BGM- https://www.youtube.com/watch?v=X95q7cjbhiA -BGM

Wolgorn s'était assis, les mains croisées et la mine sombre, sur les escaliers intérieurs de la Demeure du Jugement, juste en contrebas du bureau réservé aux Juges. Minos étant présentement occupé et n'ayant pas accordé au Bourreau le droit de siéger à sa place pendant son absence, il se contentait des marches. Il attendait en ces lieux Oblivion, qui avait été intronisée selon les dires comme Spectre de la Mante de l’Étoile Céleste de la Rage. Un totem approprié pour cette peste, même s'il détestait l'idée qu'elle lui soit hiérarchiquement supérieure. L'Exécuteur patientait donc dans l'espoir de voir la nouvelle Spectre se présenter à lui suite à son appel à la guerre contre le Sanctuaire. Cependant, celle-ci mettait un temps considérable à se manifester, ce qui était passible de sanction pour cas de désobéissance aggravée.

Le Russe se doutait bien que la sœur de Prayer était en train de faire sa difficile, cette dernière n'étant pas de nature docile. Il espérait néanmoins qu'elle n'était pas encore en train de chialer sur son sort, sinon il risquait de lui infliger une correction monumentale. Le Russe avait besoin de guerriers endurcis, pas de pisseuses et de pleurnichardes ! L'heure des lamentations était définitivement terminée, tout ce qui importait désormais était d’œuvrer pour que le rêve d'Hadès s'accomplisse ! Bien que Wolgorn répugne à le reconnaître, Oblivion détenait un énorme potentiel militaire qu'il était dommage d'ignorer, pourvu qu'elle veuille cesser ses enfantillages. Il devait absolument la persuader d'entrer dans les rangs et à participer à l'expédition dans le domaine d'Athéna : la réussite de l'opération en serait alors assurée.

Toutefois, le Bourreau devait aussi faire attention à ne pas se l'aliéner afin d'éviter qu'elle ne se comporte trop comme Eydis. Avoir deux folles séditieuses et surpuissantes en Enfer là où les Spectres avaient besoin d'unité était l'une des pires choses qui pouvaient arriver. Prendre des précautions agaçait l'Exécuteur au plus haut point, lui qui voulait s'imposer à ses troupes par la force. Perséphone l'avait investi d'un pouvoir immense et il comptait s'en servir judicieusement, sans non plus lésiner quand l'occasion se présenterait. Au cœur de l'obscurité du Tribunal Infernal, ses yeux luisaient d'un éclat rubis qui trahissaient son irritation latente. Que Rage se dépêche de se présenter devant Wolgorn et le rejoigne dans sa purge du Sanctuaire ! L'armée spectrale était rassemblée, il ne manquait plus qu'elle sous l'étendard abyssal !

-Tu voulais me voir?

Je m'approche d'un pas lent de mon collègue, les bras croisés sur ma poitrine avec défi. Ce qui ne m'empêche pas de m'arrêter à une distance sécuritaire du Bourreau, vu sa mauvaise humeur ce n'est pas une précaution de trop. En inclinant la tête sur le côté, je fronce les sourcils, reléguant mes inquiétudes au rang de simple agacement.

Mais mes pensées sont ailleurs. Ma dernière rencontre avec le doyen des Squelettes, Lachès, ne s'est pas très bien terminée et la demande de Wolgorn n'aurait pas pu plus mal tomber. Demande, oui : ce n'est pas comme s'il était en mesure de me donner des ordres. Et ça, je compte lui rappeler autant de fois que nécessaire, je suis une Étoile Céleste et cette période où il pouvait se permettre de me menacer et de se prendre pour mon supérieur est révolue.
Le fait est que Lachès ne m'a presque pas parlé. Après être venu me chercher au Cocyte, il m'a posé des questions sur Sargas, comment je le connaissais, et il m'a demandé des détails sur notre rencontre. À mon tour, je l'ai questionné sur les raisons de son interrogatoire, mais il m'a ignoré. Pire, il me regardait comme s'il se demandait pourquoi je lui posais des questions. Un drôle de mélange d'agacement et de... peur. J'ai fini par perdre patience : ça l'a réveillé. Trop occupés à nous disputer, le message de Wolgorn était vite devenu le dernier de mes soucis.

Mais maintenant, me voilà. J'ai revêtu mon Surplis, une énième fierté de plus à afficher devant le Bourreau et dont je ne peux pas me passer, mais je porte mon masque. Pour circuler dans le monde des vivants, c'est un peu plus discret, pas l'idéal mais un peu mieux que d'afficher de multiples blessures qui paraissent bien plus fraîches que ce qu'elles sont vraiment. Mon nouveau maître préfère que je le porte : lors de combats, c'est une excellente protection pour mon visage déjà fragile. Mais je ne compte pas me cacher plus longtemps que nécessaire, je n'ai simplement pas encore pris la peine de l'enlever.

Mon collègue a changé. Il est... bizarre, son Surplis est différent mais il y a autre chose. Je ne saurais pas le décrire... À la base, j'ai de la difficulté à le cerner : oui, il a un caractère de cochon et beaucoup trop de fierté pour son propre bien, et ce n’est là qu’un euphémisme, mais je l'ai déjà vu autrement. Quand il m’a mis en garde quant à mon Surplis, entre autre... Quand il n’a rien à prouver, il n’est pas aussi mauvais qu’il pourrait l’être. Ça ne semble pourtant pas être ce qui m'attend.

-Ça n’a pas l’air d’aller…

Ce n'est clairement pas ce qui se passe, mais je m'en moque. Je veux juste voir comment il va réagir. À moitié entre la provocation et une réelle inquiétude, je finis par hausser les épaules comme si au fond la réponse m'importait peu. Encore une fois, ce n'est pas tout à fait le cas. Mais je ne suis pas là pour ça et si on peut en finir au plus vite, ce serait apprécié.

-Peu importe. Qu’est-ce que tu veux?

Voilà Oblivion qui se présentait enfin devant Wolgorn, qui l'avait incessamment appelée sous la pression d'Eydis puis de Perséphone. Comme à son habitude, la jeune femme faisait preuve d'impudence dans son ton et sa posture défiante, ce qui avait le don d'énerver le Bourreau. Ce dernier émit un grognement contrarié avant de se lever pour mieux surplomber la Mante de sa stature. Perché sur les escaliers du tribunal, il paraissait encore plus grand qu'à l'accoutumée et il avait l'intention de se servir de cet effet pour faire comprendre à cette sauvageonne qui était le patron. En plus elle se permettait de lui répondre comme s'il la dérangeait ? Elle se prenait pour qui, cette peste prétentieuse ? Pour une touriste en vacances dans un camping cinq étoiles au bord de la Méditerranée ? L'Exécuteur en avait déjà soupé de supporter la tronche d'enfant gâtée de Rage : c'était le moment de remettre les pendules à l'heure. Qu'elle se cache derrière un masque ne changeait rien, il pouvait facilement décerner l'insolence qui se dissimulait derrière.

"Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce que je veux ? Je vais te le dire, Oblivion !" s'exclama-t-il d'une voix gutturale. "Il se trouve que tu as été appelé plusieurs fois par un Juge puis par son Altesse Perséphone, mais tu étais absente à chaque convocation et ce sans raison valable. Pour une recrue, aussi Céleste soit-elle, je dois te dire que tu commences très mal !"
 
Wolgorn descendit alors des marches et se mit à tourner autour d’Oblivion, la toisant d’un regard inquisiteur. Il s’arrêta ensuite brusquement derrière elle, se trouvant ainsi dos à dos avec son interlocutrice. Le torse bombé, il posa ses mains sur ses hanches et poussa un long soupir, semblable à un souffle caverneux à cause de son casque.
 
"Cependant, je ne suis pas là pour te punir vu qu'on ne m'a pas ordonné de le faire... du moins pour l'instant." assura le Russe avec une fausse douceur. "Je tiens juste à te rappeler que tu marches sur des braises avec ce comportement. Après tout, moi et Rogos, nous nous sommes donné beaucoup de mal pour t'incorporer à nos troupes : ce serait embêtant que tu finisses déjà en poussière stellaire pour avoir courroucé l'un de nos pontes."

D'un pas lourd et inquiétant, l'Exécuteur se positionna face à l’Étoile de la Rage, puis claqua brutalement ses mains devant le visage de celle-ci sans crier gare. Le choc fut retentissant, suffisamment pour flanquer une trouille bleue et vriller les tympans à quasiment n'importe qui, surtout avec les échos de la Demeure du Jugement.
 
"Et sinon comme je vais ?" tonna le Bourreau. "D'un côté, j'en ai marre de me faire engueuler pendant que certains se défilent et de l'autre, je ne me suis jamais senti aussi bien ! Je suis plus puissant que je ne l'ai jamais été auparavant et j'ai même eu droit à une promotion temporaire ! Je suis Commandant de l'escadron d'assaut contre le Sanctuaire, tu te rends compte ?!"
 
Il ponctua ses paroles en éclatant d'un rire tonitruant qui secoua sa gigantesque carcasse. Quand il eut fini de se bidonner, il expliqua finalement pourquoi il avait convoqué Oblivion :
 
"Sa Majesté Perséphone m'a ordonné de mener les Spectres contre la porcherie qui sert de repère aux Chevaliers d'Athéna et de lui ramener le Rosaire de la Vierge. Pour ce faire, j'ai besoin de tous les guerriers disponibles, y compris de toi ! Ce sera l'occasion parfaite pour trancher les derniers liens qui te rattachent au Sanctuaire et de prouver que tu es bien des nôtres. Voilà pourquoi tu es ici !"
 
Penché vers la Mante avec force condescendance, Wolgorn serra le poing droit et la flanqua sur sa paume gauche tout en poursuivant son discours :
 
"Rejoins-nous dans cette mission et place-toi sous mon commandement, Oblivion ! Je veux te voir trucider tes anciens camarades de la manière la plus abominable et exemplaire possible ! Crois-moi, ce sera autrement plus constructif que de continuer à te lamenter dans ton coin sur ton sort."
 
Ceci dit, il se redressa, croisa à son tour les bras et fixa la sœur de Prayer d'un œil sévère. Un silence de mort s'installa dans la Cour de Justice, le Bourreau insistant pour laisser sa coreligionnaire devant le poids de ses responsabilités. Une minute entière s'écoula sans que l'Exécuteur ne bouge ni ne prononce un seul mot, son aura démoniaque faisant le travail d'intimidation à sa place. Toutefois, il se décida à interroger Rage sur sa décision, vu qu'elle avait manifestement besoin qu'on la brusque un peu :

"Alors ? Ne me dis pas que tu vas refuser de partir à l'attaque du Sanctuaire ? Il est de ton devoir de nous aider à éliminer les Saints !"

Oh, ça s’annone plutôt mal. À peine mes questions ont-elles été posées que le Bourreau se redresse pour me toiser de haut et me hurler dessus. Si seulement il pouvait encore être crédible… je ne le connais pas depuis si longtemps que ça, mais il a trop abusé de ce petit jeu pour m’impressionner. Qu’il me dise que je ne suis pas une excellente recrue ne me fait pas grand-chose : il doit probablement reprocher la même chose à d’autres Spectres dès que quelque chose ne lui plait pas. Mais de quoi il m’accuse, exactement? Il me parle de convocation, d’un Juge et de Perséphone elle-même qui auraient demandé à me voir… mais je n’étais pas au courant. Aurais-je dû recevoir un message? Lachès m’a expliqué comment fonctionne les Fées, mais je n’en ai vu aucune. Sinon, pourquoi ne pas tenter autre chose?
Lachès… pourrait-il être derrière tout ça?

-Je n’ai été mise au courant d’aucune convocation.

Il pourrait ne pas me croire. C’est vrai que ce n’est pas l’excuse la plus convaincante, mais je ne peux pas changer la vérité. Pendant mon entraînement, le temps a passé tellement vite, je ne me suis pas rendue compte de mon isolement, mais jamais au point d’ignorer un message! Normalement, personne n’aurait laissé ça arriver! Qu’est-ce qui a bien pu se passer?
Malgré tout, il ne m’a apparemment pas fait venir ici pour me faire des reproches. Ça doit être inclus avec à peu près tout ce qu’il fait. La suite est un peu moins colérique, du moins en apparence, mais il tient quand même à me rappeler que ma façon de faire ne m’aide pas. Mais je n’y peux rien si je n’ai pas reçu les messages! Ce n’est pourtant pas ça qui me fait réagir : au plus, son sermon m’ennuyait. Mais sa tentative d’assumer une fausse responsabilité dans mon arrivé chez les Spectres est la phrase de trop. Je serre les poings, le regard rempli de colère.

-Tu peux me menacer autant que tu veux, mais je te défends de mentir devant moi! Tu aurais préféré mille fois me tuer même si ça signifiait l’échec de notre mission, tu aurais sans doute espéré que je ne survive pas à mon changement d’armure, auquel tu n’étais pas présent parce que tu as décidé d’aller ailleurs! Et maintenant tu souhaites t’accorder du crédit pour le mal que Rogos s’est donné? Non! Ça, je te le défends!

Je ne suis pas d’un naturel bien imposant : si Prayer n’avait pas cessé de grandir, elle m’aurait probablement dépassée en taille. Mais en ce moment, j’aime croire que j’en jette autant que Wolgorn. Bien droite, la tête haute, le doigt accusateur pointé en sa direction et la voix pleine de rage, les rôles s’inversent pendant une seconde et je me retrouve en position d’autorité. C’est… extrêmement satisfaisant.
Mais ça ne dure pas.
Mes yeux s’écarquillent de surprise un instant trop tard alors que les mains du Bourreau se rapprochent dangereusement de mon visage. Le bruit m’assourdit et je bondis vers l’arrière dans un sursaut incontrôlé, prenant une position défensive tout en le fixant avec confusion, puis avec haine. Il se joue de moi… est-ce qu’il s’attend vraiment à ce que ça finisse bien?

