Depuis son trône, le Père de Tout observait les royaumes. Nordheims était dans une situation difficile suites aux derniers conflits et il ressentait depuis un certain temps une ombre qui s’étendait sur les terres du nord, un ombre qu’il ne pouvait identifier. Si cette menace voilée le préoccupait, c’était un tout autre problème qui avait à présent attiré son attention. Une présence familière s’était réincarnée dans le monde des hommes, une sombre présence qu’il n’avait plus ressentit depuis la bataille du Stavkirke qui avait vu son propre retour, celle de la reine des enfers nordiques. Au début, cette présence était diffuse, difficile à percevoir, mais elle devint avec le temps de plus en plus clair. Ce fut vraiment à l’instant où il commença à ressentir que l’influence de la fille du fourbe avait un réel impact qu’il décida d’envoyer ses corbeaux, Hugin et Munnin voir ce qu’il en était.

Le Seigneur des batailles put constater le résultat du réveil de la déesse des morts. Par l’entremise de ses messagers, il put assister à la mort du village sous l’influence funeste de Hel. Le Borgne ne s’était pas attendu à un retour aussi rapide de la sombre déesse. Elle aurait dû prendre beaucoup plus de temps à se remettre des blessures qu’il lui avait lui-même infligé, et encore plus longtemps avant d’une nouvelle fois défier la volonté du Patriarche des Ases. Pensif, il l’observa se diriger vers les Royaumes du Nords, mais seul, sans armées, sans guerriers pour la soutenir. Le Maitre de toute Magie offrit un morceau de viande à ses deux loups alors qu’il s’interrogeait sur les motivations de la déesse, s’amusant du coin de l’œil de l’affrontement de ses deux compagnons.

Au bout de longues minutes, Odin décida d’intervenir. Se levant de son trône, il se dirigea vers l’extérieur, immédiatement suivit de ses loups. À l’extérieur, l’attendait Sleipnir prêt à mener son maitre à destination. Odin ordonna à ses corbeaux de continuer à surveiller la progression de la reine des morts, Geri et Freki quant à eux se rendraient également sur place pour s’assurer qu’elle n’approcherait pas d’un endroit habité et lui barrer la route le cas échéant. Quant à lui, il se rendit dans un premier temps au village qui avait subit les conséquences du retour de la déesse. Il laissait cette dernière poursuivre sa route, encadrer à distances par ses compagnons, lui voulait savoir si la mort de ces pauvres mortels était un simple dommage collatéral ou un acte volontaire. Il parcouru le fjord, à la recherche d’indice, il vit les actions de Hel, les restes des sépultures des défunts, il pouvait sentir les interrogations des habitants prit dans l’étreinte de la mort sans comprendre pourquoi ou comment avant d’être attiré dans l’au-delà. Pas de signe de violence, pas de massacre, tout s’était fait le plus calmement du monde. Le Seigneur du nord en concluait que tout cela était un simple accident, mais connaissant son auteur, il ne pouvait écarter d’emblée l’autre option. Il était néanmoins temps pour lui de se rendre à la rencontre avec sa « nièce », la fille illégitime de son propre frère de sang. En se remettant en scelle, il eut une pensée pour les autorités norvégienne lorsqu’elles découvriraient qu’une bourgade complète avait disparu. Sleinpnir s’élança de lui-même, sans que son maitre n’aie eut à lui donner le moindre ordre. Il savait où est-ce que son vieux compagnon désirait se rendre et il pouvait l’y transporter plus rapidement que quiconque, se déplaçant à une vitesse bien supérieur à celle des éveillés.

