Il était évident que les paroles de la Discorde allaient apporter leurs lots de réactions violentes, et il ne fallu pas longtemps pour confirmer les pensées de Galahad. Le premier à réagir fut le vieux. L'Anglais pouvait presque voir une veine sur sa tempe se mettre à battre comme si elle allait exploser. Sa consœur en revanche semblait prendre les dires de la Déesse avec plus de… philosophie. Sa retenue et son analyse de la situation impressionna l'Ombre de Léthé qui bien qu'il ne la connaisse pas suffisamment, commençait à respecter grandement cette étoile des Enfers.

Le Cyclope augmenta un peu le volume, semblant franchir un second palier dans la rage qui l'habitait. Une nouvelle fois la Liche tempera son compagnon, et comme le Chevalier d'Ubar ne souhaitait pas que la situation dérape d'avantage, il se risqua à s'immiscer dans l'échange entre les deux Spectres.

Si je peux me permettre, je pense qu’Andréa à raison. Il serait impossible de penser que Dame Eris ne tienne pas sa parole, cela remettrai en cause son essence même d'après moi.

Galahad laissa un instant flotter pour s'assurer qu'il avait l'attention de ses hôtes.

Mais si, pour une fois, sa réputation peut jouer pour elle, vous conviendrez qu'elle est plus que capable d'employer tours et détours pour respecter sa parole sans chercher à nuire à votre faction -bien que sur ce point la Liche avait plus d'idée que le porteur de Linceul-. Il était impossible pour Dame Eris de savoir ce que cette pauvre âme allait demander, les possibilités étaient multiples…

L’ancien chevalier d'Arthur essaya de trouver un exemple convaincant rapidement mais rien ne lui vint sur le moment.- Qu’aurait bien pu vouloir un ancien Gold Saint, ancien Pope et maintenant prisonnier des Enfers ?-

Je ne peux qu’imaginer votre sentiment Xing Huo, mais je vous en pris, ne réagissez pas sans savoir. Laissez-moi me renseigner et vous apporter les réponses qui vous manquent. C'est mon rôle auprès des Ombres et de ma Déesse que de faire le lien entre nous et le reste du monde, faites moi confiance pour remplir cette tâche en commençant par assurer une bonne entente entre nos deux factions.

Les calmer et les convaincre s'annonçait une tâche ardue. Léthé espérait que les Spectres feraient au moins l'effort de l'écouter.

Vous serait-il possible d'envisager que je sois plus proche d'un allier des Spectres que d'un ennemi d'Hades ? Lança t-il dans une ultime tentative d'ouvrir un dialogue plus apaisé.

Hrp:

L’intervention de Galahad coupa court à la dispute entre la Liche et le Cyclope, mais sans doute pas pour les raisons qu’il espérait. Faisant un effort herculéen pour rester civil – et non-violent –, le philippin se tourna vers le porteur de Léthé.

« Si votre but était de me calmer, c’était pas la meilleure chose à dire. »

Mais le chevalier élabora en abondant dans le sens d’Andréa et en faisant valoir l’innocence de sa Déesse – si tant est qu’une telle chose puisse exister en parlant de la Discorde. Hélas, la crédibilité de son propos pâtit de son incapacité à suggérer une alternative au paiement que Gareth venait de réclamer à Éris, ne serait-ce qu’à titre d’exemple. Le vieillard n’était pas convaincu, et ce d’autant plus qu’il venait de rejeter ce même argument quand il avait été avancé par sa collègue.

« Je le redis, on le voyait venir à des kilomètres. » gronda l’ancêtre, irrité de devoir se répéter. « Ce type est obsédé par les Spectres et il refuse de lâcher le morceau : après que Sa Seigneurie ait dit aux Saints de nous foutre la paix il s’est pointé ici quand même et s’est fait remettre à sa place par votre patronne. Et faut croire que ça lui a pas suffi parce qu’on l’a repris ensuite à fouiner sur l’un de nos territoires en attaquant nos hommes, c’est là qu’il est mort. »

« Tout ça pour dire que même si elle n’était pas sûre à cent pour cent de ce qu’il allait demander, votre maîtresse devait bien se douter que c’était une possibilité. » conclut la polonaise, qui essayait de se montrer diplomate. L’autre Étoile Terrestre grommela pour signifier son assentiment, se retenant non sans peine d’ajouter que si Éris avait réellement été prise par surprise par cette requête, alors elle n’était clairement pas aussi intelligente qu’elle aimait le faire croire – le genre de choses qu’il valait mieux ne pas insinuer à voix haute en présence de la Déesse et de son non moins divin frère.

