La téléportation fut aussi simple que celle pour se rendre à Asgard. Izanagi laissa Kamui sur le lieu d’arriver afin qu’il se remette un peu du déplacement rapide et qu’il se familiarise avec les lieux.

Le Kami avait choisi d’arriver à une petite distance du château appartenant aux Spectres afin de ne pas créer une panique non voulue. Il parcourut ainsi le reste du chemin seul, ne cherchant pas à dissimuler son Cosmos mais en le conservant à un niveau relativement faible. Les troupes d’Hadès sortaient tout juste d’un conflit contre Poséidon, ils ne seraient pas forcément heureux de voir une nouvelle Divinité débarqué.

Ses pas traversèrent donc les vestiges du conflit. Ceux-ci étaient beaucoup plus denses à proximité du château, le plus gros des combats devaient avoir eu lieu ici. Un immense cratère y était d’ailleurs présent. Izanagi fit de son mieux pour contourner tout cela afin de trouver un accès au château en lui-même. Autour de lui, il pouvait voir plusieurs gardes en armures de squelettes s’agiter pour remettre de l’ordre ou commencer de menus travaux de rénovation. Sa présence ne tarda pas à être repérée et il sembla être identifié comme une menace. Plusieurs gardes l’entourèrent et le menacèrent de leurs faux. Le Dieu chercha à désamorcer la situation au plus vite.

- Du calme, je ne suis pas ici pour vous nuire. Je suis Izanagi, Dieu de la Création et seigneur des Nyorais, je souhaiterais m’entretenir avec Hadès dans un but totalement pacifiste.

Izanagi avait levé les deux mains afin d’apaiser les gardes. Ses intentions n’étaient nullement belliqueuses.

— Je regrette, il n'est pas là pour le moment. Peut-être puis-je prendre un message ?

Thanatos s'avança dans la lumière, l'authentique éclat du jour. Cela faisait plusieurs semaines qu'il ne l'avait pas vu déjà ; aux Enfers, on perdait facilement la notion du temps. Probablement du fait qu'il n'y ait de jour ou de nuit pour faire varier leurs sordides paysages, ou que presque tout ce qui y vivait - façon de parler - soit vieux de milliers d'années. Toujours est-il que retrouver l'air de la surface lui était agréable, autant que lui déplaisait de voir que les travaux n'avaient toujours pas avancé. L'on ne pouvait pas dire que l'état actuel du palais leur servant d'antichambre rende honneur aux armées d'Hadès...

Comme c'était souvent le cas entre Dieux, il n'aurait pas eu besoin de présentations pour reconnaître son interlocuteur. S'il arrive que le passage des siècles érode la mémoire quant aux détails triviaux, on oublie rarement une aura. Plutôt que de laisser parler la sienne en retour - les ouvriers n'auraient certainement pas apprécié -, il se dirigea vers leur visiteur après les avoir incités à baisser leurs armes d'un geste du bras. Un regard sévère fut bien vite adressé aux plus tardifs d'entre eux ; pour une fois que l'on vient vers eux autrement qu'au son des canons, il serait regrettable de froisser la délégation.

— Cela fait longtemps que nous ne nous étions vus. Comment se porte votre très chère sœur ?

Ce disant, il avança une main accueillante vers son interlocuteur, qu'il suppléa d'un sourire accort. Oui, les Nyoraï avaient été longtemps absents de la scène du monde... Non qu'il ait été particulièrement proche d'eux même avant cela. Izanami était, à n'en pas douter, celle avec qui il avait entretenu les meilleures relations - et pour cause puisqu'ils avaient un domaine d'expertise en commun. Ça crée des liens. Puisse son frère lui être au moins d'aussi bonne compagnie, et tout se passerait bien.

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

Une voix retentit en réponse à la demande du Kami. Un être perça les lignes des gardes squelettes, son allure était majestueuse et Izanagi n’eut guère de mal à reconnaitre son aura. Il répondit à sa poignée de main avec un sourire.

- Thanatos… cela faisait bien longtemps. Ma tendre épouse n’a pas encore trouvé d’incarnation et son âme inconsciente se trouve donc dans les Terres Célestes.

Une pointe de tristesse mêlée à un du soulagement pouvait s’entendre dans la voix du Créateur. Ses rapports avec sa moitié étaient plutôt particuliers et il ignorait encore comme cela se passerait entre eux lorsqu’elle s’incarnerait. Il chassa bien vite ses pensées afin de revenir sur le sujet qui l’avait mené jusqu’ici.

- J’ai appris que Poséidon avait mené une offensive massive contre les Enfers. J’en ai eu les échos du conflit par Poséidon lui-même mais j’aurais aimé avoir le point de vue d’Hadès aussi. Bien que certaines paroles du Colérique me laisse pensé que j’ai peu de chance de pouvoir m’entretenir avec Hadès…

Effectivement, Poséidon avait révélé au Kami qu’Hadès avait été scellé durant le conflit. Dès lors, les Enfers étaient dépourvus de seigneur. Thanatos faisait-il office de dirigeant ? Si c’était le cas, Izanagi pourrait trouver auprès de lui toutes les réponses qu’il recherche.

D'un signe, Thanatos congédia les gardes qui l'environnaient. S'ils avaient le temps de menacer un invité, autant qu'ils le dépensent dans la reconstruction. Si la tentation d'utiliser ses pouvoirs pour les accélérer était grande, mieux valait pour l'heure les économiser. Car aussi longtemps que les Spectres rescapés seraient de sortie, il serait des Enfers la seule ligne de défense ; or, l'on ne sait jamais quand le danger peut frapper. Quand Izanagi prétendait ne point en être un, il le croyait sur parole : son tempérament plutôt pacifiste n'était plus à prouver. En somme, tout le contraire du sien - autrefois, du moins.

— Voilà qui est regrettable, déplora Thanatos. J'aurais pris grand plaisir à la revoir elle aussi. Gageons qu'elle ne sera plus longue à vous rejoindre. Après tant d'années, il est normal que le réveil soit difficile. Combien de temps cela fait-il, déjà ?

Plusieurs siècles, assurément, même s'il n'aurait su dire exactement combien. À leur contraire, il avait eu une vie plutôt chargée ces derniers millénaires - un peu trop, selon certains, à commencer par les Saints. Dès que le dieu nippon lâcha sa main, il agita celle-ci dans les airs. Instantanément, comme balayé par ce geste nonchalant, le décor changea pour un somptueux salon. Après avoir invité son convive à en faire de même, le Faucheur se laissa choir dans l'un des deux fauteuils de cuir noir prévus à cet effet.

