« La vache, ça caille. Je sais que c’est rien comparé au Cocyte, mais comment ils font pour vivre ici ? » s’étonna le vieillard qui, venant d’un pays chaud, n’avait certes pas le point de vue le plus objectif en la matière. Il appréciait cette petite excursion – l’air était pur, le paysage magnifique et il s’amusait toujours de voir son souffle se condenser en un nuage blanc à chaque expiration –, cependant il ne s’agissait que de cela : une excursion, quelque chose de temporaire par définition. Il avait le plus grand mal à concevoir que des gens puissent habiter ici à temps plein.

« Je suppose qu’ils ont dû s’y habituer, à force. » rétorqua la polonaise, dont la stature moins imposante la gênait pour avancer dans la neige qui leur arrivait aux genoux. Le fait qu’elle perde du temps à vérifier nerveusement et toutes les trente secondes depuis qu’ils s’étaient matérialisés à proximité des frontières d’Asgard que le précieux objet remis par Hypnos se trouvait toujours dans sa poche n’aidait pas, évidemment.

« Ça répond pas à ma question. » fit le Cyclope tout en ralentissant légèrement afin de ne pas distancer sa consœur.

« Écoute, j’en ai aucune idée, tu n’auras qu’à leur demander directement si tu es si curieux. »

« Je croyais que t'étais déjà venue ? »

« Une seule fois, et ce n’était pas pour interroger les locaux sur leur mode de vie. »

Voyant que cela ne menait nulle part, Xing Huo laissa tomber le sujet. Ils étaient presque arrivés à Magnir de toute façon ; ils auraient pu s’y rendre beaucoup plus rapidement en faisant usage de leur cosmos, sauf que cela pourrait être mal interprété par les autochtones. Aucune inimitié particulière n’existait entre Asgard et les Enfers, certes, toutefois les nordiques entretenaient des relations avec le Sanctuaire et personne n’aimait voir des éveillés débarquer à l’improviste avec un cosmos faisant feu de tout bois. Deux bonnes raisons de privilégier la prudence à la précipitation, donc.

Ceci dit, ils ne cherchaient pas non plus à se cacher. Bien au contraire même, puisqu’ils ne s’étaient pas embarrassés d’un manteau ou d’une cape de voyage pour recouvrir leurs Surplis, dont les teintes sombres contrastaient avec la blancheur omniprésente de la neige. Cela leur valut des regards méfiants de la part d’une paire de villageois sortant à ce moment-là de la petite communauté, qui furent les premiers à remarquer leur arrivée. Le duo de Spectres les salua poliment et continua d’avancer vers l’entrée du village, où plusieurs gardes en armures bordées de fourrure les attendaient de pied ferme. Leurs armes se trouvaient toujours dans leurs fourreaux, mais ils se tenaient visiblement prêts à les dégainer si nécessaire.

Excellent, ils n’auraient pas à chercher bien loin pour trouver quelqu’un qui puisse les mettre en contact avec les Guerriers Divins.

« Halte, étrangers ! Avant de vous laisser entrer à Magnir, nous devons connaître les raisons de votre présence à Asgard. » héla l’homme de tête, sans agressivité mais avec une autorité certaine. Les deux Étoiles Terrestres s’immobilisèrent à quelques mètres de la petite troupe, et ce fut Andréa qui se chargea de lui répondre : « Salutations ! Notre Dieu nous a chargés de venir nous entretenir avec les protecteurs d’Asgard. Il s’agit d’une affaire de la plus grande importance ayant trait à l’Au-delà ; auriez-vous l’obligeance de transmettre ce message aux Guerriers Divins ? Nous pouvons attendre ici si cela vous rassure. »

Les gardes s'interrogèrent par signes de tête successifs. Leur fonction principale était de tenir la frontière, d'informer les hautes instances quand quelqu'un se présentait, et en cas de conflit, de défendre aussi longtemps que possible l'endroit en attendant les renforts. Bien sûr contre des Éveillés ils avaient peu de chances d'en sortir vivants, de fait la coopération affichée des envoyés d'Hadès leur facilitait la tâche. Ainsi donc, l'un des gardes s'en alla préparer un message qu'on enverrait aussitôt après par corbeau au palais d'Odin pendant que les autres feraient patienter leurs hôtes.

Mal à l'aise toutefois d'avoir affaire à des morts - cela réveillait des souvenirs pas tout à fait indolores de la guerre des Fléaux, on pouvait sentir une tension dans l'air et ils en cachaient pas les regards méfiants qui les animaient. Celui qui avait pris la parole fit néanmoins un effort, compte tenu de l'absence de déclaration de guerre de part et d'autre :

"Nous allons faire le nécessaire, mais cela risque de prendre un peu de temps. Si vous voulez il y a de la place près du feu."

Il doutait que des morts aient vraiment besoin de chaleur, et ses camarades ne firent pas la remarque, comprenant qu'il s'agissait plus d'une invitation à la paix et à la courtoisie qu'une réelle manifestation d'inquiétude à l'égard de leur confort. Après tout, même retranchés dans leurs murs, les Asgardiens demeuraient des gens civilisés, pas des barbares sans manières.

Environ une heure et demie plus tard, le corbeau était revenu, mais pas seul. Une femme le portait nonchalamment sur son avant-bras, caressant ses plumes avec délicatesse, et un sourire malicieux au visage. Elle ne portait pas sa järnskinn mais son nom avait circulé depuis la réunion des guerriers divins présidée par Odin. Elle se présenta face aux Spectres, sous la même apparence que lors de son petit séjour allemand à Dresde : celle d'une femme assez simple, uniforme, aux cheveux blonds et yeux bleu glace.

