La réplique la plus mordante, fut celle de la jeune femme. Elle n’aimait visiblement pas qu’on vienne la défendre ou qu’on lui fasse la morale. Hakon était resté plus calme, préférant surement passer l’éponge et ne pas se salir les mains avec le sang du Cancer. Le dernier arrivé, quand à lui, préféra garder le silence, jusqu’au moment où le géant l’avait interpellé. Sa réponse avait un peu surpris Razal, qui pensait que tous les chevaliers étaient… chevaleresques, mais le nouveau était bien différent. Le crabe d’or posa son regard sur lui, le détaillant d’avantage. Il capta, en effet, une allure différente des autres, comme s’il était plus proche de l’assassin, que du chevalier. Après, le chevalier n’allait pas se plaindre, il fallait de tout dans un groupe, même aussi imposant que les chevaliers. Lui-même n’ayant pas vraiment reçu une éducation de chevalier, mais plutôt de bourrin fonçant dans le tas, ce qui pourrait rapidement le décrire, s’il se trouvait en position de combattre un véritable adversaire.

Puisque la conversation entre Hakon et Eurydice s’annonçait comme « privée », le chevalier se prépara à repartir. Personne ne lui avait dit de ne pas se rendre aux Enfers, alors bien sûr, il prenait se silence comme une validation. Validation qui fut toutefois accepté par le nouveau venu, qui voulait même l’accompagner. Razal allait d’abord refuser, trouvant que le lieu était trop dangereux pour un bronze, mais il accepta finalement.

- Une compagnie de plus, pour le royaume des morts, ne peut pas me tuer.

Le chevalier avait fini sa phrase avec un large sourire, avant de faire signe à son camarade de le suivre, laissant ainsi la Gémeau et le Verseau.


Pendant le trajet qui les conduisait vers l’entrée des Enfers, Razal décida de parler un peu. Il ne voulait pas se rendre dans un lieu « sordide », sans connaître celui qui l’accompagnait. Le chevalier déclina alors son identité, sans trop rentrer dans les détails de son passé post-Palestre. Il lui parla un peu de ses quelques jours au Sanctuaire, se résumant à de la décoration de temple et d’une rapide discussion avec le Lion. Il lui parla même de sa maîtrise du cosmos, du moins le minimum syndical, histoire qu’il ne prenne pas encore peur.

Une fois le trajet terminé, les deux chevaliers pouvaient dire qu’ils se connaissaient un peu. Du moins, suffisamment pour que le Cancer se rende compte qu’il avait mal jugé son camarade. Dire qu’il avait pris un chevalier d’or pour un bronze, ce n’était vraiment pas glorieux. En descendant du véhicule, Razal voulu jouer la sécurité, enfin la sécurité selon lui.

- On devrait laisser nos armures ici, histoire de ne pas attirer l’attention sur nous. Même si, je conçois que deux vivants aux Enfers, ce n’est pas vraiment discret. Mais au moins, on arrive pas en mode « bonjour, on vient casser du Spectre ».

Comme il l’avait suggéré, le chevalier du Cancer laissa son armure près de la voiture, se préparant à l’appeler à tout moment. Il laissa le soin à Lesath de choisir, s’il préférait venir couvert ou pas, pendant qu’il entamait déjà sa marche vers le palais.

- On arrive sur leur territoire, alors si on peut éviter de faire des vagues. Enfin, juste éviter l’affrontement direct quoi… je ne suis pas très doué pour le corps à corps.

Le chevalier commença à regarder autour de lui, tout en traversant le jardin. Si Lesath pouvait y voir des arbres fanés, qui avaient surement étés superbes à une époque, Razal n’y voyait que des âmes vagabondes, cherchant un moyen de rejoindre le monde des mortels. Le Cancer comprenait rapidement que si le Sanctuaire disposait d’une barrière cosmique, il était évident que les autres camps en avaient une aussi, d’autant plus quand le camp devait garder les âmes des défunts.