— En effet, comme vous l'aurez deviné, sa majesté est actuellement en sommeil. Son visage se para d'un masque de deuil. En son absence, je crains qu'il ne vous faille vous contenter de ma personne. Si bien sûr je puis vous être d'une quelconque utilité.

Le Dieu de la Mort ne savait officiellement de cette guerre que ce qu'on lui en avait raconté, mais c'était bien suffisant pour répondre à la plupart des interrogations qui pourraient se poser. Ce qu'il avait appris de ses propres observations ne serait que complément. Une main leste saisit la bouteille d'inestimable vin rouge qui ornait la table dressée entre eux - celle des négociations, aimait-il à croire. En ayant lui-même inspecté l'étiquette - comme s'il n'en connaissait pas d'avance l'intitulé -, il la présenta à son interlocuteur.

— Puis-je vous offrir un verre ?

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

- Le temps est une notion qui n’a pas lieu d’être pour nous mais, mon emprisonnement, tout comme celui d’Izanami, remonte à bien trop longtemps. Et le monde en a souffert…

Thanatos transporta son hôte dans un lieu plus approprié tout en discutant normalement. Izanagi préféra nettement se retrouver dans un salon cosy plutôt que sur un chantier et il s’installa avec plaisir sur le siège offert par la Mort.

- Il est regrettable que l’affrontement entre vos forces et celle de Poséidon est causé le sommeil que d’Hadès. On aurait pu s’attendre qu’un tel conflit occasionne des dégâts dans les deux camps et que le Coléreux subisse les mêmes conséquences.

A la question délicate de Thanatos sur la boisson, le Kami répondit d’un hochement de tête positif.

- Avec Plaisir, notre entretien n’en sera que plus conviviale, malgré son contenu.
La première raison de ma visite était effectivement de vérifier la véracité des dires de Poséidon que j’ai rencontré à plusieurs reprises ces derniers temps. La seconde était pour vérifier autre chose.

Izanagi fit une courte pause afin de profiter du breuvage qui lui était offert.

- Votre vin est délicieux.

Durant le conflit qui vous a causé tant de tort, j’ai cru comprendre que vous avez reçu de l’aide extérieur. Tandis que Poséidon s’alliait au Sanctuaire, vos forces ont combattu aux côtés des chevaliers d’île de la reine morte parait-il. Je ne vous cacherais pas être surpris par cela et mon interrogation est donc sur vos liens avec eux. Je suis moi-même en… comment dire, désaccord avec ces Chevaliers Noirs. Ce désaccord est pour le moment restreint à une question de territoire mais je dois avouer que le mode de penser qu’ils ont et leur goût restreint du divin me pousse à les considérer comme d’éventuels ennemis.

De nouveau une pause et une gorgée de vin. Izanagi semblait un instant chercher ses mots. Il hésitait encore un peu sur la tournure que pouvait prendre les évènements. Si les Spectres étaient réellement alliés avec les Chevaliers Noirs, ils pourraient être les ennemis des Nyorais à la fin de cet entretien.

- Ma question sera donc direct : êtes-vous alliés avec ces renégats ?
Si c’est le cas, vous comprendrez alors que si un conflit éclate entre eux et nous, il pourrait vous être regrettable de vous trouver au milieu si tôt après le désastre contre les Marinas.

Beaucoup pourrait penser à une menace dans les paroles du Kami mais il n’évoquait qu’une simple vérité…

Le Dieu de la Mort se contenta d'opiner du chef aux déclarations d'Izanagi. De son point de vue, tout emprisonnement divin ne pourrait être qu'une bonne chose - excepté le sien ; fort heureusement, ce n'était pas à l'ordre du jour. Plus la Guerre Sainte compterait de différents partis, plus nombreux ils seraient à ronger les miettes en attendant de pouvoir s'emparer du gâteau qu'était le monde. Si bien que quand ils y parviendraient enfin, il n'en resterait plus rien. Il garda toutefois pour lui cette opinion, peu désireux de froisser son visiteur.

— L'on aurait pu, il est vrai. Mais ça n'a pas été le cas. Nous ne pouvons que nous faire à l'idée.

Un habile moyen d'éviter la question. Izanagi le jaugeait, il le sentait bien. Un mot de trop à l'égard de Poséidon pourrait décider de leurs relations. Les voeux de neutralité des Nyoraïs ne voulaient pas forcément dire qu'ils ne pouvaient pas avoir d'alliés. Le tout était de savoir qui aurait le privilège d'être ainsi traité... Si le rôle n'était pas déjà attribué. Il s'installa plus confortablement dans son fauteuil, après s'être tant langui de le retrouver.
L'on dira ce que l'on voudra au sujet des trônes, mais quiconque s'est un jour assis dessus pourra vous dire qu'ils sont affreusement durs. Et celui du sombre monarque sans doute plus encore que les autres. La froideur mortuaire qui régnait aux Enfers n'y étant certainement pas pour rien. Il huma l'arôme corsé du vin avant d'en prélever une savoureuse lichée.

— Château Léoville, déclara-t-il dans un français impeccable. L'un des dix meilleurs vins du monde encore cette année, il me semble. J'ai toujours eu un certain nez.

Pour les vins... Et pour le reste. Puis, l'échange de politesses prit subitement fin et ils en vinrent au coeur du sujet. Le Dieu de la Mort en fut presque soulagé : même s'il avait appris à apprécier ce décorum, ce n'était pas sa spécialité. Hypnos - ou quoi qu'il soit à présent - aurait été bien inspiré d'attendre avant de retourner à la sieste, au lieu de le lui rétrocéder. Il se doutait bien que le Dieu de la Création - et l'on trouvait les grecs pompeux ? - n'était pas venu rendre une visite de courtoisie. Étaler un peu plus son retour à la face du monde, peut-être également, mais aussi et surtout demander des comptes. Ses yeux allèrent se planter directement dans les siens, semblables à deux flaques dorées.

— Ce n'était pas d'actualité au moment du conflit : ils se sont simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Néanmoins, il est vrai que nous avons convenu avec eux de certains... Arrangements. concéda Thanatos. Je n'ai toutefois pas eu vent du différend qui vous oppose ; peut-être n'avait-il pas encore éclaté.

Probablement que si. Qu'importe ; ce n'était pas la question. Parfaitement détendu, le Faucheur se paya le luxe d'emplir à nouveau son verre, non sans en avoir au préalable fait de même avec celui de son invité. Cette dernière précision devrait faire office de garde-fou assez longtemps pour que son vis-à-vis ne saute pas aux conclusions.