"Comme le monde est petit."

L'oiseau quitta son bras pour retrouver le gant du responsable de la volière et elle indiqua d'un geste aux deux étrangers de l'accompagner à l'intérieur, où une petite salle avait été mise à leur disposition avec de quoi boire, grignoter et s'asseoir. Une fois installés, la déesse cachée les dévisagea tour à tour, se doutant assez de la raison de leur venue.

Depuis quelques temps, Helheim, le Valhalla et probablement le Folkvangr de Freyja semblaient se dégarnir des âmes déjà de moins en moins nombreuses qui devaient s'y rendre. Ayant usé d'un stratagème similaire sur les Enfers grecs auparavant pour permettre la libération de Fenrir, il était logique, bien que vexant, que les Spectres vinssent à nouveau demander après elle. Mais cette fois, elle n'y était pour rien et serait même tout à fait disposée à aller corriger l'impudent qui se permettait de voler Nordheims de la sorte.

"Que puis-je faire pour vous, chers invités ?"

Un court silence, et elle se permit de préciser :

"Comme vous pouvez le constater, depuis notre rencontre, ma situation a quelque peu évolué. Je suis désormais au service des guerriers divins, en tant que Delta."

« C’est très aimable à vous, mais un coin à l’abri du vent suffira amplement. » répondit Andréa à la proposition du garde de tête, tandis que Xing Huo suivait du regard celui que ses collègues avaient chargé de transmettre la nouvelle de leur arrivée. L’homme s’engouffra dans ce qui devait être un poste de garde et, un peu plus d’une minute plus tard, un corbeau sortit d’un orifice aménagé dans la toiture du bâtiment pour s’envoler en direction de l’intérieur des terres. Des oiseaux messagers, hein ? Intéressant. Et même s’il n’était pas prêt de l’avouer en compagnie de ses coreligionnaires, ça avait tout de même plus d’allure que des papillons.

Hélas, lesdits papillons semblaient avoir l’avantage de la célérité par-rapport au moyen de communication utilisé par les nordiques. Il leur fallut patienter un bon moment – heureusement que la polonaise avait insisté pour qu’ils emportent de la lecture et qu'ils pouvaient toujours recevoir des rapports de leurs subordonnés pour passer le temps ! – avant qu’un émissaire du Père de Tout ne vienne à leur rencontre. Et ce n’était pas n’importe quel émissaire…

« Ah ! Je le savais ! » s’écria le philippin en découvrant l’identité de celle qui serait leur interlocutrice. Son triomphe fut cependant de courte durée, puisque la Liche lui écrasa immédiatement le pied pour le punir de ses mauvaises manières.

« Très petit, en effet. » fit-elle alors que l’ancêtre retenait une exclamation de douleur. « Mais au moins nous n’aurons pas à faire de nouveau les présentations. »

Le duo suivit celle qui s’était présentée sous le nom d’Amelia lors de leur première rencontre à Dresde jusqu’à la longère voisine, où les attendaient de quoi s’asseoir et se sustenter. Voilà qui s’annonçait plutôt bien : les autochtones les avaient pris au sérieux et leur avaient envoyé ce qui devait être leur éveillée la plus qualifiée pour tout ce qui touchait aux affaires d’outre-tombe. Un plaisant changement comparé à la façon dont les discussions entre les infernaux et les autres factions divines se déroulaient d’ordinaire.

« Toutes nos félicitations. » répondit le vieillard lorsque leur hôtesse leur fit part de sa bonne fortune. Il creusa ses méninges à la recherche d’informations concernant l’armure de Delta, mais ne se remémora pas grand-chose. Andréa en saurait sans doute davantage ; le Cyclope, lui, n’avait pas fait énormément d’efforts pour se renseigner sur la chevalerie nordique. Ce n’était pas une de ses priorités, dans la mesure où Asgard se préoccupait traditionnellement assez peu du reste du monde. Jusqu’ici, en tout cas : si Amelia leur mentait, si elle faisait déjà partie des rangs des Guerriers Divins au moment de leur premier face-à-face en Allemagne, alors peut-être que les Royaumes du Nord comptaient sortir de leur isolationnisme. Ou peut-être pas ; mieux valait laisser ce genre de spéculations à des gens autrement plus intelligents que lui et se concentrer sur les réelles raisons de leur venue.

« Nous sommes ici parce que nous nous sommes rendus compte que quelqu’un ou quelque chose détourne les âmes destinées aux Enfers. Le Seigneur Hypnos voudrait savoir si c’est également le cas ici. » résuma la Liche. Elle en profita pour poser sur la table la pièce ornée de l’emblème du Sommeil et imprégnée d’une étincelle de Sa divine aura afin de prouver ses dires. « Nous avons une piste concernant l’origine de ce phénomène. S’il vous affecte vous aussi, nos deux factions auraient tout intérêt à partager leurs informations et à convenir d’une réponse commune. »

"Amelia" ne s'étendit pas en politesses plus que nécessaire, sachant combien le temps d'un Éveillé pouvait être précieux. Le sien, en tant que déesse, également. Et elle constata que la Liche semblait dans le même état d'esprit car elle alla droit au but, confirmant la suspicion de Hel sur le motif de leur visite sans toutefois la nommer directement.

