Le retour sur l’île de la Reine morte ne s’était pas passé comme elle l’aurait souhaité. Sa « généreuse mécène » avait exigé un debriefing de la mission conduite au profit d’Eris. La jolie nippone avait décliné l’invitation, des sbires étaient venus la « convier », elle les avaient dérouillés et maintenant, le premier de la classe se présentait à elle.

Pas moyen de roupiller tranquille…

- « Lady Pénélope est très fâchée après vous chère amie. Elle n’est guère patiente et insiste pour que vous veniez lui rendre compte de votre escapade dans les plus brefs délais. », lui dit le jeune cadre avec insistance.

- « Dis-lui qu’elle est lourde et que si elle veut me parler, elle n’a qu’à bouger son gros cul ! », lui rétorqua Yasuha en effectuant un bras d’honneur.

J’ai jamais vu des gros lourds pareils. Ils vont me lâcher à la fin…

- « Je me dois de me répéter et de clarifier quelques points qui vous ont sans doute échappé. Si vous ne donnez pas suite à cette convocation, je ne réponds plus de votre sécurité. », continua avec insistance le jeune homme.

Avant qu’il n’ait pu prononcer un seul mot de plus, un violent coup de talon vint lui heurter la tempe droite. Il ne se réveillerait pas avant une bonne heure.

- « Mouais c’est bien ce que je pensais, un vrai crocodile : grande gueule, petits bras. », pensa tout haut l’ancienne porteuse de la Yoroï de Mikaboshi.

Bon, encore un plan foireux. Bye bye les blaireaux…

Ces commanditaires ne retrouveraient dans la chambre d’hôtel que le porte-serviette allongé au sol et l’armure noire prêtée. Aucune trace de la belle espiègle et de ses bagages.


…/…


La belle japonaise en venait presque à regretter sa vie de professionnelle dans le monde des humains normaux. Tout avait commencé à se dérouler de travers depuis qu’elle avait remis les pieds dans le monde des éveillés. Finalement, elle avait décidé d’aller réclamer son premier lot à la Discorde et déciderait ensuite de la tournure à donner à son futur.

Après moultes galères pour trouver des renseignements, payés rubis sur l’ongle et à prix d’or, et quelques gifles pour délier les langues. Yasuha avait pu recouper rumeurs et tuyaux douteux pour définir l’emplacement de la cité des sables, ainsi qu’un itinéraire probable pour s’y rendre.

Qu’est qu’il ont tous à construire leur rade dans les endroits les plus pourris de la planète ?

Enfin arrivée dans ce qui semblait être l’antichambre de la cité interdite d’Ubar, après plusieurs semaines de recherches hasardeuses, elle interpella deux loustics qui ressemblaient à des représentants des forces de l’ordre.

- «  Yo les blaireaux, je cherche Eris. Une bombasse un peu prétentieuse sur les bords et encore plus arnaqueuse que moi. Elle me doit une récompense et je ne partirai pas d’ici avant de l’avoir récupérée. ».

La japonaise n’eut pas à patienter bien longtemps avant l’entrée en scène de la maîtresse des lieux. C’était à se demander si la divinité ne possédait pas des yeux et des oreilles accrochés à chaque coin de rue.

Ouah, c’est plus qu’un service express ça…

La nippone remarqua assez rapidement que la déesse n’avait daigné se déplacer en personne, préférant user d’une quelconque projection cosmique ou autre tour de passe-passe dont les immortels raffolaient. Après tout, peu lui importait la méthode, tant que son dû lui était versé. A ceci près que les premières paroles prononcés par Eris ne l’inspiraient que moyennement : ça sentait pas mal l’amertume.

Et ouais, tu l’as eu profond ma belle…

- « Rectification de taille : tu as engagé Olivia. Moi, je n’ai rien à voir avec cette nunuche ou l’autre débile mégalomane. C’est un peu par hasard que je me suis retrouvée sur leur île de merde en plus. », grogna l’espiègle.

Elle ne ressentait que du dégoût rien qu’en repensant à cette terre infernale ou encore aux divers spécimens rencontrés là-bas. Le changement climatique l’a tira subitement de ses souvenirs. Pourquoi les gens ressentaient-ils toujours le besoin d’exprimer leur supériorité dès qu’ils le pouvaient ? Pourquoi essayaient-ils toujours de la rabaisser ou de l’exploiter ?

Plus elle écoutait la Discorde, plus elle se confortait dans l’idée qu’elle aurait dû se saisir du coffre et s’approprier son pouvoir. Les belles paroles de la mythique présence sonnaient creux et dissonaient allègrement avec ce qu’elle avait pu observer et découvrir dans le royaume de Nyx. Yasuha ne put se retenir d’applaudir avec énergie l’oratrice divine.

