**********
Le valeureux s’élèvera,
Rempart des hommes.
Le courage triomphera,
Hérault de la destinée.
**********

Souhaitant rompre avec la tradition d’un autre âge, le nouveau Pope avait émis le souhait de délaisser la robe blanche officielle et le casque ornemental incrusté d’or et de pierres précieuses. En lieu et place des atours de ses prédécesseurs, le jeune finlandais avait opté pour la confection d’un costume deux pièces blanc dans un des satins duchesse les plus raffinés, agrémenté d’une paire de chaussons couleur immaculée de type Oxford. Le tout était complété par une chemise à jabot en coton, blanche également, avec encolure et manches en dentelles fines. Les armoiries d’Athéna étaient gravées sur chacun des boutons dorés du complet, ainsi que tissées au fil d’or sur l’avant supérieur gauche de la veste. A défaut de l’imposant casque des Popes, Hakon avait opté pour un masque de titane sans expression, lequel était recouvert de fines feuilles d’or afin de lui donner un aspect semblable aux visages des totems des armures composant l’élite du zodiaque.

Quelques heures à peine s’étaient écoulées depuis qu’il avait donné l’ordre d’annoncer officiellement son ordination au rang de grand Pope, Représentant terrestre de la Déesse Athéna et leader des forces du Sanctuaire. Il n’avait pas souhaité en être là et aurait préféré ne pas hériter de ces fonctions. Il n’avait pas tellement eu le choix mais ne se défilerait pas pour autant.

Dans un premier temps, il avait émis le souhait de rencontrer personnellement et individuellement chacun des chevaliers d’or. S’il avait déjà pu se faire un avis sur chacun de ceux qu’il avait brièvement cotoyé, il préférait une rencontre officielle pour affirmer sa position, tout en sondant les motivations et la fidélité de tout un chacun. L’ordre d’or représentait l’élite de la chevalerie sainte, le phare illuminant l’humanité au sein des flots les plus obscurs de l’adversité : aucun ne devra trahir ou faillir le moment venu…

- « Faites entrer le premier chevalier d’or, je vous prie. », ordonna avec égard le jeune albinos.

Il fallut que le premier soit Azir, celui-là même qui l’avait agacé lors de son réveil dans le temple du Verseau, celui-là même qui avait assisté à la fin tragique de la dernière réincarnation de la nièce de Poséïdon, celui-là encore qui avait subi les foudres du dangereux Reagan… Si Hakon devait le qualifier en cet instant, ce serait d’aimant à ennuis (pour demeurer poli). Le lion d’or avait un don surnaturel, bien malgré lui apparemment, pour les embrouilles. Il sembler toutefois bénéficier de deux qualités indéniables : un sens moral admirable, à la limite de la naïveté, et une propension incroyable à la survie, que d’aucun qualifierait de chance insolente.

- « Je suis heureux de vous revoir en si bonne forme, Azir du Lion. J’avais cru comprendre que le criminel Reagan ne vous avait pas ménagé, aussi me voyez-vous soulagé… », annonça avec enthousiasme l’ancien atlante lors de l’entrée du chevalier d’or dans la salle d’audience.

Le chevalier des glaces ne laissa guère le temps à son interlocuteur de répondre et enchaîna aussitôt avec force conviction :

- « Je ne vais pas y aller par quatre chemins : je souhaite savoir si je peux compter sur vous pour accomplir la volonté de notre déesse et protectrice. Etes-vous prêt à défendre le faible et l’innocent contre le vil et le ténébreux ? Renouvèlerez-vous votre allégeance à Athéna en jurant fidélité à son Sanctuaire et à son Représentant terrestre, fier Lion d’or ? », exhorta habilement le nouveau Pope.

**********
Le manteau de nos doutes,
Enveloppe toute conviction.
La brume de nos émotions,
Altère toutes nos certitudes.
**********

Le moins que l’on eut pu dire, c’eut été que le Lion avait la langue bien pendue. Un résumé digne d’un devoir de français d’un lycéen, suivi d’une diatribe sur la confiance, l’honneur, la fraternité et d’autres choses tout aussi idéalistes. Le gardien de la cinquième maison commençait fort : Hakon était déjà épuisé par ses dernières nuits blanches ; il était désormais assuré qu’il aurait besoin d’un bon repos après toutes les entrevues…

- « Je vais commencer par la fin : Athéna, contre toute attente et à ma plus grande surprise, m’a choisi pour la représenter. Elle n’a pas choisi Azir du Lion, pas plus qu’Eurydice des Gémeaux, pas plus que tout autre chevalier d’or « pur souche » si j’analyse le fil de votre pensée. Croyez vous donc que notre Déesse se soit trompée ? Croyez-vous donc que cette marque soit falsifiée, ou encore que le pouvoir divin qui coule dans mes veines soit usurpé ? », questionna de manière purement rhétorique le jeune albinos.

Le ton employé se voulait volontairement autoritaire pour créer un malaise chez le chevalier d’or. Douter de ce grand Pope improvisé reviendrait à douter d’Athéna elle-même, ce qui dans la psyché de l’égyptien conduirait vraisemblablement à reconnaitre un parjure. Quoi qu’il puisse en être, le détenteur de l’héritage de Camus et d’Isaak ne souhaitait pas épiloguer sur sa légitimité.