Voyant la pièce, la maîtresse des morts paisibles haussa un sourcil. En une fraction de seconde elle étudia la possibilité que le dieu ait prévu cet objet de façon à ce que, une fois saisi, il pourrait renseigner son interlocuteur sur la nature de son cosmos. Une astuce subtile, ou bien un simple sauf-conduit pour prouver effectivement la bonne foi de ses envoyés à l'encontre d'une Asgard déjà trop longtemps délaissée sur le jeu politique du monde. De toute façon, l'identité de Hel serait révélée tôt ou tard, et les deux sbires ne pourraient en prendre connaissance qu'à leur retour en Enfer, en admettant que ce soit bien le rôle de cet objet.

Le plus naturellement du monde, elle l'attrapa donc et l'examina comme n'importe qui aurait pu le faire, en profita pour graver le souvenir de cette signature cosmique dans sa mémoire. Sa propre énergie, parfaitement muselée comme elle en avait l'habitude, n'émit pas la moindre fluctuation. Du sort contenu dans sa bague d'oreille pour paraître humaine à toutes les nuances qui masquaient l'odeur de mort, la différence de force et de muscle entre ses deux côtés, l'écoulement des fluides qui aurait dû se produire à travers son squelette, rien ne bougea.

"Le seigneur Hypnos. Si je me rappelle bien, chez les Grecs, Hypnos désigne le Sommeil. Comment se fait-il que ce soit lui qui vous envoie et non la Mort, ou Hadès ?"

Elle joua un instant avec la pièce, puis finit par la ranger dans une poche soigneusement et replanter ses yeux dans ceux de ses interlocuteurs.

"Je me suis renseignée sur les précédents conflits entre Asgard et les autres Ordres. Votre venue me rappelle cette histoire, très similaire, dans laquelle nous étions les responsables de ce détournement d'âmes. Et par "nous", j'entends le côté malmené du panthéon, fait de ces monstres gigantesques, des jötunns, des fourbes et des traîtres. J'espère que les Grecs ne nous accusent pas de recommencer à utiliser le même procédé. Voilà qui serait fort déplaisant."

Une pause, ponctuée d'une large gorgée d'une bière fraîchissante, que ces morts ne lorgnaient même pas. Si en soi Hel n'avait pas besoin de se nourrir, et ne pouvait donc ressentir les effets de l'ivresse, le goût de ce breuvage lui plaisait. En plus de la faire paraître normale.

"J'ai effectivement reçu des informations sur le sujet de mon côté. Mais avant de vous répondre, j'aimerais que vous me donniez des raisons valables de le faire, en oubliant les événements précédents que je viens de mentionner. Après tout, les Enfers et Asgard n'ont jamais vraiment eu d'accord diplomatique à ma connaissance. N'est-ce pas ? Que sommes-nous sinon une possible épine dans votre pied ?"

Elle souriait toujours, sa voix comme absente et distraite, de la même manière qu'à Dresde.

La porteuse de Delta inspecta le symbole de l’autorité conférée par le Sommeil, et posa une question à laquelle les infernaux ne s’attendaient pas ; parmi tout ce qu’ils avaient dit, c’était sur ça qu’elle se concentrait ? Ils ne pouvaient pas lui jeter la pierre ceci dit, vu leur propre et habituelle paranoïa qui les poussait parfois à croire déceler complots et artifices là où il n’existait en fait rien de la sorte.

« Le Seigneur Hypnos était simplement le Dieu le plus proche au moment où nous avons reçu ces informations, Il a donc été le premier à recevoir notre rapport. » fit l’ancêtre en haussant les épaules. Nul besoin d’élaborer davantage, les affaires internes des Enfers ne regardaient pas les Ases, surtout s’il y avait la moindre chance que ces derniers aillent répéter leurs propos aux Saints. Ils prenaient déjà un risque en révélant qu’ils étaient ici sur ordre d’Hypnos, autant ne pas en rajouter.

L’Étoile Divine évoqua ensuite le précédent épisode durant lequel un petit malin s’était amusé à siphonner les âmes promises au royaume d’Hadès, et ce fut Andréa qui répondit : « Je sais, j’y étais. La manœuvre servait à alimenter la réincarnation de Fenrir, et j’ai aidé Reiner de Beta à le renvoyer d’où il venait. Et non, nous n’accusons pas les résidents des Neuf Royaumes d’être à la source du problème cette fois-ci ; nous avons toute confiance en la capacité des Guerriers Divins à faire en sorte d’éviter qu’une telle chose se reproduise sur leurs terres. »

Après que la Liche lui ait assuré que les Spectres ne tenaient pas sa faction pour responsable de ce qui était en train de se passer, Amelia confirma à son tour avoir des renseignements à partager – ce qui revenait plus ou moins à admettre qu’Asgard était également affecté, car pourquoi les nordiques iraient-ils surveiller le flux des défunts entrant dans les autres après-vies ? Hélas, la jeune femme n’était pas disposée à cracher le morceau tant qu’ils ne lui donnaient pas une bonne raison de le faire.

Xing Huo émit un soupir. Tous ces ronds de jambe et ces marchandages le fatiguaient, pourquoi devaient-ils se justifier alors qu’ils venaient proposer leur aide ? D’accord, ils avaient mauvaise réputation, mais tout de même…

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami, ou au moins un allié de circonstance, ça ne vous suffit pas ? » demanda le vieillard, ce qui lui valut un coup de coude de la part de sa consœur.