De retour dans les terres du Nord, dans les alentours de Magnir, Odin se concentra pour localiser la position de sa cible. Elle s’était dirigée vers le cimetière des déchus, consciente de la présence des corbeaux et en profitant pour jouer avec eux. Hugin et Munin se contentaient de l’observer à une certaine distance, les deux corbacs connaissant parfaitement le danger que pouvait représenter leur cible, tout au plus se contentaient-ils de virevolter autour d’elle de temps à autre et de croasser en réponse à ses paroles. Odin les rejoignit, toujours monté sur sa monture, et fit usage de son Hamr divin en s’approchant pour faire se lever de puissants vents et se charger le ciel, indiquant l’arrivée d’une tempête. Il ne s’agissait guère d’une démonstration de force, Hel connaissait de toute façon la puissance du Père de tout pour l’avoir expérimenté à ses dépens. Son but était plutôt de décourager les mortels vivant sur ces terres de mettre le nez dehors. Il ne voulait que certains de ses fidèles puisse pâtir de cette rencontre entre lui et sa « nièce ».

Peu de temps avant qu’il n’arrive au cimetière, la neige commença à tomber et un blizzard s’était lever, les silhouettes inquiétantes de Geri et Freki se découpait dans alors qu’ils surveillaient les environs, deux grands loups sombres au regard féroce fixant sans la moindre crainte la déesse et son nouveau corps. Finalement, le Père de Tout arriva, sa monture à huit pattes portant le dieu à la barbe grise dans le cimetière, se dirigeant vers la position de Hel.

À aucun moment il n’avait tenté de dissimuler sa présence, sachant que la déesse des morts savait qu’il viendrait. Il n’était pas équipé pour le conflit, portant sa lance, recouvert de Blakappa, son manteau et de son chapeau, Sidhottr. Il ne ressemblait pas à un roi mais à un sombre vagabond. Il observait d’un air sévère la déesse de son œil valide alors que de son autre orbite une lueur en émanait, signe de sa puissance.

- Que me vaut ton retour, très chère nièce ? Ne penses-tu pas que ta dernière visite à provoquer suffisamment de catastrophes ainsi ?

L’attitude d’Odin était polie mais ferme. Il n’était pas venu dans le but d’affronter la fille d’Angerboda, mais était néanmoins prêt à intervenir s’il s’avérait qu’elle était revenue avec des intentions hostile. Sa poigne se serra sur le manche de sa lance pour raffermir sa prise. Sa cape et sa longue barbe flottait avec le vent.

- Tu t’es trouvé un nouveau corps à ce que je vois, ceci explique ton retour précoce.

La réincarnation d’un dieu dans un nouveau corps était toujours quelque chose de particulier. La personnalité de la divinité était souvent influencée, parfois malgré elle, par son corps d’emprunt. Certaines divinités tentaient de contourner le problème en prenant possession de cadavre où en réduisant à néant l’esprit de l’ancien possesseur du corps, pour n’avoir pour corps qu’une vulgaire marionnette. Mais cette tactique était courir le risque d’avoir un corps d’emprunt moins résistant. Athéna et d’autre pour leur part choisissait parfois la réincarnation pure et simple, mais ils étaient alors influés par leurs expériences pendant que le corps prenait en maturité. Visiblement, Hel possédait un caractère plus « enfantin » dans cette incarnation. L’espace d’un bref instant, il revit des souvenirs de l’enfance de la déesse, à l’époque où il l’avait ramené avec son frère Fenrir en Asgard pour tenter de les éduquer. Elle s’était lié d’amitié avec Baldr à l’époque, c’était la dernière fois qu’il l’avait vu aussi joueuse. Mais le Père de Tout n’était pas être à se laisser guider par ses émotions et il n’appréciait pas plus l’apparente désinvolture de Hel pour la mort des proches de son corps d’emprunt. Descendant lourdement de son destrier, il reprit son sermon.

- Je te parlais de ta tentative de prise du pouvoir lors de la guerre des fléaux. Quand toi et tes frères avez tenter d’écraser mes fidèles et de vous emparez de Nordheims. Mais ce qui est arrivé aux gens de ce fjord est effectivement tragique. Tu étais une élève douée dans mes souvenirs, à l’époque où nous t’avons enseigné la magie et la maitrise de ton Hamr. Comment ton pouvoir à put à ce point échapper à ton contrôle ?

