Cette ville était un mensonge. Derrière chaque fenêtre de ces immeubles à bureau "ordinaires" se trouvait une cachette idéale pour un sniper, et il pouvait jurer que les caméras de sécurité dispersées un peu partout le suivaient du regard. Quelqu'un avait-il réussi à glisser un micro dans son sac? Y avait-il une voiture qui le suivait depuis son arrivée? Chaque ruelle était l'endroit parfait pour cacher une équipe d'intervention, ou même un autre éveillé... et la méfiance de Théo réveillant d'anciennes craintes qui se superposaient à sa situation actuelle... Était-ce une ceinture explosive sur ce passant? Avait-il une chance de s'en sortir si la rue était minée? Il n'avait pas envie d'être là, il ne se sentait pas en sécurité, il ressentait constamment le besoin de garder Cassandre, la Sainte qui a avait offert de l'aider dans ses recherches, derrière lui pour s'assurer qu'elle soit sauve en cas d'attaque. Mais savoir que Colombe était peut-être encore ici, et qu'elle ne comprenne pas le danger qu'elle courait, ou pire encore, qu'elle l'ait réalisé trop tard, était une assez grande motivation pour rester.
Cette ville ne lui donnait pas l'impression d'être une ville, seulement un mensonge. C'était un piège qui n'attendait qu'un faux mouvement pour se refermer sur eux.

Ce ne serait sans doute pas si mal s'il n'avait pas à utiliser son cosmos, une fois de temps en temps, pour tenter de ressentir l'énergie de la Petite Ourse, mais le Québécois faisait de son mieux pour y aller à petites doses, comme le flash d'une caméra, pour qu'au moins si quelqu'un le remarque, il serait impossible à retracer. Son armure avait été sortie de sa boîte et démontée pour entrer plus facilement dans un sac à dos discret, mais il pouvait sentir que ça ne lui plaisait pas et il devait faire des efforts pour la calmer une fois de temps en temps, pour s'assurer qu'elle ne finisse pas par simplement se reformer dans un grand flash et le force à trainer l'énorme boîte en bronze devant tous les passants d'une métropole encore sous la loupe du monde après le fiasco Reagan. Il avait bien hésité à porter des vêtements de civils, mais au final avait opté pour son ancien uniforme militaire habituel, il n'allait pas se mêler très bien à la foule mais les gens avaient tendance à le trouver plus sympathique quand ils réalisaient qu'ils avaient affaire à un soldat.

Après avoir fait un premier grand tour du centre-ville en compagnie de Cassandre, sans succès, la Grande Ourse sortit son portable et appela Amphion, qui l'avait prévenu de ce qui s'était passé à New York.

-Ouin, Amphion? On est arrivés, mais y a aucune trace de Colombe en nulle part. Non, toujours pas de nouvelles... Non, on a pas été voir à la mairie encore, j'va garder ça pour la fin si j'ai vraiment rien trouvé.

Après avoir raccroché, le vétéran expliqua la situation au Serpentaire: Amphion allait tenter de les aider en localisant le téléphone de la Petite Ourse, mais il avait besoin d'un peu de temps pour récolter l'information dont il avait besoin pour y arriver. En attendant, les Saints pouvaient continuer leur recherche sur le terrain, de préférance en commençant à interroger les passants. Il allait lui proposer d'autres lieux à ratisser quand le cosmos dans son dos se mit à augmenter, et il put sentir que son armure avait enfin échappé à son contrôle.

-Oh non, non, non non non non non NON!

Oubliant tout de la Serpentaire, le grand Québécois fonça vers la ruelle la plus proche, la seule discrétion qu'il pouvait espérer avoir maintenant. Il y eut un grand flash dorée alors que les pièces lévitaient hors du sac appelaient la Box à eux. La panique s'empara de Théo, qui ne pouvait rien faire d'autre que monter la garde en espérant que ce ne soit pas trop long. Il détestait ce moment, quand son identité était visible par tous, et il gratta les cicatrices dans son cou avec nervosité, mais par chance personne ne semblait avoir été attiré. Ce qui ne l'empêcha pas de lancer un regard meurtrier en direction de l'armure de la Grande Ourse trônant fièrement entre deux bennes à ordure, dans toute sa splendeur.