- « Magnifique ! Même moi j’ai du mal à débiter autant de conneries en si peu de mots. Maman doit être fière de sa fifille adorée, celle-là même qui a détruit tout ce sur quoi elle été censée veiller. J’ai tout vu chez la mamie et son frangin : jalousie, convoitise, ambition, orgueil… Peu importe au final si tout ou partie de ces sentiments ont été la mèche ayant mis le feu aux poudres, tu as tout foiré et mes actions ont rétabli un certain équilibre perdu. Dans un sens, nous sommes presque pareilles toi et moi : nous voulons juste préserver ce que nous avons et récupérer ce qui nous revient de droit. », s’exclama l’ancienne disciple du Yin, tout en se frottant les mains pour tenter de les réchauffer.

La proximité de la doublure divine agaçait quelque peu la jolie japonaise. Eris avait franchi la zone de de sécurité ; n’importe qui d’autre aurait fini tranché en un éclair. Loin d’être débile, la jeune fille savait pertinemment que se montrer hostile ne l’aiderait en aucun cas à atteindre son objectif. Il convenait de laisser « une porte ouverte » entre elle et son interlocutrice.

Et voilà, encore une qui essaye de me la faire à l’envers…

- « T’es un vrai cas toi ! Ne crois pas que tu vas t’en tirer avec ta proposition dégueulasse. Puisqu’on est dans les conditions et les choix, je rejoins ton cirque qu’à deux conditions non négociables. Premièrement, je veux récupérer ce que j’ai perdu : une vraie armure, avec des vrais pouvoirs, une vraie personnalité cosmique, pas un jouet pour rebelle abruti. Deuxièmement, je veux ma vengeance contre ceux qui m’ont tout pris : les olympiens. », intima la maîtresse des ombres, alors que ses yeux commençaient à s’emplir machinalement de ténèbres.

La belle avait posé ses conditions…
 

L’attitude joviale et l’obtempération de la divinité paraissaient plus que louches et auraient sans doute fait renoncer ou fuir même les individus les moins avisés. La nippone avait parfaitement conscience que ce futur partenariat lui coûterait beaucoup, à commencer par sa liberté d’action. Sans parler de tous les coups fourrés que la fille de Nyx ne manquerait pas de monter à la moindre occasion exploitable. Elle n’en avait cure. Si cette association hors-norme lui permettait d’obtenir cette vengeance qu’elle avait fini par oublier, faute de moyens jusqu’alors inaccessible, alors elle était prête à jouer le jeu. Pour un temps en tout cas…

Elle m’énerve quand elle prend les autres pour des cons…

- « Ouais, ouais, ouais… J’ai compris qu’ici on est tous potes et que les potes ne se font pas de crasses entre eux. N’espère quand même pas faire de moi ton toutou hein, tu seras la boss et moi ton homme de main. Tant que tu respectes ta part du deal, je promets de me tenir à carreau. », répondit la belle japonaise sur un ton empli de lassitude.

L’aura issue de la pomme et enveloppant Yasuha laissait une sensation désagréable au toucher, une sorte d’énergie sombre et malsaine qui dérangeait même la jeune fille. Les clauses supplémentaires énumérées par Eris en disait long sur toute la confiance qu’elle accordait à sa future vassale. Pouvait-elle réellement lui reprocher ces quelques garanties supplémentaires ? Pas vraiment.

- « Qui se ressemble s’assemble ! La confiance et nous, ça fait deux ! », prononça la guerrière, tout en explosant de rire.

- « Ca me va, faudra juste me dire qui est de ta famille. Ca serait dommage de foirer par mégarde. », continua-t-elle avec le sourire aux lèvres.

Allez, on va lui donner un os à ronger.

- « En guise de bonne volonté, je vais te dire pourquoi j’ai les olympiens dans le nez : je suis l’ancienne porteuse de la Yoroï de Mikaboshi, incarnation du chaos et de la destruction chez les Nyorais, et j’ai tout perdu à cause de Poséïdon. », annonça-t-elle avec une lueur de rancœur dans le regard.
 

La jeune nippone suivait du regard le moindre des gestes de la déesse. Elle ne retrouverait jamais ce semblant de paradis perdu, cet équilibre fragile à mi-chemin entre la démence et la sapience, cette harmonie dissonante trouvée auprès de l’incarnation même du chaos et de la destruction. Grâce au concours de la fille de Nyx, elle pourrait peut-être trouver un substitut satisfaisant. Du moins l’espérait-elle…

En réponse à la demande de la Nyoraise déchue, Eris énuméra sur le document une liste, exhaustive vraisemblablement, des Olympiens pouvant être potentiellement pris pour cible. Cette action ne répondait pas vraiment à la sollicitation, tout en apportant un semblant de réponse. Etait-ce là une manœuvre détournée pour ne pas en révéler un peu trop sur la fratrie de la Nuit ? Peu lui importait au final.