- « Je vous pardonne votre audace pour cette fois. Sachez que je ne suis pas un frère pour vous ; je suis bien au-dessus de toutes ces considérations désormais. Si vous le souhaitez, voyez-moi plutôt comme un père, tantôt bienveillant, tantôt autoritaire. De même, vous n’êtes pas un pion, mais un guerrier divin dont les missions principales sont de protéger le Sanctuaire d’Athéna contre tout envahisseur et de conduire les forces de notre Déesse au cœur d’un territoire ennemi si la conjoncture le nécessite. Vous êtes l’élite des chevaliers et je suis votre commandant. Mon rôle, d’un point de vue guerrier, est d’éviter les conflits et les pertes inutiles, tout en vous donnant les meilleures chances de réussite dans le cas contraire. C’est aussi simple que ça. Aussi, je ne saurais que trop vous conseiller de mesurer vos propos à l’avenir. », expliqua ensuite l’ancien porteur du Verseau sur un ton moralisateur.

Ce genre d’explications n’auraient pas été nécessaires dans le royaume atlante. La structure hiérarchique des marinas étant essentiellement militaire, chacun connaissant son rôle et sa place au sein de la chaîne. Comme il avait pu le constater, le Sanctuaire avait été laissé trop longtemps à la dérive, au bord de l’extinction programmée si la barre n’était pas redressée à temps. Le message que le finlandais souhaitait faire passer aujourd’hui, c’est que la démocratie n’avait pas cours au sein d’une emprise divine et que pour remporter une guerre, il fallait des guerriers unis, pas des individualités se confrontant sans cesse et n’en faisant qu’à leur tête.

- « Bien, j’en ai terminé avec les sermons. Je ne vous ai pas fait mander pour cette raison à la base. Comprenez bien que le Sanctuaire est un peu comme le corps humain… Et pour fonctionner correctement, le corps a besoin d’un cerveau, certes, mais surtout d’une colonne vertébrale solide pour coordonner les membres et faire interface avec le cerveau. Vous, chevaliers d’or, êtes cette épine dorsale. Vous êtes à la fois ambassadeurs d’Athéna et parangons pour vos frères d’armes de bronze et d’argent. J’ai besoin de vous pour mener à bien les desseins de notre Déesse. D’un point de vue plus personnel, j’ai pu observer votre empathie envers les plus jeunes et votre fort instinct protecteur. Aussi, je souhaite vous nommer au poste de Directeur de la Palestre : vous pourrez vous assurer que la pédagogie soit adaptée pour former au mieux nos chevaliers de demain, tout en évitant la création de nouveaux Reagan. Bienveillance et fermeté, vous aurez besoin de ces deux faces d’une même pièce pour réussir. Alors qu’en dites-vous ? », ajouta le jeune Pope sur ton beaucoup plus détendu.

Quant à la probable connexion entre Reagan et Eris, c’en devenait inquiétant. La nécessité de rassembler de sérieuses informations sur les intentions de la sœur de Thanatos et sur la localisation de son domaine était plus importante que jamais, ne serait-ce qu’à titre préventif.

- « Dites m’en plus sur votre rencontre impromptue avec cette délégation, ainsi que sur votre entretien avec nos prisonniers, je vous prie. »

**********
Le doute plane ici-bas,
Tel un vautour affamé.
La fatalité nous guette,
Telle une ombre tapie.
**********

Le chevalier à la chevelure d’or semblait satisfait de sa nomination à la tête de la Palestre. Avoir un chevalier d’or responsable du centre de formation ne pourrait que motiver plus avant le personnel encadrant, ainsi que les élèves. Côtoyer un symbole vivant de la puissance d’Athéna et du Sanctuaire ne pourrait générer que l’excellence.

- « Votre prise de fonction prend effet dès à présent. Je vous laisse le soin de régler les détails administratifs avec Phidias à l’issue de cette entrevue. », répondit le Pope sans détour.

- « J’attends principalement deux choses de votre part. La première est la reconstruction de la Palestre, ainsi que le renforcement de ses défenses. Ce site fait partie intégrante du domaine du Sanctuaire et devra désormais être traité comme tel – les chevaliers d’argent et de bronze pourront prendre quartier là-bas s’ils le désirent. La seconde est l’adaptation de nos méthodes de sélection et d’évaluation, afin d’identifier le plus rapidement possible les éventuels cas incompatibles avec la charge de chevalier et ainsi les renvoyer dans leur famille avant de les transformer en ‘Reagan’. Je souhaite également que notre enseignement soit renforcé sur les aspects liés à la survie et à la rusticité : nos aspirants doivent être préparés à la guerre, pas à la paix. », expliqua-t-il ensuite sur un ton totalement détaché.