-Mange. D'la. Marde.

Depuis que Cassandre avait ouvert la missive du Grand Pope, elle s’était tue, et ruminait. Elle n’avait pas ouvert la lettre immédiatement, non, la jeune femme ayant attendu d’être dans le jet avant de déchirer le papier par le coin, d’en sortir le contenu et de le parcourir des yeux. Plusieurs fois. Presque dix fois. Au début, la grecque pensait avoir mal compris. Puis elle avait pensé à une blague, sans doute de mauvais goût. Enfin elle l’avait rangée dans son enveloppe, puis posée sur la tablette face à elle, se mordant la lèvre inférieure sous son masque. Elle avait essayé d’échanger quelques banalités avec son compagnon de voyage, mais c’était peine perdue, son esprit étai totalement concentré sur le message qu’on lui avait transmis. Elle devait devenir l’apprentie de sa sœur.

Si le Canadien avait remarqué son changement drastique d’humeur, il ne l’avait pas souligné. Peut-être que son inquiétude l’empêchait de voir que Cassandre était passée de feu à glace ? C’était compréhensible. Après tout, si le chevalier perdu à New York était son amie, alors il avait sans doute du mouron, et l’esprit clairement occupé. En tout cas, la jeune femme essaya de comprendre ce qui avait bien pu pousser le dirigeant des chevaliers à opter pour une telle idiotie. Quelques années auparavant, on l’avait humilié, lui refusant le droit d’opter pour l’armure des Gémeaux, et, alors qu’elle avait enfin fait le deuil et accepté son sort – celui de rester un chevalier intermédiaire – on lui demandait de rejeter ce nouveau statut pour refaire d’elle une élève ?

Il en était hors de question.

Elle ne revivrait pas une telle situation, encore moins sous les ordres de sa jumelle. C’était … inconcevable. Elle avait beau l’aimer de tout son saoul, Cassandre ne pourrait accepter de la voir autrement que comme sa sœur. Si elle comprenait bien qu’elle était, théoriquement, son supérieur, elle ne pouvait si facilement la hisser au rang de maître. C’était impossible. C’était … c’était l’atterrissage surtout. Et la Grande Pomme, ou plutôt, le tarmac des vols privés de l’aéroport JFK, un Uber qui sentait un peu le sapin chimique, puis Manhattan.

Le grand Canadien semblait soucieux, et pas qu’un peu. Il avait opté pour une combi militaire, essayant tant bien que mal dissimuler sa carrure parmi les non éveillés. La jeune femme n’avait pas fait cet effort. Son masque bien ancré sur le visage, un veston et un Jean Pradas assortis, elle attirait le regard partout où ils passaient. Ce n’était pas que le masque d’ailleurs. Elle semblait rayonner. Car si le grand gaillard avait éteint son cosmos, ce n’était pas le cas du chevalier d’Argent. De toutes façons, s’ils étaient en danger, ils pourraient traverser un portail dimensionnel et prendre la poudre d’escampette. Elle ne comprenait pas réellement cette prise extrême de précautions. Alors qu’elle allait le questionner à ce sujet l’armure de Théo pris les devants. Quelques secondes plus tard, ils étaient dans une ruelle à essayer de la cacher des passants.

« Et bien, et bien… On dirait qu’elle ne veut pas rester à sa place, ton armure. » L’armure de la Grande Ourse toisant le duo sans une once de doute. « Tu devrais la laisser là. Au pire, personne ne pourra s’en approcher, et elle ne te suivra pas partout. A moins … » Une idée saugrenue traversa son esprit : « Théo, est-ce que ton armure n’ignorerait pas tes ordres ? »

Elle connaissait plusieurs personnes à qui cela était arrivé. Certaines armures n’acceptaient que moyennement de se plier à leur porteur, et n’en faisaient qu’à leur tête – quand bien même elles n’en avaient pas. Ce n’était pas le cas de la grecque : son armure était encore en Bulgarie. Elle avait bien compris qu’il fallait mieux ne pas forcer la jeune femme à la porter, si elle ne voulait pas finir vendue sur ebay. Elle croisa les bras sur son torse. « Il faut t’imposer un peu mon grand. Oh, c’est quoi ça ? Ce ne serait pas ton téléphone qui vibre ? »

