Un chaud soleil, un vent frais, l'odeur de la Méditerranée sur la plage de galets. Ce jour idyllique ressemblait à beaucoup d'autres pour les habitants de la ville portuaire, et c'est ce petit goût de tous les jours paradisiaques qu'Azir savourait en marchant le long de la Prom' tranquillement.

Plus d'un mois auparavant, le camion avait fauché hommes et femmes, Français et étrangers sur cette route. Plus d'un mois auparavant, le chevalier en lui s'était éveillé lentement à son pouvoir en venant au secours de ceux qui pouvaient s'en sortir, en soutenant les autres. Et désormais un petit bout de place commémoratif accueillait fleurs et cadres pour honorer les mémoires des disparus.

La chance -ou le destin ?- avaient fait que le Lion ne perdait personne, se trouvait indemne et bien portant, mais sa vie changeait tout de même du tout au tout et il venait tourner une page de son histoire. Depuis deux jours, il entreprenait de déménager toutes ses affaires dans un garde-meubles de Nice, d'en vendre une partie, de nettoyer son appartement pour mieux en rendre les clefs. Il ne cessait de faire des allers-retours, et cette pause lui fit le plus grand bien. D'ici une heure, sa propriétaire viendrait réaliser l'état des lieux et il serait officiellement résident du Sanctuaire. Plus de travail, plus de logement ici.
Sylvia s'en était trouvée fort étonnée mais n'avait pas contesté sa décision, ni demandé des précisions sur son séjour à l'hôpital. Tout au plus son regard se chargeait de faire comprendre au jeune homme son inquiétude et sa désapprobation sur cette situation qu'elle ne saisissait pas dans son ensemble.
A ses parents, il avait raconté être engagé dans une entreprise qui réclamait une clause de confidentialité, dont il ne pouvait par conséquent donner aucun détail. Leur mentir ainsi lui brisait le cœur, mais pour leur sécurité...

"Pfiou... Je n'aurais pas cru ça si difficile... Dans une heure plus d'appart', et je repars avec mon chat comme si je n'étais jamais venu..."

Une bouffée de nostalgie lui rappela son arrivée ici. Parlant français avec un fort accent, sans rien connaître des gens, de leurs mœurs, des lieux. L’Égypte lui avait souvent manqué, et surtout sa famille, mais il avait fini par nouer quelques liens, par amadouer sa nouvelle existence. Et voilà que de nouveau il devait en changer de façon radicale.

Les événements des dernières semaines repassaient dans son esprits, en même temps que le vent chaud de la Méditerranée soulevait ses mèches blondes. Il retenait ce mois de juillet comme une tache de sang, recouverte bientôt de la lumière d'un renouveau. Quelque chose d'amer qui avait donné lieu à beaucoup plus grand. Cela lui donnait par moment le vertige car il ne réalisait toujours pas : une déesse et ses chevaliers. Et il avait parlé à celle-ci en personne sans même s'en douter.

Plongé dans ses réflexions, le blondinet finit par se rendre compte qu'il avait marché tout le long de la plage de galets, pour atteindre le pied de la grande colline abritant l'ancien fort médiéval. Ici, la forêt cohabitait avec la route, les aires de jeux pour enfants avec les sentes calmes et la randonnée. La simplicité de cet environnement agissait comme un baume sur les nerfs du chevalier qui s'arrêta pour laisser ses sens s'imprégner de l'atmosphère.
C'est alors qu'un pépiement plutôt anormal attira son attention : au pied d'un arbre, un oisillon tombé de son nid s'agitait. Même pour un néophyte comme Azir, l'angle de son aile semblait anormal, et il comprit aussitôt l'origine de son tourment. Il vint s'accroupir près de l'animal, hésita à le prendre de peur que ses parents n'en voulussent après.

*Je peux le soigner.*

L'évidence s'imposa à son esprit comme si la patte du Lion se posait sur son épaule, le poussait à avancer. S'il existait une personne dans ce parc, dans cette ville, à pouvoir secourir ce petit oiseau sans risquer de mettre son avenir en péril, c'était lui-même. Aussi absurde que cela pouvait paraître, la vie de cet animal reposait peut-être entre ses mains, et le Cinquième Gardien en devint nerveux.