Le Père de Tout n’interrogea pas les raisons du choix de Hel pour ce corps plutôt qu’un autre. Pourquoi lui répondrait-elle de toute façon ? Les raisons de ce genre de choix ne suivaient pas toujours une logique, parfois il ne se faisait que par pure opportunisme, la divinité ayant repéré un corps qu’il jugeait accessible et s’en emparait. Le Père de Tout s’avança vers la déesse au visage à moitié décomposé, l’observant d’un regard inquisiteur, tentant de déceler ses pensées. Hel affirmait avoir tirer les leçons de sa défaite et désirer se rallier au maitre d’Yggdrasill. Ce ralliement était-il sincère ? Rien n’était moins sûr, mais le Père de Tout était confiant sur le point que si Hel le proposait, c’est qu’elle pensait y voir son intérêt. Le Père de Tout était néanmoins intrigué par la notion « d’intérêt commun » de la déesse des morts.

Restant silencieux, le Père de Tout continua à s’avancer, il finit par mettre la main sur le cercueil d’améthyste. L’homme qui avait périt à l’intérieur avait vécut il y avait bien des siècles, il était un être vil et cruel qui avait jadis crut être au-dessus des lois. Cela lui avait valut ce sort, être trainé au cimetière des déchus par le guerrier de Delta et être scellé dans ce cercueil. Une exécution cruelle, où la victime s’était vu enfermer vivante et peu à peu son énergie, sa vie, son Hamr vidé par cette prison. Les porteurs de la Järnskinn de Delta étaient craints pour cela, ils étaient les guerriers divins se confrontant à ce que l’humanité avait de pire, et ils en expurgeaient ceux qui étaient déjà au-delà de tout salut, c’était l’une de leurs missions. La rumeur prétendait qu’être enfermé dans l’un de ces cercueils ôtait toute possibilité de rejoindre le Walhalla et destinait ses victimes à la plus sombre des infamies que Helheim pouvait offrir. En réalité, il n’en était rien, l’âme des braves enfermé dans l’améthyste n’était pas hors d’atteinte pour les filles d’Odin, mais il n’en agissait pas moins d’une mort horrible. Ce cimetière était destiné aux déchus, ils étaient un rappel du sort qui attendaient ceux qui attiraient le courroux des dieux, et que nulle pitié ne pouvait être attendu. Un endroit où Hel devait se plaire, mais aussi un lieu lui qui devrait lui rappeler que la miséricorde n’était pas la qualité première des dieux du nord.

- Tu es consciente qu’il n’est pas dans mon intérêt que ton navire se finisse de sitôt ? Et que les guerriers périssant en brave ne te sont pas destinés ?

D’une simple impulsion de son Hamr divin, le meurtrier d’Ymir fit voler en éclat le cercueil d’Améthyste. Le cadavre contenu à l’intérieur s’écrasa lourdement sur le sol avant de se réduire en poussière. Hugin et Munin commencèrent à croasser de plus belle pendant que le hurlement des loups se fit entendre. Le calme revint rapidement quand le Très Haut se retourna lentement vers Hel. Le vieux souverain portait le poids des millénaires, il semblait fatigué par ce conflit éternel qu’il menait contre le destin lui-même, mais son aspect n’en restait pas moins noble et terrible. Dominant son interlocutrice de toute sa haute taille, le dieu aux corbeaux arborait un masque d’impassibilité, s’apprêtant à répondre à la demande de Hel.

- Hel Lokidottir. Mieux que quiconque, tu sais qu’après tes actions je ne peux simplement faire comme si rien ne s’était passé. Trop de sang à couler.

Odin pointa alors sa lance sur Hel, la pointe de son arme pile à l’endroit où Odin l’avait transpercé lors de la bataille du Stavkirke. Tout son cessa, le vent ne soufflait plus, la neige sembla se figer dans les airs. Tout fut comme si le temps lui-même avait, en cet instant, cessez de s’écouler.

