La neige tombait drue ces derniers jours, l’hiver n’avait jamais été aussi rude que cette année. Les habitants des terres du grand nord savaient que le climat de leur contrée n’était pas tendre et ne le serait jamais. Ils savaient aussi qu’ils devaient endurer ces souffrances pour le bien du reste du monde car telle était la volonté d’Odin mais, jamais ils n’avaient vu un froid aussi grand ou des tempêtes de neige aussi violente.
Certains commençaient à croire que les Dieux voulaient la mort des Nordhiens. D’autres, invoquaient le Ragnarök, le Crépuscule des Dieux et de leurs fidèles. Les mêmes prétendaient avoir vu des marcheurs plus morts que vifs au sein des tempêtes. Beaucoup de chose se disait dans ces terres ancrées dans les mythes les plus profonds et qui croyaient grandement aux Dieux. Ici à Nordheims, les gens avaient toujours vécu en connaissant l’existence des Divinités et des Eveillés. Ils n’avaient pas attendu les révélations d’Athéna pour en avoir conscience. C’était ainsi qu’ils vivaient et ils aimaient cela. Les personnes demeurantes plus au sud les considéraient comme des arriérés vivants dans un passé périmé mais pour eux, c’était la seule vie qui valait la peine. Toute la technologie qui avait été développée n’apportait rien au monde, hormis un confort de l’instant et la faiblesse la plus grande pour les utilisateurs. Pour les Nordiques, cela était une hérésie la plus totale. Ils vivaient par et pour la force pure. Ils ne voulaient aucune aide à part ce qu’ils pouvaient dominer.

C’était en réfléchissant à tout ça que s’avançait Bjorn dans la neige. Il luttait contre les éléments bien plus difficilement que ce qu’il était habitué. Pourtant, il ne s’était pas beaucoup éloigné de sa demeure, juste ce qu’il fallait pour trouver un peu de bois sec. Un vrai miracle par les temps qui court mais, il était parvenu à trouver un arbre déraciné depuis quelques jours et qui avait prodigieusement échappé à l’humidité. Il l’avait rapidement débité et avait reprit le chemin de la maison. Avec ce qu’il ramenait de bois, il pourrait se passer de sortir durant quelques jours. Le garde-manger était assez plein pour tenir au moins trois jours à deux personnes. Ce n’était pas l’abondance mais certainement mieux que pour beaucoup.
L’homme dans la force de l’âge accéléra le pas pour pouvoir rentrer s’abriter avant le plus gros de la tempête. Sa petite fille devait déjà s’inquiéter, s’il tardait trop elle se ferait un véritable sang d’encre et il voulait vraiment lui épargner cela. La vie de la jeune fille, à peine à l’aube de l’adolescence, n’avait vraiment pas été clémente. Ses parents étaient morts durant ce que beaucoup appelaient la Guerre des Fléaux et elle avait été alors trimballée de foyers en foyers jusqu’à ce que son grand père la retrouve. Bjorn n’avait pas cessé ses recherches durant près de deux ans, persuadé qu’elle avait survécu et il avait eu raison. Il avait fini par la retrouver dans un foyer tenu par des religieux. La petite avait été bien traitée mais restait traumatisée de sa perte. Aujourd’hui, elle recommençait à trouver une petite joie de vivre et il ne faudrait surtout pas qu’un nouveau drame frappe à sa porte.

Il ne distinguait pas grand-chose mais il parvenait à savoir qu’il était proche de sa maison. Encore un bon quart d’heure et il arriverait en vue de la fumée émise par la cheminée. Mais, avant d’apercevoir la fumée, il distingua autre chose sur le chemin. Il ne parvenait pas encore à voir ce dont il s’agissait mais il lui semblait que c’était un homme. Qui cela pouvait-il bien être ? Bjorn vivait à l’écart de tout et cela le satisfaisait grandement. Sa femme était morte plus de dix ans auparavant et maintenant que son fils et son épouse étaient eux aussi décédés, il n’avait plus que sa petite fille dans sa vie.
Il n’aimait pas du tout voir un inconnu rodé près de ses terres et il se saisit alors de la courte hache qu’il avait toujours à sa ceinture. Il ouvrit aussi l’attache du long couteau qui se trouvait de l’autre côté de ses hanches au cas où un combat démarrerait. Bjorn était un Nordhiens pur souche : grand, musclé, un véritable tronc d’ours lui servait de torse. Malgré son âge avancé, il était capable de tenir la dragée haute à beaucoup de petit jeunot. Il ne craignait donc pas un simple rodeur.
La neige était de plus en plus forte et il ne distinguait vraiment pas grand-chose. Ce ne fut que lorsqu’il fut à quelques pas de sa cible, qu’il s’aperçu qu’il s’agissait en fait d’un homme étendu sur le sol. Il rangea rapidement sa hachette et se précipité la plus vite qu’il put malgré la tempête vers l’inconnu.

