Je ne vois plus rien. Mes yeux brûlent, ma gorge brûle, mes mains brûlent, chaque parcelle de peau couverte par mon Surplis brûle… mon Surplis? Je ne l’ai même pas remarqué, l’appel est venu tout naturellement en réponse à mon sentiment soudain d’urgence, de besoin de me défendre. C’est mon armure, après-tout. Même après tout ce temps, elle me protège.
Mais de quoi?
Le flash ne dure qu’une seconde, assez pour que je me libère de l’emprise de Théo et que je recule pour me préparer à la contre-attaque, des aiguilles sortant de mes paumes comme des dagues. Il n’y a rien comme l’effet de surprise pour ramener le naturel. Mais quand la lumière s’estompe, je vois d’abord Luiza, couteaux qu’elle ne devrait pas avoir dégainés et pointés vers moi, dans une position presque identique à la mienne. Qu’est-ce qu’elle fait à me menacer comme ça? Pense-t-elle que c’est moi qui ai causé ça?
Non. Elle reste sur ses gardes parce que je suis la seule à avoir réagi aussi violemment. Les autres sont confus, oui, mais ils n’ont pas peur. Ils ne comprennent pas pourquoi moi, j’ai peur.
Théo n’a qu’à regarder l’armure qui vient d’apparaître sur son corps pour comprendre. Et il est terrorisé.
Elle ne couvre pas grand-chose. Le casque est massif, assez ridicule, le blanc et l’or du métal semblent rouillés sous la lumière des néons et entre les murs de béton. Je ne l’ai jamais vu avant, je ne pourrais pas dire de laquelle il s’agit exactement, mais je sais ce que c’est. C’est une armure de bronze.
C’est Théo portant une armure de Saint.Mais plus je le regarde, plus j’ai de la difficulté à discerner les traits de son visage, je ne vois qu’une tache floue portant une armure. Mon cosmos augmente alors que je m’approche, et une autre forme s’interpose entre nous deux. Je ne la reconnais pas tout de suite, jusqu’à ce que je voie le reflet de la lumière sur ses lames.
C’est Luiza…
C’est une ennemie.-Je le savais.Son ton est froid et posé, et elle n’hésite pas une seconde avant de foncer. Elle n’a pas eu à cacher ses armes, les Agences lui ont donné pour qu’elle puisse intervenir si quelque chose devait déraper, elle est la seule à avoir la force de le faire. J’ai envie de féliciter son pragmatisme, sa bravoure, sa stupidité pour penser qu’elle pourra changer quoi que ce soit en m’attaquant.
Je n’en pense rien. Ça ne fait que me fâcher un peu plus.
-Non. LETICIA, NON!Mon poing s’abat dans les côtes de Luiza et l’envoie valser contre le mur dans un grand fracas et un nuage de poussière. La vieille Espagnole est sonnée, mais entreprend quand même de se relever, pendant que Théo recule en levant ses mains dans un signe d’abandon. Je n’ai d’yeux que pour De Assis, pourtant, et en concentrant mon cosmos vers elle, invoque une nuée d’aiguilles qui la transpercent de derrière, l’arrêtant net dans son élan.
Un choc électrique me traverse le corps et je m’écroule comme un pantin privé de ses fils. La décharge serait suffisante pour paralyser complètement quelqu’un de douleur, mais après un grognement rageur j’entreprends déjà de me relever, puis reporte mon attention sur Théo. J’entends à peine sa voix, déformée par le grincement du métal et le craquement de mes os, mais il me murmure quelque chose, des supplications sans force qui ne me feront pas tomber.
-Ça suffit…Malgré son immobilisme, il serre les poings ; son cosmos augmente, sans grande force, et le mien est décuplé en conséquent. C’est la guerre qu’il veut? Il va l’avoir! Comment ont-ils osé m’en vouloir, me reprocher de leur cacher des choses alors qu’ils ont laissé ça arriver? Un tapis d’aiguilles jaillit du sol et s’attaque aux jambes du Québécois, qui s’affale dans un hurlement, et je me jette sur lui pour enrouler mes mains couvertes d’aiguilles autour de sa gorge. Ça ne prend qu’une seconde…
Et quelque chose explose en moi. Mes os sont pulvérisés alors que je perds l’équilibre et ne trouve pas la force de me relever, et ma dernière pensée avant de perdre connaissance est que je n’arrive plus à respirer.
…
Je me réveille dans une luxueuse chambre, tellement endolorie que je ne parviens même pas à me redresser. Mes souvenirs sont flous, mais je sais que j’ai commis une terrible erreur, que je vais le regretter dès que je m’en souviendrai… Je capte un mouvement sur ma gauche et je tourne la tête en grimaçant.
-Théo…?-Qui? Ne me dis pas que tu m’as déjà oublié!Lachès? Soudainement, tout me revient. Tout mon corps brûle, je me mets à trembler, et Lachès s’approche tout de suite pour s’assurer que je vais bien. Mais l’air me manque alors que je me souviens de ce qui s’est passé, mes mains autour de la gorge de Théo, mes aiguilles qui ont transpercé Luiza… c’est comme si j’y étais encore, à le vivre, mais sans la colère qui m’aveuglait… juste la raison et le regret.
Je crois que j’ai tué mes amis.
-Calme-toi, Oblivion. C’est fini. Tu vas peut-être devoir y aller plus doucement au début, je crois qu’ils t’ont explosé un rein, mais tu t’en remettras.M’en remettre? De quoi il parle? Le regard que je lui lance laisse deviner que peu importe ce qui m’a pris, il n’en est pas complètement sauf, et le général des Squelettes déclare qu’il va me laisser me reposer avant de se lever et de quitter la pièce. Lui aussi a peur, lui qui n'a jamais perdu un combat contre moi. Ce n’est que lorsqu’il referme la porte derrière lui que je craque pour de bon et laisse les larmes couler, horrifiée par ce que j’ai fait et ce que je suis devenue. Plus que jamais, je me sens observée de partout, même seule je sais que ma faiblesse ne passera pas inaperçue, mais je m’en moque.
Je suis redevenue Oblivion. Je suis rentrée chez moi. J’ai accompli ma mission.
Et je n’ai jamais autant haï ça.