- Je serais en droit de te renvoyer en ton royaume ici et maintenant. Cela pourrait épargner à Nordheims et ses habitants nombres de malheurs. Néanmoins, de toute ta fratrie maudite par le destin, tu es celle qui à le plus de chance d’être sauvé. Et je me souviens qu’à la mort de mon fils chéris, Baldr, tu m’as offert une chance de le récupérer, bien que ce fut vain. Aussi, à mon tour je t’offre une chance de servir le nord. Mais il te faudra t’en montrer digne avant que je ne t’autorise à agir librement.

La bonté que le Père de Tout faisait en cet instant n’était pas purement désintéressé. Détruire Hel sur place ne ferait que la bannir quelques temps et, au mieux, la ferait se tenir à carreaux… au pire, elle deviendrait une ennemie implacable des Ases à tout jamais. Hel survivrait au Crépuscule des Dieux, et transporterait sa haine avec elle. Mais surtout, le Protecteur des Guerriers préférait pouvoir garder un œil sur son encombrante nièce plutôt que la savoir dans la nature.

- Avant que je ne t’autorise à donner ton avis sur la direction des Royaumes du Nord, tu devras me prouver que je peux te faire confiance. Me suis-je bien fait comprendre ?

Bien que son visage restât parfaitement impassible, le Très Haut était amusé de la vivacité d’esprit de la fille du Fourbe. Elle comprenait la situation dans laquelle elle se trouvait. Sa réaction à l’évocation du nom de Baldr ne passa pas inaperçu non plus, il avait probablement été le seul véritable amis que Hel eut durant son séjour parmi les dieux. Le Père de Tout releva légèrement sa lance, ne la pointant plus sur la poitrine de son interlocutrice. Les choses reprirent leurs cours autours d’eux.

- Tu comprends vite. C’est une qualité que j’ai toujours appréciée chez toi. Et tu as raison sur notre destin, nous pouvons seulement retarder notre chute, pas l’empêcher.

Le Père de Tout vit Hel faire apparaitre sa propre Järnskinn et en retirer Sult, son couteau. Elle s’entailla la main. Lorsqu’elle tendit sa paume ensanglanté Odin l’observa, elle s’apprêtait à faire un serment avec son sang sur la lance de son souverain. De sa main libre, le Borgne attrapa sa « nièce » par le poignet, mais si la poigne du Père de Tout témoignait de la force et de la rudesse de main ayant plus qu’à leur tour servit à manier les armes, mais il faisait preuve d’une certaine forme de délicatesse.

- Je n’ai pour l’instant aucun ordre à te donner, Maitresse des morts. Mais si tu tiens à prouver ta bonne foi, pose ta main sur le manche de Gungnir.

Doucement, la poigne du maitre des Ases dirigea la main de Hel. La hampe de la lance du roi des dieux était richement ouvragée, de nombreuses runes et symbole s’entremêlant. Créé à partir d’une branche de l’arbre monde, Odin y avait gravé les lois auxquels même les dieux devaient se soumettre, ainsi que les serments auquel lui et les siens étaient liés. Ci-et là, quelques minuscules fissures apparaissaient, symbolisant les pactes de jadis qui furent brisé. Prêter serment sur la lance du Patriarche à la Barbe Grise revenait à prêter un serment qu’il était impossible de violer sans en payer le prix, un serment des plus sacrés, y compris pour les dieux et même eux en subiraient les conséquences en cas de parjure. La main du Gardien des Runes relâcha le poignet de la déesse au visage mutilé avant que la main de cette dernière ne touche cet artefact, c’était à elle de choisir si oui ou non elle prêterait ce serment, il ne s’agissait pas d’une chose qu’il était en droit d’imposer.

