=> Etna

Tout était allé beaucoup trop vite au goût du Lion d'or. Il se revit encore à grimper sur le bras du titan, lacérant comme il pouvait l'amas de magma de ses griffes de cosmos, puis le temps de dire ouf, il se retrouvait cloisonné dans une bulle de lumière par Athena. Elle, et Ephraem, avaient pris sur eux toute la responsabilité du combat. Alec avait pris en une fraction de secondes.

En fin de compte, qu'avaient accompli les chevaliers ? Le diadème de la sphinx, le tissu de Charon, ce "contrat" qui rabotait son espérance de vie comme peau de chagrin. Et les autres, avec leur venin, corne et autre ingrédient bizarre. La chaîne censée retenir Typhon n'avait pas été forgée à temps, et si elle le fût après, Azir ne s'était pas attardé pour regarder. On leur disait de rester unis, d'incarner l'espoir de l'humanité, quand au final certains n'en faisaient qu'à leur tête et les autres regardaient sans pouvoir rien faire.

"Non Athéna, je ne te pardonne pas. Je suis censé te défendre -au moins t'aider ?-, et tu m'en empêches. Je veux sauver des gens. Pas regarder quelqu'un les sauver."

Dans l'avion de retour d'Italie, au milieu des gardes sombres et des chevaliers survivants plus ou moins amorphes, il n'avait rien dit. Se contentant de regarder par le hublot, il ne trouvait plus aucun émerveillement à voir la mer de si haut, à tracer le contour des continents du regard.

Les premiers mots qui sortirent de sa gorge furent ceux de son isolement : oui il reviendrait au Sanctuaire, mais plus tard. Il avait besoin de marcher, s'aérer un moment.

C'est ainsi que, couvert de poussière et de cendres, son armure brillante aussi ternie que son humeur par cette pellicule de saleté, il avait pris le chemin de Rodorio par un accès où aucun civil n'aurait pu le voir. Il ne voulait pas quitter son armure -la présente pesante et réconfortante de Regulus sur son dos-, alors Rodorio se trouvait l'endroit idéal pour déambuler sans que personne ne posât de questions.

Soudain, tiré de sa torpeur par un éclat de voix, il tourna la tête vers approximativement deux rues plus loin. Brigands ? Spectres ? Bagarre de taverne ? Marchandage énergique ? Il ne savait pas, mais il venait le parfait exutoire à une partie de sa colère. Rien qu'un peu, un défouloir, et il rentrerait après. Promis.

Il se mit à courir, les passants s'écartant sur son passage, ou lui montrant carrément la direction de l'altercation. Courir sans réfléchir, de plus en plus vite. Il atteignit sans même s'en rendre compte une vitesse proche de celle du son et déboula dans la rue avec la moutarde au nez. Son sang ne fit qu'un tour en voyant l'explicite tableau de la jeune fille sanglotant au milieu des trois gardes.

Le mec debout sur l'épée ? Un cosmos, pas embêté par les villageois, donc probablement Saint. Rien à foutre tant qu'il restait courtois. Azir vit rouge et son cosmos jusque-là éteint se déploya autour de lui comme un manteau de fourrure. La seconde d'après, il se tenait entre les deux petites frappes qui regardaient la fille de travers, les prit chacun par la nuque et les envoya se faire la bise, d'une façon plus que dynamique. Ils se retrouvèrent sonnés avant même de comprendre, puis le regard améthyste du Lion se posa sur le dernier debout.

Tout crispé et bien moins sûr de lui d'un coup, le mec venait littéralement de se pisser dessus, en témoignait la jolie tache sombre qui se formait entre ses jambes. Azir claqua de la langue sur son palais et empoigna son col d'une main ferme.