« Cassandre ne partageait pas sa prudence » était sans doute la meilleure façon de décrire l’insouciance de sa supérieure face au concept. Alors que Théo en était rendu à engueuler son armure sacrée après que celle-ci ait dévoilé sa présence à tous les éveillés dans les parages, la Serpentaire ne faisait aucun effort pour cacher son cosmos et même sans armure, le masque sur son visage suffirait à n’importe quel initié pour l’identifier. Peut-être était-ce une bonne chose, vu la nature de leur quête, s’ils pouvaient trouver quelques sympathisants qui les mettraient sur la piste de Colombe, mais ce serait oublier que cette petite idiote avait débarqué en ville en annonçant à tout le monde qu’elle voulait les conquérir. Qu’est-ce que ça disait d’eux, maintenant?

-Oh, a va rester là l’esti, on va voir si a va encore faire la fière après cinq minutes toute seule dans une ruelle de New York. J’pourrais laisser une canne de peinture en spray à côté, hein?

Mais après avoir observé la situation un peu plus, Cassandre lui posa l’ultime question : et si son armure lui désobéissait? La Grande Ourse fronça les sourcils en cherchant la meilleure façon de lui répondre sans être trop sarcastique. Oh, et puis tant pis.

-Hm, chais pas hein, ça expliquerait ben des affaires! Genre comment qu’a veut pas être séparée, ou réarrangée, pis surtout comment qu’elle a juste le don pour partir des batailles. T’as-tu déjà entendu parler de ça toé, des armures bagarreuses?

Il n’allait pas lui expliquer tout ça en détails, il ressassait déjà suffisamment ces vieux souvenirs comme ça, mais le point restait que son armure était bien trop têtue pour… une armure, cosmique ou non. Et la Silver Sainte avait raison, il allait devoir apprendre à s’imposer s’il ne voulait pas se retrouver dans des combats qu’il n’avait pas choisi, ou pire, abandonné au moment où il en aurait le plus besoin…
Pour sauver Colombe.

Sa collègue lui fit remarquer que son téléphone sonnait, mais le soldat ne fit aucun geste pour le décrocher. Un étrange bourdonnement emplissait sa tête alors qu’il fixait le masque inexpressif de Cassandre sans dire un mot, sa respiration de plus en plus forte. Tous les mêmes…

-La Sainte qu’on cherche, elle a presque l’âge à ma fille. Comme toi, j’pense ben. Comme ben d’autres. Seule raison pourquoi qu’on est icitte à chercher, c’parce que ses niaiseries ont attiré l’attention des bonnes personnes. Ça t’fait pas peur, de savoir que ça peut arriver vite de même, à n’importe qui?

Avec un soupir, la Grande Ourse sortit enfin son téléphone de sa poche et pris l’appel. Amphion s’était calmé un peu, mais il avait un autre problème : il avait besoin d’un mot de passe pour tracer le téléphone de Colombe, mais pour réinitialiser le mot de passe, il fallait répondre à quelques questions de sécurité. De quoi faire frissonner le Québécois.

-Ooooh non, si c’est ses questions à elle, même moi j’peux pas t’aider mon gars. À moins que… hey, Cassandre! Si j’te demande ton idole de secondaire, c’est quoi la réponse la plus folle que t’es capable de m’donner? C’est pour la mission…

Le cas de l’armure était, sinon unique, au moins rare. Jamais elle n’avait entendu parler d’un tel cas, mais d’un autre côté, si elle avait baigné dans la culture Athénienne depuis longtemps, elle ne connaissait pas toutes les histoires et mythes que les protections divines pouvaient inspirer. Il était tout à fait envisageable qu’une protection décide par elle-même. Elle avait même entendu parler des Ecailles des Marinas, qui vivaient carrément leur propre vie. « Ecoute je ne peux pas vraiment t’aider, je n’ai pas trop ce genre de relation avec la mienne. Dans tous les cas, je suppose que ça doit être à toi de voir. Une armure qui veut en découdre … cela ne me semble étonnant, je n’en ai jamais entendu parler, mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas. »

Elle avait donc le même âge que sa protégée … et que sa gamine. Sans vouloir faire de philosophie de comptoir, Cassandre pensait comprendre mieux son besoin de venir chercher sa petite protégée. Après, elle n’avait pas toutes les cartes en main. Si ça se trouvait le grand gaillard avait un faible pour les jeunes femmes en détresse – ce qui n’était pas spécialement le style de la grecque, ceci dit. Mais cela ne semblait pas correspondre au peu qu’elle avait pu apprendre du Canadien, non. Il s’agissait plutôt d’un bonhomme à bon fond, sous ce gros tas de muscles.