Odin écouta avec attention le serment que prêta la reine de Helheim. Un serment important où la déesse révélait sa volonté avec néanmoins certaines précautions dans la formulation de celui-ci. Encore une preuve de la vivacité d’esprit de son interlocutrice, digne de son père. Il pouvait aussi y percevoir l’amour fraternelle qu’elle continuait à éprouver envers ses deux frères monstrueux. Hel avait toujours été une élève intelligente, comme il avait pu le constater durant son séjour à Asgard. Si la relation entre le Père de Tout et Hel avait été respectueuse à cette époque, le roi des dieux ayant sincèrement tenté dans un premier temps d’intégré Hel et Fenrir au Hof (Jörmungand était déjà trop dangereux à l’époque), il n’avait jamais ressenti à proprement parler de l’affection pour la progéniture de Loki, depuis trop longtemps leurs visages avaient hanté ses cauchemars alors qu’il avait des visions de la dernière bataille. Trop souvent il les avait vu causer la chute des siens. Mais il avait néanmoins ressenti de la pitié à leur égard en constatant qu’ils étaient aussi prisonniers de leur destin qu’il ne l’était lui-même. Un simple sourire apparut sur le visage du Père de Tout.

- Et moi, Alfathir, je reçois ton serment, puisse-t-il être sincère, et te garantit que tu seras traité en toute équité selon tes actions à venir et non pour tes actes passés. Ton habileté dans l’énonciation de ce serment me rappelle que ton père t’a peut-être trop souvent sous-estimé. Ce qui fait de toi un être indéniablement dangereux.

De la bouche du seigneur des Ases, il ne s’agissait pas forcément d’un reproche. Reconnaitre ouvertement la dangerosité d’une personne était aussi une manière de reconnaitre sa valeur, et donc qu’on préférait la savoir dans son camp. Le dieu-chaman releva sa lance et en admira le manche, localisant l’inscription scellant leur pacte. Il posa ensuite sa main sur l’une des épaules de la déesse des morts, comme pour la félicité. Le Père de Tout n’avait jamais été démonstratif dans ses preuves d’affection, même à l’égard de ses propres enfants, ce geste était peut-être ce qui s’en rapprocherait le plus à l’égard de Hel.

- Quand Loki m'a apprit votre existence, je connaissais déjà le rôle que le Wyrd vous avait attribué. J’ai néanmoins tenté de vous arracher à l’influence Angerboda, dont la haine à notre égard était sans limite, en espérant que vous élevé parmi nous pourrait tromper le destin… Cela n’eut que pour effet de vous donner de vrais raison de nous haïr. Encore maintenant, je me demande si cela aurait put réussir si j’avais agi différemment, si comme Sleipnir vous auriez pu devenir de fidèle alliés d’Asgard. J’ai étudié la tapisserie des Nornes, le Ragnarök n’est qu’un nœud dans celui-ci, un endroit où tous les fils de notre destiné se rejoigne. Il s’agit d’un évènement inévitable, mais les trois sœurs sont des créatures joueuses, et elle nous laisse libre du chemin que nous emprunteront pour arriver jusqu’à ce moment fatidique.

C’était cette vérité qu’avait découvert le Père de Tout et qui permettait aux Ases de ne pas sombré dans le fatalisme à la connaissance de leur destin. C’était cela qui donnait la force au Borgne pour continuer à affronter le destin et à repousser le moment du Crépuscule des Dieux, car il savait que ses actions compteraient. Car il voulait s’assurer que la rien ne pourrait compromettre la renaissance du Hof et d’Yggdrasil à la suite de ce conflit cataclysmique. Milles fois depuis la mort de Balder, le Ragnarök aurait pu se déclencher, milles fois le Père de Tout et les siens étaient parvenus à le retarder. Ce petit jeu ne pourrait pas durer éternellement, il en était conscient, mais il espérait gagner assez de temps.

