Une seconde plus tard, j’entreprends de me relever.
 
Les deux Spectres ne semblent pas apprécier la proximité avec l’arbre, comme expliqué par le Dullahan, le Sapindus les affaiblit, mais moi en tant que vivante et surtout en ne portant pas un Surplis, je ne suis pas touchée. Je m’approche, saisis la hache à nouveau, regarde attentivement le tronc de l’arbre… c’est ici que tout finit.
 
Pour Prayer.
 
-EYAH!
 
Je brandis l’arme sacrée et la lame s’abat une première fois sur le Sapindus, je sens le poids de la hache m’entraîner avec elle alors que j’entreprends de la dégager de là pour frapper une deuxième fois. Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir détruit cet arbre. Je n’échouerai plus.

Non sans hésitation, Oblivion et Rogos franchirent à leur tour le ruisseau qui les séparait du Sapindus. Le Dullahan compléta les propos cérémonieux de son collègue, insistant sur la nécessité qu'avait la sœur de Prayer à couper l'arbre infernal pour l'armée spectrale. Toutefois, à l'approche des serviteurs d'Hadès, le végétal émit une onde d'énergie qui les affaiblit plus qu'ils ne l'étaient déjà. D'une manière ou d'une autre, il pressentait une agression et répondait en conséquence. Cette résistance insolente irritait le Bourreau, qui ne supportait plus que le Sapindus s'accroche de la sorte aux Enfers alors qu'il n'y avait pas sa place. Le Russe et ses compagnons avaient sué sang et eau contre de redoutables démons pour ramener la hache sacrée depuis une autre dimension. Après avoir surmontés moult périls, ils allaient faire comprendre à cet arbre sa douleur et le poids de son péché.

Wolgorn vacilla sous la pression qu'exerçait le Sapindus, mais put garder suffisamment de conscience pour observer la suite des événements. La Berserker, encouragée par les Étoiles Terrestres, marcha vers sa cible et se mit au travail. Elle enfonça brutalement le tranchant de la hache dans le tronc de l'arbre, bien qu'elle éprouve des difficultés à la manier. Effectivement, celle-ci semblait bien lourde et disproportionnée pour sa manieuse, qui n'avait pas la carrure de ses deux camarades. Néanmoins, sa condition d’Éveillée devait pallier à son manque de force musculaire. Cela signifiait donc que même pour un guerrier usant de cosmos pour se fortifier, cette arme mythologique demeurait un défi à employer. Décidément, elle méritait sa réputation d'artéfact légendaire utilisé par les héros et les dieux eux-mêmes.

De la sève s'écoula de l'entaille qu'avait causée Oblivion et le vent se leva soudainement. Celui-ci semblait souffler le cri de souffrance de l'arbre, meurtri dans sa chair, tellement déchirant qu'il vrilla les tympans de Wolgorn. Ce dernier sentit alors son énergie le quitter, comme absorbée par l'entité sylvestre qui résistait désespérément à l'attaque. C'était donc la puissance du Sapindus, capable de sceller l'âme des Spectres ? Le drain cosmique était d'une telle intensité que le Russe en eut la nausée et crut s'évanouir, mais il tenait bon. Dorénavant à genoux, il continua de surveiller Rage, qui n'était pas affectée par le maléfice du végétal. Jugeant qu'elle ne mettait pas assez d'huile de coude dans la besogne, l'Exécuteur rugit à son attention :

"Mets-y plus de nerfs ! Tu n'arriveras pas à abattre le Sapindus si tu es aussi molle ! Crache tout ce que tu as dans les tripes !"

Rien que parler était insoutenable pour lui, tant il lui fallait solliciter ses muscles endoloris, rouillés et asséchés pour s'exprimer à pleine voix. La Berserker devait en finir au plus vite et donner des coups de hache plus vigoureux, sinon les Étoiles Terrestres allaient y passer. L'Arbre Sapindus était certes un méprisable parasite, mais le Bourreau devait reconnaître qu'il vendait cher son écorce.