— ...À moins qu'ils ne soient pas concernés. Peut-être le savez-vous déjà, mais à la différence d'ordres comme les nôtres qui sont entiers et indivisibles, ils sont bien loin de faire cause commune. Ceux avec qui vous êtes en mésentente peuvent ne pas être ceux avec qui nous traitons, et inversement. Se calant contre le dossier, il leva sa coupe, semblant scruter Izanagi au travers du prisme qu'elle formait. À dire vrai, nous ne sommes nous-mêmes en relation qu'avec un seul d'entre eux, jusqu'à preuve du contraire. C'est pourquoi parler d'alliance me semble inapproprié. Mais je serais curieux de connaître les racines de ce désaccord, si vous vouliez bien m'entretenir à ce sujet ?

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

Thanatos essayait-il de noyer le poisson ? Izanagi trouvait ses réponses un peu trop faciles même s’il ne pouvait pas leur nier une vérité réelle. Il ignorait comment les Spectres et les Chevaliers noirs en étaient venus à combattre côte à côté contre Poséidon, peut-être était-ce vraiment dû au hasard… Si l’on croyait au hasard. Pour le Kami, il n’y avait guère de place pour cette notion dans un monde en guerre perpétuel. Non, pour demeurer à un niveau de puissance suffisante on ne pouvait pas se fier à l’abstrait. Seule la préparation et la connaissance pouvaient servir et il serait surprenant qu’un être comme Thanatos l’ignore.

Quant à l’explication sur l’organisation des parias, Izanagi en fut fort intéressé. Le Dieu de la Mort lui offrait des informations qu’il recherchait depuis quelques temps et qu’il avait du mal à trouver. Que les Chevaliers noirs ne soient pas un tout indivisible était connu mais qu’ils soient à ce point séparés dans leurs actions étaient plus secret. Naturellement, un être comme le Dieu Japonais ne pourrait se permettre le luxe d’avouer sa méconnaissance de ses ennemis.

- Effectivement, je ne suis pas sans savoir que ces rebelles ne sont pas unis dans leurs choix mais je sais aussi qu’ils sont capables de faire front commun devant le même ennemi. D’après mes connaissances, un seul d’entre eux à actuellement le pouvoir de décider pour tous, même si leur commandement réside dans un conseil de puissants. C’est cette personne que l’un de mes guerriers à affronter et ce Lion noir représente le fondement de nos tensions.

Sans le savoir, le Kami était prêt à parier que le contact des Spectres était le même homme. Si c’était le cas, l’alliance que Thanatos évoquait était bien directement en contradiction avec les désirs des Nyorais.

- Mais, j’irais plus loin que cela. Je considère que c’est leur ordre en entier qui est en contradiction avec ce que je souhaite pour le monde et ce que je peux accepter. Vous souhaitez connaitre les racines de notre désaccord, elles sont au premier abord très simple. Durant mon absence forcée, les Chevaliers noirs ont pris pieds au Japon et se sont imposés comme souverain de l’ombre. Je ne peux pas nier qu’ils ont apporté de nombreuses choses de qualité à la région mais je ne peux accepter que des êtres avec un tel passé est un tel poids dans ma nation. Car il ne faut pas oublier ce qu’ils ont été au profit de ce qu’ils sont aujourd’hui. Combien de temps pour qu’un nouveau soulèvement se produise en leur sein et qu’ils tentent de s’imposer au monde ?
Peut-être qu’aujourd’hui ils sont dirigés par un ou des êtres raisonnable mais un tel ordre ne peut appeler au calme. Sans pouvoir divin pour canaliser les excès, les éveillés finissent toujours par dévier de leur voie d’origine.

Izanagi avait conscience que cette simple vérité était ce que rejetait les Chevaliers noirs. D’après ce qu’il savait, ces renégats vomissaient sur tous ce qui était divin et considéraient que les hommes devaient se diriger seuls. C’était une utopie totalement farfelue et irréaliste.

- Actuellement, mes hommes reprennent possession des principaux territoires Japonais sur lesquels ils ont mis la main. Mes Nyorais agissent pour l’heure sans violence mais tout dépendra des réactions des Chevaliers noirs.
Permettez-moi une question à mon tour Thanatos. Que pourrais-vous apporter une alliance avec ces êtres ? Surtout avec un seul d’entre eux… Même s’ils se sont retrouvés par hasard mêlé à la guerre contre Poséidon, on ne peut pas dire que leur présence ai fait une différence. Pensez-vous qu’il en aurait été de même si mes troupes et moi-même vous avions prêté main fort ? Bien sûr, je ne dis pas que cela aurait pu être le cas mais des êtres tels que nous devons toujours imaginer toutes les voies.

Le dieu nippon qui semblait compter ses paroles il y a quelques minutes encore avait vu sa langue se délier. Une éternité de silence l'avait laissé avec bien des mots sur la langue, et il ne repartirait pas avant de les avoir tous prononcés. Il a eu ce qu'il voulait. Non, je le lui ai donné. Thanatos s'était volontairement laissé entrainer sur ce terrain. Le Créateur ne repartirait pas sans avoir abordé ce qui lui tenait à coeur - si l'on peut dire -, alors autant le lui laisser. Le Faucheur lui-même était curieux de savoir où tout cela pourrait mener. Patiemment, il but chaque syllabe de ce plaidoyer, avant d'enfin y répondre.

— Je ne peux que vous inciter à la clémence. Leur ordre est encore jeune : il est probable qu'ils n'aient pas même eu connaissance de votre existence avant que se propage la nouvelle de votre retour. Certains de vos fidèles ont eux-mêmes dû en être déconcertés. Car sans vouloir vous offenser, ne leur auraient-ils pas opposé plus de résistance s'ils ne vous avaient pas oublié ? Il conserva un instant le silence pour voir comment le démiurge asiatique réagissaient à cette première tirade. Si vous maintenez néanmoins vos velléités bellicistes à leur égard, que comptez-vous faire ? Abattre chacun d'eux que vous trouverez ? La réputation martiale de votre peuple n'est plus à faire, mais je ne vous pense pas aussi sanguinaire... Ferais-je fausse route ?

Pas comme moi. Ce genre de mesure extrême était précisément celui qu'il aurait préféré autrefois. Izanagi était prêt à bien des choses pour maintenir son harmonie tant prisée... Mais de là à devenir un génocidaire ? La mort incombait à sa soeur ; lui était un dieu créateur. Même si bien souvent la destruction engendre la création, pensait-il pouvoir assumer les deux rôles à lui seul ? Il ne manquait pas de puissance, certes... Mais remettre tant de pouvoir entre les mains d'un seul être ? Où était l'équilibre à cela ?