« Peur ? Non. » La réponse avait été intuitive, et immédiate. La peur n’était pas une sensation qu’elle connaissait. La honte ou la colère, parfois. Mais la peur ? A quoi bon. « Je suis capable d’ouvrir le sol d’un coup de pied, ou de créer des portails dimensionnels. Si je tombe sur plus fort que moi, c’est que c’est la vie, c’est tout. C’est comme ça que nous avons été élevées. » Elle savait que sa sœur était pareil. Elle avait beau avoir bon fond, Eurydice n’était clairement pas de celles qui se faisaient du mouron. Pour elle ou pour les autres. Il était inenvisageable que sa sœur, arme ultime du sanctuaire, ne connaisse cette sensation.

« Ton amie a de la chance de t’avoir. » Lança-t-elle, tout en se demandant si ceci dit, il lui rendait un service en venant la chercher. N’apprenait-on pas plus de nos erreurs que de nos réussites ? Elle n’en était pas sure. Elle avait autant appris de son apprentissage en Bulgarie que de son échec en Grèce, mais peut-être était-elle un cas isolé ?

Théo proposa une idée, qui, si elle semblait saugrenue, pouvait marcher. Ou du moins, aurait pu marcher si Cassandre avait été une fille un peu comme les autres. Ou si la personne qu’ils cherchaient avait eu les mêmes goûts que la jolie grecque. Ce n’était sans doute pas le cas mais … Quitte à chercher une épingle dans une botte de foin, autant commencer par quelque part. Par exemple … Le chevalier du Serpentaire ne répondit pas, elle se contenta de pointer du doigt une affiche un peu abîmée collée sur le mur. Elle devait avoir une ou deux semaines et qui annonçait le passage à New York pour un concert de Justin Timberlake.

« Une fille a besoin d’avoir un crush quand elle est jeune. » lança-t-elle. Il était sinon impossible, au moins peu probable de croiser leur cible à ce concert-là, mais …

-Ouin...

Il n'allait pas insister, parce que d'une certaine façon, elle avait raison, mais sa simple réponse évasive laissait bien savoir que Théo n'était pas convaincu par sa réponse. Bien des mots et des idéaux étaient faciles à prononcer sans savoir ce qu'ils impliquaient, et il était difficile de savoir si les jeunes éveillés était vraiment assez solide pour encaisser tout ce que la vie pouvait leur lancer. Tous ne s'y préparaient pas depuis l'enfance, et en voyant ce que ça pouvait faire aux combattants comme Leticia...
Non, ce n'était pas un monde parfait. Ça, il le savait, et il ne pouvait pas l'empêcher. Comme à chaque fois que cette réalisation venait le hanter, il fallait qu'il l'accepte et qu'il fasse de son mieux pour s'assurer que le pire n'arrive pas.

-Ha! Pas sûre qu'a pense ça, a doit m'trouver gossant en criss des fois, mais bon, on s'connait depuis un 'ti boutte déjà. On est devenus Saints quasiment en même temps, avec les deux armures d'Ours, faque rendus là ça doit être le destin. Pis une chance que y en a deux des armures d'Ours parce que sinon j'imagine pas les disputes.

Il rigola tout seul pendant quelques secondes, le temps de détendre l'atmosphère, puis se ressaisit et porta son attention sur ce que la Serpentaire lui pointait, le meilleur indice qu'elle pouvait trouver pour tenter de compléter ce casse-tête. Le grand Québécois plissa les yeux, le temps de reconnaître le visage sur l'affiche, puis réprima un frisson en faisant appel à tout son entraînement militaire, celui permettant de résister à la torture et au lavage de cerveau, pour chasser la chanson qui risquait de lui rester dans la tête pour le reste de la journée. Pourtant, il ne pouvait pas empêcher la mélodie de refaire surface, et même les images d'un certain film de lui revenir en mémoire... Non, non et non, il n'avait pas besoin de ça maintenant! Le Saint se râcla bruyamment la gorge, puis gratta sa barbe en grognant.

