Lors de sa discussion avec Ntikuma, Azir suggéra que quelque chose se tramait autour de Death Queen Island après avoir mentionné la mystérieuse délégation. Blueman ne comprenait rien à ces histoires, d'autant plus que le forgeron n'avait pas jugé pertinent de répondre à sa question. Cela ne l'aidait pas à saisir cette affaire, aussi se demandait-il s'il ne devait pas juste piquer un nouveau roupillon. Toutefois, le Lion s'adressa à lui en lui rappelant que s'il respectait la force des deux scélérats, il désapprouvait en revanche leurs méthodes et leur immoralité. Le punk aurait gloussé face à ces mots si son interlocuteur n'avait pas ensuite révélé qu'il les avait défendus lui-même, jusqu'à prétendre devant les envoyés de la Confrérie Noire que l'ignoble duo était six pieds sous terre. Voilà qui était tout simplement désarmant : existait-il donc réellement des paladins vertueux et altruistes de ce genre en ce bas monde ? Si tel était le cas, le voyou devait avouer que c'était assez inquiétant... Il avait du mal à envisager le fait qu'un humain puisse faire sincèrement preuve de générosité de manière si désintéressée. Pour lui, ces individus constituaient l'espèce la plus stupide qu'il pouvait imaginer, tant et si bien qu'il doutait même de leur existence. Quoi qu'il en soit, tout ce qui comptait était de savoir comment exploiter leur naïveté à bon escient. Hélas, il était compliqué pour Blueman de se mettre le roi de la jungle dans la poche avec la dent que ce dernier avait contre lui.

Le forgeron interrogea ensuite le voyou sur l'identité des personnes qui chercheraient à l'éliminer, lui et son ancien maître. Dans l'immédiat, il ne voyait personne d'autre à part la foule hystérique de Misery prête à juger au tribunal populaire les deux criminels pour ensuite les pendre de façon expéditive. Si seulement Azir et l'alchimiste pouvaient être plus précis dans leurs propos au lieu de parler de manière cryptique, ce serait déjà mieux.

"De tous nos ennemis ?" grommela le soudard tatoué en lisant le morceau de papier que lui avait tendu Ntikuma. "Tu sais que tu m'facilites pas la tâche ? A part tous ceux que nous avons lésé à Death Queen Island, j'vois pas grand chose..."

Il se gratta le crâne avec perplexité puis commença à réfléchir longuement. Soudain, son expression faciale changea comme s'il avait eu une révélation transcendantale. Blueman froissa alors le papier dans sa main droite qu'il tapa contre sa paume gauche, montrant ainsi qu'il avait déniché une réponse. Légèrement incertain du résultat malgré tout, il partagea son idée à l'auditoire :

"Hum... Maintenant que j'y pense, j'crois qu'avant d'partir pour la Palestre, nous nous sommes un tout petit peu fâchés avec Éris... La déesse de la Discorde, vous savez ? Ouais, en fait on l'a carrément insultée. C'était p'têt pas le truc le plus intelligent à faire après réflexion."

Toujours assis en tailleur, le punk ferma les yeux, croisa les bras et hocha la tête tout en se disant intérieurement que lui et l'Oiseau de Paradis auraient dû s'abstenir. Il laissa l'information être digérée par le Chevalier d'Or et le forgeron afin qu'ils appréhendent l'ampleur de la gaffe. Vu où ils en étaient, les deux affreux n'avaient plus rien à cacher, alors autant que le voyou tatoué raconte toute l'histoire. Si cela se trouvait, peut-être que donner ces informations pouvait inciter le Sanctuaire à se montrer plus indulgent envers lui ? Blueman n'en savait strictement rien, mais il ne pouvait laisser filer une telle occasion de sitôt. Il tenta donc le coup et s'empressa de cracher le morceau :

"Pour vous donner le contexte du bazar, sachez qu'après que Reagan ait répondu à votre... hahem... annonce, l'autre mégère est venue nous rendre une petite visite. J'pense qu'elle a dû être impressionnée par notre talent pour foutre le merdier, bien qu'vous ayez mis du vôtre de ce côté- bref ! Elle est venue proposer au débile en chef de rejoindre ses rangs moyennant une faveur qu'il ne voulait pas du tout lui rendre. Et là, vous vous demandez sûrement de quelle faveur j'cause ?"

Un sourire malicieux aux lèvres, le punk se tourna vers Ntikuma et le désigna du doigt. La suite du récit allait devenir plus facile à avaler maintenant qu'un confident du culturiste se trouvait sur les lieux.