— Comment faire alors la différence entre bon et mauvais ? Comment distinguer le bon grain de l'ivraie ? reprit-il en faisant onduler le vin dans sa coupe. C'est sans fin. Il n'y a pas de loi, pas de règle : n'importe qui peut porter une armure noire, à condition d'aller la chercher. Ils comptent peut-être dans leurs rangs des traîtres, des parias... Des monstres avides de vengeances sur les ordres qui les ont oubliés. Mais aussi des être trop faibles ou trop différents pour devenir chevaliers, essayant d'aider le monde à leur manière. Il esquissa un sourire en coin, avec juste ce qu'il faut de moquerie. Vous vous en doutez, je ne fais que peu de cas de ces derniers, mais peut-être produirez-vous un autre son de cloche.

Izanagi était par défaut un dieu bienveillant, faute d'être un pur bienfaiteur comme cette pimbêche d'Athéna. La stabilité du monde - et de tout ce qu'il y a autour - était sa première priorité ; le bien-être du peuple ne venait qu'après. Néanmoins, pouvait-il complètement oblitérer de son programme la sauvegarde des innocents ? À moins qu'il ne considère que toute personne portant le noir ne pouvait plus y prétendre en aucun cas... Si leur dialogue relevait du partage autant que de la mise au point, Thanatos en profitait également pour mieux cerner son vis-à-vis. Sur quoi que débouche cet entretien, il ne pourrait qu'en sortir plus éclairé à son sujet... Reposant son verre, il croisa les doigts sans cesser de le regarder.

— Tout cela pour dire, seigneur Izanagi... Je comprends que la notion d'éveillés indépendants vous mette mal à l'aise ; il est vrai qu'il s'en trouve beaucoup plus que lorsque nous nous sommes vus pour la dernière fois. Toutefois, il faut être réaliste : vous comme moi savons que nous ne feront jamais l'unanimité. C'est l'origine-même des guerres de religions, aussi bien que de nos propres Guerres Saintes ; est-il si étonnant qu'il s'en trouve à vouloir se diriger par eux-mêmes ? Il nous faut admettre qu'il se trouve parmi ces âmes esseulées des êtres plus sages que ne le sont les séides de certains de nos pairs. Arès, pour ne pas le citer ; et tant d'autres après lui. Ce n'étaient pas les candidats à cette médaille de la honte qui manquaient. Les Chevaliers Noirs ne sont que la partie émergée de cet iceberg. Je ne vois pas leurs armures noires comme un affront, mais au contraire un signe de franchise. Eux au moins ont une bannière à arborer, qu'importe qu'elle soit synonyme d'infamie. Car pour un qui s'affiche, combien qui grouillent dans l'ombre ? Tant qu'ils sont visibles, ils peuvent être surveillés. Écrasez-les, et chaque pan d'obscurité sera votre ennemi.

C'était loin d'être une menace : Thanatos se contentait de lui faire part de sa propre analyse à leur sujet. Ainsi, peut-être comprendrait-il mieux pourquoi il avait choisi d'accepter leur aide. Contrairement à ce qu'il avait pu faire croire à Takeya, leur relation était loin de se baser sur une entente mutuelle. Leur être lié de cette manière lui permettait de les tenir à l'oeil, si peu soit ce qu'il avait à portée de vue. Oui, les avoir pour « alliés » ne manquait pas d'intérêt ; pour preuve, ne venaient-ils pas d'envoyer les Nyoraïs dans son giron ? Et pour finir...

— Qui serais-je pour refuser une main tendue ? entama Thanatos avec un demi-sourire. Quiconque aurait connu le fils de Nyx plus avant se serait étonné de trouver de telles paroles dans la bouche d'un être naguère si orgueilleux. Par chance, Izanagi n'était pas de ceux-là. Comme vous avez pu le voir vous-même, la guerre ne nous a pas épargnés. Il nous faut à présent nous reconstruire. Ainsi donc, en ces temps troublés, les Enfers ont besoin de tous les alliés qu'ils peuvent avoir. Athéna n'est pas une option. Poséidon, n'en parlons pas. Quant aux Ases, ils n'ont jamais réellement eu leur place dans nos histoires. Mais peut-être avez-vous mieux à proposer ?

Son regard croisa le sien. À travers des yeux jeunes, deux êtres, deux entités vieilles comme le monde et plus encore se regardaient. Des créatures qui avaient assisté à la fondation de l'univers et étaient encore là pour le raconter. Qu'est-ce qui pourrait en découler ?

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

- Ne vous méprenez pas sur mes paroles Thanatos, je ne suis pas ici pour vous apporter une demande d’alliance. La volonté des Enfers est bien trop éloigné de la mienne pour qu’une véritable entente soi possible. Un accord de paix potentiellement durable est par contre parfaitement envisageable… Dans la mesure où vos actions n’iront pas à l’encontre de ma volonté. Ce qui nous ramène donc à la question des renégats.

Izanagi fit une pause pour prendre une gorgée de son vin. Il prit le temps de le déguster avant de continuer ses explications.

- La clémence envers certains n’est en rien une qualité. Parfois, la dureté est le meilleur moyen de faire progresser les choses. Tout comme faire quelques exemples permet bien souvent de donner le ton de son désir. Mais rassurez-vous, je ne compte pas pourchasser tous leurs membres pour les éradiquer, tout du moins ceci n’est pas à l’ordre du jour. Je ferais éliminer ceux qui se mettront sur ma route oui mais je ne m’attaquerais pas à leur île.
Comprenez bien, je ferais tout ce qui sera nécessaire pour parvenir à atteindre mon but. Si je dois devenir une bête immonde et sanguinaire, je le deviendrais. Le maintiens de l'équilibre est primordiale... même au prix de vies innocentes.