« Ce n’est pas vous le problème, c’est celle que vous servez. » reprit la Liche lorsque Galahad continua de plaider sa cause. « Et nous avons bien saisi que vous êtes son porte-parole mais si nous voulons vraiment des réponses, pourquoi devrions-nous passer par vous alors que votre maîtresse est juste là ? Si elle refuse de s’expliquer en personne et qu’elle vous envoie le faire à sa place, ça revient à nous envoyer balader. »

Les arguments de Galahad étaient logiques et son raisonnement compréhensible mais une fois de plus il semblait y avoir méprise quelque part. Bien sûr que les Spectres ne s’attendaient pas à ce que feu le Gémeau arrête de vouloir s’en prendre aux ennemis ataviques de son ordre, ils avaient dit eux-mêmes que c’était précisément ce trait qui le rendait si prévisible !

« Ce n’est pas à Gareth que nous en voulons, ou du moins pas à lui principalement. » rétorqua la Liche. « Saints et Spectres sont ennemis depuis la nuit des temps, c’est un fait. Nous n'avons pas le même credo, nous sommes chacun persuadés d’avoir raison et nos factions respectives sont toutes deux renommées pour leur persévérance. Évidemment qu’il n’allait pas changer d’avis, autant demander à l’eau de ne pas mouiller ou au feu de ne pas brûler. »

Le Cyclope acquiesça puis ajouta son grain de sel : « Éris ne pouvait pas ne pas le savoir et pourtant elle a quand même choisi de faire appel à lui. Sans préciser à l’avance qu’elle refuserait toute demande qui pourrait nous nuire à nous, les soldats de son propre frère, ni opposer son veto et lui dire de choisir autre chose une fois son prix révélé. Et elle a le culot de faire ça juste sous notre nez, juste après avoir présenté de façon tout à fait innocente un ordre entier de chevaliers de remplacement à Sa Seigneurie. »

« Peut-être qu’Il a l’habitude des blagues douteuses de Sa sœur mais nous, nous ne trouvons pas ça très drôle. Et c’est loin d’être la première fois alors nous préférerions largement qu’elle aille pourrir la vie de quelqu’un d’autre, pour changer. » compléta la polonaise.

Mais le chevalier de l’Oubli n’en avait pas terminé : il tenta d’en appeler à la sympathie des infernaux en établissant des parallèles entre leur mauvaise réputation et celle des Ombres. Il allait devoir faire mieux que ça, parce que les deux Étoiles Terrestres étaient éminemment conscientes des différences qui séparaient leur faction de celle d’Éris. Le reste du monde voyait les Spectres comme de dangereux théocrates à tendance génocidaire et cela pouvait se comprendre – rares étaient ceux qui pouvaient se mettre à leur place et adopter leur point de vue –, mais leurs intentions étaient bonnes. Pour eux, on ne pouvait pas faire confiance à l’humanité pour se diriger elle-même et c’était pour cela qu’ils se rangeaient derrière Hadès, Lui qui prêchait l’Ordre et la Justice, promettait de remettre la race humaine dans le droit chemin et de la guider d’une main de fer vers un nouvel âge de félicité… ou à défaut, de lui offrir Sa miséricorde en abrégeant ses souffrances, au cas où il n’existerait plus aucune possibilité de Salut.

Il était plus difficile de concevoir que les guerriers d’Ubar puissent se prévaloir de tels idéaux ; après tout ils servaient la Discorde, pour qui le Bien et le Mal n’étaient rien de plus que des prétextes pour faire couler des océans de sang et de larmes. Au lieu de délivrer les gens de leur vile nature, elle faisait en sorte qu’ils en restent les esclaves. Là où les divinités infernales offraient une Utopie sous Leur règne éclairé, la fille de Nyx n’offrait qu’une éternité de conflits qui, sur le long terme, infligeraient bien plus de tourments que n’importe quel plan des Spectres.

« Nos situations ne sont pas les mêmes et il est inutile de nous demander ce que nous aurions fait à sa place. On ne peut pas être sûr de la réponse avant de devoir faire ce choix pour de vrai, parce que les gens ne réagissent pas de la même manière dans un scénario hypothétique et dans la réalité. Mais moi aussi j’ai une question : puisque vous aussi vous refusez « d’être réduit à la simple identité d’être maléfique », expliquez-moi comment vous justifiez de vous être mis au service d’une entité dont le seul but est de provoquer le plus de querelles possible, qu’importe le nombre de vies qu’elles ruinent, et ce pour les siècles des siècles ? »

Le porteur de Léthé soupira doucement. Les deux Spectres campaient sur leurs positions et n'en bougeraient pas, c'était maintenant clairement établit. Loin de leur en vouloir, car il comprenait leur légitime colère, Galahad ne pouvait que déplorer que la situation n'évolue pas… du moins pas dans le sens qu'il aurait souhaité. Peut-être qu'après le départ de la Discorde et de son chevalier, après qu'Eris est répondu à leurs questions, après que la colère de ce moment soit passé et que leurs esprits se soit calmés, peut-être alors seulement ils commenceraient à comprendre ce que voulais dire le Chevalier Oublié… ou pas.