-Hrm, pas lui en tout cas, trop mainstream... Mais j'vais dire à Amphion de checker sur ses médias sociaux, y doit ben avoir un indice là... avec ça, il va essayer de trouver son mot de passe et localiser son téléphone. A semblait pas mal motivée à conquérir la ville, même si on s'entend que c'était vraiment cave, mais elle a peut-être été distraite par un spectacle ou... oh, tabarnak, on a pas été voir sur Broadway hein?

C'était si évident! Colombe aimait les comédies musicales, il l'avait suffisamment entendu chanter à tue-tête pour savoir ça, et ils se trouvaient dans la ville avec l'un des plus prestigieux quartiers des spectacles au monde! La Petite Ourse aurait été bien stupide d'ignorer une pareille opportunité, et la Grande Ourse se sentait encore plus stupide de ne pas y avoir penser avant. Une main sur son front, Théo fit quelques tours sur lui-même pour trouver le nom de la rue où ils se trouvaient, puis une fois bien situé il se mit en marche, Cassandre sur ses talons. Si ce n'était que ça, il n'avait plus à s'inquiéter, mais tant qu'il n'en aurait pas le coeur net...
Il avait besoin de respirer un peu. Rien ne disait qu'elle était en danger. Il fallait lui faire confiance...

-S'cuse, si ça s'trouve on a même pas besoin de s'presser comme ça. Mais c'est une bonne chose d'avoir une supérieure avec moi, parce que Colombe va avoir besoin d'une esti de bonne engueulade quand on va la retrouver. Sérieux, qui c'est qui va conquérir une ville tusseul sans permission?! C'qui m'fait penser... t'as dit que t'as été élevée de même? Tu voulais tu vraiment dire élevée pour devenir une Sainte? Si c'est pas trop indiscret...

« Oh un duo d’ours donc. Un peu comme petit ours brun, c’est mignon. » Elle avait prononcé cette phrase sans trop penser ce qu’elle disait. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas pris le temps de lire un livre pour enfants. La dernière fois datait de son enfance, sans doute, mais elle n’avait pas trop de souvenirs. Encore moins de qui avait bien pu s’atteler à la tache. Leur mère peut-être, mais c’était peu probable. Leur père ? Sans doute pas. Il s’agissait sans aucun doute d’une nounou, et pas l’un de leurs parents. Ce n’était pas tout de naître avec une cuillère en argent dans la bouche. Parfois certains gestes manquaient. Elle chassa ces idées de son esprit, et se recentra sur la situation actuelle.

Ils ne savaient donc pas trop où aller, et apparemment sa piste adolescente avait fait chou blanc. Il fallait dire que les goûts d’une adolescente étaient sans doute quelque peu différents en fonction des origines de chaque petiote. Dans le cas de la grecque, sa sœur et elle avaient beau très tôt commencé leur entrainement, ceci n’avait pas pour autant empêché un côté minaude et attrait pour le beau, le brillant. Peut-être plus pour elle que pour sa jumelle, d’ailleurs. Cette Cassandre avait cessé d’exister depuis belle lurette, et le fait d’y penser aurait presque pu la faire tomber en pleine crise nostalgique, mais il y avait mieux à faire.

« Broadway ? Hmm, je ne suis pas très Cats et le Roi Lion, mais admettons, pourquoi pas ! » Rebondit-elle à la proposition du grand gaillard. S’il avait pensé à l’avenue des théâtres et des comédies musicales c’était sans doute avec une idée derrière la tête, par exemple un amour immodéré pour les spectacles chantés ?

« Je ne sais pas trop. Si tu as l’impression d’être pressé pour une raison qui t’échappe, cela pourrait-être une intuition. Si j’ai bien appris quelque chose de mon premier maître c’est de ne pas négliger ces dernières, cela pourrait te coûter fort. » Répondit-elle, d’un seul coup très sérieuse. Il était sans doute difficile pour son interlocuteur, face à ce masque ivoire, de saisir les nuances. Lire une personne sans visage n’était pas une possibilité pour tout le monde.