"Ntikuma mon copain, tu te rappelles que Reagan voulait faire la peau d'une certaine Yasuha ?" lui demanda le punk en substance. "Pour te la faire courte Azir, c'était une Black Knight comme nous. Elle l'avait laissé se faire défoncer sa race lors d'une mission qui avait fini en fiasco total, et l'attardé mental ici présent n'a pas super apprécié d'avoir été le seul à essayer de remplir son contrat jusqu'au bout. Mission d’Éris au passage, mais m'demandez pas pour quoi c'était, j'en sais que dalle... Bref ! Lors d'un voyage à Ubar pour se renseigner sur la conclusion du bordel, Reagan avait décliné une première tentative de recrutement d’Éris, car son ego était encore trop dégonflé pour accepter cette offre. J'dis bien première, parce que nous en arrivons maintenant à la seconde tentative sur laquelle j'vous avais laissé ! Il se trouve qu'elle voulait qu'Reagan lâche la grappe à Yasuha, sous prétexte qu'elle était dans son armée. Quand il a appris ça, le mec était tellement énervé que même la promesse de l'immortalité -ouais sans déconner- en échange de son abandon ne pouvait le faire renoncer à sa vengeance... Puis cette tête de mule a injurié la Discorde, vous voyez le topo. Bon j'avoue, j'en ai rajouté moi-même une couche pour rigoler, mais voilà..."

Voilà la conscience et la confidentialité professionnelles qui passaient à travers la fenêtre ! Le soudard tatoué jeta finalement un œil à Reagan, qui ne semblait pas réagir à ses paroles. Le premier pensait que le deuxième allait être psychologiquement secoué par l'histoire qu'il venait de conter. Heureusement, le catcheur éclopé était toujours aussi amorphe que lors des précédentes minutes. Blueman le laissa donc à sa catatonie pour s'en retourner à sa conversation avec l'alchimiste et Azir.

"Voilà vot' piste, mais j'peux rien vous garantir." les prévint-il. "Faudrait qu'vous m'parliez de cette fameuse délégation là, histoire d'être sûr et certain."

Faute de quoi, c'était retour à la case départ : la populace de Misery qui chercherait à lyncher les deux truands. Le punk voyait mal Éris s'exposer à ce point juste pour réclamer la tête de ceux qui l'avaient insultée. Les déesses pouvaient être terriblement susceptibles quand elles s'y mettaient et il valait mieux se planquer plutôt que de subir leur rage. Ou serait-il possible que la progéniture de Nyx ait un autre objectif à l'esprit ? Non, ce serait accorder trop d'importance à des raclures de basse extraction comme Reagan et son complice...

Le Lion était sceptique. En effet, il n’y avait aucune magie dans ce bracelet, et s’il devait avoir une bonne valeur monétaire, ce n’était rien de bien intéressant pour un éveillé, mais ce n’était pas à ça qu’il servait. Mais de toute évidence, il ne réalisait pas encore ce que Ntikuma lui offrait, aussi ce dernier décida de lui montrer de quoi il avait été capable par le passé. D’un simple effort de concentration, il insuffla un peu de cosmos dans le boa de Reagan, qui s’illuminait et se mit à virevolter dans la cellule, prête à protéger son propriétaire. L’encapé se désigna d’une main, pour bien montrer qu’il contrôlait le phénomène, puis d’un simple mouvement de poignet en fit apparaître un identique autour de son cou. Celui-là n’avait aucune capacité cosmique, mais le message était clair : c’était lui qui l’avait créé, et il pouvait facilement faire autre chose avec d’autres pouvoirs. Un autre message finit de donner les détails.

« Quand vous portez ce bracelet, vous êtes mon client, et personne sur Death Queen Island ne fait de mal aux clients. Ça n’a pas besoin d’être un boa, mais mes pouvoirs peuvent vous apporter beaucoup de soutien dans vos prochains combats. »

Mais que Blueman ne se méprenne pas, il n'y avait pas de bonnes réponses à la réponse de Ntikuma, rien qu'il ne pouvait lui donner du moins. Mais comme le petit être allait bientôt apprendre, il y en avait des plus mauvaises que d'autres, et avouer que les deux voyous avaient insulté directement la déesse de la Discorde dans leur horrible croisade était définitivement la pire chose à faire. Son visage masqué enfoui dans ses mains, le forgeron secouait lentement la tête avec découragement pendant qu’Azir hurlait sa colère aux prisonniers qui, il allait l’avouer, l’avaient plus que mérité. Inutile cependant de lui rappeler que l’existence même des Black Knights était une insulte aux dieux, personne n'avait besoin de cette conversation, ils feraient mieux de se concentrer sur les réels problèmes qui avaient été engendrés et travailler ensemble pour que les combats ne continuent pas et que des innocents cessent de se retrouver pris entre deux feux. Plus facile à dire qu'à faire, s'il advenait que Blueman avait raison et qu'ils avaient affaire à la Discorde elle-même, la dernière chose à faire était d'agir de façon impétueuse. Écartant ses mains pour pouvoir prendre une grande inspiration, le petit forgeron attendit que le Saint se calme un peu pour reprendre ses réflexions silencieuses. Le pire des scénarios semblaient maintenant bien évident : d'autres Chevaliers Noirs s'étaient alliés à Eris ou avaient même déserté l'Ordre pour la rejoindre et maintenaient leur identité pour saboter les mercenaires restants. La meilleure option restait que ces femmes avaient vraiment reçu l'ordre de se débarrasser de Reagan après ses nombreux désastres et qu'après trop de temps passé à l'endurer, elles avaient obéi avec joie. Peu importe de quoi il s'agissait vraiment, et peu importe dans quelle nuance la vérité allait vraiment se présenter, le rôle de l'alchimiste allait rester le même : aider tout ce beau monde à se calmer un peu.