-Tu…

Mais les prochaines nouvelles me laissent sans mot : les Spectres s’apprêtent à attaquer le Sanctuaire et Wolgorn les commandera. Si peu de temps après mon arrivé et la chance se présente déjà à moi! Ou plutôt… se présente et m’échappe. Je suis censée être en mission en ce moment, et je doute que qui que ce soit m’attende pour débuter l’assaut.
Ce qui ne m’empêche pas de lancer une autre pique au passage.

-Ah bon? Tu as enfin réussi à tuer un Ugallu sans te faire mal?

Là c’est moi qui suis en danger de mort. Mais s’il veut se moquer de moi, il va devoir en subir les conséquences aussi.
En mission, alors que les Enfers vont enfin écraser les forces d’Athéna! Y a-t-il plus injuste que ça? C’est impossible, il doit y avoir une erreur quelque part! Sinon, pourquoi Wolgorn insisterait-il à ce que je le rejoigne? Il prend mon silence pour de l’incertitude et tente de presser ma décision; il a droit à une brusque réplique.

-Tu crois que ce n’est pas ce que je veux? Si je mets la main sur un seul d’entre eux je ferai bien plus que le trucider et tu le sais très bien!

Je laisse le silence planer quelques secondes, puis dit d’une voix basse, appuyant sur chaque mot :

-J’ai été assignée ailleurs. Je ne peux pas venir.

Ça m’embarrasse autant que ça me frustre. Je suppose que je suis une recrue avant d’être une Étoile Céleste, supérieure au soi-disant Commandant de la mission, mais au point d’être éloignée des combats! Je finis par baisser la tête, furieuse d’avoir à prononcer ces mots. J’ai fait beaucoup de sacrifices en arrivant ici, mais pas ça. Je ne suis pas prête à abandonner ma vengeance aussi vite.

De qui Oblivion se moquait-elle donc ? Elle prétendait ne pas avoir reçu de convocation, alors que Wolgorn avait insisté auprès des messagers pour qu'on la prévienne de l'expédition punitive au Sanctuaire. Sa désinvolture et son manque d'investissement l'exaspérait au plus haut point. A ce stade, il se demandait ce qui le retenait de lui flanquer une taloche, mais il pouvait éventuellement admettre qu'il y avait un problème dans la communication. Après tout, il ne fallait jamais faire trop confiance aux Squelettes pour délivrer correctement des missives. Néanmoins, tant d'incompétence restait assez effarante à un certain niveau, donc peu crédible à moins d'être mauvaise langue. Sans compter que les officiers avaient récemment beaucoup œuvré pour que le petit personnel soit mieux organisé et plus discipliné.
 
Bien qu'incrédule devant le mensonge flagrant de la Mante, le Bourreau soupira lourdement et décida de passer l'éponge. Sauf que la suite de la réponse de la nouvelle Spectre fut tellement inacceptable qu'il ne pouvait plus feindre d'être tolérant. Endurer un tel flot d'inepties n'était pas dans sa nature, qui était d'une fierté à ne piétiner sous aucun prétexte, à moins d'être l'un de ses légitimes supérieurs. Courroucé, il déploya une aura parme incendiaire et hypertrophia ses muscles, lui conférant ainsi une allure plus imposante.
 
"Les efforts de Rogos ?!" s'offusqua l'Exécuteur. "La belle affaire ! Rogos n'est qu'un pétochard, un indécis et un raté ! S'il est parvenu à ces accomplissements, c'est bien parce que j'étais là pour le secouer pendant qu'il se pissait dessus ! Et dis-toi que si tu es là grâce à lui, c'est bien parce que je l'ai permis !"
 
Nombreux auraient été ceux qui auraient soutenu qu'il ne savait plus ce qu'il racontait, à en juger son accès de colère. Sauf qu'il était parfaitement conscient de ce qu'il disait et en était convaincu. Son être n'était plus qu'un insidieux mélange de haine et de fanatisme exacerbés, à peine tempéré par une apparence de civisme. Quand Oblivion remémora Wolgorn de ses difficultés face aux Ugallus, sa fureur n'en fut que plus terrible. Ses Gantelets de Répression recouvrirent instantanément ses mains, qui s'ouvrirent et se refermèrent dans une gestuelle maniaque.
 
"SILENCE !!" hurla le Russe. "Ne te vante pas d'avoir pu tuer ces bestioles qui ne savent que fuir ! Toi et Rogos, vous frimiez beaucoup après avoir buté ces vermines, mais aucun de vous n'aurait pu accomplir ce que j'ai accompli ! J'avais réussi à mettre le Humbaba à genoux, mais ce cloporte de Rogos a été infoutu de l'achever ! Il est incapable de m'arriver à la cheville et n'y parviendra jamais ! Il en va de même pour toi, Oblivion !"
 
Son Surplis s’obscurcit progressivement et ses articulations s'illuminèrent d'un rouge ardent. Le Bourreau se métamorphosa en une silhouette cauchemardesque d'une noirceur abyssale et striée de veines écarlates. Son regard malsain rivé sur l’Étoile Céleste, il poursuivit ses invectives d'une voix rauque :
 
"Me faire insulter de la sorte par une pleurnicharde comme toi... quelle blague ! Commence déjà par arrêter de chialer pour la mort d'une perdante telle que Prayer ! Les médiocres de votre engeance me font vomir, vous et votre sentimentalisme putride !"

S'il n'était pas dans la Demeure du Jugement, il aurait craché volontiers par terre pour exprimer son dégoût. Wolgorn resta simplement penché vers Oblivion, prêt à la déchiqueter et à la broyer si jamais elle osait encore lui répliquer insolemment. Même lorsqu'elle assurait vouloir massacrer les Saints, cela sonnait faux tant cela tranchait avec son immobilisme fébrile. L’Étoile de la Rage avait une fâcheuse tendance à tergiverser, pour quelqu'un qui prétendait être combative. D'humeur à la traîner plus longtemps dans la boue histoire de lui rappeler qui était le patron, l'Exécuteur lui lança avec mépris :

"Humpf ! Au final, il faut croire que tu ne vaux pas mieux que ta chétive sœur ! Elle aboyait fort elle aussi, mais elle s'est faite écrabouiller comme un cafard ! Tu as beau avoir de la gouaille, tu as les chocottes, petite poule mouillée !"

Son visage masqué en face de celui de son interlocutrice, il s'assurait qu'elle entende distinctement le moindre de ses mots. Tant pis si ce qu'il disait était odieux, il n'en avait absolument rien à cirer. Qu'elle s'avise à se mettre en colère et à le frapper, si elle en avait réellement le courage !