Il savait que l’avenir pourrait se troubler sans prévenir. La disparition de Poséïdon avait rompu l’équilibre des forces divines en présence, la prochaine guerre sainte pourrait être la dernière. Tous devraient donc être préparés au pire…

- « Par ailleurs, si vous le souhaitez, vous pourrez vous adjoindre les services d’un chevalier d’argent ou de bronze pour superviser pensionnaires et instructeurs. Un instructeur principal en quelque sorte. », suggéra-t-il pour conclure sur ce sujet.

Le chevalier du Lion exposa ensuite les évènements auxquels il avait été confronté, depuis la visite d’un détachement féminin peu orthodoxe aux révélations du duo macabre le plus célèbre de la toile. Les interprétations du gardien d’or étaient peut-être avérées, ou peut-être pas…

- « Dans notre monde, il convient d’être sûr et certain de ce que nous avançons, seul le factuel et les preuves irréfutables comptent. Toutes accusations ou suppositions non avérées peuvent mener à une guerre. La dernière guerre sainte d’Atlantis est née de quelques mots mal choisis – de nombreuses vies de valeur ont été perdues ou brisées par ce fait. », évoqua, non sans une pointe de nostalgie, le représentant d’Athéna au regard du récit du Lion.

Le gardien de la cinquième maison avait toutefois présenté plusieurs éléments intéressants et sur lesquels il conviendrait d’enquêter en temps voulu. Que ces affaires soient liées ou indépendantes, chacune attisait la curiosité du stratège atlante : Eris et Reagan, les chevaliers noirs et Reagan, les chevaliers noirs et Eris… Beaucoup de fils à démêler…

- « J’ordonnerai une enquête approfondie autour de ces évènements. Ne vous en déplaise, vous n’y participerez toutefois pas ; vous êtes beaucoup trop impliqué à chaque fois. Vous semblez par ailleurs détenir un don surnaturel pour les ennuis : je préfère donc vous savoir éloigné de tout ce méli-mélo pour l’instant. », ajouta-t-il sans équivoque.

Azir et Ntikuma, même combat : deux idéalistes idiots mais quelque peu attachants...

**********
L’horizon se voile,
Ténébreux nuages.
L’avenir se trouble,
Obscures destinées.
**********

- « Bien que faisant partie du Sanctuaire, le complexe de la Palestre n’a aucune valeur stratégique. Seuls quelques individualités comme ce Reagan seront assez stupides pour déverser leur rancœur en ce lieu. Nous débloquerons les ressources nécessaires pour que notre académie reçoive les meilleures protections possibles. Toutefois, je n’affaiblirai en aucun cas la voie d’or pour une dépendance. », enchérit l’albinos à la proposition d’Azir.

Les douze temples avaient été bâtis et dissimulés sur le versant le plus abrupte et difficile d’accès d’un mont proche d’Athènes. Le centre de formation des Saints, de conception bien plus récente et contemporaine, demeurait proche du domaine originel d’Athéna, tout en étant, pour des raisons évidentes, bien plus accessible. En cas de guerre sainte, l’objectif est de dominer l’armée adverse, tout en forçant la divinité associée à l’impuissance pour des siècles et des siècles, le tout dans le but ultime d’imposer sa domination et/ou son idéal. Et ensuite chaque protagoniste panse ses blessures et reconstitue ses forces pour la prochaine confrontation, le tout dans un cycle perpétuel existant depuis des temps immémoriaux… C’est ce dont il avait notamment été question lors de la dernière grande guerre contre les spectres d’Hadès.

- « Si le Sanctuaire venait à subir les assauts d’une force malveillante, tous les chevaliers d’or devraient se mettre en ordre de bataille pour défendre les maisons du zodiaque ; la Palestre passerait en second plan et serait sacrifiable le cas échéant. Toutefois, nous avons un devoir de protection envers nos novices. Aussi, ne puis-je que vous orienter vers la conception d’une échappatoire, sous la forme d’une voie d’évacuation secrète depuis les geôles actuelles vers la mer par exemple. Enfin, c’est à vous de voir, Monsieur le directeur… », ajouta-t-il à l’attention du Lion d’or.

L’égyptien insistait sur le cas du petit forgeron de l’île noire, présentant un bracelet similaire à ceux que l’étrange encapuchonné lui avait remis pour Eurydice et lui-même. Le (ou la) dénommé(e) Ntikuma semblait animé(e) d’une propension hors du commun à vouloir sauver le plus grand nombre, même lorsque ces derniers ne pouvaient ou ne voulaient plus être sauvés…

- « Eurydice des Gémeaux et moi-même avons eu affaire à cet étrange bonhomme. Je l’ai même aidé à sauver la vie d’une personne et ai reçu les mêmes gages en retour. Je pense que, sans dévoiler quoi que ce soit de nos secrets ou affaires, nous pourrions lui faire confiance dans une certaine mesure. Plus tard, vous pourrez aller à sa rencontre pour voir de quoi il retourne concernant ce bracelet. », affirma l’ancien porteur du Verseau.

L’entretien touchait à sa fin. Il s’était révélé plus fructueux que le finlandais n’aurait pu l’imaginer de prime abord. Celui-là était fidèle à sa vocation et ne fuirait pas devant ses responsabilités, quelles qu’elles puissent être…