Aussitôt que la lame s’enfonce dans le bois sacré, une éclatante lumière nous aveugle tous et une puissante vague d’énergie s’échappe de l’arbre. Je me couvre les yeux d’une main pour protéger ma vue fragile, mais après une seconde ou deux je réalise qu’il ne se passe rien, je ne suis pas atteinte… et sans même me retourner pour voir ce qui est advenu de mes deux collègues, malgré leur cosmos qui faiblit au point où je me demande s’ils sont encore vivants… si on veut, je lève la hache à nouveau, je n’arrêterai pas tant que cet arbre maudit sera coupé en deux et vide de toute vie.
Dans ce vain élan de défense, je sens mon masque se craquer dans un crissement métallique, menaçant d’éclater à tout moment, et la voix des deux Spectres me parvient avec un temps de retard. Tout va plus lentement, je sens mon cœur battre la mesure avec force alors que j’empoigne la hache encore plus solidement, la gorge serrée et les larmes aux yeux, mon cosmos brûlant de colère s’intensifie et je porte un autre coup empreint de violence contre le Sapindus.
 
-EAAAAAAAAH!
 
Je ne perdrai plus jamais personne. Je ne laisserai plus jamais quelqu’un périr sans pouvoir y faire quoi que ce soit, et ceux que je n’ai pas été capable de protéger, alors qu’ils ont tant donné… Prayer, Sargas, Arsiesys… je les vengerai, je punirai tous ceux qui auront osé leur faire du mal, ceux qui m’ont fait perdre ce que j’avais de plus précieux. Je les retrouverai. Et ils souffriront comme moi j’ai souffert. Comme Prayer aura souffert.
Et tout ça parce qu’un arbre l’empêche de revenir.
Et après mon retour à la vie, après Sparte, après cette interminable descente aux Enfers pour finalement me retrouver devant la seule source de vie du monde des morts, qu’est-ce qu’il me reste? Qu’est-ce qui me prouve que je peux tout recommencer? Rien. Je ne sais pas si je pourrais un jour remplacer ce que j’ai perdu… et parvenir à aimer comme je l’ai déjà fait à nouveau. Je n’ai plus rien, si ce n’est que cette haine inépuisable et ce désir de purger ce qui reste du monde que j’ai laissé derrière moi. Le Sapindus ne tiendra pas une seconde de plus.
 
-PAS UNE SECONDE!!!
 
La sève jaillit en abondance du tronc de l’arbre, mes mains en sont complètement recouvertes mais ce n’est pas ça qui m’arrêtera, pas ça ni rien d’autre. Je retire l’arme sacrée et prépare à donner un autre coup, la lame s’abat à nouveau dans un éclair fulgurant, le masque se fissure un peu plus… même le Sapindus ne pourra pas tenir longtemps, car je sais très bien que je n’arrêterai pas.


[HRP: Bon, on va faire deux coups de hache cette fois-ci, mine de rien cette quête prend du temps à finir et je vais pas vous sortir de l'épique coup de hache philosophique pour cinq posts non plus... quand même. '^']

La Berserker continua de frapper le Sapindus sans relâche avec une violence croissante. La hache pénétra cruellement sa chair boisée à mainte reprise, tandis que l'arbre essayait de se protéger en émettant une onde offensive. Wolgorn et Rogos encaissaient cette défense du mieux qu’ils pouvaient, luttant pour que leur cosmos ne soit pas aspiré par l’aura dévorante de l’entité sylvestre. Le Bourreau était angoissé à l’idée de s’éteindre face à un ennemi voué à sa perte, ce serait un déshonneur innommable. Aussi priait-il pour qu'Oblivion en finisse le plus rapidement possible. Les coups de cette dernière résonnaient bruyamment et elle ne cessait d’en donner, sans être gênée par la résistance du végétal. Celui-ci s’ingéniait à s’opposer au tranchant de la hache légendaire, mais en vain. Peu à peu, plus de la moitié du diamètre du tronc fut coupé, jusqu’à ce que la souche et le reste du Sapindus ne tiennent plus que par un lien ténu.
 