Je n’arrive pas à y croire. Comment j’ai pu anticiper ce moment, attendre avec impatience le jour où j’aurais à me tenir devant le Bourreau, fière, forte, supérieure… le jour où j’aurais pu enfin lui montrer qu’il avait tort tout ce temps-là, et que d’une Étoile Céleste à une Étoile Terrestre, il aurait maintenant à me respecter. Je ne pouvais qu’avoir hâte de vivre ce moment, alors… qu’est-ce qui s’est passé? Pourquoi c’est à moi de reculer, de craindre mon interlocuteur, de baisser la tête, courber l’échine et ravaler ma fierté? Ça ne devait pas se passer comme ça! Alors pourquoi?!
Je ne comprends pas. Au final, je ne sais même pas si je veux comprendre. N’importe qui d’autre se serait trouvé devant moi à me délivrer ces insultes, j’aurais pu serrer les dents et laisser passer, garder ma colère pour moi et me montrer docile. Mais pas pour Wolgorn. C’est celui que je ne peux pas laisser gagner devant moi, pas maintenant, pas tant que moi je n’aie pas pu le vaincre! Si je le laisse m’avoir, si je flanche trop tôt, je vais perdre le peu que j’ai déjà réussi à gagner ici… et il n’y aura plus d’Oblivion de la Mante, rescapée des armées d’Arès. Il n’y aura qu’un énième pion parmi tant d’autre.

-Tu aimerais le prouver?! Que ce n’était pas toi le raté dans cette histoire?! Tu veux me faire croire que tu as pu survivre aussi longtemps devant Humbaba alors que tu te démenais de peine et de misère contre ses sous-fifres? Ne me fais pas rire. Je ne suis vraiment pas d’humeur!

Il est enragé. Si sa posture et le ton de sa voix n’étaient pas déjà suffisants pour me le prouver, le changement physique et l’augmentation de son cosmos complètent très bien le portrait. C’est bien la différence entre nous deux… ce que nous sommes prêts à montrer. Moi, je suis toujours d’apparence aussi impassible même si je bous à l’intérieur, au point d’en avoir la tête qui bourdonne et le cœur qui bat à tout rompre sous le coup de la colère… et peut-être même, enfoui au plus profond de tout ça, d’un peu de peur. Celle que je pourrais quand même perdre.

Mais tout ça disparait d’un coup.

À la mention de Prayer, le bourdonnement descend le long de ma nuque, comme un long frisson, pour se bloquer dans ma gorge et y rester. Les battements ralentissent, semblent s’arrêter, reprennent. La chaleur au niveau de ma poitrine augmente, devient une brûlure insupportable qui me force à chercher mon souffle, chaque petite respiration saccadée est une torture. Le regard fixe, le visage figé dans une expression d’horreur et d’incrédule caché par mon masque, les bras parfaitement immobiles le long de mon corps, je ne suis même plus sûre de ce que je vois. C’est trop fou, embrouillé. Mais je sais ce que j’entends, par contre.
La brûlure remonte. Se fige dans ma gorge et y reste.

-… s'est faite écrabouiller comme un cafard ! Tu as beau avoir de la gouaille, tu as les chocottes, petite poule mouillée!

Le reste se perd dans un grand cri. Le mien. Mais dans mes oreilles, il ne s’arrête pas, il continue, et dans un flash rougeâtre tout disparait. Il n’y a plus que moi, le cri sans fin, et un courant électrique qui me traverse le corps. Je sens la peau et les muscles de mon visage, de mes mains, qui s’étirent et se déforment, puis un étourdissement quand une vague de mon propre cosmos commence à me pousser de tous les côtés. Et comme une poupée de chiffon, je me laisse emporter par la vague sans résister. À quoi bon? Je ne peux pas résister à ce à quoi j’appartiens.

Lentement, je reprends mes esprits et prends conscience de ce que ce… black out… a causé dans le monde réel. Une véritable bourrasque de cosmos, comme celle déclenchée dans la forêt de Sparte, qui a mis de la distance entre moi et le Bourreau et qui m’a fait tomber à genoux… et partout autour de nous, des aiguilles noires, pointant dans toutes les directions. La pression retombe. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir repris le contrôle. Que le reste de ma rage sera parfaitement consciente.
Mais ma gorge me fait toujours aussi mal.

-Pleurnicharde… médiocre… putride… poule mouillée…

Ma voix n'est qu'un grondement, bas, presque inhumain... Brusquement, je tends les bras devant moi. Deux longues aiguilles jaillissent de mes paumes et frappent le sol, puis continuent à grandir jusqu’à me pousser vers l’arrière, me donnant l’élan nécessaire pour me remettre sur mes pieds. L’instant d’après, elles se rétractent et disparaissent, laissant deux trous béants qui se referment lentement.

-Tu me crois incapable de détruire mes ennemis?!!

Je prends une posture de combat alors que des dizaines de petites aiguilles couvrent mes bras et mes épaules, traversant mon Surplis comme s’il n’était pas là. Et c’est le cas de le dire : il n’y a aucun trou, aucune fissure. Comme s’il n’était qu’un hologramme. Une illusion.

-Regarde un peu ce que je suis capable de faire à un allié!!!

Il est temps de prouver le contraire. Je suis une Spectre, je suis la Mante Religieuse, la Rage réincarnée en une Étoile Céleste. Ce que j’ai pu faire à Rogos, ce n’était qu’un avant-goût de ce que je suis prête à faire maintenant, pour prendre ma place et écarter ceux qui voudraient m’en empêcher.

Encore et toujours Oblivion trouvait à répliquer au Bourreau, dont la frustration et la colère ne cessaient de bouillir dans ses entrailles. Elle ne pouvait donc pas simplement se soumettre et se taire ? Il fallait donc qu'il la roue de coups pour qu'elle ferme enfin son clapet ? Tant pis pour elle, ou plutôt tant mieux pour Wolgorn, qui était trop heureux de pouvoir la corriger comme elle le méritait. Cette élection au grade d’Étoile Céleste rendait la Mante trop arrogante et il allait lui enseigner que la hiérarchie infernale n'était pas aussi simple qu'elle le croyait. Après tout, l'Exécuteur n'était-il pas devenu Commandant à titre exceptionnel, c'est-à-dire capable de punir autant les Étoiles Terrestres que les Célestes ? Malgré sa promotion, il devait encore respect à ses supérieurs, mais il était hors de question qu'il s'incline face à Oblivion ! Même sa dévotion envers Hadès ne pouvait atténuer la haine qu'il éprouvait pour elle !

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=dmKYIQWECWk -BGM

Alors que Wolgorn s'apprêtait à frapper l’Étoile de la Rage, une éruption cosmique provenant de cette dernière sépara brutalement les deux Spectres. Le Russe dérapa en arrière sur une dizaine de mètres, les bras croisés en posture défensive au niveau de la figure. Époustouflé, il se demandait comment une morveuse pareille pouvait dégager une énergie aussi phénoménale. Sous son casque, il se mordit la lèvre par crispation et serra nerveusement les poings. Être impressionné ne serait-ce qu'un peu par une vulgaire explosion était inacceptable ! Le Bourreau ne pouvait se permettre de céder face à Oblivion, quel qu'en soit le prétexte.