« Cependant je ne vais pas engueuler ton amie. Je ne suis votre supérieure que d’un point de vue purement théorique. Je n’ai aucune envie de jouer les sergents, et … qu’est-ce que c’est que ça ? » S’arrêta-t-elle, se tournant carrément à quatre-vingt-dix degrés vers la droite.

Un cosmo inconnu venait d’entrer en jeu. S’il ne s’agissait pas de celui de Colombe, alors cela voulait dire qu’ils n’étaient pas seuls à New-York. Cela aurait été trop beau…

-On a encore le temps! Si ça s'trouve elle a pas encore acheté son billet faque on peut la pogner pendant qu'elle fait la file!

Revitalisé par les encouragements de sa supérieure, le grand Québécois se rua dans la foule sans attendre, traversant la rue là où il le voulait bien et hurlant sur les conducteurs qui pensaient pouvoir l'en empêcher avec leur petit klaxon. Malgré sa grande population New York était une ville qui se traversait très bien à la marche, encore plus pour deux éveillés à la vitesse et l'endurance surhumaine, et ils atteignirent leur destination en bien peu de temps. Au beau milieu de la journée, le prestigieux quartier des spectacles n'était pas aussi bondé qu'il aurait pu l'être, mais même dans cette ère moderne où les achats se faisaient de plus en plus en lignes, plusieurs personnes faisaient la queue devant les billetteries. Ils avaient donc deux choix, soit ils commençaient à patrouiller chaque salle dans le mince espoir de croiser Colombe, soit ils commençaient à regarder les programmations dans l'autre espoir, toujours aussi mince, de prévoir les intentions de la Petite Ourse et de l'intercepter. C'était peu, mais c'était un début.

-OK, on va commencer par faire le tour... cherche pour des plus p'tits spectacles, du genre ben weird pis obscur, elle a pas l'argent pour aller voir Cats. Mettons... aaargh, elle m'en a parlé en plus, mais je me souviens plus du nom! On va aller voir, on verra bien... qu'est-ce qui est quoi?

Les capacités de perception de la Silver Sainte étaient supérieures aux siens, Théo ne sut pas tout de suite ce qui avait attiré son attention, et il dut faire usage de ses autres sens pour repérer la menace que sa sœur d'arme ressentait. Enfin, il ne pouvait qu'assumer que c'est ce que c'était ; un faible cosmos, suffisamment bien dissimulé pour lui échapper dans un premier temps, qui émanait d'un jeune homme adossé contre le mur d'un bâtiment, vêtu d'un simple jean et d'une veste à la capuche rabattue sur sa tête, qui se remit en marche dès qu'il s'aperçut qu'il avait été repéré. Tout de suite, la Grande Ourse tenta de se souvenir s'ils avaient croisé cet homme avant, mais il était bien trop ordinaire pour avoir été remarqué avant. Ce n'était que par chance que ça arrivait maintenant, et cela confirmait les plus grandes craintes du soldat : ils étaient suivis. Avant de le perdre complètement de vue, Théo pointa l'espion à sa collègue, prêt à partir à sa poursuite dès qu'ils auraient un plan.

-Y est juste là le criss. J'peux pas l'pogner icitte, trop dangereux. Tu peux l'rapprocher avec tes portails?

S'il pouvait au moins être plus près, les deux Saints auraient une chance de le rattraper sans qu'il ne les sème dans une ville qu'il connaissait sans doute plus qu'eux. Pour la discrétion, c'était mort, mais si cet homme avait été capable de les repérer, cela voulait dire qu'il avait aussi croisé Colombe, et qu'il savait où la trouver. Dans leur malchance, ils venaient de trouver un semblant d'espoir.