« Il n’a pas tort, mais ce n’est pas la seule chose. » reprit la polonaise. « Tout d’abord, vous vous trompez légèrement sur notre compte : nous respectons ce que vous faites, c’est juste que les Enfers préfèrent laisser les autres factions tranquilles tant que celles-ci font leur travail et ne viennent pas perturber l’Ordre cosmique, et réciproquement. Ensuite, les nôtres sont déjà à pied d’oeuvre pour mettre fin à ce phénomène et j’imagine que vous êtes également en train de préparer votre propre contre-attaque, mais je doute que vous ayez des agents à son point d’origine, qui se situe en-dehors de votre zone d’influence. Enfin, si les prévisions de Sa Seigneurie basées sur les informations à notre disposition se vérifient, alors la menace doit être prise au sérieux et une coopération entre nos deux factions améliorerait nos chances de réussite. »

Très logique tout ça. Les Ases étaient connus pour leur bravoure et leur sens de l’honneur, même le philippin le savait ; il était donc peu probable qu’ils restent dans leur coin à se tourner les pouces pendant que d’autres réglaient le problème à leur place. Et s’ils participaient de toute façon, autant se coordonner pour être plus efficaces et ne pas se mettre des bâtons dans les roues les uns les autres. Toutefois, le Cyclope pensait que s’ils voulaient réellement persuader leur interlocutrice, les infernaux devraient faire le premier pas.

« Et si cela ne suffit pas à vous convaincre d’être plus qu’une possible épine dans notre pied, comme vous dites, nous sommes prêts à vous prouver notre bonne foi en vous révélant dès maintenant ce que nous savons. »

Ainsi donc il y avait plus d'un dieu à l’œuvre actuellement aux Enfers. De la même façon que Hel et Odin, Hypnos travaillait donc main dans la main avec Thanatos pour... pour quoi en fait ? Juste faire tourner la boutique ? C'était ce qu'avait l'air de prétendre Andréa, et compte tenu de la bonne volonté exprimée jusque-là, la déesse n'avait pour le moment pas de véritable raison de remettre ses dires en cause. Surtout que pour ce qui concernait le drain des âmes d'outre-monde, elle pouvait elle-même confirmer pour son propre monde qu'il n'y avait aucune duperie, malgré la garde féroce de Garm et des différentes créatures à son service. Cela pouvait aussi expliquer pourquoi Odin délaissait quelque peu les mortels, comme les chasseurs de Ullr. Si le Valhalla "fuitait", Ragnarök pourrait être compromis, et les Nornes ne l'accepteraient pas.

"Soit. Si je comprends bien, Hypnos demande un échange de bons procédés : la confirmation qu'Asgard n'est pas responsable du phénomène et éventuellement une coopération pour y mettre un terme, en échange d'informations précises sur le pourquoi et le comment qui relève, manifestement, d'un territoire du sud."

La jeune femme prit un temps pour observer les deux Spectres, attendre leur assentiment sur ce qu'elle venait de formuler. La décision en soi était toute prise, mais elle ne voulait pas laisser croire qu'une guerrière divine se permettait de réagir au nom d'Odin sans réfléchir. Bien sûr, elle en reparlerait avec le Père de Toutes Choses par la suite, mais il était dans l'intérêt d'Asgard que ces "exfiltrations" d'âmes cessassent rapidement, donc également dans l'intérêt du Patriarche. Elle respectait son serment.

"Cela me semble acceptable. Je vous écoute, et je répondrai de mon mieux à vos questions."

L’expression de leur interlocutrice restait difficile à déchiffrer ; impossible donc de savoir si leurs arguments avaient réussi à triompher de ses réticences tant qu’elle n’aurait pas ouvert la bouche. Et dire qu’il s’agissait d’une nette amélioration par-rapport à la façon dont ces choses-là se déroulaient d’habitude ! Le Cyclope doutait que les Saints se heurtent à autant d’obstacles lorsqu’ils venaient demander un service aux nordiques, mais il fallait dire qu’au-delà de l’état actuel des relations entre les factions, ils n’avaient pas du tout la même réputation que les Spectres. Et il y avait peu de chances que ça change : guider les âmes des morts vers leur dernier séjour, les juger et surtout les punir si nécessaire était une tâche ingrate, plus prompte à susciter le ressentiment que l’adulation des foules. Les Dieux infernaux avaient peu de fidèles, et une bonne partie des mortels qui rendaient hommage à Hadès le faisaient uniquement parce qu’ils espéraient un traitement de faveur, ce qui prouvait qu’ils n’avaient rien compris à Ses idéaux et à la mission de Ses serviteurs…

« C’est bien ça. » confirma l’ancêtre lorsque l’Étoile Divine voulut vérifier les termes du marché. Il ne voyait pas bien l’utilité de se répéter ainsi, le duo ayant été très clair sur ses intentions et celles d’Hypnos, mais Andréa lui avait dit qu’en matière diplomatique il était toujours important de définir très exactement le contenu d’un engagement.

En tout cas et puisque la porteuse de Delta n’avait pas encore annoncé sa décision, Xing Huo choisit de s’intéresser aux boissons présentes sur la table, qui lui faisaient de l’œil depuis son entrée dans la pièce. Il s’empara d’une bouteille au hasard, tenta sans grand succès de lire ce qui était écrit dessus et se servit finalement un verre ; ça ne pouvait pas être pire que ces vodkas ultra-distillées que la Liche ramenait régulièrement, plus proches de l’alcool à brûler que de n’importe quel liquide destiné à la consommation humaine.

« C’est donc ça, le fameux hydromel nordique ? » se demanda-t-il en découvrant le goût plaisant mais inattendu de la boisson. Lui qui s’imaginait que les habitants des Neufs Royaumes étaient adeptes des tord-boyaux les plus forts possibles…

Tandis que son collègue s’imbibait d’alcool local, la polonaise, elle, restait attentive et se mit à partager les renseignements à leur disposition après qu’Amelia leur ait enfin signalé son accord.