Toujours en garde, il observa ensuite avec dégoût le Surplis de la Mante se hérisser d'aiguilles. A mesure que son corps se garnissait d'épines, elle s'exprimait de façon plus menaçante. Cette fois-ci, elle semblait prête au combat et à régler ses comptes avec le Russe. Néanmoins, si elle se limitait aux invectives à ce stade, cela signifiait qu'elle avait encore beaucoup à apprendre. Wolgorn allait lui faire amèrement regretter de lui avoir laissé l'initiative ! Si elle pensait que se transformer en porc-épic l'effraierait, elle se trompait gravement. Courroucé par la futilité de ces provocations, le Bourreau émit un grondement qui déboucha sur un terrifiant rugissement :

"GROAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAR !!!"

Le cri fut instantanément suivi par un Demon Punisher asséné de plein fouet contre le visage d'Oblivion. La puissance de l'arcane fut telle qu'elle propulsa sa cible en dehors de la Demeure du Jugement, non sans fracasser la massive porte d'entrée au passage. La force du coup de poing éjecta finalement Rage jusqu'à une colonne, qui s'effondra sous l'impact. L'Exécuteur la pourchassa sans tarder, déterminé à l'écrabouiller sous sa semelle. Il n'aurait jamais assez de supplices en stock pour la châtier, surtout qu'elle avait osé lui écorcher la main avec ses aiguilles ! A compter de cet instant, chaque offense allait se rembourser au centuple...

"MURYAAAAAAAAAAAH !"

Wolgorn atterrit tel un météore à proximité de la sœur de Prayer, enfouie sous un tas de gravas. Fou furieux, il abattit sa paume sur l'estomac de son adversaire et déploya un Dark Pressure ravageur. L'assaut causa une gigantesque déflagration et souffla tous les décombres autour des belligérants. La Mante fut quant à elle écrasée par l'onde maléfique, son corps s'encastrant dans le sol et les dalles éclatant sous son poids. C'était toutefois trop insuffisant au goût du Russe, qui se préparait à bombarder sa victime de coups. La réduire en pulpe sanglante était l'unique solution pour lui apprendre qu'elle devait le craindre !

La tension monte, la haine aussi. J'aurais dû passer à l'action tout de suite, l'écraser sous ma botte et en finir là. Avec l'initiative, j'aurais pu le faire et c'aurait été facile. Trop facile. À quoi bon tenter de l'arrêter si je ne peux pas savourer ma victoire? Je voulais le voir me craindre. Je voulais le voir se soumettre et finalement abandonner face à ma colère. Mais il n'abandonne pas! Il ne me craint pas! Il reste debout, il gagne en force, il résiste et il contre-attaque! Pourquoi? Pourquoi il ne flanche pas?

Je n'ai pas le temps de le découvrir.

Ça se passe très vite. Je ne peux même pas réagir alors que les coups du Bourreau m'envoient voltiger en dehors de la Demeure du Jugement, la douleur et la violence de ses coups ne me laisse pas l'espace nécessaire pour répliquer. Il vise mon visage... si ce n'était pas de mon masque, il m'aurait peut-être déjà défoncé le crâne. Mon surplis absorbe le choc, si on veut, mais comparé à la force déployée par Wolgorn, ça ne tiendra pas le coup longtemps. Vient un temps où je ne sens même plus ses coups, le corps déjà noyé dans la douleur et ce, jusqu'à ce que je m'immobilise au sol pour quelques secondes. Un vertige me prend alors que je n'ose toujours pas bouger, je sens le sol bouger sous moi, j'ai peur de tomber… mais je ferme les yeux. Respire. C'est ce répit qui va pouvoir me permettre de répliquer... même si le Bourreau ne veut pas le laisser passer. Mais c'est ce qui arrive quand on tente de vaincre la rage avec la rage.

-Gh...!

Rapidement, une vague de cosmos me traverse le corps comme un frisson et je pose les paumes de mes mains contre le sol. L'énergie se disperse dans le sol, nous entoure et une fraction de seconde plus tard, une nuée d'aiguilles meurtrières jaillit du sol et s'enfoncent dans la chair de mon adversaire. Je n'aurai pas d'autres chances de passer à l'attaque : mon cosmos continuant de circuler sur ma peau et engourdissant la douleur comme faire ce peu, je bondis sur mes pieds et fonce sur le Bourreau en hurlant, le frappe de mon poing couvert d'aiguilles, sans pour autant y mettre toute ma force. Ce que j'ai en tête promet d'être bien plus douloureux.

Ça commence simplement avec une feinte. Me laissant emporter par l'élan du coup je me dérobe sur la gauche, agrippe le bras de Wolgorn, me retourne et saute sur son dos en poussant un grondement sourd. Mes pieds le frappent durement et restent parfaitement ancrés alors que je commence à chercher les failles de son armure, les articulations les plus faibles, les possibles fissures... je ne suis pas une experte, je doute l'être un jour, mais je n'ai pas le temps de pousser l'observation plus loin. Au fond, je ne le veux pas vraiment.

De petites aiguilles fines comme des seringues jaillissent de mes doigts, se faufilent entre les interstices du Surplis du Bourreau et atteignent sa peau. Aussitôt, je sens un changement qui s'effectue : ma respiration devient plus régulière, mes bras deviennent moins lourds, je me sens... mieux. Ce n'est que là que je remarque les autres aiguilles, celle de ma main que je croyais libre, légèrement plantées dans mon cou. De Wolgorn... jusqu'à moi. Je ne m'en suis même pas rendu compte. Ça ne me fait même pas mal, est-ce que le Bourreau va sentir quelque chose? Si ce n'est pas ça...

Je retire les aiguilles de mon cou, elles se rétractent et tout de suite, d'autres plus grosses les remplacent et dans un mouvement vif, je frappe le dos de Wolgorn, en visant ses poumons. Son Surplis absorbe parfaitement le coup. Je recommence, les aiguilles cette fois sont chargé de cosmos et parviennent à pénétrer la protection des Enfers. C'est comme un signal; la respiration rauque, je le poignarde à répétition sans m'arrêter, sans réfléchir plus que ça. Je n'arrive plus à m'arrêter pour penser. Je ne peux que continuer, m'acharner sauvagement sans trouver de limites. Je ne sens plus de douleur. Je ne me sens plus épuisée. Je ne me sens plus faible. Le sang commence à couler dans mes yeux, un voile rouge se forme. Ça ne me fait rien. Ça ne m'arrête pas. Pire, je redouble d'ardeur, exploite les failles, continue mes frappes vicieuses.
Ma gorge me brûle...