"Tu comptais lui faire quoi à la gamine ?
-Mais euh... rien... c'était pour rire...
-Écoute mec, je viens de voir un titan se faire défoncer la gueule par Athéna, et j'ai quelques heures d'avion dans les pattes, alors j'ai franchement pas envie de rire. Tu vas dire à tes potes, et à tous les gardes du Sanctuaire qui auraient envie de suivre votre exemple, que les chevaliers ont autre chose à foutre que de jouer à la police avec vous, pigé ?
-O-Oui... Pitié...
-Pitié ? Attends, t'as cru que j'allais te tuer ? Non mais sérieusement, j'ai tellement pas besoin de ça pour m'occuper de toi !"

Une expression de pur dédain passa sur le visage d'Azir qui relâcha sa proie avec autorité.

"Tu poses le monsieur, tu prends tes copains et tu dégages. Maintenant."

Une belle entrée en matière ? Comme un coup de semonce, Azir se calma à ces quelques mots. Il y avait peu de monde depuis son arrivée au Sanctuaire qui l'avaient complimenté, encore moins de façon aussi directe et avant ne fut-ce que de le connaître. Son cosmos retomba, balayé par le vent, et une intense fatigue remplaça le vide laissé par sa frustration précédente.

"Ah... Je suis plus diplomate d'habitude... Désolé pour le triste spectacle. J'ai horreur qu'on s'en prenne aux plus faibles comme ça."

Il prit un moment pour examiner l'homme qu'il avait devant lui : grand, baraqué comme un dieu du stade, parfaitement maître de lui-même, avec un petit quelque chose d'indéfinissable mais pas hostile. En gros, tout son contraire dans la situation actuelle. Un simplement hochement de tête répondit à sa question, et il lut dans le regard de l'inconnu que cela suffisait à tout expliquer. Quelqu'un d'intelligent, bien renseigné surtout. Qui le vouvoyait. Qu'est-ce qu'ils avaient tous à le vouvoyer ?! Bon, de la part d'un aîné, ça passait déjà mieux.

"Et vous ? Vous ressemblez à un ermite qu'on a sorti de sa retraite. Sans vouloir vous vexer."

Le sourire qui suivit lui fit chaud au cœur. Voir quelqu'un tourné vers l'avenir avec tant de confiance anéantissait les noires idées qui le hantaient avec le souvenir encore trop frais de Typhon, Ephraem, Alec et Athena. Inconsciemment, Azir l'imita et sourit à son tour, avec la même franchise, le même optimisme.

"J'ai déjà vendu mon assurance vie à Charon."

Il était sérieux, et le bonhomme en question lui donnait envie de vomir, mais il se mit à rire à gorge déployée, fier de son humour et soulagé de sentir un peu de tension quitter ses épaules. Il passa une main sur son visage pour en débarrasser la cendre, se rendit compte qu'il devait avoir l'air encore plus misérable qu'il ne l'avait pensé.

"J'ai besoin d'une bonne douche. Est-ce que ça vous dirait de faire connaissance près du puits, le temps que je me rafraîchisse un peu ?"

Trop heureux de pouvoir se rendre présentable sans paraître offensant, Azir ouvrit la marche jusqu'au puits, s'empara du seau et le ramena rempli à ras bord. Il commença par en verser une rasade qu'il proposa au Saint via une sorte de louche prévue à cet effet. Ensuite, il entreprit de nettoyer ses mains, puis son visage. Entre-temps une armure avait fait irruption dans son champ de vision, et le relief sur ses côtés confirma quel gardien il avait devant lui.
Le Douzième, sans nom encore, répondait parfaitement à la description étrange selon laquelle les Poissons s'intéressaient toujours à leur beauté extérieur, fut-ce par coquetterie ou par stratégie. Mais pas de doute : sa silhouette, sa voix et sa grammaire le désignaient bien comme un homme. Azir réprima un sourire et laissa l'air de rien son armure reprendre sa forme totémique.

"Je pense que tu as déjà deviné quel temple je garde ! Enchanté, chevalier des Poissons. Moi c'est Azir. Je suppose que tu as un prénom quand même ?"

Il se garda bien de parler de "la Déesse" en retour. L'hôte et les deux chevaliers sacrifiés, eux, ne reviendraient pas. Elle avait dit qu'elle ferait son possible, mais pour sûr elle le faisait depuis des millénaires, alors que les humains... Une autre histoire.