Il avait vu juste. Les portails étaient utiles, en toute situation, pour se déplacer, ou pour déplacer des objets. Ces objets pouvant être animés, ou inanimés, mais restons sur la première option pour le coup. Ceci dit, il fallait éviter de se planter. Lors de ses entraînements au sein du temple des Gémeaux, plus d'une fois elle avait fait disparaître un objet dans une dimension parallèle, avant de galérer pour le faire revenir. Un petit rat était ainsi revenu mort de faim. Si la transposition de dimension était faisable, elle pouvait parfois avoir des conséquences quelque peu étonnantes, après tout, le temps ne passait pas de la même façon dans chaque plan astral.

"Je peux faire ça, et bien mieux encore." Répondit Cassandre avec un sourire, sous son masque.

Elle concentra son cosmos dans ses mains, de façon insignifiante au début, mais avec une croissance exponentielle. Quelques secondes plus tard, elle était capable de réaliser son piège. Elle créa d'abord une ouverture, au dessus d'eux, à deux mètres de hauteur. Puis elle enchaîna immédiatement avec un deuxième portail, sous les pieds du scruteur, qui remplaçait le sol en goudron.

Ce dernier, probablement surpris par l'action de la jeune femme, n'eut pas le temps de réagir, et tomba dans le "trou". Le chevalier d'argent avait du faire vite et espérait ne pas avoir ouvert le portail trop bas, mais cela ne semblait pas être le cas. L'individu tomba droit comme un i devant Théo. Ses talons touchèrent le sol, puis il s'écroula, tombant sur ses fesses.

"Bingo !"

Le Canadien lui mis la main dessus sans se faire prier. La prise de l'ours était une marque de fabrique, en général, et la Grecque espéra que l'ancien militaire ne fasse pas exception à la règle. Il était important que cet inconnu ne disparaisse pas aussitôt. Déjà parce qu'il les filait. Mais en plus parce qu'il savait peut-être où était le chevalier qu'ils étaient venus chercher. Et cela représentait un gain de temps incommensurable.

"Et bien, très cher, on joue les voyeurs ? Ce n'est pas très distingué !" Lança-t-elle narquoise. L'homme avait la trentaine, une barbe mal rasée, une tenue à la limite d'un camouflage urbain, et la surprise qui avait traversé son visage avait rapidement disparu. Ce n'était pas un simple passant qui aurait eu la malchance d'être à la fois éveillé et au mauvais endroit, pour sur. "Rien à dire donc ?"

Elle espérait de tout coeur qu'il ne s'agissait pas d'un tueur proffessionel, car cela allait impliquer un combat, en plein New York. Et ils n'avaient pas particulièrement le droit d'être là bas... Enfin. Pas vraiment !

Le Québécois était prêt ; son cosmos se concentra dans ses poings alors que sa collègue posait son piège. Ses muscles étaient tendu, ses yeux grand ouverts, mais sa respiration était lente et régulière, il se sentait comme un prédateur prêt à bondir sur sa proie… Et quand le fuyard retomba juste devant lui, désorienté après avoir été téléporté aussi subitement, la Grande Ourse réagit en un instant et asséna un puissant coup de poing entre ses côtes, qui résonna comme un coup de tonnerre et envoya l’espion au sol, mou comme une poupée de chiffon. Sans lui laisser le temps de se reprendre, Théo s’agenouilla, l’attrapa par le collet et le souleva pour approcher son visage du sien.

-Est où la fille?!

-Que… quoi? Comment…

-Niaise moi pas esti! Tu sais de qui j’parle!

Le fuyard avait de la difficulté à respirer, il tentait de se tenir les côtes sans trouver la bonne position, mais il n’était pas en danger. En se débattant, il parvint à tourner la tête en direction de Cassandre, et plus précisément vers l’énorme boîte d’argent dans son dos. Il se calma, ou plutôt fit de son mieux pour reprendre contenance, et toisa le soldat, mais ce dernier ne portait pas son armure… était-ce le bon temps pour l’appeler?

-Je vois… vous êtes avec elle…

-On est v’nu la ramener à la maison. On veut pas d’trouble. On veut juste la fille.

-C’est un peu tard pour ça… elle vient de quitter la ville.

-Pardon?!