Pour l’instant, le Lion demandait aux mercenaires s’ils connaissaient une femme aux cheveux verts portant une armure représentant un lézard. Après quelques secondes de réflexion, la silhouette rouge secoua tristement la tête, cette description ne lui disait rien du tout. Cela dit, il pouvait peut-être interroger les gens du village pour récolter plus d’information.

« Je peux trouver quelqu’un qui la connait. Vous avez raison, elle est peut-être la seule à pouvoir clarifier cette histoire. »

Sans surprise, Blueman se fit copieusement enguirlander par Azir et sentit l'exaspération poindre chez Ntikuma suite à son récit. Il ignora les réprimandes et attendit qu'on lui décrive cette fichue délégation, ceci afin de savoir quel type d'action il devrait prendre. Le punk ne voulait pas non plus s'engager dans une galère qui lui coûterait la vie sans réfléchir et accuser à tort une divinité qui pourrait le réduire en cendres en un éclair. Au moins, il était sûr d'engluer le Sanctuaire dans un bourbier monstrueux, ce qui constituait déjà pour lui une grande source de divertissement. Il devait vraiment se fixer sur un choix d'endroit où se planquer par ailleurs, il en aurait besoin avec l'orage qui s'annonçait à l'horizon. Le Lion interrogea finalement les mercenaires à propos d'une fille à la chevelure verte avec une Armure Noire évoquant un lézard. Malheureusement, le voyou tatoué ne voyait absolument pas de qui il s'agissait, car il ne connaissait pas toutes les greluches de la Confrérie Noire. L'alchimiste masqué n'en savait probablement guère plus que lui, les laissant ainsi sans la moindre idée de ce qui se tramait.

"Ça m'dit rien, désolé." répondit Blueman, fatigué que les choses en restent au point mort. "Pour Yasuha, Reagan m'avait parlé d'une japonaise assez normale, blanche comme un linge et aux cheveux noirs comme de l'encre. Apparemment elle était du genre gouailleuse, à trop causer et à se la péter comme c'est pas permis... T'as croisé une nana comme ça de ton côté Azir ?"

Soudain, il entendit une sorte de bruit sourd à l'intérieur de la cellule, comme une sorte de grondement étouffé et prolongé. Le punk s'aperçut alors qu'il était émis par Reagan, qui paraissait de plus en plus crispé et nerveux à l'écoute de la conversation. Qu'est-ce qui avait bien pu le faire réagir comme cela ? Se pourrait-il que les références répétées à Yasuha commencent à l'exciter, ou bien piquait-il spontanément une crise d'angoisse ? Le soudard peinturluré fit une grimace inquiète, plissa les yeux et se rapprocha des barreaux, au cas où il aurait à s'enfuir en catastrophe. Cependant, l'Oiseau de Paradis semblait bloqué sur ce stade et demeura parfaitement immobile. La tempête paraissait donc loin d'eux pour l'instant, à moins que Blueman ne décide d'attiser la colère de son ancien patron... Après réflexion, il allait éviter de jouer avec le feu pour le moment, c'était plus prudent.

Saluant son nouvel allié d'une petite révérence théâtrale, Ntikuma attendit quelques secondes après son départ pour observer les deux prisonniers, puis s'adossa contre la porte pour se laisser glisser au sol, laissant échapper un soupir de lassitude. Le voilà donc garant de la bonne conduite de Reagan et de son voyou d'acolyte, du moins jusqu'à ce qu'un procès ait lieu et que justice soit rendue… mais combien de temps avant que ça n'arrive? Des heures, des jours, des semaines avant qu'il ne recouvre sa liberté et puisse retourner à ses errances, sans avoir à craindre la menace qu'était l'Oiseau du Paradis? Pas que ce devoir l'ennuyait, au contraire, mais il n'était pas gardien, et ses voyages lui manquaient déjà. Fermant les yeux pour chasser ses pensées négatives, le petit forgeron concentra son énergie sur autre chose qui lui permettrait autant de passer le temps que de transmettre quelque chose d'un peu plus apaisant ; plutôt que de conter, il allait créer.

Son cosmos était bien moins éparpillé, maintenant qu'il s'agissait de la source et non d'un débordement de son pouvoir, et l'Araignée devait se forcer de « communiquer « son ressenti au mercenaire déchu, bien que ce dernier pouvait encore sentir sa présence et peut-être était-ce suffisant pour le calmer. Lentement, tout doucement, des pièces apparaissaient et se mettaient à flotter autour du petit être, qui assemblait le tout sans même prendre connaissance du reste du monde, laissant de côté ses tracas pour se laisser absorbé par son travail. Cette sérénité et cette passion tranquille ne se contaient pas, ne se partageait pas bien, il ne pouvait que les vivre et souhaiter que Reagan, même dans son état, soit capable de s'y intéresser.

Ensuite, peut-être aurait-il le temps de voir le coucher de soleil.