En disant cela, Izanagi sentit l’âme de Subaru tiquer. Le jeune garçon n’avait pas la connaissance que possédait le Kami et penser à tuer des êtres humains non lié aux guerres des éveillés le dérangeait naturellement. Cela passerait avec le temps…

- Comme vous le voyez, je ne vous cache rien de mes pensées. Le monde a évolué, nous nous devons d’évoluez avec lui. Mais en rien nous ne pouvons renier nos désirs primaires. Ma volonté diverge de celle de beaucoup et je ne tolèrerais pas d’opposition à mes désirs. Je comprends parfaitement que vous recherchiez de l’aide parmi tous ceux qui peuvent vous en fournir mais parfois, l’attention de certains peut se révéler être un plus gros inconvénient que l’ignorance d’autres. Pour conclure sur ce sujet fort peu réjouissant, si vous n’apportez pas d’aide aux Chevaliers Noirs, ou à quiconque d’ailleurs, dans les affaires me concernant, je peux vous garantir de ne pas m’immiscer dans vos activités ou de ne pas m’opposer à vous. Je pense que ceci est toujours mieux que de craindre mon intervention dans une future attaque contre votre fief ?

Un sourire étira les lèvres du Dieu. Il n’avait que trop rarement eu l’occasion d’être franc depuis son retour. Il aimait la sensation retrouvé de cela. Une chose était sur : Izanagi ne comptait plus prendre de gant pour arriver à ses fins.

— Que savez-vous de la volonté des Enfers ? Une flamme dorée s'alluma dans son regard, puis disparut aussitôt. Il sourit. C'est une question sincère. Une fois encore, je ne vous jette pas la pierre, mais vous avez été longtemps endormi. Il se peut que certains détails de notre situation actuelle vous échappe. Bien que toujours assis, Thanatos sembla soudain projeter une ombre plus vaste. Je ne suis pas Hadès. Et il est peu probable que celui-ci revienne dans un avenir proche.

Il en comprendrait ce qu'il voudrait. Cela pouvait passer pour un aveu de faiblesse, mais il n'en était rien ; son congénère shintoïste l'avait certainement compris. Quand bien même c'eut été le cas, le fils de Nyx le pensait trop honorable pour s'engouffrer dans la faille - à moins, comme il le disait si bien, que cela ne serve ses objectifs. Objectifs on ne peut plus vague pour la plupart, mais Thanatos pensait être l'un des rares à pouvoir se targuer d'une compréhension approximative. Et puis, les existences divines n'étaient-elles pas complexes par essence ?

— Vous m'en voyez rassuré. Non pas parce que cela m'arrange... Mais j'aurais trouvé dommage que vous interrompiez une expérience aussi prometteuse. D'une lichée délicate, il acheva ce qu'il restait de son jus de la treille. Voyez-vous... Là où vous ne voyez que des hérétiques, je vois une formidable étude sociale. Ces hommes font tout pour ne pas avoir à se soumettre à notre suprématie... Et viennent d'eux-mêmes atterrir dans mon giron. N'est-ce pas amusant ?

Il fit rouler entre ses doigts le pied de sa coupe, l'observant sous tous les angles, comme en quête d'une imperfection. À travers elle, l'image d'Izanagi lui apparaissait déformée. Celui-ci était effectivement moins mesuré qu'il ne l'avait pressenti, mais pas assez pour que cela en devienne excessif. Pour le moment. Ce serait néanmoins un paramètre à surveiller, et de près encore bien. Certains de ses pairs auraient trouvé à se moquer qu'un dieu isolé, à la juridiction limitée pense pouvoir peser dans la balance ; lui pas.
Dans un premier temps car le panthéon grec n'avait nulle solidarité dont se rengorger, réduisant à néant dans l'instant un éventuel avantage numérique. Et dans un second car la populace asiatique était extrêmement dense, en plus d'avoir toujours été plus rigoureuse dans ses pratiques religieuses - et continuait de l'être. Là où leurs cultes, même réanimés par les déclarations d'Athéna, étaient encore sur le déclin. La qualité ne faisait pas la quantité. Oui... Izanagi était quelqu'un avec qui il fallait compter.

— Et je vous en sais gré, fit Thanatos en levant son verre dans sa direction. La franchise est une qualité que j'ai toujours su apprécier.

Et une arme qu'il est facile de retourner. Le dieu nippon, malgré son retard, était plus sage que d'autres ; il devait déjà s'en être avisé. Et si ce n'était pas le cas, nul doute que la réalité de la chose ne serait pas longue à le rattraper.

— Cela me semble en effet être une offre raisonnable... Même si je pense qu'il ne serait pas dans votre intérêt de nous attaquer. Et, plus encore, je pense que vous le savez. Son sourire s'agrandit ; l'on aurait presque pu s'attendre à le voir rugir. Oh, ne vous y trompez pas : ce n'est pas une menace que je formule. C'est un simple constat. Je vous ai suffisamment entendu parler d'Équilibre pour savoir combien celui-ci vous tient à coeur. Or, et bien, il me semble que nous en sommes une clé de voûte. Que pensez-vous qu'il adviendra de l'Après-Vie si nous devions être détruits ? C'est déjà une chance que je me sois manifesté avant que Sa Majesté ne nous quitte, sans quoi je doute que vous auriez le loisir de mener des visites diplomatiques à l'heure où nous parlons. D'une main leste, il repoussa le jéroboam encore à demi-plein vers Izanagi pour lui en offrir le reste. Son séjour était sur le point de se terminer ; il pouvait bien lui laisser un petit souvenir. Tout cela pour dire que nos intérêts convergent. Moi-même, je ne tiens pas à ce qu'un tel événement se produise. J'ai une réputation à tenir ; vous savez ce que c'est. Ainsi, pour le bien de l'Équilibre, nous avons tout à gagner à bien nous entendre, ne croyez-vous pas ? La Mort fit mine de se relever. À cet égard, je ne pense d'ailleurs pas que ce soit de moi dont vous deviez vous méfier... Mais je laisse cette découverte à vos bons soins.

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

Alors que Thanatos faisait mine de se relever, Izanagi lui s’installa plus confortable au fond de son siège. Il conserva son verre à la main, dégustant une gorgée nouvelle.

- Vous aussi ne vous méprenez pas sur moi, ne me confondez pas avec un Olympien. Le conflit que vous venez de subit était peut être intense mais il ne vous a pas laissé exsangue, vous-même en êtes certainement ressorti renforcé par la « disparition » d’Hadès. Comprenez bien, que si l’opposition avait été entre nous vous ne vous en seriez pas sorti aussi bien. Vous ventiez les mérites martiaux de mon peuple, et bien sachez que pour moi une guerre ne se termine que par l’éradication d’une des deux parties.

Jeu de menace ou simple constat ? La différence était en l’occurrence minime.