Bjorn se protégeait des bourrasques de neige en plaçant son bras devant son visage. Il laissa tomber son barda de bois et s’accroupi précipitamment aux côtés de l’homme. Son premier reflexe fut de le secouer mais il n’obtint aucun résultat. Il l’appela, lui donna de légère claque sur les joues mais rien n’y fit. Malgré ses maigres connaissances en la matière, il eut l’idée de vérifier son pouls et eu la satisfaction de sentir une pulsation. L’homme était vivant mais inconscient. S’il restait étendu là, il mourrait en quelques instants. Bjorn le souleva tant bien que mal et passa l’un de ses bras autour de son coup. Il attrapa la corde qui attachait son bois et se mit en marche. Fort heureusement, sa maison était proche, il n’aurait pu avancer bien longtemps avec le poids de l’inconnu à supporter.
Lorsqu’il fut assez proche, il appela sa petite fille pour qu’elle lui ouvre la porte sans qu’il eût besoin de forcer lui-même.

- Frida ! Frida ! Vite !

La porte s’ouvrit suite à l’appel et une toute jeune fille apparut sur le seuil. Ses épaules étaient recouvertes d’un châle épais qui lui permettait de résister au froid qui pénétra instantanément.

- Grand père ? Que se passe-t-il ?

Le vieil homme avait continué à avancer et était maintenant à quelques enjambés de la porte seulement. Malgré le froid, il suait abondement sous l’effort et du faire grandement attention à ne pas heurter sa petite fille.

- Ecarte toi vite !

Frida obéit promptement et Bjorn put pénétrer sa demeure en portant toujours l’inconnu. Harassé par l’effort qu’il avait fourni, il laissa choir sa charge sur le sol. Les liens du bois cédèrent et les buches roulèrent sur le sol, tandis que l’homme s’effondra lourdement. Bjorn eut malgré tous la satisfaction de l’entendre pousser un grognement sous le choc, preuve qu’il était pas loin de reprendre conscience.

- Grand père, qui est-ce ?

Bjorn reprenait son souffle difficilement mais il savait qu’il ne lui fallait pas tarder à s’occuper du blesser.

- Je l’ignore. Je l’ai trouvé dans la neige tout proche d’ici. Vite, remets une buche au feu et fais chauffer de l’eau. Je vais l’installer dans une chambre.

Bjorn se défit de ses lourdes peaux qui le protégeaient du froid à l’extérieur tandis que sa petite fille exécutait ses consignes. Le vieil homme rattrapa l’inconnu et le porta jusqu’à l’une des chambres inoccupées. Il déposa le corps inerte sur le lit et, loin du regard de Frida, entreprit de le déshabiller afin de lui retirer ses vêtements trempés. Une fois fait, il le recouvrit d’une couverture en peau et au moment où il allait commençait à s’éloigner, il sentit une poigne enserrer sa main. L’homme s’était éveillé et le regardait avec un air hagard. Cela ne dura qu’un instant avant qu’il ne sombre de nouveau dans les limes mais ce fut suffisant pour Bjorn. Ses connaissances des légendes étaient suffisamment grandes pour qu’il puisse interpréter ce qu’il avait vu. Ces yeux…

- Volsung…

Un fracas de métal… Des épées qui frappent des armures… Des lances qui se brise sur des boucliers… Des cris… Des centaines de personnes en train de crier… Des pieds qui glissent sur le sang répandu sur la terre qui ne parvient plus à s’en abreuver… Et un nom, un seul qui lui parvient aux oreilles…

Une cathédrale dont le sol est martelé par ses pas… Une croix qui s’effondre coupée à sa base… Une foule qui fuit devant lui… Des guerriers en armures qui s’interposent et le défient… Et un nom, un seul qui lui parvient aux oreilles…