Dans son silence il se saisit du seau, le leva au-dessus de sa tête et inspira un bon coup.

"A la une... A la deux... La vaaaaaache, c'est gelé !"

Il s'ébroua, le blond de ses cheveux brillant au soleil de nouveau avec éclat, les gouttes longeant ses muscles crispés par la récente bataille. Il retira la tunique emblématique que tout chevalier portait sous son armure pour l'essorer, son torse cuivré apparaissant à l'air libre l'espace d'une minute tandis qu'il frissonnait un bref instant. On pouvait deviner sans trop de problème qu'il venait d'un pays chaud, plus au sud encore que la Grèce.

A la question de son homologue il s'arrêta pour réfléchir, chercha dans sa mémoire les détails de cette sinistre mission.

"Pas d'armure. Si je me rappelle bien ce que j'ai lu, on ne sait pas où elle a disparu depuis la célèbre bataille contre Hadès il y a 30 ans... Le sceptre oui, elle le portait. Mais pourquoi tu me demandes ça ? Tu as des informations là-dessus ?"

Il se rhabilla et posa une main amicale sur l'armure couverte de cendres qui attendait toujours.

"Attends-moi au temple. Je viens te nettoyer dans un moment."

L'or sale se mit à luire, puis décolla dans une colonne de lumière en direction de l'endroit indiqué. Azir sourit, ayant senti que son attention à son égard lui plaisait énormément.

"Dis-moi chevalier... Je n'avais pas connaissance d'un chevalier des Poissons avant de partir. Où étais-tu donc ? Pourquoi Athéna t'a-t-elle appelé au moment de son sacrifice et pas avant ? Maintenant qu'on est tous seuls, j'aimerais bien comprendre comment les dieux raisonnent, parce que si le Sanctuaire reste aussi dépeuplé, ça va pas le faire du tout. Quelqu'un doit prendre le commandement pour éviter que les gardes se croient tout permis, que la logistique s'interrompe, et tout ce qui va avec. Je suis pas du genre à obéir sagement quand on me donne des ordres, mais si c'est pour maintenir l'humanité à flots, je pense pouvoir faire une exception. Le hic, c'est qu'on doit tous y mettre du nôtre et j'ai trop de lacunes en chevalerie de mon côté."

Les edits c'est de la triche mon bon monsieur u_u

Azir soupira et leva la tête vers le ciel pour pouvoir essorer plus facilement sa crinière maintenant propre.

"La Déesse, la Déesse... Déjà elle a un nom, je pense que ce serait plus respectueux de l'utiliser, et puis elle m'a clairement fait comprendre qu'elle était pas du genre à la jouer princesse en détresse. Honnêtement, c'est pas pour elle que j'ai accepté d'endosser l'armure du Lion. Non, c'est pour la gamine de tout à l'heure, pour les mecs qui viennent entretenir les temples tous les jours sans faillir, pour ceux qui sont actuellement en train de reconstruire leur maison détruites par d'autres chevaliers avant nous, pour ceux qui vivent quelque part sans même se douter que des entités supérieures jouent à la guerre autour d'eux, et même pour ceux qui sont au courant et craignent le jour où ils seront impliqués dans tout ce grand bazar. Je porte une fichue armure un peu parce que j'ai pas eu le choix aussi, mais surtout pour essayer un jour de pouvoir changer quelque chose à la guerre, à la famine, à la peur et aux rivalités entre nations."

Sorti comme ça, le Cinquième gardien grimaça et se dit qu'il avait toutes les qualités pour jouer dans un film de chevalier partant chasser le méchant dragon pour sauver la belle qu'il n'avait jamais rencontrée mais qui deviendrait l'amour de sa vie. Pourtant, on lui avait parlé d'idéal depuis qu'il était arrivé, et le sien c'était d'aider les autres, tout simplement. Croire aux valeurs du preux allant terrasser le dragon, quand on voyait la tronche de Typhon, c'était pas forcément à côté de la plaque.