"Puis-je espérer défier des dieux si je ne suis pas capable de soigner un oisillon, hein ?"

Un instant, il se demanda si le pépiement fut une réponse ou le fruit de la peur de l'oiseau. Il résolut alors d'essayer. D'un regard, il s'assura que personne ne passait ou ne regardait dans sa direction, puis il tendit la main à une bonne vingtaine de centimètres au-dessus de son patient improvisé.

"Je te préviens, je ne maîtrise pas ce pouvoir parfaitement... Dans le meilleur des cas, tu pourras t'entraîner à voler jusqu'à ton nid. Dans le pire... j'espère que tu ne souffriras pas."

Tout d'abord, Azir prit une grande respiration. A la Palestre on lui avait sommairement appris à canaliser son cosmos, et dans une moindre mesure à le doser afin d'obtenir l'effet de destruction voulu. Personne ne s'était penché sur son pouvoir de guérison mais la présence du Néméen à ses côtés l'encourageait, et de toute façon la pratique valait mieux que de théoriser à l'infini sur ses possibilités. Pour s'aider, le Niçois se remémora cette sensation ressentie plusieurs fois depuis le 14 juillet : la peau qui se referme, la douleur qui s'estompe, la chaleur qui se répand.

Une faible aura lumineuse entoura ses doigts, lui arracha un sourire, avant de s'éteindre aussi vite. Il papillonna des paupières un instant, bête. Sa concentration venait de voler en éclats aussi vite qu'apparue. Il recommença donc en s'acharnant à fixer l'aile blessée de l'oisillon, à l'imaginer se remettre en place sans dommages. Par à-coups, il crut voir des étincelles de lumière partir de sa main pour aller jusqu'à l'être blessé devant lui, sans certitude que quelque chose se produisait réellement tant sa maîtrise du don était précaire.

Soudain, le chant de l'oiseau reprit avec force, et celui-ci sauta sur ses pattes pour s'éloigner un peu. Au pied de l'arbre où l'attendait son nid, il dévisagea Azir, se rapprocha de nouveau avec curiosité.

"J'ai réussi ?"

L'animal se mit à battre frénétiquement des ailes, incapable encore de décoller mais sautillant par petits bonds dans l'herbe rase. Un oiseau plus grand vint alors se poser à ses côtés, observa le "géant" blond puis s'occupa de remettre de l'ordre dans les plumes de sa progéniture. Azir sourit, tant par soulagement que par satisfaction de voir qu'il pouvait suffisamment maîtriser son cosmos pour commencer à sauver ceux dans le besoin -Hommes, ou animaux.

Quand enfin la journée parvint à son terme, le blondinet ayant réglé un à un tous les petits tracas qui l'empêchaient de quitter la ville, il fut soulagé de pouvoir s'installer confortablement à l'aéroport. Une grosse valise et un sac à dos constituaient ses bagages, ainsi que la boîte de transport de Caramel, son chat, lequel miaulait de rester enfermé. Azir lui accorda de sortir un moment et accrocha une laisse à son collier -prévue spécialement pour ce genre de déplacements afin que l'animal pût au moins se dégourdir-, avant de le prendre sur ses genoux.
Caramel s'étira largement et observa les alentours avec inquiétude, avant de s'aventurer sur le siège voisin. Le Lion le suivit du regard avec un sourire attendri, quand soudain ses perceptions semblèrent s'emballer. L'impression qu'on le fixait devint certitude, et comme face à Elijah il crut ressentir des énergies extérieures, qui n'avaient rien de courant.

Il tourna la tête dans la direction concernée, vit un homme plonger les yeux sur son journal, au-dessus d'une tasse de café. Pourtant, aucune hostilité dans son attitude. Tout autour, de multiples énergies, toutes différentes et très faibles, comme si chaque être humaine brillait d'une nuance différente.
Azir fut rappelé à l'ordre par la truffe humide de son félin, lequel s'installait à présent sur ses genoux lui lécher les doigts. Quand il regarda de nouveau vers l'homme mystérieux, il n'y avait plus personne.