Des soldats qui lui bloquent le passage… Un sillon de sang dans son sillage… Des gouvernants qui plient l’échine devant lui… Un géant de pierre qui lui obéit… Et un nom, un seul qui lui parvient aux oreilles…

Des corps qui s’entassent sur le sol sous ses pas… Des immeubles dont les façades s’effritent avant de s’écrouler… Des gens qui tentent de le fuir par tous les moyens… Un être qui s’interpose et qui l’oblige à obéir… Et un nom, un seul qui lui parvient aux oreilles…

L’inconnu s’éveilla en sursaut, le corps recouvert d’une sueur froide qui lui donna immédiat des frissons. Il regarda autour de lui et se vit allongé dans un lit assez large pour deux personnes, le corps recouvert par une couverture en peau d’animal. Son esprit était encore embrumé par le sommeil et par la peur qu’il avait ressenti par son cauchemar. Qu’était-ce ? Qu’avait-il vu dans son rêve ? Il ne savait pas, il ne savait plus. Il avait la sensation que quelque chose échappait à son esprit et que ce dernier tentait de le retrouver.
En douceur, il s’assit sur le bord du lit et constata qu’il était nu. Il avisa assez rapidement des vêtements qui semblaient l’attendre au pied du lit et se leva pour s’en saisir. Une fois debout, la tête lui tourna dangereusement et il se rassit alors vivement. Trop vivement puisqu’il fit basculer sur le sol le chevet accolé au lit.

Le bruit s’était entendu dans toute la maison. Frida sursauta alors et fit tomber la vaisselle qu’elle tenait sous l’émotion. Elle se précipita dans la chambre de l’inconnu que son grand père avait ramené. Sans réfléchir, elle pénétra dans la chambre et vit immédiatement l’homme dans sa nudité la plus totale. Elle ne put empêcher son regard de se poser sur la virilité de leur invité et le rouge lui monta aux joues aussitôt. Elle balbutia quelques excuses tandis qu’elle se retournait prestement pour détourner les yeux.

- Pardon… Je suis désolé… J’ai entendu un bruit et je n’ai pas réfléchi…

Les paroles de la jeune fille sortirent l’inconnu de son malaise. Il se racla la gorge avant de lui répondre.

- Ce n’est rien. J’ai juste fait tomber un meuble en voulant me lever trop vite.

Vaguement conscient du malaire de l’adolescente, il se saisit de la couverture pour recouvrir son corps nu.

- Pardonnez-moi, je suis visible désormais.

Frida se retourna alors prudemment mais vit qu’effectivement, il avait couvert son corps. Elle s’avança alors pour ramasser la table de nuit qui avait basculé et repositionner les affaires qui s’y trouvaient.
A cet instant, elle entendit la porte de la maison s’ouvrir et son grand père rentrer. Bjorn était allé ranger le bois qu’il avait ramené dans la petite remise accolée à la maison. Cela ne lui avait prit qu’une dizaine de minute et il n’aurait pas pensé que l’homme se serait réveillé durant ce court laps de temps.
Légèrement inquiet de ne pas voir sa petite fille et devant la vaisselle cassée par terre, il l’appela.

- Frida !

La jeune fille s’avança vers la porte pour lui répondre.

- Par ici grand père !

Bjorn la rejoignit alors et fit la grimace en voyant l’inconnu éveillé et assit sur le bord du lit à demi nu devant celle qu’il considérait toujours comme une enfant.

- Tout va bien ?

Ses mots s’adressaient à Frida qui hocha la tête pour lui répondre.

- Oui grand père. Notre invité s’est réveillé et il a fait tomber la table de nuit en voulant se lever.

Le vieil homme acquiesça et fixa l’inconnu.

- Très bien Frida. Laisse-nous tu veux bien maintenant.

La jeune fille ne répondit pas mais obéit promptement. Bjorn s’approcha du lit et se saisit d’une chaise pour proche pour la rapprocher afin de s’asseoir prêt de l’homme.

- Content que tu te sois réveillé Volsung. Tu vas peut-être pouvoir me dire ce que tu faisais en plein tempête de neige à côté de chez moi ?

L’homme réfléchit avant de répondre mais il devait admettre que ses pensées étaient très confuses.

- Je ne sais pas… Je ne me souviens pas… Tout ce que je me souviens est flou et ne veut pas dire grand-chose pour moi.

Bjorn continua de l’observer, en silence.

- Tu veux me faire croire que tu es arrivé comme ça dans notre région, comme par magie Volsung ?