"Comme tu dis, Athéna elle finira par revenir, alors je vais pas m'occuper d'elle pour l'instant. On va renforcer les défenses du Sanctuaire tous ensemble, t'es pas tout seul. De ce que je sais, Elijah est probablement rentré dans son temple. C'est le Sagittaire. Et il y avait un autre gars, Gareth je crois, envoyé en mission je ne sais pas vraiment où pour faire je ne sais pas vraiment quoi. Ephraem du Taureau est mort. L'ancienne Athena du Capricorne est morte. Alec d'Andromède est mort. Reste Franz du Lièvre qui a dû être traumatisé quelque part dans son coin, moi, et maintenant toi. Il faut qu'on fasse ça tous ensemble, pas un plus haut que l'autre."

Il reposa le seau vidé sur le rebord du puits, la louche à l'intérieur, comme il avait trouvé le tout. D'un coup d’œil circulaire, il s'aperçut qu'il avait légèrement haussé la voix sur ses derniers mots, laissant des passants inquiets sur la situation. Sur ce coup, Akritès avait raison en disant qu'il manquait de finesse et de discrétion, mais aussi, il avait des heures de marche dans les jambes, joué sa vie à coups d'énigmes, de dés et de marchandage avec le passeur des morts, ainsi qu'un entretien VIP face à Typhon. Il avait un peu le droit d'arrêter de faire attention non ?

Jouant la carte de l'optimisme, il prit une pose d'autorité, mains sur les hanches, malgré la bonne tête d'Akritès au-dessus de lui. Il leva cette fois volontairement le ton, afin que tous les gens entendent autour :

"La passion ne connaît pas de mesure, vois-tu ! Quand tu défends quelqu'un, tu le fais à fond. Quand tu encourages un proche, tu le fais à fond. Quand tu manges un repas préparé avec amour, tu le savoures jusqu'à la dernière miette ! Quand tu dors dans un lit douillet, tu partages ta bonne humeur avec les gens. Quand tu finis saoul après soirée arrosée avec des amis, tu peux dire que t'as profité à 200 % ! La passion c'est ce qui donne de la couleur à la vie. Et Azir, c'est un arc-en-ciel de passion, ok ?"

De ses sens aiguisés, Azir entendit quelques souffles dans son dos trahissant des rires étouffés, des murmures un peu moqueur. Il venait de se rendre ridicule, mais cette fois c'était voulu : les Rodoriens se focaliseraient sur ces dernières paroles plutôt que sur l'énoncé des victimes de l'Etna. Un instant il remercia ses études de commerce et son physique extravagant. Pour sûr, il n'avait rien de discret, mais dans le cas présent il venait de l'utiliser à son avantage, et une certaine satisfaction accompagna le sourire de la comparaison arc-en-ciel.

Dans le même temps, il avait peut-être mis Akritès un peu mal à l'aise étant donné que celui-ci écourta la conversation sur le sujet. Au besoin il lui expliquerait son intention plus tard, mais renseigné comme il était, et avec l'intelligence qu'il avait captée chez lui, cela se révélerait probablement inutile.

Azir s'étira un grand coup, et on entendit de légers craquements d'os dans ses articulations prouvant qu'il était grand temps d'aller se détendre au calme.

"Elle est si récente que ça cette attaque ? J'entends beaucoup de gens en parler, mais au-delà du troisième temple je n'ai pas vu tant de dégâts que ça... Ou alors ils ont vite été réparés. En tout cas, je vais te suivre ET me reposer. Mieux vaut que j'aille dans mon propre domaine, en plus Regulus et Caramel doivent m'attendre. Il faudra qu'on s'entraîne ensemble toi et moi plus tard. J'ai bien envie de voir ce que je vaux contre un "ancien" chevalier. Et pour tout t'avouer, je ne me suis jamais mesuré à un autre chevalier d'or. Enfin Athena ça compte pas trop, elle était distraite et elle abritait une déesse..."