Mais plutôt que de lui répondre, l’espion se redressa et lui attrapa le poignet, et pendant une fraction de seconde Théo put sentir son cosmos augmenter, mais il était trop tard pour se défendre. Une douleur aiguë traversa son bras et il lâcha sa cible en hurlant de douleur, et il eut seulement le temps de voir une minuscule lame de cosmos bleutée s’effacer de la main de l’espion, qui en profita pour repousser le Saint et prendre la fuite à nouveau, laissant à Théo la chance de s’occuper de son bras en sang.

-AH L’ENFANT D’CHIENNE! IL M’A DARDÉ! FUCK ÇA FAIT MAL!

Ravalant sa colère, le grand Québécois fusilla le fuyard du regard, mais fit signe à Cassandre de ne pas le poursuivre ou le ramener. S’ils repartaient à la charge, ils risquaient plus de tomber dans une embuscade, et si Colombe n’était plus en ville, ils feraient mieux de ne pas perdre trop de temps ici. Juste au moment où il voulut lui expliquer, son téléphone sonna à nouveau, et il le porta à son oreille en grimaçant.

-Amphion…? S’cuse, on a un peu une urgence là… Quoi?! Elle est où?! OK, pis elle est correcte? OK, OK, c’est ça le plus important… non, pas de problème. On ferait mieux de rentrer.

En raccrochant, la Grande Ourse prit le temps de panser sa blessure un peu avant de tenter de se concentrer pour rappeler son armure.

-Colombe est en route vers le Sanctuaire… chuis pas sûre de c’qui est arrivé, mais ça sonne pas mal rough. L’autre snoro va sûrement aller chercher des renforts, faque à moins qu’on cherche la marde on f’rait mieux de pas rester icitte trop longtemps.

La situation commençait à lui échapper des mains, et Cassandre n'aimait pas trop ça. Elle n'avait pas spécialement envie d'envoyer ad patres un éveillé, qui que ce dernier ne soit. Lorsque l'Ours frappa, elle se demanda si elle devait déjà jouer un requiem au violon - car oui, comme toute fille de la haute société, elle avait appris à jouer d'un instrument - ou si le canadien avait su retenir son poing. Tout juste. Le souffle coupé, le nouveau venu avait du mal à articuler afin de répondre au chevalier de Bronze. L'espace de quelques secondes seulement.

Car à la première occasion, l'assassin - car la grecque supposait qu'ils avaient à faire à ça - contre-attaqua et, conscient qu'il ne pourrait s'opposer à deux chevaliers pris la poudre d'escampette. Ceci dit, si le Serpentaire l'avait désiré, elle aurait pu se retrouver sur son chemin, que ce soit en traversant une porte dimensionnelle, ou en traversant l'immeuble. Littéralement. Mais cela ne semblait pas nécessaire. L'homme leur avait annoncé que la personne qu'ils cherchaient avait disparu de New York. Il avait sans doute dit la vérité, mentir ne lui aurait que peu servi.

Le Canadien pris quelques moments pour se panser les plaies, et eut une bonne idée en soutenant qu'il était probablement temps de revenir à Athènes. Cassandre n'était pas tout à fait d'accord. Pas sans faire ...

Un peu de shopping.

Car oui, elle était friande de shopping, tout comme sa jumelle d'ailleurs. Il était inconcevable de traverser le monde, sans faire au moins un saut à Manhattan et visiter quelques magasins de prêt à porter. Hors. De. Question. Elle eut un sourire mutin sous sa protection, et fit non de l'index.

"Alors là mon grand, tu rêves. Tu m'as attirée jusqu'ici, et de toutes façons l'avion ne sera prêt que dans, tout au plus, deux heures. Ca me laisse tout le loisir d'aller acheter quelques bricoles. J'ai feuilleté internet sur mon téléphone tout à l'heure, et il y a un ou deux modèles de chez Dior que je me dois d'aller regarder. Au pire, si ça ne te branche pas, attends moi à l'aérodrome !"

Le grand gaillard semblait décontenancé, et qui pouvait le critiquer. Sans attendre de voir si le géant le suivait, elle s'élança de nouveau dans la rue. Est-ce qu'on l'entendait chantonner sous son masque ivoire ??

Une bonne heure et demi plus tard, elle se pointait à l'aéroport, un sac marqué à la main. Cette mission n'avait pas été chou blanc pour tout le monde, à priori.

"Hihi, Eury va être jalouse !"