« Excellent. Le point d’origine de notre problème semble se trouver en Égypte, où un complexe funéraire jusque-là caché sous les sables du désert vient tout juste de refaire surface en détruisant au passage la ville voisine. L’ampleur et la violence du phénomène n’ont rien de naturel et, compte tenu de la puissance nécessaire pour provoquer un tel bouleversement ainsi que des événements de ces dernières années, nous craignons qu’une divinité égyptienne liée à l’Au-delà soit impliquée. »

Oblivion n’avait peut-être pas transmis énormément d’informations dans son message, mais les Squelettes s’étaient démenés dès qu’ils s’étaient aperçus qu’il y avait une anomalie et n’avaient pas tardé à rapporter leurs trouvailles à leurs supérieurs, qui n’avaient plus eu qu’à relier les points. Et jusque-là, ce qu’ils avaient trouvé semblait apporter du crédit aux déductions d’Hypnos...

« Comme nous vous l’avons déjà dit, l’une de nos meilleures combattantes est déjà sur place, et nous attendons son prochain rapport. » renchérit le vieillard après avoir vidé son verre. « Un chevalier d’Or doit également s’y trouver, et ça ne nous étonnerait pas que d’autres chevaliers viennent fouiner – d’où l’intérêt de discuter maintenant de cette situation et d’essayer de présenter un front uni, parce que sinon ça risque de se transformer en poudrière là-bas. C’est pour ça que nous évitons de débarquer en force pour le moment ; au lieu de ça, nos Dieux préparent quelque chose pour contrer le drain d’âme de Leur côté. »

« Tout à fait. Quant à nos interrogations à nous, nous avons conscience que vous ne pourrez peut-être pas nous répondre de suite, qu’il vous faudra sans doute d’abord vous concerter avec vos supérieurs, mais je pose tout de même la question : comment comptez-vous réagir ? Avez-vous déjà pris des mesures, d'ailleurs ? »

Une certaine curiosité dans le regard, la déesse déguisée suivait des yeux le vieil immortel tandis qu'il s'essayait aux alcools locaux, guettait ses réactions sur ce qu'elle considérait comme un crû fort plaisant depuis sa réincarnation, et sourit en constatant son agréable surprise. Tout en notant dans un coin de sa tête d'aller rendre visite aux artisans qui fournissaient ce délicieux breuvage, ses oreilles restaient alertes à ce que disait Andréa, sur laquelle son regard de glace revint bientôt, parfaitement concentré.

L'au-delà égyptien donc. Anubis ? Osiris ? La Dévoreuse peut-être ? Cela signifiait une nouvelle concurrence à surveiller, en plus des Grecs, et surtout la désagréable sensation de se voir privée d'une partie de ses droits divins jusqu'à ce que la divinité en question achevât son retour. Quelque chose que, bien entendu, l'égoïsme des pouvoirs déjà en place n'allait pas laisser passer.

La question du chevalier d'or compliquait la tâche, car cela rappelait à l'ordre du jour cette histoire d'alliance... ou d'accord... avec les Saints. Dans la mesure où l'aide d'Asgard avait été demandée en échange de cargaisons de nourriture fort nécessaires, il fallait traiter avec déférence ce Sanctuaire malgré sa capacité notoire à manipuler les médias à son bon gré. Pourtant, aucun envoyé d'Athéna n'était venu quérir les forces du Nord. Aucun message dont Hel avait connaissance du moins.

"En ce qui concerne les mesures déjà en cours, je vais effectivement avoir du mal à vous répondre, du fait de ma récente affectation ici... mais pour ce qui est de celles à venir, je vais bien entendu communiquer ces informations à qui de droit et appuyer dessus en conséquence. Dans la mesure où ce... drain d'âmes... pourrait affecter la souveraineté d'Odin lui-même, il est bien entendu exclus de laisser la situation telle qu'elle est actuellement."

Elle vida le reste de sa choppe d'une traite, réfléchissant au nombre des guerriers Éveillés présents dans les Neuf Mondes et à qui envoyer. Si elle expliquait la situation à Odin calmement, lui qui devait déjà savoir pour cette force venue d'ailleurs affecter leurs domaines, il devait bien pouvoir être possible d'envoyer une ou deux personnes. Expérimentées de préférence, car la lointaine Égypte poserait des problèmes en termes de climat et de culture à qui voudrait s'y rendre en venant d'Asgard. C'était ainsi que Hel concevait l'expédition. Et bien sûr, elle ne pouvait s'y rendre en personne, à moins de vouloir exposer sa véritable nature avant l'heure et désobéir aux directives du Père de Toutes Choses.

"Je tâcherai de bien préciser à la, ou aux personnes qui seront chargées de cette tâche de ne pas entreprendre d'action hostile à l'encontre des Spectres. En gage de bonne volonté pour l'offre généreuse des informations que vous venez de me confier. J'imagine que c'est ce qu'escompte Hypnos en vous envoyant ici, n'est-ce pas ?"

Quel que soit le responsable du problème qui les préoccupait actuellement, il pouvait se vanter d’avoir réussi à convaincre les Ases de sortir de leur isolement ; rares étaient ceux qui y parvenaient. Il fallait dire cependant qu’au-delà des questions d’honneur, les guerriers nordiques avaient une excellente raison d’abandonner leur indifférence coutumière envers les affaires des sudistes, car leur après-vie était structurée différemment des autres. En effet, là où la plupart des panthéons accueillaient les morts vertueux dans un havre de félicité éternelle où ils pourraient prendre un repos bien mérité, il n’en était pas de même sur les terres d’Odin, qui rassemblait les défunts les plus valeureux afin de Se constituer une armée en prévision du Ragnarök.