Contrairement à sa première venue ici, le chevalier n’essaya pas de cacher sa présence. Il n’était pas venu entrer en douce, seulement avoir quelques réponses et pourquoi pas une petite visite des lieux, histoires de s’en inspirer un peu. S’il y avait bien un mortel, trouvant cet endroit merveilleux, ça ne pouvait être que lui, celui qui était entouré par la mort en permanence. Il se demandait même comment était le jardin de Perséphone. Etait-il encore plus beau que celui-ci ? Sans s’en rendre compte, le chevalier avait déjà marché jusqu’à l’entrée du palais. Pour la première fois, il en était vraiment près.

- D’après toi, on doit frapper ou juste entrer comme ça ?

La conversation avait tourné court, pour plusieurs raisons, l’animosité entre Eurydice et Hakon en étant la principale. Lorsque Razal du Cancer avait proposé une escapade en Enfers, l’Ibère avait opté pour le suivre, sans trop savoir ce qui l’avait poussé à opter pour cette possibilité. La curiosité, sans aucun doute, était un argument plus que crédible pour réponse à cette question, ceci dit. Curiosité éveillée par plusieurs éléments :
Eris. Il n’avait que rarement entendu parler d’elle et sa réputation n’était pas des plus agréables. La Discorde était une déité que les récits avaient dépeint de plutôt vile façon. Et malgré cela – ou plutôt à cause de cela – il savait qu’il était nécessaire d’en apprendre un maximum au sujet de la fille de Nyx, et du rôle qu’elle serait amenée à jouer dans les prochains événements.

Les Enfers, aussi, pouvaient expliquer cette envie de voyage. S’il savait qu’il devait autant éviter les légendes que les récits tels que celui de Dante Alighieri, il était difficile d’imaginer autre chose qu’un effroyable endroit, sans doute à tort. L’image qu’il en avait n’était donc pas très ragoûtante, mais il n’y avait au final qu’une façon pour être certain qu’elle ne soit pas basée sur de fausses informations.

Razal lui-même. Un nouveau chevalier d’or méritait qu’on s’attarde, au moins un minimum. D’où sortait-il et que voulait-il. Etait-ce un homme en qui on pouvait avoir confiance ? Les chevaliers du Cancer avaient mauvaise réputation en général, sans doute à cause de leur don de vision qui leur permettait dans certains cas de voir les morts, dans d’autres de carrément communiquer avec eux.

Le trajet s’était allongé, suite à la demande de son collègue. Au déplacement à la vitesse de la lumière, il préférait apparemment les modes de transports plus classiques. C’était un choix pour le moins inattendu, mais après tout pourquoi pas. Son acolyte était d’une nature plutôt discrète, et n’avait au final pipé mot que pour certaines trivialités. C’était une bonne chose pour Lesath. Il n’aimait ni les discours, ni les longs échanges. Il avait profité de cette accalmie passagère pour détromper Razal. Non, il ne s’agissait pas d’un chevalier de bronze, mais plutôt d’un chevalier d’Or. Et si son armure préférait pour l’instant jouer les filles de l’air, elle saurait se matérialiser sur son corps au moment opportun.

« Aucun problème. » répondit-il au Cancer, lorsque ce dernier proposa de laisser leurs armures sur le côté. A vrai dire il avait raison : se présenter en ces lieux en armure n’était pas une bonne introduction. Montrer patte blanche semblait être une option plus sécure, au moins a priori. Il abaissa cependant son cosmos, comme son habitude, à une aura légèrement perceptible. Il n’avait ni l’envie, ni le besoin de déployer toute son énergie. Peut-être en serait-il autrement bientôt ?