- Mais bon, il n’y a rien qui ne nous oppose actuellement donc ceci n’est pas d’actualité. Par contre, vous abordez un point particulièrement intéressant. Le devenir de l’Après-Vie est effectivement une chose des plus capitales, tout comme sa gestion actuelle. J’ai peut-être été en sommeil durant très longtemps mais je ne suis pas sans informations pour autant. Nombre de rumeurs circulent sur les critères appliqués par vos juges et leur dureté. Pouvez-vous me dire combien d’âme ont été admises à Elysion ces derniers temps ? Il semblerait, mais vous allez certainement pouvoir me confirmer ou infirmer la chose, que les envois dans les prisons des Enfers sont bien plus nombreux que ceux au Paradis et que vos juges refusent l’accès pour la moindre petite maladresse commise dans la vie.

Le Kami laissa un instant ses mots s’imposés au silence. Il but une nouvelle gorgée de la boisson avant de reprendre.

- Vous comprendrez aisément que si cela est vrai, je ne pourrais vous faire confiance pour garder l’âme de mes fidèles. Sachez que même si mon épouse n’est pas incarnée, ma puissance est suffisante pour activer et maintenir le Yomi. Ce lieu serait tout dédié pour accueillir les âmes des Nyorais et représenterait une alternative facile pour l’Après-Vie.

Izanagi choisi volontairement de cacher à Thanatos que le Yomi était déjà activé et qu’il n’attendait que la volonté du Kami pour accueillir les âmes élues.

- Quant aux menaces que vous mentionnez, je comprends aisément à qui vous faites allusion. J’ai eu l’occasion, à défaut du plaisir, de conversion à plusieurs reprises avec Poséidon depuis mon réveil. Je suis donc parfaitement au courant de ses intentions révélées, de même que je le suis pour les menaces qu’il fait aujourd’hui peser sur le monde. Bien que je ne porte pas son caractère et son attitude en très haute estime, je dois avouer que je ne suis pas opposé à la politique qu’il mène aujourd’hui. Ses intentions peuvent trouver un écho dans l’équilibre que je recherche, il faut parfois sacrifier des vies inutiles pour que d’autres puissent bénéficier d’un meilleur statut. Naturellement, je suis contre toutes dérives de ce système qui occasionneraient des massacres inutiles et mes Nyorais surveillent déjà les actions des Marinas.

Izanagi but la dernière gorgée de sa coupe et la posa à côté de la bouteille. Celle-ci n’était pas vide mais il s’abstient de remplir de nouveau son verre.

- D’ailleurs, quelle est votre opinion sur ce sujet ? Vos différents avec Poséidon sont récents, une action de la part des Enfers pour s’opposer à lui raviverait les braises de la guerre qui vous a opposé mais elle aurait le mérite de lui prouver qu’il ne vous a pas vaincu.

— Une vision honorable, commenta Thanatos. Si Athéna la partageait, notre paysage mythologique serait depuis longtemps dépeuplé.

Lui-même n'était, contrairement aux airs qu'il aimait à se donner ces jours, pas homme à faire dans la finesse. Là où Izanagi semblait viser l'efficacité, il avait peut-être un peu trop tendance à jouer avec ses proies, certes... Mais c'était une autre époque. Sa mésaventure face aux Chevaliers de Bronze lui avait donné une leçon. Une leçon qu'il n'était pas près d'oublier. Ce qui, pour un être qui avait vu l'Aube des Jours, voulait dire tant et plus.
Se redressant, Thanatos arpenta la pièce de quelques pas. Contrairement à ce qu'il avait pu croire, son invité voulait encore discuté. Sans doute pour rattraper le temps perdu après ces quelques ères de silence forcé... À moins qu'il n'ait en tête d'autres idées. À la question de son vis-à-vis sur la fréquence des entrées au paradis grec, le Faucheur se contenta de hausser les épaules.

— Que voulez-vous ? Les humains sont des créatures pécheresses par essence. Vous n'avez pas eu la chance toute relative d'assister à leur décadence au fil des âges... Et, encore aujourd'hui, vous avez à charge l'un des peuples les plus pétris de respect qui soient. Ayez le malheur de regarder du côté du soi-disant Nouveau Monde ou, pire encore, du Moyen-Orient, et vous aurez droit à un spectacle bien différent.

Joignant le geste à la parole, il se figea devant l'une des toiles égayant les murs de leur havre éphémère. Un geste de la main fit disparaître la peinture au profit d'une image plus vivante - et pour cause, puisque portail ouvert vers les guerres faisant rage au moment même dans ces contrées barbares. S'étant décalé de côté pour laisser son confrère s'y plonger, s'il en avait le coeur, il reprit :

— Je crains fort que ceux d'entre nous qui se mêlent encore des affaires terrestres n'aient hérité d'un monde en ruines. Quant à essayer de remédier aux horreurs que vous pouvez voir à l'écran, n'y pensons pas. Notre dernière tentative nous a valu l'ire de ceux-là même qui ont juré de protéger l'humanité. La protéger d'elle-même ne faisait, semble-t-il, pas partie de leur contrat. Il eût un petit rire moqueur pour tous ces pauvres fous en armure de lumière, passant leurs vies à se convaincre d'une vertu qu'ils n'avaient pas. Tout cela pour dire qu'encore faut-il que les hommes s'en montrent dignes pour envisager de leur ouvrir les portes d'Elysion. Vous le constaterez assez vite par vous-même, ce n'est plus le cas depuis un moment.

Ce qui n'était pas pour lui déplaire : au moins ne risquait-il pas de voir sa demeure envahie par ces larves pathétiques. Opinion toute personnelle qu'il se garderait bien de partager avec son interlocuteur, celui-ci semblant avoir foi en son peuple pour porter haut les valeurs qu'il lui avait inculqué. Pour un peu, Thanatos aurait été ému à l'idée de la déception qui attendait son vis-à-vis au tournant. Il ne fit rien pour le mettre en garde ; c'était lui que cela regardait, et ils avaient d'autres sujets à traiter.

— Sauf votre respect, Seigneur Izanagi, je ne pense pas que ce soit si facile. Oh, je ne doute pas que vous réussissiez à le faire fonctionner ; seulement, j'ai bien peur que votre délicieuse sœur soit la seule à pouvoir concurrencer mes talents dans notre... Spécialité. La Mort, pour ne pas la nommer. Nous ne sommes certes pas les deux seuls à en avoir la charge... Mais ne revenons pas sur ces histoires de paradigme dominant : je n'y ai jamais vu grand intérêt. Bien naturel pour qui se tient en haut de la pyramide - et Anubis s'en retournerait dans sa tombe éthérée s'il l'entendait formulé en ces termes. Tout cela pour dire que nous savons tout deux que les Enfers grecs sont assurément les plus bondés qui soient. Si vénérable soit votre Yomi, je ne donne pas cher de lui si les centaines de milliards d'âmes qui dorment sous nos pieds devaient y déferler. Bien entendu, libre à vous d'essayer. Il eut un franc sourire pour alléger l'atmosphère, mais même ainsi, celui-ci comportait quelque chose de sauvage. Mais je peux me tromper. Je ne suis pas un expert, après tout. Et comme vous le dites si bien, nous n'avons nulle raison de nous en préoccuper pour le moment.