Les Égyptiens ne se contentaient donc pas d’enlever les sujets du Père de Tout : ils Le privaient par la même occasion d’Einherjar potentiels dont Il aurait besoin pour combattre la galerie d’abominations primordiales, lignées divines concurrentes et autres monstruosités eschatologiques menaçant les Neuf Royaumes.

« Pour ce qui est de la souveraineté d’Odin je précise qu’heureusement, le drain ne semble pour le moment cibler que les âmes en transit, celles qui ne sont pas encore arrivées dans l’Au-delà ; nous devrions donc pouvoir limiter les dégâts pour peu que la situation soit rapidement réglée. » indiqua la Liche. Cela était bien sûr à mettre au conditionnel mais avec les mesures de sécurité supplémentaires prises par Hypnos, il était peu probable que l’ennemi réussisse à mettre ses sales pattes sur les résidents des Enfers. Il devrait logiquement en être de même à Asgard pour peu qu’Odin prenne Lui aussi Ses précautions.

Il restait toutefois une inconnue qu’il aurait été criminel de ne pas évoquer : « Nous ignorons cependant si le phénomène est capable d’affecter l’âme d’un chevalier ou si ceux-ci sont protégés par leur lien avec leur divinité, et nous pouvons difficilement faire le test. Dans le doute, nous vous recommandons la plus grande prudence. »

Les Spectres écoutèrent ensuite Amelia leur confirmer qu’elle demanderait à l’envoyé ou aux envoyés d’Asgard de ne pas s’opposer à la Mante, même si elle n’était pas en mesure de promettre une véritable coopération. Un peu décevant mais il fallait dire aussi que leur interlocutrice, même si elle était haut gradée, ne l’était pas au point de pouvoir conclure une alliance – même temporaire – au nom de sa faction toute entière. L’ancêtre se resservit afin de mieux faire passer la pilule – et en profita également pour placer d’autorité un gobelet entre les mains de la polonaise, parce que ça ne se faisait pas de refuser l’hospitalité des gens –, ce qui lui permit d’envisager la chose avec un peu plus d’optimisme. D’accord, Amelia n’était pas en mesure d’instaurer un tel partenariat, mais peut-être que ses supérieurs le feraient, eux.

« L’assurance que vous participerez et la non-agression à l’égard de nos troupes, ça nous convient tout à fait. Nous préférerions une promesse directe de la part de vos dirigeants mais nous savons qu’il ne faut pas trop en demander, surtout comme ça au débotté. » acquiesça le vieillard, dont les mains se crispèrent soudain alors qu’il réfléchissait aux conséquences qu’aurait un éventuel échec, au coût potentiel de chaque seconde d’inaction. « J’espère que ça suffira. Je ne sais pas ce que l’ennemi fait de toutes ces âmes, mais s’il les détruit alors il faut vraiment le stopper au plus vite. »

La guerrière divine prenait note des recommandations, même si ses sujets de Helheim avaient d'ores et déjà vu ce que pouvait donner un renforcement des frontières avec ce que les mondes souterrains pouvaient compter de créatures monstrueuses à son service. Garm était particulièrement sur les nerfs ces temps-ci, surtout depuis qu'il avait dû se faire priver d'un croc contre sa volonté. Par acquis de conscience elle transmettrait tout de même les détails à Odin.

Elle acquiesça aux dires de la Liche, songeant qu'il faudrait peut-être protéger l'envoyé d'Asgard avec Thurisaz, puis se remémorant comment l'affaire avait terminé avec les chasseurs de Ullr. Soit sa maîtrise des runes était encore à parfaire, soit les chasseurs avaient été négligents. Deux possibilités aussi désagréables l'une que l'autre, mais ce n'était pas à l'ordre du jour.

"Surtout comme ça au débotté."

L'expression en elle-même se suffisait, mais le vieux grincheux avait tout de même l'air... déçu de l'entretien ? A quoi s'attendait-il exactement ?

"Je m'excuse si je dois vous paraître froide, peut-être même désinvolte, mais j'espère que vous réalisez qu'obtenir un accord aussi rapide, fût-il simplement de non-agression, avec une nation réputée pour son absence d'égards envers les vivants -et vous savez tous deux ce que je pense de cette question-, est presque un exploit en soi. Je n'ai guère le pouvoir de faire déplacer Odin dès que quelqu'un frappe à nos portes."

Un soupir et elle resservit Xing Huo, qui semblait apprécier à sa juste valeur l'alcool qui leur était proposé. Elle se demanda un instant si les Spectres, morts-vivants qu'ils étaient, étaient capables de ressentir les effets de l'ivresse ou si, comme elle, ils savouraient simplement le goût pour le plaisir.

"J'ai cru comprendre que les rouages de la bureaucratie et la diplomatie étaient encore plus lents et complexes au sud. Un tel accord aurait pris des jours, voire des semaines, de ce que j'ai pu entendre. Et nous de disposons pas de ce temps si j'en crois vos propos."

La déesse les regarda tour à tour attentivement, courtoise.

"Y a-t-il un autre sujet que vous souhaitiez aborder ?"

« Nous le savons, nous le savons. » fit le vieillard tout en levant les mains en signe d’apaisement lorsqu’Amelia lui rappela qu’il devrait déjà se montrer content de sa bonne fortune. Il trouvait cependant qu’elle forçait un peu le trait : les factions divines n’étaient constituées que d’un très petit nombre d’individus et quand elles négociaient entre elles, il y avait finalement assez peu de considérations entrant en ligne de compte comparé à toutes les questions hautement techniques ayant trait à l’économie, au droit, à la politique, aux enjeux géostratégiques et ainsi de suite dont les États humains et leurs imposantes bureaucraties pouvaient discuter pendant une éternité. Enfin, elle avait raison sur le fond : ce n’était pas parce que les factions divines n’avaient pas besoin de plusieurs semaines de tractations pour prendre une décision relevant du bon sens le plus élémentaire qu’ils n’étaient pas chanceux d’avoir reçu une réponse aussi prompte.