Suivant son collègue, il se retrouvèrent bientôt face à ce qui semblait être une barrière, identique à celle du sanctuaire. C’était prévisible. « Il serait de bon ton de s’annoncer, effectivement. On viendra sans doute nous chercher. Sinon, … on aura fait une belle balade, je suppose. »

La rencontre avec les officiels chinois s'était encore mieux déroulée qu'elle ne l'avait anticipé. Ajoutée à la première annonce dans laquelle les Saints se tiraient magistralement une balle dans le pied, la riposte de l'autre ahuri peinturluré n'avait pas manqué de persuader leurs vassaux qu'ils auraient pu beaucoup, beaucoup plus mal tomber. Lorsque la Liche avait quitté Beijing – après avoir contacté le Cyclope et reçu en échange de croustillants détails sur cette navrante histoire –, les experts et journalistes chargés de passer au crible les dernières révélations étaient occupés à tailler un costard au Sanctuaire sur la question de Death Queen Island, puisque c'était là que les guerriers d'Athéna se débarrassaient des rebuts de leur chevalerie. En effet, qui avait bien pu penser que ce serait une bonne idée d'envoyer des renégats éveillés sur une île en compagnie d'autres individus tout aussi peu fréquentables avec qui ils pourraient comploter et s'acoquiner ? Une île dont ils pouvaient s'échapper à tout moment et où se trouvaient toutes ces armures qu'ils pouvaient utiliser pour se venger de ceux qui étaient à l'origine de leur bannissement ? Quel genre de baltringue enfermait ses ennemis non pas dans une prison mais dans une armurerie en laissant la porte grande ouverte ?

Toutefois, la scène sur laquelle elle tomba à son retour au Château prouvait à elle seule que les paladins étaient loin d'avoir le monopole de l'idiotie. Devant ses yeux effarés, un petit groupe de Squelettes ouvrait des cartons pour en sortir des piles de t-shirts, casquettes, écharpes et autres articles vestimentaires portant les slogans « Team Reagan », « Fabulous Reagan », « Notre planète pure et bleue », « Votez Reagan » ou encore « MEGA » et les faisait passer à d'autres larbins qui faisaient la queue pour recevoir leurs cadeaux. Il y avait même des accessoires à l'effigie de l'Oiseau de Paradis dans ses poses les plus musculeuses. En arrière-plan, elle pouvait voir d'autres laquais s'affairer à déballer une version géante de la banderole que cet abruti égocentrique avait utilisé lors de sa prise de parole.

« Mais qu'est-ce que... Où vous avez trouvé ces... » bredouilla la Spectre, qui n'arrivait pas à décider par où commencer face à tant d'incongruité.

« Vous en voulez un ? » proposa un Squelette en lui tendant un sweat-shirt MEGA.

« Non. » grogna-t-elle en se pinçant l'arête du nez et en priant les divinités infernales de lui accorder calme et patience – pas exactement le genre de la maison, certes –, parce qu'elle était à deux doigts de massacrer tout le monde ou pire, de les dénoncer à Thanatos. « Vous savez quoi ? Je veux même pas savoir comment vous avez eu ces trucs, j'espère juste que vous avez pas tapé dans la caisse pour vous les payer parce que sinon ça va barder. »

« Non non, on s'est cotisés ! » répondit le subordonné en toute hâte. Andréa se contenta de le fixer sans rien dire, laissant son visage exprimer toute l'ampleur de son scepticisme et de sa colère contenue. Le péon gigota inconfortablement quelques instants sous le regard de sa supérieure, bredouilla une ou deux excuses puis finit par avouer : « Bon, d'accord, on a peut-être ramené trois ou quatre gemmes pour les vendre à la surface mais c'est pas comme si elles allaient manquer à qui que ce soit, y'a qu'à se baisser pour les ramasser ! »

« C'est pas une raison. Et enlevez-moi ces machins, ça fait pas sérieux. »

« Ok pour les casquettes mais même les fringues ? C'est pas comme si ça se voyait, sous les Surplis... »

« Rien. À. Battre. Je vous rappelle que l'autre ahuri est un Chevalier Noir qui appelle à la révolte vis-à-vis de tous les Dieux ; ce n'est pas parce qu'il est l'ennemi de notre ennemi qu'on peut oublier ça. »

Menaçante, la polonaise avança vers le sous-fifre en faisant danser des volutes de miasme noir entre ses doigts. Il se mit à reculer en catastrophe, ses compères s'écartant tout aussi vite derrière lui pour ne pas finir en dommages collatéraux. « Interdiction formelle de porter ces trucs pendant le service ou de redécorer le Château avec, compris ? Je balancerai moi-même les contrevenants dans la Cinquième Prison, un mois ou deux dans une tombe de feu ça leur fera les pieds ! »

Le Squelette terrifié hocha fébrilement la tête alors qu'un autre, se croyant plus discret qu'il ne l'était réellement, marmonna un « rabat-joie... ».