En attendant, l'Anglais devait faire au mieux pour ne pas faire dégénérer la situation. Pas évident, surtout qu'il s'apprêtait à répondre au Cyclope.

« Effectivement, je le répète, elle devait se douter que cela pouvait se produire. Néanmoins Dame Eris n'avait aucun moyen de savoir que se serait cette option qui serait choisi par Gareth. Comme l'a dit Andréa, on ne peut pas être sûr de la réponse avant de devoir faire ce choix dans la réalité. Le reste relève simplement de la stratégie de négociation selon moi. »

« Vous conviendrez que les informations fournies par Gareth pourront vous être bénéfiques et il est évident que personne d'autre que lui ne pouvait les fournirs. Vous possédez maintenant au même titre que nous de connaissances importantes sur l'actuel Gémeau.
C'est à la portée de n'importe qui de comprendre que de telles révélations ne se font pas sans grandes contreparties. Nuls doutes que les résultats auraient été beaucoup plus décevant si elles avaient débutées par des exceptions qui auraient définitivement braqué cette âme. Après tout, il n'avait rien à perdre à se taire… »

Galahad sentait que même s'il voulait bien faire, chacune de ses paroles pouvaient être prisent comme des provocations et faire basculer la diplomatie. Et la suite n'allait sûrement rien arranger.

« Et s'il vous plait, cessez de prendre cette histoire de « Chevalier de remplacement » pour plus que ce qu'elle est, à savoir une simple provocation à votre encontre. Voyez comment votre Seigneur à réagis…
Qui plus est, n'êtes vous pas les soldats d'Hadès, sous la gouvernance temporaire du Seigneur Thanatos ? Quand votre maître reviendra, votre allégeance devra lui être totale, non ? Il ne me paraît pas alors si surprenant que les Ombres assistent sa Seigneurie quand les Spectres seront occupés ailleurs. »

Pensant avoir été un peu loin, l'Ombre essaya de prendre un ton plus léger bien que la situation s'y prête de moins en moins.

« Pour ce qui est de mon histoire, je serais ravi de la partager avec vous, mais le moment me semble mal choisit au vue de la tension ambiante. Mais en résumé, c'est à Dame Eris que je dois d'être en vie aujourd'hui. J'ai été manipulé et trahi, et elle est celle qui m'a sauvé et permis de revivre en ce siècle. Chez moi une telle dette se doit d'être honoré et c'est ce que je fais. J'essaye depuis de faire de mon mieux pour améliorer son image et la montrer au monde tel que moi je la vois. »

« Certes, le simple mot de Discorde parle de lui-même, mais au moins elle laisse un certain choix au monde… autre que la servitude ou la mort. Elle ne fait que proposer, murmurer des choix, des alternatives… les Hommes réagissent en leur âme et conscience et ce n'est pas la faute de ma déesse s'ils préfèrent la violence. Quoi qu'il en soit, et s'il me reste quelque chose de ma vie passé, c'est la notion de libre arbitre et son respect. »

Léthé essaya de récupérer son sourire et un ton montrant sa bonne foi et sa naïveté. Il réitéra sa proposition une nouvelle fois.

« Je ne suis pas votre ennemi et je suis prêt à vous le prouver de la manière qu'il vous plaira. Après tout, la plupart des alliances ne se bâtissent pas sur l'amitié mais sur un but ou un ennemi commun, ou encore pour éviter une agression mutuelle. N'y aurait-il rien de tout ça qui nous mettrait d'accord ? »

La discussion sur le prix payé par la Discorde en échange des informations du Gémeau tournait en rond, aucun des deux infernaux ne se donna donc la peine de la poursuivre après la dernière intervention du chevalier de l’Oubli. Son opinion sur le rôle que pourraient jouer les Ombres par-rapport aux Spectres et aux divinités de l’Au-delà suscita par contre un accès de dérision de la part de Kochtcheï, et ce fut Andréa qui se fit l’écho des paroles du parasite.