« On peut déjà s’estimer heureux que vous ne nous ayez pas claqué la porte au nez, parce que généralement c’est plutôt ça qui arrive. » poursuivit le Cyclope, ce qui lui valut de se faire derechef écraser le pied par la Liche – après que celle-ci ait vérifié que la table cacherait cette action aux yeux de leur interlocutrice, bien sûr. Andréa savait déjà qu’il ne valait mieux pas emmener Rogos ou Wolgorn en mission diplomatique, vu leur palmarès en la matière, mais il semblerait que Xing Huo allait bientôt les rejoindre sur la liste.

« Nous informerons notre consœur de cet accord de principe afin d’éviter tout malentendu. » annonça la polonaise après avoir goûté à son tour l’alcool local, et l’avoir trouvé fort agréable. « Je voudrais également vous demander s’il serait possible de maintenir une ligne de communication entre nos deux factions pour la durée de cette opération, afin que chacune puisse être mise au courant de tout nouvel élément découvert par l’autre. En cas de réponse positive, comment souhaiteriez-vous que nous gardions le contact ? »

La jeune fille ne savait pas si Asgard avait accès aux moyens de communication modernes, et elle n’était pas sûre que les nordiques feraient comme Ntikuma en acceptant de se servir de Fées pour les contacter. Autant les laisser décider eux-mêmes de la méthode à employer, donc.

« Enfin, savez-vous où nous pourrions nous procurer quelques-unes de ces bouteilles ? »

L’ancêtre ricana en l’entendant mais, si elle avait dit ça en partie pour détendre l’atmosphère, la question elle-même était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Thanatos étant un grand amateur de boissons alcoolisées en tout genre, peut-être qu’Il apprécierait l’un de ces breuvages nordiques… et Il aurait sûrement besoin d’un remontant ou de quelque chose pour calmer Ses nerfs ; les Spectres auraient largement préféré Lui offrir ce cadeau pour célébrer le retour de Son frère mais cette énième contrariété ajouterait sans aucun doute une ombre au tableau de Leurs retrouvailles.

Un hochement de tête compréhensif accompagna l'affirmation du Cyclope. Déjà à Dresde ils avaient pu échanger un peu sur la perception des civils vis-à-vis des actions des Éveillés, et surtout des Spectres, morts-vivants de leur état. Assurément l'opinion publique n'était pas de leur côté, surtout depuis la révélation de la dernière Guerre Sainte par Athéna à la télévision et la confusion que cela avait pu entraîner un peu partout, religieusement, socialement...

"Hum... Pourriez-vous me donner le nom de cette Spectre ? Quelque chose pour que notre envoyé puisque l'identifier sans erreur ? Vous allez sans doute me dire que vos cosmos et vos surplis sont des preuves assez évidentes de vos identités, mais si les Égyptiens possédaient par hasard des dons d'imitation suffisants pour leurrer cela... mieux vaut prendre des précautions. De notre côté, si vous m'y autorisez, je garde cette pièce d'Hypnos. Un symbole produit par votre propre dieu devrait être assez singulier pour que, là encore, l’Égypte soit incapable de contrefaçon."

Un moment, le regard d'Uskyld dériva vers la porte de la pièce, comme si elle pouvait voir à travers. Elle savait que de l'autre côté, les gardes surveillaient la frontière entre le Nordheim mortel et l'entrée des mondes mythiques dans lesquels évoluaient les Éveillés et toutes les choses qui constituaient les légendes du nord. Il y avait ici un relais entre téléphones, visioconférences, mails, et corbeaux, loups, ou autre chats géants coopératifs.

"En attendant quelque chose de plus officiel, vous pouvez toujours envoyer des messages à ce poste-frontière, qui nous transmettra comme on l'a fait pour que je vienne à votre rencontre. Ce n'est pas le plus immédiat des systèmes, mais il a au moins le mérite d'exister et de fonctionner de façon fiable. Il doit bien y avoir quelque part un numéro qui mène vers des personnes formées à recevoir les demandes diplomatiques des Éveillés... Si vous voulez une communication plus directe eh bien... Puis-je vous demander comment les Enfers s'y prennent pour envoyer des messages dans les territoires civils que dirigent les vivants ? J'imagine que les Spectres ne s'amusent pas à faire la navette d'un monde à l'autre. Si vous avez, comme nous, un relais à proposer..."

De relais à relais oui. Si les employés de chaque côté étaient efficaces, et si on précisait aux maîtres-corbeaux de garder leurs meilleurs oiseaux pour le contact avec les Spectres le temps de cette mission, ce devait être le plus optimal actuellement. Il faudrait que la déesse se renseigne sur la possibilité d'installer des pierres de runes communicantes entre le palais d'Odin et ici. Les corbeaux auraient moins de travail, mais la passation messagère serait plus immédiate, sans que l'indépendance de Nordheims dans ce domaine fût lésée.

La question suivante d'Andréa lui fit marquer un temps d'arrêt, puis elle éclata de rire, surprise et amusée à la fois. Elle attrapa la bouteille pour en déchiffrer la provenance et se leva un sourire aux lèvres.

"Je vais demander à ce qu'on appelle cette adresse. Le caviste sera sans doute ravi d'avoir une commande à titre diplomatique."