- Pourquoi m’appelez-vous ainsi ? Cela n’est pas mon nom !

- Volsung n’est pas qui tu es mais ce que tu es. Tes yeux violets te trahissent : tu es un porteur du sans ancien ! Mais si tu sais que ce n’est pas ton nom, peut être peux-tu me le révéler ?

- Je ne sais plus…

Le cauchemar qu’il avait fait précédemment lui revint en mémoire et alors il comprit.

- Si… Mon nom est Hruodland…

Torse nu et ruisselant, ses longs cheveux d’argent attachés en catogan, Hruodland était en train de couper du bois sous la neige et le vent. Malgré le froid glacial, il n’était nullement incommodé et son corps fumait sous l’effort. Voilà plusieurs semaines qu’il était chez Bjorn et Frida, et il essayait du mieux qu’il pouvait de s’acquitter de ce qu’il considérait comme une dette. Il avait vite récupéré, trop vite même pour Bjorn, et réalisait des prouesses physiques qui dépassaient le vieil homme. Malgré cela, sa mémoire lui faisait toujours défaut.
Il s’était rappelé son nom à la suite du cauchemar qu’il avait fait mais rien d’autre ne lui revenait. Ni d’où il venait, ni ce qu’il faisait dans la région lorsqu’il a été trouvé. Qui était-il avant ? pourquoi faisait-il autant de rêve de combat et de massacre ? Il n’en avait pas moindre idée.
Bjorn ne pouvait lui être d’aucune aide sur le sujet et avec le temps qui se dégradait, il ne pouvait même pas se rendre au village le plus proche pour se renseigner.

Le temps passait doucement. Les seules occupations étaient la coupe du bois, la relève des pièges de chasse et les discussions que Hruoldand avait avec le vieil homme. Ce dernier s’évérait être très cultivé et connaissait beaucoup de chose sur la région. Hruodland avait donc apprit qu’il se trouvait dans une région appelée Nordheim, composé de neufs royaumes. Il se trouvait précisément dans le royaume dirigeant, celui d’Asgard. Chaque royaume avait ses caractéristiques précises et tous avaient un lien avec une dimension mystique du même nom. Il n’avait pas bien compris les explications sur ces dimensions particulières et Bjorn n’était pas en mesure de lui détailler grandement la chose. Ce qui avait le plus intéressé Hruodland était les explications sur les mythes entourant les Volsung. Bjorn en connaissait plusieurs et même s’il ne pouvait pas certifier qu’ils soient tous vrais, ils étaient fascinants.
C’était justement ce à quoi il était en train de penser alors qu’il reposait la hache dont il s’était servi pour trancher le bois.

- Tu revasses ?

Les paroles de Bjorn firent sursauter Hruodland, qui ne l’avait pas entendu arriver.

- Un peu oui. Je repensais à ce que tu m’avais appris sur les Volsung. Je ne me souviens de rien qui pourrait accréditer que j’en sois un.

- La couleur de tes yeux ne mentent pas. Dans toutes les légendes, il est dit qu’ils ont les yeux violets. Je t’ai dit sur eux tout ce que je savais, il faudrait que tu puisses te rendre à la grande bibliothèque Soekbavek à Alfheim ou au palais du Valhalla, pour en apprendre davantage. Malheureusement le temps ne s’y prête guère.
En revanche, si tu veux une autre preuve, il suffit de te regarder. Il y a encore quelques jours, tu tenais à peine debout et aujourd’hui tu es torse nu au milieu d’un froid polaire à couper du bois. Et hier tu étais sur le toit pour le réparer. Aucun homme normal n’en serait capable. Il faut avoir une constitution bien supérieure pour y arriver et il n’y a que deux types d’hommes que je connais et qui en serait capable : les Volsungs ou les Guerriers Divins. Tous détiennent des pouvoirs qui dépassent le commun des mortels, bien souvent attribués aux Dieux. Dans le cas des Volsungs, les légendes racontent qu’ils descendent tous de Sigi, fils d’Odin.

Hruodland écoutait sagement les paroles de son hôte tout en attrapant sa tunique pour se rhabiller. Il entraperçu Frida qui les regardait au travers d’une des fenêtres de la maison. La jeune fille demeurait timide à son égard et il ne pouvait pas lui en vouloir.

- Je ne sais pas. Tout ça me parait tellement surréaliste.