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=haYlyrjqecw -BGM

A l'instant où Wolgorn était sur le point de hacher menu Oblivion, les pavés se tapissèrent d'aiguilles autour d'elle. Une myriade d'épines fusa ainsi sur le Bourreau, qui essaya vainement de les parer malgré leur surnombre et leur vitesse. Les aiguilles se plantèrent dans son Surplis avec une précision insidieuse, une douleur vive électrisant ses circuits nerveux. Son cosmos répondit à la souffrance en la consumant et lui procura une intense sensation de plaisir. L'Exécuteur sentit une énergie incandescente jaillir en lui et ses muscles palpitèrent sous la stimulation. Il reprit ensuite promptement conscience et effectua une flexion musculaire afin d'extraire les épines de sa chair.

"HUMPF !"
 
Mais à peine Wolgorn s'était-il délesté que la Mante fondit droit sur lui pour dévier brusquement sur sa droite. Pris au dépourvu, il ne put empêcher son antagoniste de s'accrocher à son dos et de lui asséner des coups de pied. L’Étoile de la Rage poursuivit en lardant le Bourreau de piqûres, tel un essaim de guêpes s'acharnant sur leur victime. Prises individuellement, ces aiguilles n'étaient pas vraiment dangereuses, mais à force de le poignarder comme une hystérique, elle parvenait à lui infliger des blessures non-négligeables. Néanmoins, les attaques d'Oblivion gagnèrent progressivement en force à mesure qu'elle frappait sans relâche.
 
"GUWARGH !!"

Irrité par ce harcèlement offensif, le Russe tenta de saisir son adversaire et de l'enlever de son dos, mais il s'agissait d'une tâche plus compliquée que prévue. Cette sale peste s'était solidement agrippée et ne comptait pas le lâcher si aisément. Tandis qu'il s'acharnait à se débarrasser de la Mante, Wolgorn éructait toute une montagne de jurons. Jusqu'à preuve du contraire, cette fille était la pire teigne que la Terre n'ait jamais portée !
 
"Espèce de sale peste !" mugit l’Étoile de l'Exécution.
 
Il gesticula pendant un moment avant de parvenir à attraper son ennemie par les cheveux et à l'arracher de son dos. La sœur de Prayer l'avait perforé à plusieurs endroits, dont la gorge et les poumons, laissant le Russe constellé de plaies sanguinolentes. Ceci dit, il avait réussi à attraper cette foutue bestiole et comptait bien lui rendre la monnaie de sa pièce. Le Bourreau souleva sa proie à la force du bras, sa main gantée enserrant fermement son crâne et son visage. Il n'avait pas assez de puissance physique pour broyer la caboche d'Oblivion, mais suffisamment pour l'envoyer valser dans le décor. Cependant, Wolgorn n'avait pas l'intention de la relâcher maintenant, il avait un autre projet pour elle : déguster un Dark Pressure en pleine poire.

"MURYAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!"

La vague obscure déferla directement contre la figure de la Mante, lui infligeant une succession de vibrations destructrices qui parcoururent l'intégralité de son organisme. Emporté par sa frénésie combative, l'Exécuteur embraya en projetant violemment l’Étoile Céleste contre un second pilier. Celui-ci se rompit face au choc et le Bourreau abandonna sa prise, pour mieux enchaîner sur un double Dark Pressure à l'abdomen. L'attaque éjecta sa cible en contrebas, après avoir dévalé plus d'une centaine de marches d'escalier.

"GRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !"

Bien que ses organes respiratoires aient été endommagés et qu'il saignait de partout, Wolgorn ignora ses blessures et sprinta vers Oblivion. Il n'avait pas l'intention de lui laisser une seule seconde de répit : il allait agonir la Mante de coups, la concasser puis la déchiqueter en morceaux. Toutefois, il savait pertinemment que cette dernière allait vendre chèrement sa peau. Si ce duel devait être à mort, alors qu'il en soit ainsi ! Le Russe ne cèderait pas le moindre millimètre de terrain et de pouvoir devant Rage, car il avait gagné son rang à la force de ses poings !

Un coup. Un autre. Je ne les compte plus vraiment : à force de répéter le geste sans m’arrêter, je n’ai plus à y penser. Le regard absent, la mâchoire crispée, le cœur battant la chamade, je continue de poignarder le Bourreau dans un silence de mort, ne réagissant pas à ses cris et ses injures, n’entendant que les battements de mon propre cœur… et un étrange bourdonnement. Qui ne s’arrête pas. Je ne sais même pas d’où il vient; ce n’est que lorsque mon adversaire parvient à m’attraper par les cheveux qu’il commence à l’estomper, laissant place à une vive douleur et une vague d’adrénaline qui parvient à me ramener à la réalité.

-Eeeeh!

Incapable de me délivrer de la prise de Wolgorn, je me débats furieusement en le rouant de coups de pied, tentant de faire jaillir des aiguilles de mon cou et de ma tête comme moyen de protection… mais je n’y arrive pas. Ça fait trop mal… et… c’est dur à expliquer. Même maintenant, j’ai ce drôle de sentiment que ce n’est pas une bonne idée, que c’est plus compliqué à faire et plus dangereux que sur mes bras ou ailleurs sur mon corps. Je ne sais pas, je n’y arrive juste pas… tout ce que j’arrive à faire, c’est me débattre, couvrir mes mains d’aguilles et tenter de riposter. Mais avant que je puisse échapper à son emprise, une violente vague d’énergie me frappe en plein visage et j’entends un craquement écœurant. Plusieurs convulsions s’ensuivent, brusques et incontrôlables alors que la douleur me traverse le corps comme un choc électrique… et plus rien. Mes bras retombent le long de mon corps, pendent pitoyablement alors que je n’arrive même plus à comprendre ce qui se passe. J’ai mal, je n’entends plus rien… et je n’arrive plus à bouger.

Je ne peux même pas serrer les dents en sentant mon dos heurter une énième colonne. Malgré mon masque, ma vision commence à s’embrouiller, et mon esprit « partir » sans que je ne puisse m’y opposer, mais ça ne peut pas finir comme ça. Ni lui, ni moi ne somme prêts à en rester là, même si je cède, même si je le laisse gagner. Alors je ne dois pas me laisser aller… je vais lui tenir tête jusqu’à la fin, jusqu'à ce que je puisse ressortir gagnant.
Seulement, si ce n’est pas aujourd’hui… en aurai-je un jour la chance?

Le coup dans l’estomac me réveille, juste assez pour bien le sentir et être parfaitement consciente de la suite. Quelques sensations me parviennent à nouveau, cette terrible douleur à la gorge et maintenant, dans mon dos, dans mes poumons alors que je peine à respirer, et dans mon ventre… combiné à la vitesse à laquelle je dévale les marches de la Demeure, quand je m’écrase finalement au sol, le plus grand des malaises n’est pas la douleur, mais bien une forte nausée.