Pour le moment. Les pas du Dieu de la Mort étaient presque aériens sur le plancher, n'ayant de bruit que celui qu'il voulait bien leur laisser. Qui pouvait se targuer d'entendre la Mort arriver ? À ce débat, il n'y avait de toute façon point de bonne ou de mauvaise réponse ; le seul moyen de le savoir, c'était d'essayer. Et puisse ne jamais venir le jour où ils auraient à le faire, car il voyait difficilement comment ce monde déjà bancal pourrait se rapprocher davantage de son précipice. Quand son interlocuteur dit avoir rencontré Poséidon plus d'une fois, ses yeux se plissèrent imperceptiblement ; voilà qui ne peut être bon signe. Il fixa sur lui son regard doré.

— Dois-je comprendre que vous seriez même prêt à le soutenir tant qu'il n'enfreint pas cette... Condition ? fit-il d'un ton désintéressé - ils savaient tous les deux qu'il n'en était rien. Non que je l'en pense capable, son dernier coup d'éclat l'ayant vu tenter de recouvrir la surface au grand complet, mais sait-on jamais.

Poursuivant sa marche, il alla prendre place derrière le fauteuil qui était le sien encore un instant plus tôt. Sa main s'installa au sommet du dossier, sans s'y enfoncer en dépit d'une fermeté manifeste. Le genre de poigne qu'on n'aimerait pas voir se refermer sur sa gorge, très certainement. Si Izanagi était pour moitié aussi sincère qu'il le prétendait, savoir qu'il n'avait pas le Dieu des Mers en odeur de sainteté malgré une adhésion à sa cause était un précieux renseignement. Thanatos comprenait mieux à présent pourquoi il avait souhaité s'attarder, et était bien forcé de lui témoigner un certain respect. Tous les dieux n'auraient pas eu la présence d'esprit - ou l'audace - de dériver si ouvertement sur un tel sujet.

— En ce qui me concerne, je ne saurais dire, botta-t-il en touche dans un premier temps. Comme je vous l'ai dit, je n'étais pas là lors des faits. Je suppose que cela atténue la rancœur que je pourrais lui porter... Même si mon affection pour le personnage est, à l'instar de la vôtre, des plus limitées. Il suspendit son propos, juste le temps pour Izanagi d'en éprouver peut-être une pointe de déception. Néanmoins, je dois bien avouer que voir ses pantins émerger non seulement à proximité de mes appartements, mais aussi de l'un de nos nouveaux territoires est... Déplaisant. Presque une déclaration de guerre, si bien sûr cela devait être volontaire.

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

Izanagi ressentit la peur dans l’esprit de Subaru. Ce qu’il craignait tant venait d’arriver, Seishiro était mort. Depuis leur départ pour leur mission, le Kami avait un mauvais pressentiment mais il s’était abstenu d’en faire part à son hôte. Il ignorait qui était visé mais il comprenait maintenant pourquoi la sensation de crainte avait été aussi grande. Malgré cela, il avait tenu à ce que le Byakko aille combattre Buluc Chaptan et maintenant, il se demandait comment Subaru allait réagir à la situation. Pour l’heure, Izanagi laissait l’esprit du jeune garçon hurler en silence. Il aurait bien le temps de s’en occuper lorsqu’il aurait pris congé de son hôte.

Le Kami avait apprécié les efforts fait par la Mort pour l’instruire de la nouvelle réalité du monde et des êtres humains. Malgré cela, il ne partageait pas son avis sur l’inutilité de tenter de les diriger vers la justice, vers l’équilibre. Sa vie était vouée à diriger le monde et les humains vers cet équilibre jamais atteint. Forger un monde où les forts protègent les faibles et où nul ne souffrent de la main de son voisin. Il avait néanmoins conscience de la charge de travail que cela nécessiterait et surtout, qu’il y aurait des sacrifices à faire. Nombreux certainement. Pour qu’une majorité d’être bénéficie de la paix et de l’équilibre, il fallait savoir faire preuve du courage d’éliminer ceux qui s’y oppose. Et en cela, Izanagi était prêt à suivre Poséidon oui.

- C’est effectivement ce que vous pouvez comprendre. Je pense surtout, que si mon soutien passe par cette… Condition, comme vous dites, cela suffira à lui maintenir la laisse au cou. Si jamais il venait à provoquer massacres inutiles et gratuits, il m’aurait alors comme ennemi et comme je vous l’ai dit précédemment : la fin d’une guerre n’est pour moi que l’extinction d’un des deux camps s’affrontant.

Izanagi se leva à son tour. La discussion arrivait à son terme et même si les deux Dieux avaient su rester courtois tout du long, les paroles cachées avaient été nombreuses et claires.

- Pour l’heure, il n’est pas question d’une alliance entre Poséidon et moi-même. Aucune discussion en ce sens n’a été effectuée. Je n’oublie pas, que tout comme Hadès, il a fait partie de mes bourreaux mais parfois, il faut passer au-dessus de sa rancœur… Tout du moins pour un temps.

Le Kami afficha un petit sourire. Par cette simple phrase, beaucoup de chose pouvait être cru mais rien n’avait été dit.

- Je n’ai nul doute sur le côté volontaire de la chose, croyez le bien Thanatos. Il vous a occasionné une lourde défaite il y a peu, connaissant son caractère fougueux, il est certain qu’il ne s’arrêtera pas à une si faible provocation.

Le Shintoïste s’avança vers son hôte qui s’était révélé bien courtois. Son visage affichait une forte sérénité et le sourire qu’il affichait était sincère.

- Je fus ravis de vous revoir Dieu de la Mort. J’espère que nous n’aurons pas à attendre de nouveau aussi longtemps pour pouvoir échanger de nouveau et surtout, que notre discussion sera aussi civilisée. Je pense que vous avez beaucoup à faire avec toutes ces histoires. Moi-même ai une tâche des plus importantes à accomplir donc, vous m’excuserez de prendre congés de vous aussi tôt.