- Et un amnésique qui débarque de nulle part, ça te parait comment ?

Bjorn marquait un point et Hruodland avait une certitude : quelque soit le temps, il lui faudrait des réponses.

Les jours continuaient de défiler à mesure que la neige tombait. Hruodland en avait perdu le fil mais il savait qu’il ne pourrait pas rester indéfiniment comme ça à se reposer chez Bjorn. La mémoire ne lui était pas revenu mais il doutait de n’être qu’un être oisif.
Il mit encore quelques jours à prendre sa décision mais, un soir, il désira s’entretenir avec le vieil homme de manière sérieuse.

- Il va falloir que je vous quitte. Cela fait bien assez longtemps que je me repose chez toi et je pense qu’il faut désormais que je recherche qui je suis.

Bjorn accusa les paroles de son ami. Il savait que ce jour arriverait mais il en était venu à souhaiter qu’il soit le plus tardif possible. Il lui fallait néanmoins se faire une raison et, de toute façon, il ne pouvait rien y faire.

- Je comprends. J’aurais souhaité que tu restes avec nous encore un peu mais c’est égoïste de ma part. Tu comptes partir quand ?

- La tempête de neige commence à se calmer, je pense que je peux partir dès demain.
Je ferais en sorte de revenir dès que possible, vous m’avez apporté tellement.

Bjorn donna une claque sur l’épaule de Hruodland et lui adressa un sourire des plus sincères.

- T’as plutôt intérêt à revenir mon gars ! Tu as une idée d’où tu vas aller ?

- Tu m’as parlé d’un grande bibliothèque au palais. Je me dis qu’ils devraient peut-être pouvoir m’aider là-bas.

- C’est probable oui. Bon si tu veux partir demain, il vaut mieux que tu te prépare dès maintenant. Je te conseille de partir au lever du soleil, si tu veux pouvoir marcher longtemps. Tu sais que la nuit tombe tôt chez nous.

Hurodland acquiesçât et se détourna sans rien ajouter. Il n’y avait rien à ajouter de toute façon, dans le nord, les hommes ne perdaient pas de temps à s’étendre en émotion. La vie était bien trop courte pour perdre du temps à cela. Il alla ensuite dire au revoir à Frida. La jeune fille était restée très timide à son encontre malgré le temps passé. Elle sembla triste mais fit de son mieux pour ne rien laisser paraitre.
Le lendemain, aux aurores, Hruodland était parti.

Hruodland avançait aussi vite que l’épaisseur de neige qui reposait sur le sol lui permettait. La tempête s’était arrêtée mais avait tout recouvert d’une dense couche de poudre blanche qui limiterait les déplacements pendant un long moment. Malgré cela, il n’avait pas renoncé à son choix de quitter la maison de Bjorn afin de se rendre au palais du Valhalla pour découvrir qui il était.
Il avait l’impression de marcher depuis un temps incalculable alors que cela ne devait faire que quelques heures. Chaque pas était un effort conséquent et sans sa constitution particulière, il n’aurait pas été en mesure d’entreprendre son périple.
Au bout de deux heures supplémentaires, il se décida à faire une halte. Il s’abrita contre une paroi rocheuse au pied de laquelle la neige était moins épaisse. Il s’abstint de faire un feu, ne désirant pas s’arrêter longtemps. Il savait qu’il aurait au moins une, voir deux, nuit à passer dehors, il lui fallait économiser le bois sec qu’il transportait.

Il profita simplement de sa pause pour se reposer en laissant son esprit vagabondé. Il avait une drôle de sensation depuis un certain moment, une sorte de danger qui voulait s’imposer à ses pensées. Il ne parvenait pas à l’identifier mais il savait que ce qu’il ressentait était important. Bjorn lui avait raconté beaucoup de chose sur les Volsung, serait-ce lié ? Il ne pouvait le dire mais ce qu’il ressentait devenait de plus ne plus pressant. Sans vraiment savoir beaucoup, il se décidé à faire demi tout. Une vague d’inquiétude pour le vieil homme et sa petite fille lui enserrait le cœur.
D’un pas décidé et bien plus rapide qu’à l’aller, Hruodland fit le chemin inverse. Presque en courant, il parcourant la longue distance qu’il avait fait auparavant, son inquiétude grandissante de plus en plus. Ce fut lorsqu’il arriva en vue de la bâtisse, qu’il comprit qu’il avait eu raison.