-Gurgh…

Une chaleur malsaine prend naissance au creux de mon ventre, remonte lentement alors qu’un goût amer me prend à la gorge. Respirant par petits coups, je lève une main tremblante vers mon visage et retire mon masque d’un geste qui se veut sec; je dois pourtant le tenter une deuxième fois pour y parvenir sans que mes doigts ne glissent, et le jette plus loin. J’ai chaud, tellement chaud… couverte de sueur, incapable de me relever, je vomis tout le sang que j’ai dans la bouche plus que je ne le crache, les yeux larmoyants ne regardant nulle part en particulier. Je devrais me sentir menacée : si vulnérable devant un ennemi! Mais je n’y pense plus. La scène est trop irréelle pour que je puisse y prêter attention.
Mais le mal finit par sortir, si on veut. Et la précarité de ma situation me revient soudainement.

Lentement, je me relève, regardant le Bourreau qui fonce sur moi à toute vitesse. Le contrôle de mon corps me revient sans trop de problème, le pire du choc étant passé… sauf pour mon bras gauche qui ne bouge tout simplement plus. Je n’ose même pas y toucher. Et je n’ai pas le temps pour ça.
Il approche… je n’ai qu’une chance. Un peu moins de distance entre nous deux et…

-EEEEYAAAH!!!

Je frappe du sol du pied et le peu d’énergie qu’il me reste se propage dans la terre, remonte en direction du Spectre, et au moment où il effectue un dernier bond pour me rejoindre, une dizaine d’aiguilles jaillissent du sol et l’emprisonnent en plein vol, stoppant brusquement son geste. Et maintenant, c’est lui qui ne peut plus bouger. Comme Rogos, il s’est fait avoir, et j’ai pu porter un coup au moment où il s’y attendait sans doute le moins.
Je me rappelle de respirer.

D’un pas hésitant, je me rapproche de ma victime piégée, peinant à marcher droit alors que l’étrange bourdonnement parvient à mes oreilles à nouveau. Si ça aurait été quelqu’un d’autre, n’importe qui, nous en serions restés là, mais pas avec Wolgorn. Et c’est tant mieux.
Dès que je suis suffisamment près, de fines aiguilles jaillissent de mes doigts et sans aucune hésitation, je les plante dans ses côtes. Mon malaise s’estompe encore un peu, toujours pas assez pour poursuivre un véritable combat, mais assez pour finir celui-ci, et je lève un regard chargé de haine vers le Bourreau.

-Tu aurais dû abandonner…

Je retire mes aiguilles et le frappe violemment du plat de mes deux mains, brisant la prison d’aiguilles et envoyant le Bourreau s’écraser dans les escaliers derrière lui. Contrairement à lui, je fais attention à mes distances, et je ne ferai pas les mêmes erreurs que lui. Je m’approche, enfonce mon genou dans son estomac pour l’empêcher de se relever et lève lentement le bras. D’autres aiguilles apparaissent sur mes doigts comme des griffes, autour de mon poignet et dans la paume de ma main.

-QUI EST LE CAFARD, MAINTENANT?!

Ma gorge me brûle. Le goût de sang dans ma bouche est horrible. Je ne devrais même pas tenir debout. Mais d’une façon où d’une autre, guidée par ma rage… je continue. Et je n’arrêterai pas.
Dans un dernier hurlement, j’abaisse mon bras en visant sa gorge. Ça ne prend qu’un seul coup. J’aimerais pouvoir dire que c’est facile… mais je ne peux pas en prendre bien plus. Si je rate maintenant, je n'aurai aucune chance de m'en sortir.

Quand Wolgorn arriva à proximité d'Oblivion, celle-ci fit jaillir du sol une nuée d'aiguilles qui se plantèrent insidieusement dans le corps du premier. Chaque épine parvint à atteindre un centre nerveux et à immobiliser ainsi complètement le Bourreau. Ce dernier, interrompu en plein saut, ne put s'éviter de chuter lamentablement par terre. Il s'étala de tout son long sur les escaliers, pétrifié et endolori, privé de sa capacité à user librement de son cosmos. Ses canaux d'énergie avaient été coupés, l'empêchant de recycler sa douleur en énergie combative. Dorénavant, le Bourreau ne tirait plus aucun plaisir de sa souffrance, dont l'authenticité de la froideur et la cruauté avait été restituée. Il ne pouvait qu'endurer pitoyablement sa peine tout en s'efforçant de briser les entraves imposées par la Mante.
 
Sauf que cette dernière ne laissa pas à l'Exécuteur le loisir de se libérer et le passa sauvagement à tabac. Wolgorn ressentit la puissance de chaque coup que la sœur de Prayer lui assénait avec une violence accrue. Ses muscles se déchirèrent et se froissèrent, ses os se fracturèrent et son sang gicla partout où elle frappait. L’Étoile Céleste lui infligea ensuite une attaque de la paume, extirpant toutes les aiguilles de son organisme, avant de l'envoyer valser. La force qu'elle employa fut telle qu'elle projeta le Russe contre des marches plus haut, qui se fracassèrent sous son poids. Vivement secoué par le choc, il vomit une gerbe d'hémoglobine puis demeura allongé, encastré dans la roche des escaliers.
 
Oblivion s'approcha du Bourreau et lui enfonça son genou dans l'estomac, lui causant ainsi une désagréable sensation de nausée. Il ne pouvait aussi plus respirer tant ses poumons et sa gorge avaient été gravement mutilés. Néanmoins, Wolgorn perçut un changement positif dans son flux énergétique : il pouvait de nouveau utiliser son cosmos depuis que les épines avaient quitté son corps. Sans doute la Mante avait-elle cru qu'elle pouvait se permettre cette action, en pensant que son adversaire n'aurait jamais assez de force pour s'en relever. C'était mal connaître l'Exécuteur et son endurance démentielle confinant à l'obsession, sans compter l'ardeur de sa haine inextinguible. Il avait déjà fait regretter à sa consœur le fait de lui avoir laissée l'initiative, cette fois il allait lui faire regretter de l'avoir délesté de ces maudites aiguilles !
 
Ce fut à l'instant où Oblivion s'apprêta à délivrer le coup de grâce que le Russe lança sa riposte. Il déploya brusquement son aura démoniaque pour déstabiliser son opposante et convertit toute sa douleur en énergie pure. Le moment suivant, il croisa ses bras et concentra un maximum de cosmos à l'intérieur afin de décocher son arcane suprême : le redoutable Death Penalty.
 
"MURYAAAAAAAAAAAAAAAH !!"
 
En un flash de lumière, la gigantesque croix maléfique frappa la Mante de plein fouet au pectoral, tailladant son Surplis et sa chair. Voilà ce qu'elle récoltait pour sa négligence ! Nul ne pouvait se payer le luxe de retenir ses coups contre un adversaire tel que Wolgorn ! Ce dernier embraya en transperçant violemment l'abdomen de son adversaire à l'aide de ses mains acérées. Il se redressa ensuite laborieusement sur ses jambes et souleva Oblivion, dont les plaies saignaient abondamment. Des éclats de cuirasse tombèrent par terre dans un claquement métallique, suivi d'un bruit écœurant d'os et de muscles écrasés.