Le Seigneur des Corbeaux s’écarta alors de la déesse et ramassa quelque chose à l’endroit où se trouvait jadis le cercueil d’Améthyste qu’il avait détruit. S’asseyant contre le tronc d’un des arbres pluriséculaires qui entouraient le cimetière des déchus, le vieux souverain commença à tracer des signes runiques sur le sol. Quand cela fut fait, il ouvrit sa main et lâcha la poussière mêlant les restes du cadavre et l’améthyste qu’il avait ramassé et observa où ces particules se posèrent. Ses deux corbeaux vinrent se poser sur ses épaules comme s’ils tentaient à leur tour de comprendre le fonctionnement du rituel qui se passait sous leurs yeux. Dans le jeu de lumière des cristaux d’améthyste et de la neige, semblaient s’inscrire très brièvement certains symboles runiques.

Pendant que le Père de Tout observait les signes, Geri et Freki s’était rapproché. Si le premier restait assez farouche à l’égard de la déesse des morts, le deuxième se rapprocha pour renifler la main de celle-ci. Plus loin, Sleipnir grattait le sol à la recherche d’un peu d’herbe à manger. Le demi-frère de la déesse des morts avait beau avoir pour mère le Fourbe, il était devenu le plus fidèle compagnon d’Odin et était la preuve que l’engeance du Forgeur de Mensonge n’était pas vouée à suivre les traces de leur géniteur. Après quelques minutes, Odin fit signe à Hel d’approcher.

- Nordheims est en ce moment très vulnérable, les derniers conflits, que ce soit contre tes fléaux ou contre les hordes de Surtr, ont décimé toute une génération de guerriers divins et nombres de braves avec eux. Une nouvelle génération de valeureux est en train de se lever pour défendre les terres du nord, mais elle apprend encore ses devoirs. Et pourtant, je sens depuis longtemps maintenant qu’une nouvelle ombre est en train de s’étendre sur ces terres, un ombre qui échappe autant aux sens de Heimdall qu’à mes tentatives de percer sa nature.

Le regard d’Odin se porta sur la déesse des morts. Oui, le Père de Tout avait à un instant cru qu’elle pourrait être cette ombre qui menaçait les royaumes du Nord, mais il était à présent évident qu’il n’en était rien. Attendant l’avis de sa nièce sur la question, le roi des dieux du nord sortit de sous sa cape une longue pipe à l’ancienne ainsi qu’une bague à tabac. Tout en invitant son interlocutrice à s’installer aussi confortablement que ces lieux le permettaient, il remplit sa pipe d’herbe à tabac et alluma ceux-ci tout en écoutant l’avis que Hel aurait sur la situation. Le Père de Tout s’était mit à fumer la pipe depuis quelques siècles, il avait commencé à pratiquer cela suite au retour d’un de ses nombreux voyages, celui-ci par-delà les océans.

Alors que Hel faisait part de ses théories sur la nature du mal que le Père de Tout ressentait, ce dernier tira longuement sur sa pipe, aspirant la fumée de celle-ci avant de la recracher sous des formes variées. Créer des formes de fumées était un passe-temps qu’il appréciait beaucoup et qui nécessitait une certaine maitrise de soi. Son interlocutrice semblait encore une fois vouloir diriger les efforts d’Odin vers l’extérieur, vers les terres du sud, vers les autres panthéons. Les Olympiens avaient en effet déjà prouvé qu’ils étaient capables d’avancer cachés si cela servait leurs intérêts, ce n’était donc pas impossible. Mais ce n’était guère ce que son instinct lui disait.

- Possibilité intéressante… mais concernant Poséidon, je connais déjà les êtres responsables de sa chute pour avoir assister à celle-ci. Le maitre de l’Atlantide à subit de terrible blessures de la main des dieux Nippon lorsqu’il a tenter de s’en prendre à leur archipel. Peu de temps après, les atlantes se sont repliés sur eux-mêmes et on a plus entendu parler d’eux depuis, ce sont là des signes qui ne trompent pas. Mais je garderai la possibilité d’une ingérence extérieure à l’esprit pendant que je continuerai mon enquête