Tout autour de la maison, se trouvaient des créatures à l’aspect reptilien. Plus petite qu’un homme, la peau couverte d’épine, ils menaçaient Bjorn et Frida. Le vieil homme tenait une hache à deux mains et à ses pieds, se trouvaient les corps sans vie de deux des créatures.
Un peu en retrait, Hruodland vit que se trouvaient d’autres personnes. Avec la distance, il ne pouvait pas voir leurs traits mais il vit très clairement que leurs cheveux étaient constitués de flammes. Il ignorait qui étaient ces créatures mais elles s’en prenaient à ses amis. Il se débarrassa de ce qu’il transportait, ainsi que de son manteau et se saisit d’une lourde bûche de bois et se lança à l’assaut des créatures qui menaçaient directement la vie de Bjorn et Frida.

Le choc fut violent mais Hruodland parvint à déblayer un passage assez conséquent sous la force de ses coups. A l’aide de la bûche, il était parvenu à tuer trois des créatures, leur brisant les os et le cou. Il se plaça aux côtés du vieil homme et vit que les reptiles semblaient avoir peur de sa présence.

- Tu tombes à pic gamin.

- Ca va ? Vous n’êtes pas blessé ? C’est quoi ces machins ?

Frida tremblait de peur et se tenait accroché au bras de son grand père. Bjorn avait une belle estafilade sur la joue droite et du sang s’écoulait de son côté. Il vit le regard de Hruodland mais le rassura.

- Je survivrais. Ces bestioles sont des Kobolds et les autres là-bas, doivent être ce qu’on appelle les Fils de Musphel. Je ne pensais pas qu’il y en avait encore dans la région. Ils ont dû rester dans le coin depuis la fin de la guerre contre Surtr. Par contre, les Fils de Musphel ne peuvent pas rester loin de Musphelheim. Leur corps ne peut survivre sans une énorme source de chaleur. La seule solution qu’ils ont est d’être accompagnés d’un EldJotnar et s’il y a ça dans le coin… Et ben, autant dire qu’on aura pas une grande de chance de voir un nouveau jour.

Hruodland raffermi sa prise sur son arme de fortune.

- Ce qui est bien c’est que ton arrivé semble avoir fait peur aux Kobolds. Ils ne sont pas bien fort et plutôt trouillard, leur force c’est leur nombre. Les autres là-bas c’est une autre histoire par contre.

Hruodland sembla réfléchir un court instant et soupira profondément. Quelque chose en lui changeait, il le sentait. Il ne pourrait dire quoi mais il savait qu’il n’avait rien à craindre de ces créatures.

- Bjorn… Reste en arrière et protège Frida. Je vais me charger de tout ça.

Le vieil homme ne comprit pas les paroles de son ami mais lorsqu’il le regarda, il vit une aura luire autour de son corps. En un éclair, Hruodland se déplaça. Si vite, que ni Bjorn, ni les Kobolds ne comprirent ce qu’il s’était passé. Quand le vieil homme revit son ami, il se trouvait au milieu d’un tas de corps inertes à ses pieds.
Les Fils de Musphel qui étaient restés à l’écart, se décidèrent alors à avancer. L’un d’eux, le plus massif, prit la parole.

- C’est toi que nous voulions, Volsung !

Les créatures aux cheveux de feu avançaient de manière coordonnée. Leur cible était claire et, désormais, ils semblaient se désintéresser totalement de Bjorn et Frida. Cela convenait parfaitement à Hruodland, qui commençait à ressentir une colère sourde poindre en lui. C’était de sa faute si ces créatures avaient attaqué la ferme. Elles le recherchaient lui, bien qu’il ignore pourquoi.
Elles aussi, elles l’appelaient Volsüng et, vu ce qu’il avait fait aux espèces de reptiles, il commençait à croire aux histoires du vieil homme.

* Qui que je sois, je ne dois pas les laisser s’approcher d’eux. Pensa t’il. Sans plus attendre alors, il s’avança en direction de ses adversaires. Il préférait aller à leur rencontre qu’attendre qu’ils l’encerclent. Se concentrant de nouveau comme il l’avait fait quelques instants auparavant, il se déplaça à la vitesse de l’éclair et lorsqu’il réapparut plusieurs Fils de Musphel étaient déjà à terre. Leurs cheveux avaient perdu le côté enflammé, et leurs corps semblaient tomber en cendres.