"Muuuuuuuuuuuuuh..."

Bien que le Bourreau soit exténué, vacillant et tremblotant, il n'avait aucune intention de s'arrêter tant qu'il n'aurait pas vidé son antagoniste de ses viscères. Il existait une différence fondamentale entre un véritable Spectre et une transfuge du Sanctuaire : la capacité à être implacable et inflexible. La Justice Infernale ne souffrait aucune hésitation ni demi-mesure, car elle se devait d'être claire et ferme ! Toutefois, malgré sa grande détermination, l'Exécuteur savait qu'il était au bout du rouleau, aussi devait-il en terminer sans tarder. Avec ce qu'il lui restait de force, il allait au moins faire en sorte que les organes internes d'Oblivion soient écrabouillés.

Est-ce que j’aurais pu être plus rapide? Est-ce que la prison d’aiguille aurait pu durer plus longtemps? Y avait-il quoi que ce soit que j’aurais pu faire pour ne pas me retrouver dans cette situation? Laisser parler la raison, peut-être. Voir le Bourreau comme un adversaire de taille et non pas comme un simple insecte à écraser. Ça fait mal de l’avouer, mais c’est ce qu’il est, et j’ai été bête de penser le contraire. La faut qui me sera fatale, je l’ai faite depuis longtemps déjà… j’aurais dû frapper la première. Ne pas compter sur la peur seule, en finir au plus vite, ne pas seulement me contenter de ses doutes à lui, le réduire en poussière et ensuite chercher sa crainte.

Car au moment où le cosmos de Wolgorn parvient à me repousser, je ne peux que penser à ces dernières erreurs avec honte. J’aurais dû en finir tout de suite! Si je n’avais pas perdu de temps, si j’avais tout fait pour attaquer la première, je n’en serais pas là! Ou alors… est-ce que c’était déjà perdu d’avance? Est-ce qu’il est tout simplement trop fort pour moi?
Si près… et pourtant…

Tout se voile de rouge, je sens ma poitrine s’enflammer et mes côtes se casser à plusieurs endroits, le hurlement qui s’échappe de mes lèvres semble venir de nulle part alors que pour une dernière fois, mon corps ne répond plus. Ce n’est plus que ma gorge qui me fait mal, mais tout mon corps, comme s’il allait tomber en morceaux d’une seconde à l’autre, mais malgré tout je tente de me convaincre de continuer. Si je peux me relever, me remettre de ça… il ne s’en attendra pas.
La main qui s’enfonce dans mon ventre coupe court à mon cri et à ce qui me restait d’espoir de vaincre.

Une respiration trop tard se retrouve noyée dans une quinte de toux qui, à son tour, me remplit la bouche d’un sang foncé et épais. Si je n’étais pas déjà obnubilée par la douleur, je pourrais sentir chaque caillot sur ma langue… mais je n’en sais rien, je ne sais plus rien, c’est à peine si je sens mes pieds quitter le sol. Contre ma volonté, contre le peu de conscience qu’il me reste, ma bouche s’entrouvre légèrement et laisser couler tout le visqueux liquide, sans même avoir assez de force pour le cracher. Je n’arrive même pas à rester droite, c’est presque inconsciemment que je tente de repousser la prise mortelle du Bourreau, mes mains agrippées à son bras tentant en vain de me libérer. Si je pouvais utiliser quelques aiguilles, peut-être qu’il lâcherait…
Mais il n’y a aucune aiguille. Et il ne me lâche pas.

Je ne vois plus rien. Je n’entends plus rien. Je n’arrive plus à respirer. Mes forces m’abandonnent pour de bon et je m’écroule complètement contre le bras de Wolgorn, sans vraiment le remarquer. Un spasme, une odeur horrible que je n’arrive pas à reconnaître –l’odeur de mes propres entrailles qui se répandent? Un autre spasme… la toux ne devient qu’un vague gargouillis et mes yeux se ferment. Pas un cri, pas même un râle, pas un son. Écrasée par la défaite, je n’arrive même pas à faire ça.
Un dernier spasme. Je sens encore une forte brûlure au creux de ma poitrine, celle d’une haine qui ne s’éteindra peut-être jamais, mais plus de douleur, plus rien. Dans le noir, dans le néant, c’est ce qui arrive.
Plus de spasme. Je ne bouge plus. J’ai perdu.

[HRP: Finish her...? Ou pas? À toi de voir si Obli meurt vraiment ou pas (elle est pas morte encore, mais va pas durer longtemps, donc plus si tu la tues direct ou la laisse crever en fait) '^']

Éventrée par Wolgorn, Oblivion se débattit désespérément pour s'extraire de la prise mortelle de son adversaire. Mais c'était en vain, car le Bourreau n'avait nullement l'intention de lâcher son irascible consœur malgré son épuisement. Le temps s'écoula comme le sang des plaies béantes de la Mante, qui finit par s'évanouir, exsangue. L'Exécuteur sentit son énergie cosmique la quitter et son cœur s'arrêter, son corps se muant en poupée froide et sans vie. Essoufflé, les muscles endoloris et la conscience vacillant, il demeura immobile et se contenta de contempler sa victime, transpercée par ses bras. Wolgorn avait manifestement gagné, mais il avait du mal à s'en rendre compte et à réagir en conséquence.
 
Au bout de cinq minutes, il extirpa finalement ses mains du corps charcuté d'Oblivion, qu'il laissa tomber piteusement au sol. Le souffle rauque et pénible, le Russe accusait le coup face aux nombreuses blessures qu'il avait subies au niveau du système respiratoire. Perforé de toute part comme du gruyère, il perdait son sang en quantité mais la douleur était suffisamment vive pour le maintenir éveillé. Entre une quinte de toux et une crise d'asphyxie, il observa longuement la carcasse de la Mante et plongea dans une profonde réflexion. Après ce combat bestial et hystérique, que devait-il faire de celle qu'il avait vaincue ? La réduire en pièces ou la laisser pourrir ici, en espérant qu'elle apprenne la leçon ? L'Exécuteur n'en savait absolument rien, tant il était aspiré par une grande sensation de vide.
 
Il se remémora alors qu'il devait mener les troupes infernales contre le Sanctuaire, pas s'entretuer avec une coreligionnaire. Puisqu'Oblivion refusait de coopérer et de le respecter, autant ne pas s'embarrasser d'elle et l'abandonner là. Wolgorn avait plus important à faire que s'attarder avec des abrutis, mieux valait plutôt s'occuper des véritables guerriers et des affaires urgentes. Sans plus prêter attention à la Mante, il descendit laborieusement les escaliers de la Demeure du Jugement. Le Bourreau claudiquait et était en piètre état, mais son Surplis ne tarderait pas à la régénérer en chemin jusqu'au domaine d'Athéna. Son combat contre l’Étoile de la Rage lui avait au moins prouvé qu'il était devenu plus fort et il deviendrait plus puissant encore au cours de la guerre qui se profilait !