L’inspirateur des Scalde tût néanmoins le fait qu’il avait découvert d’autres choses à propos du Roi des mers qui confirmaient sa déchéance actuelle. Pensif, les pensées du dieu des connaissance se penchèrent sur le cas de Loki. Il était sûr que son maudit frère de sang avait contribué à la l’avènement de cette ombre, mais ils étaient bien deux menaces séparées. Il grommela dans sa barbe quelques paroles plus destiné à lui-même et de toute façon difficilement compréhensible. Un croassement de Munin attira le regard du Père des Ases vers Geri, voyant ce dernier apprécier les caresses de la déesse des morts, cela n’étonna guère le dieu car de ses deux loups, Geri avait toujours été un peu plus porté sur les comportements charognard que son frère. Soufflant un nouveau nuage de fumée dans les airs, celui-ci se déploya progressivement avant de prendre la forme d’un corbeau puis se dissipé dans le vent.

- Dans tous les cas, il faudra qu’on identifie cette menace, je continuerai à chercher mais reste aux aguets d’événements te paraissant inquiétant ou inhabituel. Tu es intelligente et tu as accès à certaines ressources qui m’échappe à moi-même, ton aide pourrait s’avérer précieuse. Mais il nous faut aussi penser à ton cas.

Le dieu à la lance se releva calmement et se planta devant la déesse des morts. Il porta la main en direction du masque cachant la moitié du visage de Hel, attendant la permission de cette dernière pour le retirer et voir la moitié morte de la déesse des morts. Le contraste était d’autant plus saisissant quant on pouvait voir la finesse des traits de la moitié vivante.

- Qu’elle pitié que Angerboda, ta mère, eut dès le début désiré vous engendré avec Loki dans le but de faire de vous des outils pour la chute des miens. Pendant tout le temps où elles vous à porter, elle à accomplis des rituels pour vous rendre aussi puissant et repoussant que possible, espérant, peut-être à raison, que cela me pousserait à vous rejeter et vous considérer comme des monstres.

Odin avait pu voir lorsque lui et ses guerriers avaient prit d’assaut le repaire souterrain de la Géante les signes laisser par les rituels. Une magie puissante, mais primitive et cruel. Il avait toujours caché a la fratrie la nature des rituels pratiqué par leur mère, mais cette dernière avait été jusqu’à sacrifier son propre cœur dans celui-ci pour que ses enfants soient débarrassés des sentiments qui pourraient compromettre leur mission.

- Nous ne pouvons pas juste annoncer au monde ton retour, les blessures de ta dernière incursion sont encore trop vives. Mais je ne désire pas non plus te confiner et ne faire appel à toi que lorsque j’en aurais besoin. Aussi, je te propose qu’en attendant qu’on trouve une occasion pour te faire apparaitre sous un meilleur jour, je t’apprenne à dissimuler la moitié nécorsé de ton corps. Elle restera défigurée mais elle paraitra suffisamment humaine pour que tu puisses te mêler aux mortels… à la condition que tu m’évite de nouvelle hécatombe. Observe-les, et il se peut que tu découvres des choses insoupçonnés à leur sujet.

- Helheim est le monde des morts et les morts ont beaucoup de secrets. La menace elle-même n’est peut-être pas d’origine défunte, bien que nous ne puissions l’écarter, mais elle peut être lié à certains des êtres que tu garde en ton royaume. Celui-ci n’est pas que la demeure de ceux à qui une mort au combat est refusée. Elle est aussi la demeure de ceux jugé indigne de rejoindre le Walhalla par leurs actions malgré leurs qualités martiales, des ennemis des dieux qui refuseraient de toute façon de rejoindre les rangs de mon armée et d’une myriades d’autres êtres pour qui la mort ne mettra pas fins à leur haine.

L’état d’avancement de la décomposition du visage de Hel avait déjà bien avancé, bien qu’il était encore loin de refléter la véritable apparence de la déesse des morts. Mais cela ne durerait néanmoins pas, et d’ici quelques jours, la moitié de son corps aurait achevé sa déliquescence. Le Père de Tout rendit son masque à la déesse.