Le duo ne voyait pas d’inconvénient à ce que la porteuse de Delta conserve la pièce afin que l’envoyé d’Asgard puisse se faire connaître auprès de la Mante, à part le fait que cette dernière n’était pas encore au courant du retour d’Hypnos et ne reconnaîtrait donc pas forcément Son cosmos – quand bien même l’aura du Sommeil ressemblait fortement à celle de la Mort. Ils n’allaient cependant pas crier sur les toits que le second des Dieux Jumeaux venait tout juste de Se réincarner ou que l’Étoile Céleste de la Rage venait de passer une année en mission secrète loin de ses camarades, aussi sautèrent-ils sur la proposition qui leur était faite d’établir un moyen d’identification secondaire.

« Elle s’appelle Oblivion de la Mante. Une ado brune, pas bien grande, avec beaucoup de cicatrices et qui porte généralement un masque. » répondit le philippin. Il ne l’avait plus vue depuis un bon moment mais cette description devait toujours être applicable, le temps et les épreuves de la vie ayant peu de prise sur le physique des Spectres.

« Elle a son petit caractère. » prévint Andréa. « Si la pièce ne lui suffit pas et qu’il y a besoin d’une confirmation supplémentaire, votre émissaire peut également mentionner nos noms. »

Voilà qui était fait. Concernant les communications, les nordiques étaient apparemment mieux équipés qu’ils le pensaient, au moins dans ce village qui servait d’interface avec le monde extérieur, et n’émettaient aucune objection à l’utilisation des méthodes habituelles des infernaux. Tant mieux, ça faciliterait les choses.

« Vous pouvez nous joindre si vous appelez le Château d’Heinstein, c’est notre poste avancé sur Terre ; il y a des gens là-bas qui s’occupent de recevoir les messages de l’extérieur. Tenez, je vous met le numéro et l’adresse qui vont bien... » reprit l’ancêtre en sortant un calepin et un stylo de sa poche – depuis qu’elles avaient rencontré Ntikuma, les deux Étoiles Terrestres ne sortaient plus sans avoir de quoi écrire sur leur personne – dont il se servit pour noter un numéro de téléphone et une adresse mail. « Sinon on a aussi un truc plus direct, voyez plutôt... »

Et il fit apparaître une Fée au bout de son doigt, en faisant de son mieux pour ne pas montrer qu’il avait conscience d’avoir l’air un peu ridicule. Ou qu’il était légèrement jaloux des corbeaux employés par les Ases, parce que d’accord un papillon c’était relativement discret, symbolique et tout le tintouin mais un gros oiseau charognard noir comme la nuit c’était tout aussi thématiquement approprié et tout de même plus classe.

« On a de quoi payer les bouteilles au fait ? » changea-t-il rapidement de sujet en s’apercevant qu’Andréa avait très probablement lu dans ses pensées – comme elle semblait souvent le faire lorsqu’il pensait à quelque chose d’impoli – et lui jetait maintenant un regard noir. La diversion parut fonctionner, heureusement, puisque la Liche posa un assortiment de pièces d’or et de gemmes de petite taille sur la table : « Je n’avais pas vraiment prévu d’acheter un souvenir et je ne sais pas s’ils prennent nos euros ou nos dollars ici, mais les métaux et pierres précieuses ça a cours à peu près partout, non ? »

« C’est pas toi qui engueule les Squelettes quand ils essayent de refourguer ce genre de choses à la surface ? »

« C’est parce qu’ils s’en servent pour acheter n’importe quoi sans que ça ne termine dans les livres de comptes, alors que moi j’en emporte seulement en cas d’imprévus. » se défendit la polonaise le plus dignement possible.

Faisant signe courtoisement aux deux envoyés des Enfers de bien vouloir la suivre une fois qu'elle eut expédié ses instructions à l'administration de Nordheims -légèrement médusée par la teneur de la demande il fallait le dire-, la déesse déguisée demanda également de quoi noter afin de coucher la description, les noms et les instructions sur papier et d'être en mesure de parfaitement restituer au futur envoyé d'Asgard sur les terres égyptiennes.

Juste avant de quitter la pièce, elle vit le papillon féérique et s'en approcha avec le regard plein de curiosité, sans chercher à toucher l'apparition outre mesure. Cela ressemblait à une sorte d'illusion capable de franchir les dimensions sans être contrainte par la mortalité ou la vitalité. Un outil pratique et peu coûteux, mais qui demanderait un certain apprentissage probablement pour un guerrier lambda. Elle se retint de créer un clone de la figure lumineuse, ne sachant pas si cette aptitude était censée être répandue ou non parmi les mortels. Il y avait toujours cette instruction d'Odin selon laquelle elle devait cacher son identité réelle après tout.

"Voilà qui est fort joli, mais j'ai peur que les autres ne comprennent pas. Mieux éviter ce moyen-là, je pense. Peut-être à l'avenir, si les résultats de cette mission commune sont probants. Contentons-nous pour l'instant de choses plus... classiques."

Un sourire avenant ponctua ses propos, se muant à nouveau en rire amusé à la question de l'argent.

"La frontière étant un fort lieu de passage, il y a évidemment des bureaux de changes. Et je pense que ce genre de gemmes sera effectivement bien reçu, même s'il faudra peut-être qu'un expert les évalue avant. Allons voir le résultat de l'appel au caviste, puis je vous montrerai."

C'est ainsi que la rencontre diplomatique se termina, plus ou moins, à faire des emplettes imprévues aux alentours du poste frontière. Hel trouva s'en être plutôt bien sortie, et il ne restait donc plus qu'à convaincre Odin d'approuver sa démarche.