- « C’est Poséïdon qui m’intéresse en priorité. C’est à cause de lui que je suis privée de mon alter ego. Le reste ça serait du pur bonus, genre Athéna et ses bons samaritains qui n’ont pas bougé leur cul pour empêcher le désastre de Tokyo. Rhaaaaa, ça y est : je suis énervée rien que d’y penser. », affirma Yasuha en réponse à la question de la Discorde, sur un ton de plus en plus agressif.

Calme toi, c’est pas bon pour le cœur de stresser pour un rien…

- « Tu as raison, on se ressemble un peu : deux vraies chipies au tempérament bien trempé. On pourrait s’entendre… », ponctua-t-elle à la suite de l’évocation faite par son interlocutrice.

L’espiègle saisit la plume à son tour et mima le rituel d’Eris. C’est avec ses plus beaux kanjis, ainsi que son sang, qu’elle parapha le document scellant cette alliance, à n’en point douter une des pires issues possibles pour l’une comme pour l’autre.

Ça, c’est fait…

- « Bon et maintenant, il se passe quoi ? », questionna la jolie asiatique.
 

Yeah baby, c’est l’heure des courses !
Pretty woman, walk’in down the street…

La jeune nippone s’imaginait déjà dans le rôle de Julia Roberts en train d’essayer toutes sortes de tenues plus chics et sexy les unes que les autres. Sauf que dans le cas présent, elle n’était pas vraiment une escort girl candide, Eris pas vraiment un milliardaire beau gosse et elles n’allaient pas vraiment faire une séance de shopping entre copines…

En l’espace d’un instant, le cosmos de la Discorde avait plongé les deux femmes dans une dimension qui n’était pas sans rappeler le domaine de la grotte d’Alaska. Ne se laissant pas impressionner outre mesure, la japonaise plongea son regard dans les abysses afin d’étendre ses perceptions au-delà de l’imaginable et d’être en mesure de fusionner ses sens avec les ténèbres nappant ce lieu mystérieux. Elle ressentait désormais la moindre forme présente, ainsi que la moindre parcelle de matière environnante. Tel était le nouveau pouvoir acquis par l’espiègle demoiselle : parangon du chaos elle fut, maîtresse des ombres elle serait désormais.
 
Son hôtesse s’arrêta devant un piédestal, vraisemblablement en pierre. Sur ce dernier siégeait apparemment une sorte d’armure dotée d’une aura propre des plus intimidantes, propice à repousser tout être normalement constitué et possédant un minimum d’instinct de survie. Yasuha n’était pas de ceux-là, que ce puisse être pour le meilleur ou pour le pire. Avant même que la déesse ne donne sa bénédiction, elle put ressentir une sorte de connexion inexplicable s’établir entre elle et la mystérieuse armure, comme si la nature de leurs pouvoirs respectifs était issue d’une source similaire et entraient naturellement en phase. Enfin une protection qui saurait se montrer digne de la jeune fille, pas comme cette vulgaire réplique de métal qu’on avait osé lui refourguer sur l’île maudite.

- « Ouais, je la sens bien celle-là. Je la veux ! », répliqua-t-elle tout simplement, en guise de réponse à l’invitation lancée par la divinité.

Par contre, elle n’était pas encore prête à abandonner le vestige de son passé et de sa colère, le tatouage figé qui ornementait son dos. Cette marque indélébile représentait le chaos qui l’habitait depuis sa renaissance, tout comme elle symbolisait la vengeance qui ne manquerait pas de frapper ses ennemis. Et qui sait… Peut être n’était-elle pas la seule à avoir échappé à la chute, peut être retrouverait-elle un jour un de ses semblables : cette marque serait alors une preuve irréfutable de son ancienne affiliation. De toute façon, les deux choses ne seraient pas incompatibles…

Yasuha appela à elle les atours de Némésis par l’intermédiaire de sa cosmo-énergie, comme si elle souhaitait manipuler les ombres abyssales. L’armure répondit à son appel en changeant de texture et en enveloppant la belle tel un symbiote recouvrant son hôte. La sensation, bien que surprenante, n’était pas désagréable.

- « Je suis certaine qu’elle met en valeur mes fesses comme jamais. Je l’adore déjà. Je suppose que tu as déjà réfléchi à quelques petits trucs pour débuter les festivités ? », questionna-t-elle pour faire la conversation.