Soudain, un grand craquement se fit entendre, suivi d’une terrifiante lamentation portée par le vent. Le cosmos de l’arbre explosa alors dans un immense pilier de lumière, balayant les deux Spectres comme des fétus de paille. Aveuglé, l’Exécuteur n’avait aucun moyen de savoir ce qu’il se passait et il fut grièvement blessé par la même occasion. C’était à croire que l’entité sylvestre avait invoqué en dernier ressort un javelot luminescent afin de pourfendre les Étoiles Terrestres. Hélas pour elle, Wolgorn avait malgré tout survécu et il devait en être de même pour son confrère. Le visage baignant dans la boue, le Russe se releva péniblement, rouvrit les yeux et vit ce qu’il s’était passé : le Sapindus était finalement tombé, abattu par la sœur de Prayer. Dans un dernier sursaut, l’arbre avait essayé de tous les annihiler dans un flot de lumière, mais avait pitoyablement échoué. Il était désormais étalé de tout son long, ses feuilles se flétrissant au contact du sol impur des Enfers. Par ce fait, la quête des Spectres et de la Berserker était donc bel et bien conclue.
 
Le Bourreau marcha en titubant jusqu’à l’arbre mort, contemplant la carcasse du parasite que l’armée d’Hadès désirait tellement vaincre. A compter de ce jour, les Saints ne pourront plus jamais utiliser les fruits que portait ce traître pour sceller les guerriers infernaux. C’était pour eux une épine de moins dans le pied, une victoire gagnée de l’intérieur. Pansant une plaie au bras de sa main, le Russe constatait que même s’il en avait bavé, il avait contribué au redressement de son royaume. Peut-être que le Dullahan avait raison et que sa défaite face au Humbaba était un moindre mal, même s’il préférait ne pas l’avoir vécue dans l’absolu. Wolgorn ne pouvait passer outre tout cela, mais le résultat de leur succès était là. Empli d'une incertitude quant à l'attitude à adopter face à cet événement, il ne put néanmoins réprimer un soupir de soulagement. Il porta ensuite son regard sur Oblivion, qui avait malgré elle suivi les Spectres dans leur quête puis avait accepté de les rejoindre. Le Russe reconnaissait en elle sa jeune sœur par son espièglerie et son insolence, ce qui l'agaçait autant que cela le réconfortait. En dépit de son caractère de cochon, il lui devait une fière chandelle, mais il était pourtant hors de question de la féliciter. C'était trop pour son orgueil bafoué et s'il voulait être un soldat efficace, il devait se priver de toute affection.

Les Squelettes arrivèrent alors par dizaines, ayant entendu la chute fracassante du Sapindus. Ils se pressèrent autour des Étoiles Terrestres et de leur alliée, mais le Bourreau les envoya s'occuper de la carcasse de l'arbre. Maintenant qu'il était mort et n'émettait plus d'énergie susceptible de nuire aux Spectres, les larbins devaient supprimer toute trace de son existence. Tout devait être réduit en cendres et stérilisé, des racines jusqu'à la cime. Les sbires infernaux s'exécutèrent et le déracinèrent en tirant la souche de toutes leurs forces. Les Squelettes étaient actuellement plus vigoureux que d'habitude, enthousiastes devant la perspective de se débarrasser de l'arbre. Ils œuvrèrent donc avec allégresse et ne mâchèrent pas leurs insultes à vive voix contre l'entité sylvestre, coupable de tant d'infortune.

Ne sachant plus trop quoi faire, Wolgorn se tourna mollement vers ses compagnons. Cependant, il se rappela que les serviteurs d'Hadès devaient remettre à Oblivion un Surplis, mais il n'avait pas vraiment envie de s'en charger. S'il pouvait se ménager un peu de temps, il pourrait récupérer de ses aventures et passer à l'étape supérieure de son parcours. Pour tenter de se libérer, le Bourreau s'adressa au Dullahan d'un ton morne :

"Je suppose que tu peux emmener Oblivion se choisir un Surplis, Rogos. Si tu n'y vois pas d'inconvénients, je vais m'absenter pour une brève durée... Il y a quelque chose dont je dois me délester."