- Je crains que la Järnskinn de Delta ne te reconnaisse pas comme son porteur, pas plus qu’une autre Järnskinn. Le seul moyen de le faire serait de la soumettre, mais nous risquerions de perdre un guerrier divin potentiel en faisant cela. Il serait plus simple si tu te faisais passer pour une aspirante guerrière divine ou une prêtresse, mais si tu tiens à cette identité n'oublie pas que la Järnskinn ne répondra pas à ton appel, seul celui du Wyrd désignera son prochain porteur. De toute façon, si la population ne connaitra pas immédiatement ton retour, j’en informerai mes guerriers divins. Ceux-ci doivent connaitre ma volonté pour la faire appliquer. Ils tiendront leur langue si je leur demande et il n’y aura pas de malentendu de leur part s’ils découvraient ton identité.

Le Père de Tout fit un signe et Hugin décolla d’un seul coup en croassant. Il s’éleva dans les airs et fit quelques tours dans le ciel avant de fondre et d’atterrir sur le sol. Il commença à gratter le sol de ses pattes puis attrapa quelque chose d’un coup de bec avant de redécoller et la lâcher dans la main de son maitre. Celui-ci tendit alors son contenu vers la fille du Fourbe, dans la paume de sa main se trouvait un gros fragment d’améthystes. Sous l’effet du Hamr du Très Haut, sa forme se modifia pour prendre la forme d’une fibule pour attacher une cape.

- Cet objet te servira de catalyseur pour maintenir cette illusion. Ce n’est pas nécessaire, mais maintenir cette illusion nécessite une concentration constante et tes démangeaisons pourraient y nuire. Enfin, cette illusion ne fonctionnera que pour ton l’apparence de ton corps, et non pas sur ce que tu porteras.

Des maitre de l’illusion ou de la métamorphose comme Loki et Odin pourraient passer outre ce genre de désagrément, mais Hel était une déesse qui n’avait jamais eut réellement besoin de ce genre de subterfuge pour accomplir son devoir. Le Père de Tout traça plusieurs symboles sur le sol pour montrer le rituel à accomplir.

- Pour tes démangeaisons, je pourraient toujours demander à Eir, la guérisseuse des Ases, si elle connait une préparation pouvant te soulager, mais au vue de ta constitution unique, j’ai certains doutes. Le meilleur conseil que j’aurais à te soumettre, c’est de focaliser ton esprit sur tes tâches accomplir pour ne pas avoir à y penser.

Le Père de Tout émit ensuite un sifflement, immédiatement sa monture cessa de brouter et s’avança vers son seigneur. Le Père de Tout grimpa alors sur le puissant destrier à huit pattes. Il se tourna une dernière fois vers sa « nièce ».

- Je me souviens que la première raison qui à pousser mon fils à chercher à devenir ton ami fut lorsqu’il a vu que tu étais seul. Maintenant, tu viens à moi au lieu de t’enfouir dans la rancœur, je crois qu’il serait fier de voir ce que tu es en train de devenir.

Un instant après, Sleipnir s’élança en avant à grande vitesse, laissant Hel derrière lui. Ses compagnons partirent dans son sillage et cette troupe ne tarda pas à disparaitre dans la brume. Malgré tous les gestes de bonne volonté faites par la déesse des morts, le Père de Tout préférait pouvoir garder à l’œil celle-ci quelques temps encore, pour s’assurer de ses bonnes intentions, bien qu’il n’en doutât plus vraiment. Il s’interrogeait aussi sur l’apparente obstination de la reine d’Helheim pour ce qui se trouvait à l’extérieur de Nordheims. Il faudrait peut-être qu’à l’avenir, il prenne le temps de lui expliquer plus en détail les réalités de ce monde. Mais là priorité en ce moment restait de s’occuper de cette mystérieuse menace qu’il sentait grandir.