« Oh oui, en effet, parlons-en d’Hadès et de loyauté. Voyez-vous, je ne suis pas sûre qu’Il serait très heureux de voir Son bras droit Se retrouver soudain à la tête de Sa propre armée. Une armée qui n’obéirait pas à l’autorité de Sa Majesté mais uniquement à celles de Thanatos, d’Hypnos et surtout d’Éris, une entité extérieure aux Enfers. Sachant que la dernière ingérence d’une de vos consœurs dans le domaine de Sa Majesté a pris la forme d’un complot visant Son épouse Perséphone, vous comprendrez notre scepticisme quant à Sa réaction face à une force d’allégeance incertaine – une menace à Son pouvoir. C’est le genre de chose qui pourrait attiser les suspicions et semer la discorde entre nos divins Maîtres. »

Puis vint l’exposé des motivations de l’ancien guerrier arthurien. Les Étoiles Terrestres étaient réellement curieuses de savoir ce qui poussait un membre de cet ordre légendaire à accepter en l’essence de servir de bouclier humain à la fille de Nyx, de donner sa vie pour la protéger de tous ces individus qui avaient d’excellentes raisons de vouloir l’écorcher vive… Et elles eurent droit à un discours qui aurait presque pu sortir de la bouche d’un Saint. Ce qui les laissa évidemment de marbre, convaincus qu’ils étaient que justement, laisser l’humanité faire ses propres choix ne pouvait mener qu’au désastre.

« Il a bon dos le libre-arbitre. » fit le philippin, pour qui l’argument venait chatouiller une corde sensible. « Ça revient à dire qu’un dealer ne commet aucun crime, tout ça parce que ses clients ont le choix de ne pas acheter sa came. »

« Et puis soyons sérieux, elle ne pousse pas les gens à se détruire les uns les autres et à se détruire eux-mêmes pour leur donner la chance de rejeter la tentation et d’en ressortir grandis. Pour faire une autre comparaison, on ne remercie pas un virus d’avoir fait des millions de morts sous prétexte que les survivants sont en meilleure santé. » compléta la Liche. « D’ailleurs, peut-on vraiment dire que quelqu’un exerce son libre-arbitre lorsque quelqu’un d’autre manipule ses décisions ? »

« De toute façon, le libre-arbitre, elle hésite pas à le faire passer par la fenêtre quand elle veut vraiment voir du sang. Les Squelettes à qui elle a retourné le cerveau ici-même pour les forcer à s’entre-tuer en savent quelque chose. »

Non, rien de ce que Galahad ne pouvait dire ou faire ne parviendrait à leur donner une meilleure opinion de la Discorde. Elle pouvait embellir les choses autant qu’elle voulait, il n’en restait pas moins qu’elle ciblait les gens dans l’objectif de les faire céder à ses manigances, pas pour qu’ils y résistent.

« La gratitude dont vous faites preuve envers votre maîtresse est toute à votre honneur, et nous ne voyons aucun problème avec vous personnellement. » reprit la polonaise en s’efforçant de mettre fin aux frictions – ce pourquoi elle s’abstint d’ajouter que les Spectres trouvaient ladite gratitude fort mal placée. « Malheureusement, nous ne pouvons pas en dire de même de celle que vous servez ou de vos collègues. Nous collaborerons volontiers avec vous si nous en avons l’occasion et si Sa Seigneurie le permet ou l’ordonne, mais je crains que les aspirations de nos factions respectives soient trop différentes pour construire davantage qu’une alliance de circonstance. »

(Message déplacé...je me suis trompé.)

Les deux Spectres continuaient de rejeter chacun des arguments que l'Anglais tentait de leur soumettre. La discussion n’avançait pas et tout ça commençait à vexer l'Ombre. Certes la Discorde avait dû laisser des traces indélébiles dans leurs esprits par ses actes, en ce même lieux apparemment, mais l'égo du porteur de Léthé en prenait un coups… il pensait vraiment être plus convaincant que ça.

Andréa concéda toute fois à accorder une sorte de bénéfice du doute à Galahad, admettant que jusqu'à preuve du contraire, il pouvait ne pas être comme tous ses collègues. Une collaboration restait donc toujours possible, et sur ce point au moins, le Chevalier se félicita atténuant un peu son sentiment d'échec .

« Merci de votre considération Andréa, et de votre patience Xing-Huo. » dit-il en s’inclinant très légèrement mais respectueusement devant chacun d'eux.

Il était inutile d'insister. Tout ce qui pourrait être ajouté par un camps ou l'autre ne ferait qu’alimenter la tension grandissante.

« Je comprends votre point de vue et je dois avouer que je le partage sur de nombreux points. Mais sachez que si l'occasion se présente de collaborer, ce sera pour moi un plaisir que de vous assister. »

Ne sachant guère quoi dire de plus pour relancer une discussion moins tendu, Galahad préféra s'abstenir d'ajouter quoi que ce soit. Il reporta son attention sur les deux divinités en attendant de voir ce que donnerait la fin de l'entretien.