*Est-ce qu'il me suit ?*

Un instant l’Égyptien crut que sa paranoïa revenait, bien qu'il savait pertinemment qu'il ne s'agissait pas de paranoïa puisque ses pouvoirs étaient réels, tout comme le Sanctuaire, les chevaliers, la présence du Néméen dans son aura depuis qu'il s'était lié à son armure. Sa maîtrise du cosmos accrue, cela devait faire partie d'un effet secondaire ou quelque chose du genre.

*Tout le monde possède un cosmos... mais très peu l'éveillent.*

Les mots des entraîneurs de la Palestre trouvèrent sens. Ses progrès démontraient que le chevalier du Lion s'élevait de plus en plus au rang qui devait être le sien, le plus haut dans la hiérarchie du Sanctuaire en-dehors du Grand Pope et bien évidemment d'Athéna.
L'entraînement qui prenait des années chez d'autres semblait provoquer de plus en plus de manifestations spontanées de son cosmos chez Azir, un peu perdu au milieu de toutes ces informations à assimiler. Pour cette raison, peut-être que le Sanctuaire assignait quelqu'un à sa surveillance, étant donné que les Rodoriens lui avaient fourni les informations nécessaires pour son petit voyage et le déroulement de la vie quotidienne dans les douze temples.

Les sensations disparurent à l'annonce du vol pour Athènes, quand son esprit libre de courir en tous sens dut se focaliser sur son action présente : remettre Caramel dans sa boîte, se rendre à sa porte d'embarquement, présenter ses papiers... A l'intérieur de l'appareil, à nouveau ce regard, cette oppression. Le Cinquième Gardien décida de ne pas en tenir compte et d'essayer de se reposer pour faire passer le temps. Fort heureusement le voyage ne durait pas plus de 3 h, temps qu'il mit à profit pour écouter de la musique, lire, ou encore dormir.

A l'atterrissage, le jeune homme traîna volontairement la patte, cherchant à identifier son suiveur plus précisément. Il finit par s'immobiliser à côté de lui et croiser son regard au moment de récupérer ses bagages, reconnaissant alors avec surprise l'un des apprentis qu'il avait affronté à la Palestre. Ce dernier lui offrit un sourire entendu.

"Mais... Qu'est-ce que tu fais ici... ?
-Tu n'as pas une petite idée ?
-Hippolyte...
-Bien vu ! Il s'est dit que ce serait un bon exercice pour moi de suivre un plus haut gradé dans sa "mission", sans avoir à mobiliser quelqu'un "d'officiel". Et pour toi, tu as réussi le test qui consistait à me détecter. Un peu tard, mais pour un novice, c'est déjà pas mal !
-Je suppose que je dois le prendre comme un compliment..."

L'air de rien, l'apprenti aida Azir à sortir sa valise du tapis roulant et lui proposa de la lui porter, pendant que le blondinet promenait toujours un Caramel de plus en plus bruyant et son sac à dos. Il le libéra de nouveau avec sa laisse et les deux confrères se dirigèrent vers la sortie, pour embarquer directement dans la voiture du futur chevalier.

"Donc tu m'as suivi tout le long de mon séjour ? Depuis le bateau jusqu'à maintenant ? Merci pour l'intimité...
-Hé, je ne fais que suivre les consignes moi. Il faut bien des chevaliers pour s'occuper des missions de renseignements. Mais pour te répondre, oui. Je sais que tu as fait l'état des lieux de ton appartement, quitté ton travail, déménagé tes meubles, et ainsi de suite. Tu es quelqu'un de prudent quand tu traverses la route j'ai remarqué, peut-être un peu plus que la normale... C'est à cause du mois dernier ?
-Je... Sans doute un peu oui... Je me méfie des camions maintenant, surtout sur la Prom'...
-Tu sais que, avec tes capacités de chevalier, tu pourrais sans mal réduire un camion identique en pièces détachées ?
-J'ai cru comprendre qu'en m'entraînant rigoureusement je pourrais oui... mais il me semblait que nous devions éviter d'attirer l'attention sur le Sanctuaire non ?
-Çà, il faudra le demander aux chevaliers qui ont leur armure. Mais ça semble être l'idée de base oui. Après, à toi de choisir entre être discret et sauver des vies."