Hruodland se désintéressa d’eux rapidement et tenta de reproduire la même chose sur les autres. Malheureusement pour lui, ses adversaires n’étaient pas idiots et sans lui laisser le temps d’attaquer de nouveau, ils s’allièrent pour l’asperger de flammes. Des mains des monstres, des geysers de feu jaillirent. La neige fondit instantanément autour de Hruodland et il lâcha son arme de bois pour se protéger derrière ses bras. Son corps luisait de manière encore plus violente et lui permis de résister aux flammes. La chaleur était étouffante et il savait qu’il lui fallait réagir vite sinon, il y laisserait sa vie.
Dans un cri de rage, il laissa exploser la colère qui montait en lui depuis son retour à la ferme et son aura prit une envergure telle, qu’elle repoussa les flammes vers leurs créateurs. Les Fils de Musphel atteints crièrent un instant, avant d’être totalement vaporisés.

Bjorn ne revenait pas du spectacle auquel il assistait. L’homme qu’il avait recueilli maitrisait le Hamr et à un niveau plus élevé qu’il ne l’avait jamais vu. Que Hruodland soit un Volsüng ne faisait aucun doute mais sa maitrise de l’énergie pouvait faire de lui l’un des plus puissant Guerrier Divin du royaume. Un bruit de destruction impressionnant attira alors son attention et il le vit…

Hruodland entendit en même temps que le vieil homme le bruit d’une explosion. Il regarda en direction du son et vit de monstrueuses flammes qui avançaient vers eux. Les Fils de Musphel eux-mêmes semblèrent effrayés et, comme si leur maitre les rappelait à la niche, ils fuirent dans le plus grand désordre. Ce fut à ce moment aussi qu’il le vit…

Gigantesque, la tête semblant touché le ciel, la créature de feu avançait. Hruodland se souvenait des paroles de Bjorn et du nom qu’il avait prononcé : EldJotnar !

Le cri d'effroi de Frida eut l'effet d'un coup de tonnerre. Hruodland s'élança en direction de la créature à une vitesse supérieure de plusieurs fois celle du son. Il la heurta de plein fouet après s'être littéralement envolé pour l'atteindre au thorax.
Le monstre vacilla mais ne tomba pas. Hruodland avait agi sans réfléchir et se retrouvait maintenant au beau milieu de la fournaise générée par l'Eldjodnar. Malgré sa constitution supérieure, il savait qu’il ne pourrait pas résister à une telle température. Il regarda un bref instant ses amis et son choix fut très simple : même s'il devait en mourir, il ferait tout pour les sauver.

Le monstre s'était vite reprit et sa contre attaque fut violente. Un véritable torrent de flammes s'abattue sur Hruodland qui fit de son mieux pour esquiver mais, sa célérité commençait déjà a souffrir de la chaleur. S'il se faisait toucher par une attaque, il n'avait aucune chance de survivre, alors il esquivait. Son corps réagissait de lui-même, sans qu'il n'est besoin de penser quoi faire. C'était comme s'il avait été formé pour combattre toute sa vie. Malheureusement, même l'être le mieux entraîné ne pouvait compter sur ses réflexes indéfiniment et l'Eldjodnar était intelligent.
Le géant finit par trouver une ouverture dans les esquives de Hruodland et il ne put esquiver l'une des gerbe de feu. Au moment où l'attaque allait le frapper de plein fouet, un éclair dorée jaillit du ciel et s'abattit sur son corps. Les flammes le frappèrent un infime instant après.

Bjorn et Frida crièrent à l'unisson en voyant leur ami prendre feu mais, lorsque le torrent de feu s'estompa, ils constatèrent que Hruodland était indemne. Le guerrier se trouvait toujours debout mais désormais, son corps était recouvert par une armure dorée.
Hruodland lui-même ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Lorsque l'éclair avait jaillit du ciel, il avait vu apparaître devant lui un objet semblant fait d'or et qui représentait un guerrier tenant une épée devant lui. La forme explosa et une armure vint le recouvrir, le protégeant des flammes. La créature de Muspellheim hurla de frustration et pour la première fois de l'affrontement parla. Sa voix rappelait le frottement de la roche.

- Ta Järnskinn ne te sauvera pas Guerrier Divin ! Je boirais ton sang de Volsüng avant ce soir !