— Nous pouvons l'espérer, dit Thanatos en écartant ses mains jusque là jointes, même si je crains que Poséidon ne se voie moins chien qu'étalon chevauchant le monde. L'avenir nous le dira.

Quelque chose avait changé dans l'aura d'Izanagi. C'était subtil, mais Thanatos n'avait pu que le remarquer. Et s'il n'en dit mot pour ne pas le froisser, la cause lui en semblait pour le moins évidente. En tant que forme physique de la fin de toute chose, que pourvoyeur du trépas, qui plus que lui était à même de reconnaître les signes du deuil ? Il lui fut en revanche impossible de savoir de quoi il retournait en détail : même sa clairvoyance avait ses limites. D'autant que le Dieu de la Création avait, conformément à ses indications, pris des précautions pour que leurs défunts échappent à sa juridiction.

Il était néanmoins étonnant de la part d'un leader aussi pragmatique que celui des Nyoraïs de pleurer la mort d'un de ses guerriers... Mais cela ne le regardait pas, quand bien même il ne pouvait nier une forme de curiosité à ce sujet. Peut-être ne serait-elle pas assouvie, mais cela lui avait permis d'obtenir une autre donnée précieuse : celle que l'icône shintō n'était pas infaillible. Nul n'est parfait, pas même les dieux, mais certains le sont plus que d'autres : il faut parfois des années, si ce n'est des siècles pour discerner une faiblesse chez l'un d'eux. N'avoir pas à attendre aussi longtemps était toujours plaisant.

— Concernant Son Altesse, en revanche, je pense que vous n'êtes pas près de la revoir. Je crains que, dans un élan d'ivresse, mon bien cher frère n'ait veillé à son sommeil avec un peu trop de zèle. Une catastrophe, vraiment. Mais comme vous pouvez le voir, ce n'est pas ce qui vous empêchera de trouver à qui parler, conclut-il en le gratifiant d'un sourire accort.

À ces mots, il se permit de poser la main sur l'épaule de son vis-à-vis en signe d'amitié - si l'on peut dire. Les jeux des trônes avaient toujours été de complexes mécaniques : croire que l'on pouvait s'y fier à qui que ce soit était la première erreur à ne pas commettre. Néanmoins, il ne pensait pas qu'Izanagi soit un danger dans l'immédiat ; il était trop droit pour aller contre sa parole. Tout le monde ne prendrait pas non plus avec autant de philosophie les griefs d'antan, ladite altesse en tête de liste - et pas moins que le reste de toute sa lignée. Une tare héréditaire, peut-être.

Confronté à cette pensée, Thanatos ne pouvait que se flatter d'être né de la Nuit. Une engeance autrement moins fascinée par le pouvoir... Ou de manière assez fort dissemblable que pour n'y être point comparée. Il laissa volontairement de côté l'avis du monarque asiatique sur les intentions de l'empereur des mers. En premier lieu car il estimait en avoir assez révélé - l'impôt d'une paix fragile -, ensuite parce que nulle réponse ne surpasserait celle du premier concerné, qu'il comptait bien aller chercher. Là encore, le Créateur en serait assez tôt informé, mais il n'était à ce qu'il sache pas interdit de garder ses petits secrets... Ce serait fâcheux.

— Oh, je ne me fais pas d'inquiétude à ce sujet. Les conflits récents ont eu tendance à me faire côtoyer mes pairs plus que je ne l'aurais voulu. Je ne doute pas que vous serez bientôt las de me revoir partout où vous allez, de même que tous les autres. Assurez-vous que ce ne soit pas en vous mettant sur mon chemin.

D'une main véloce, le Faucheur attrapa la bouteille dont ils n'avaient, malgré un usage libéral, pas même atteint la moitié. Sans que l'on pût l'expliquer, le goulot de celle-ci était à nouveau scellé d'un bouchon de liège en tout point similaire à son original - lequel gisait toujours à la surface de la table où ils s'étaient rassemblés. Si l'on eût pu s'étonner que la vigueur de sa prise n'ait fait éclater le récipient, c'est avec une douceur extrême qu'il le tendit à son collègue d'extrême-orient. Bien qu'il parût ne plus pouvoir s'en contenter...

— Plaisir partagé, du reste. Je vous prie donc d'accepter ceci en souvenir de votre visite, et en gage d'amitié. Peut-être est-ce moi qui devrais vous rendre visite la prochaine fois, ainsi pourrez-vous me faire goûter vos propres breuvages... Celui qui coule dans vos veines, pourquoi pas ? Mais je ne vous retiens pas plus longtemps. Passez le bonjour à votre soeur, si vous la croisez avant moi.

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N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort.

Izanagi accepta avec un sourire le cadeau de Thanatos. L’entretien avait été des plus cordial et il ne comptait pas rompre l’amabilité en clôture.

- Je vous remercie Thanatos et vous serez le bienvenu sur mes terres si vous désirez une nouvelle discussion. Je ne manquerais pas de transmettre vos salutations à Izanami lorsqu’elle s’incarnera. Ce fut un réel plaisir de converser avec vous Dieu de la Mort.

Le Kami inclina légèrement le buste pour saluer et se dirigea vers la sortie de la pièce. Alors qu’il avançait calmement, il intensifia son Cosmos et son corps devint transparent jusqu’à peu à peu totalement disparaitre…

… Il réapparu à l’extérieur de l’enceinte des Spectres. L’esprit de Subaru hurlait toujours sa peine à l’intérieur du sien. Utilisant ses donc particuliers, Izanagi orienta ses propres pensées dans son corps et contacter l’âme de son hôte.

* Calmes toi Subaru !

* Me calmer ? Mais comment veux-tu que je me calme ? Mon frère est mort ! Mort pour défendre un rôle que tu m’as forcé à endosser. Qu’est-ce que je vais devenir sans Seishiro maintenant ?

* Je sais ce que tu ressens Subaru mais, tu dois y faire face. Seishiro avait choisi sa voie en devenant le Shi-Tenno du Byakko. Il savait quels risques il prenait en allant combattre Buluc Chaptan. Comprends bien que je partage ta tristesse quant à cette perte mais je ne peux te permettre de me troubler en ce moment. Tu comprends bien que des évènements majeurs se déroulent dans le monde ?
Je te promets la vengeance mais tu dois faire preuve de patience. Je trouverais un moyen pour que ton esprit retrouver la paix, je te le promets.

Subaru resta silencieux. Il ne répondit rien aux paroles du Kami.

* Subaru ? … Bien comme tu veux.

L’énergie d’Izanagi s’accru de nouveau et il disparut dans un flash de lumière…