Azir soupira. L'apprenti marquait un gros point, et il se sentit un peu plus lourd d'avoir à assumer la responsabilité d'avoir peut-être un jour à arrêter un véhicule à mains nues avec tant de témoins.

"J'ai encore beaucoup de choses à apprendre hein...
-Moins que moi si ça peut te consoler !
-Hum... oui. Mais toi tu as des années pour le faire. Moi on attend que je sois prêt au plus vite, parce que chevalier d'or et blablabla.
-Le privilège des génies comme on dit. Allez, fais pas cette tête. Maintenant plus ne rien de t'empêche de t'entraîner comme tu veux pas vrai ?"

Le conducteur sourit, Caramel miaula. Un sourire étira les lèvres du Lion.

"C'est vrai, je suis Athénien maintenant il paraît."

Le chevalier se concentra intensément, les yeux clos et le souffle imperceptible. Autour de lui les spectateurs respectaient un silence absolu, concentrés sur ce qui allait suivre d'un moment à l'autre. Face à Azir, une colonne de pierre, simple, haute, massive. Son objectif : la réduire en gravas.

Au bout d'une minute, une éternité pour les jeunes apprentis, des murmures commencèrent à se demander si quelque chose se passerait réellement avant la tombée de la nuit. Le Cinquième Gardien n'avait pas bougé un cil, pas plus que l'entraîneur à ses côtés dont le regard scrutait le visage du jeune homme. Pourtant, l'atmosphère changea pour les plus fins observateurs. Il y avait ce léger courant de poussière aux pieds du Lion, seul signe de l'énergie s'accumulant progressivement à l'intérieur de son corps, comme une tension progressant dans l'air, et la contraction lente, maîtrisée, de ses muscles.

Le Néméen s'approchait, foulant de son pas félin le sol de terre battue de l'arène pour venir se placer, étoile, auprès de son représentant terrestre. C'était cette harmonie, cette union unique qu'attendait Azir pour se lancer dans son exercice. Car il allait non seulement pulvériser la colonne, mais surtout le réaliser d'une façon que seul un chevalier d'or pouvait.

Tout à coup, le blondinet releva les paupières, et bougea. La grande majorité ne put voir qu'un nuage de poussière dans lequel il ne restait déjà que du vide, suscitant exclamations de surprise et interrogations. Azir se trouvait déjà à l'autre bout de l'arène, son poing ganté d'une mitaine de cuir retombant lentement le long de son corps tandis qu'il se retournait en direction de l'entraîneur. Tout dans sa posture indiquait qu'il venait de porter son coup, pourtant la colonne tenait toujours debout, intacte.

"Bien. Je commence à difficilement te suivre, ta vitesse s'est bien accrue. Et ta force destructrice atteint un seuil de plus en plus correct pour un chevalier d'or. Félicitations, tu progresses vite."

Des cris de déception et de stupéfaction résonnèrent dans les gradins : personne ne comprenait où se trouvait l'exploit, puisque l'objectif final demeurait inachevé. Azir se rapprocha cependant de l'entraîneur pour discuter plus en détails avec lui, la satisfaction du travail accompli en tête. Un des apprentis descendit alors dans l'arène à son tour pour examiner la colonne. Devant lui se dessina alors un sillon doré, puis un second, un troisième, toute une poignée. Les impacts se multiplièrent de plus en plus vite et la colonne de pierre s'effondra en cailloux de la taille d'un dé à coudre. Azir n'avait pas porté un coup de griffes surpuissant, mais des centaines. Il avoisinait la vitesse du son et manipulait son cosmos avec une aisance nouvelle, bâtie au fil de l'entraînement intensif qu'il s'était imposé depuis son retour de France.

Sans dire qu'il égalerait bientôt ses pairs, le Lion d'or dépassait largement le niveau d'un chevalier de bronze, et s'élevait un peu plus haut que celui d'un chevalier d'argent.



"Ainsi pourrais-je prétendre à m'entraîner avec Athena."