Hruodland ne prit pas la peine de répondre à la provocation et préféra se préparer à la suite.
L'Eldjodnar augmenta encore la chaleur qu'il générait mais, avec l'armure qui le recouvrait désormais, le guerrier n’en fut pas dérangé. Le combat reprit sans attendre et Hruodland esquiva de nouveau aisément les gerbes de flammes. Celle qu'il ne parvenait pas à éviter, il se contentait de croiser les bras devant lui pour les encaisser.

Jusque là, Hruodland s'était contenté de se défendre mais s'il voulait l'emporter il allait devoir attaquer. Il ignorait comment faire car il doutait que le monstre serait sensible à ses coups de poings. Il n'eut guère le temps d'y réfléchir davantage. Une attaque de la créature faillit le prendre de vitesse et corps réagi de lui-même. Il esquiva en sautant sur le côté et balança son bras en direction de son adversaire. Sans qu'il ne comprenne comment, le bras tendu du géant fut tranché net par son attaque.
Il réalisa alors qu'il n'était pas sans défense et se prépara a lancer un assaut. Il leva son bras droit au dessus de sa tète et il répéta ce qu'il venait de faire. Il concentra son énergie de sa main droit et la tint ouverte comme si elle était une épée. Lorsque monstre commença à avancer vers lui, il abaissa son bras et projeta son énergie. Une sorte de lame brillante fusa droit devant Hruodland et frappa du haut vers le bas le géant. Il ne se passa rien durant un bref moment puis le corps de L'Eldjodnar commença à se séparer en deux. Avant que les deux parties n'atteignent le sol, elles tombèrent en cendre.

L'affrontement était terminé. Les Fils de Musphel avaient fuit et les autres créatures étaient toutes vaincues. Hruodland avait encore du mal à réaliser tout ce qu'il venait de se passer, que ce soit l'armure qu'il portait ou les attaques qu'il avait utilisé. Frida et Bjorn étaient sauf et c’était tout ce qui comptait.
Il soupira un grand coup et entreprit de les rejoindre. L'armure qui le recouvrait se mit alors à luire intensément avant de quitter son corps. Elle se reforma sous la forme du guerrier à l'épée et disparue vers le ciel dans un nouvel éclair.

- Hruodland !

Frida se jeta dans ses bras, le visage baigné de larme. Alors qu'elle n'avait jamais fait montre d'une connivence particulier avec lui, la jeune fille était toute bouleversée. Bjorn suivait derrière plus lentement, trainant un peu la jambe.

- Tout va bien Frida, c'est terminé.
Comment ça va ?

Cette question s'adressait davantage au vieil homme qu'a la jeune fille qui n'avait visiblement pas souffert physiquement.

- Ca ira. En tout cas, j'en étais sur : tu es un Guerrier Divin !
La Järnskinn qui est venue te protéger… Je suis certain qu'il s'agit d'une des Gardienne d'Yggdrasil. Et l'attaque que tu as utilisé… On aurait dit Odin utilisant Balmung ! J'ai vu des Servants en actions dans ma jeunesse et je peux te dire, que peu avait ta puissance. Heureusement que tu es revenu pour nous sauver. D'ailleurs pourquoi as-tu fait demi tour ?

Bjorn attrapa Frida par l'épaule afin de libérer le guerrier. La jeune fille avait arrêter de pleurer mais demeurait bouleversée.

- Je ne saurais l'expliquer mais j'ai senti que vous étiez en danger. Une peur étreignait mon cœur, m'obligeant à faire demi-tour.

- Ca, c'est gon Hamr qui te prévenait.

- Mon Hamr… Järnskinn… Tout ce dont tu me parle m'est inconnu. J'ai encore plus de réponses à trouver.
Votre maison n'a pas l'air d'avoir trop souffert…

Bjorn regarda autour d’eux.

- Non et en plus, tout a été déneigé. Tu veux repartir tout de suite c'est ça ?

- Tu les as entendu, ils sont venus à cause de moi. Je vous mets en danger et tant que je n'en saurais pas plus sur moi, je ne pourrais pas vous protéger efficacement.

- Vas alors mais reviens dès que tu le pourras.

- Promis. Dès que je saurais qui je suis.

Frida échappa a son grand père et se jeta de nouveau sur Hruodland.

- Surtout sois prudent.

Hruodland lui souleva le visage et lui sourit en réponse. Il s'éloigna ensuite et reprit la route vers le palais.