Les mains tremblantes et serrées avec force autour du manche de la hache sacrée, je tends le bras devant moi avec peine alors que dans un craquement terrible, le Sapindus tente une ultime défense. La lumière qui en jaillit me force à me protéger les yeux et le son produit qui n'est pas sans rappeler une explosion couvre tout le reste, à un point où je me demande brièvement s'il ne m'a pas assourdi de façon permanente. Le sol tremble avec force et cette fois, c'est suffisant pour me faire perdre l'équilibre et je titube en faisant tout pour ne pas tomber, le poid de la hache ne facilitant rien. Je sens l'énergie lumineuse s'en prendre à tout ce qui est considéré comme Spectre, Surplis inclus... ce qui expliquerait peut-être pourquoi c'est mon masque qui souffre le plus de tout ceci. 

Mais ce n'est pas assez pour m'arrêter, loin de là. Je ne suis pas morte, je ne suis pas Spectre, il ne peut rien contre moi, et même mes deux collègues Spectres trouvent le moyen de survivre à sa défense. Et peu importe toute l'énergie qu'il y mettra, sa lumière ne peut plus exister... les ténèbres finissent bel et bien par reprendre leur place, et après quelques secondes il n'y a plus aucune trace de la puissance du Sapindus. Le calme retombe autour de nous, je parviens à entendre des bruits de pas qui se dirigent vers nous et quand je regarde enfin autour de moi sans risquer de me brûler les yeux à nouveau, c'est pour constater que l'arbre est tombé. Plus aucune trace de puissance, ni même de lueur, tout ce qu'il en reste n'est qu'une carcasse déjà à moitié pourrie. Nous avons réussi. J'ai réussi. Le Sapindus n'est plus. 

Je me laisse tomber, épuisée, respirant bruyamment en regardant ce qu'il reste de l'arbre alors que des Squelettes s'approchent pour voir ce qui se passe. Le Bourreau, apparemment remis des attaques du Sapindus, commence à leur donner des ordres et ils s'occupent de l'arbre, au cas où celui-ci ne soit pas tout à fait en état de nuire... le Spectre ne me dit rien, me regarde à peine, devant son silence je viens pour l'interpeller, de quoi l'humilier un peu plus, mais la voix du Dullahan m'incite à reporter mon attention ailleurs. Au moins lui est capable de montrer un peu de gratitude... je me relève en hochant la tête.

-Je l'espère bien...

Après tout ça, comment pourrais-je être considérée comme une simple âme morte à punir? J'en ai fait bien plus en quelques heures que bien des Spectres durant toute leur existence pour Hadès et les Enfers, je mérite de vivre encore... Wolgorn demande à ce que Rogos m'emmène choisir un Surplis seul, apparemment il ne souhaite pas nous accompagner, et son compagnon accepte. Bon débarras. S'il n'était que pour nous rappeler à quel point nous avons possiblement bafoué son honneur en faisant les gros yeux et en agissant comme une brute, c'est bien mieux comme ça. Ça ne dérange pas Rogos, qui me demande de le suivre. Devant sa mention de séparation, je ne peux m'empêcher de frissonner. C'est le moment que je redoute le plus... l'Anima est à craindre, pas le Surplis.

-O... Oui...

Je ne peux pas l'éviter par contre. Cette armure rouge m'a trop tourmenté et je souhaite plus que tout me libérer de son emprise, mais si c'est pour ne pas y survivre comme je le voudrais, peut-être encore plus marquée qu'avant, difficile d'avoir hâte. La tête baissée, me forçant à respirer lentement pour garder mon calme, la hache toujours entre mes mains, je suis le Dullahan en direction du Giudecca. Je dois voir le positif dans tout ça. Il le faut, sinon c'est l'Anima qui gagne. Pas moi. Ça va prendre bien plus que la force des supérieurs des Enfers pour détruire complètement ce lien qui nous unit. 

*Profite bien de ces dernières minutes. Ce seront les dernières.*