« Qui a dit ça ? »

L'instant discipline fut malheureusement interrompu par l'un des gardes chargés de surveiller la grande porte, qui vint la trouver pour la prévenir que deux personnes se dirigeaient vers l'entrée du Château. Pas moyen d'être tranquille cinq minutes ici...

« Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, on en reparlera. » avertit-elle en dévisageant tour à tour ses subalternes. « Vous me dégagez tout ça illico, je veux plus rien voir traîner. C'est un ordre. »

Ce coup-ci ils avaient pigé : avant même qu'elle ne se détourne, les Squelettes s'étaient déjà mis à faire le ménage. Il ne lui restait plus qu'à aller jouer les portiers, puisque les nouveaux arrivants n'arboraient apparemment pas d'armure et que les gardes, ne sachant pas à qui ils avaient affaire, préféraient jouer la carte de la prudence. Soit, elle ne pouvait pas vraiment les en blâmer.

La jeune fille ouvrit le battant sans même attendre que leurs mystérieux invités ne frappent. Un curieux duo que celui-là, l'un d'eux aurait pu être basketteur et le deuxième n'avait pas l'air dans son assiette. Enfin, leur dégaine importait peu comparée aux raisons de leur présence : qu'est-ce qui avait bien pu les amener à chercher audience auprès de l'armée mort-vivante ?

« Bonjour et bienvenue au Château d'Heinstein. À qui ai-je l'honneur et que puis-je pour vous ? » interrogea-t-elle d'une voix dégoulinante de fausse convivialité.

Confirmant que la politesse était surement la meilleure chose à faire, surtout en territoire ennemi, Razal se prépara à frapper à la porte. Le jeune homme dû stopper son geste, se trouvant déjà fort stupide, puisque la porte venait de s’ouvrir. Le Cancer se serait bien frapper la tête contre le mur, pour ne pas s’être rendu compte qu’ils étaient déjà surveillés. Mais pouvait-on vraiment lui en vouloir, de ne pas avoir détecté un mort, dans un paysage l’étant entièrement ? Tout en redescendant son bras, le chevalier fronça le nez, comme si une odeur le dérangeait. Ayant grandi avec l’odeur de la mort, il la connaissait bien, mais celle qui venait d’ouvrir la sentait bien plus que les âmes qu’il avait l’habitude de voir.

Razal se para d’un magnifique sourire. S’il était faux, le chevalier le cachait bien, surtout après la scène qu’il venait de voir. Derrière la jeune femme, un groupe d’individus était en train de déplacer des cartons, quand un t-shirt tomba à terre. Le slogan était inratable, surtout avec la couleur bien voyante et l’écrire, en gros, disant « Votez Reagan ». Ne voulant pas sauter sur une conclusion hâtive, le crabe d’or chercha les potentielles raisons de ce t-shirt. Premièrement, Reagan aurait pu s’être présenté au présidentiel. De quel pays ? Peut-être le sien ou alors celle de leur île, ou encore une présidentiel mondiale, le genre qui oblige tous les camps de dieux à voter. Deuxièmement, les Spectres étaient peut-être juste fans d’un gars qui avait mis une correction à un Saint, surtout après que les télévisions du monde entier aient diffusées le reportage du Verseau. Troisièmement, les Spectres étaient alliés aux chevaliers noirs, ce qui compliquerait peut-être la situation.

A cette troisième hypothèse, une citation de son père vint raviver la mémoire du jeune homme. Son plus qu’intelligent de père lui avait dit un jour : « Un bon ennemi est un ennemi mort ! ». Conclusion pour le coup, Razal avait déjà des ennemis devant lui et ils étaient déjà morts. Alors s’il pouvait éviter d’avoir des vivants dans cette équation, ça l’arrangeait un peu. Un ennemi, c’était bien, surtout pour se détendre de temps en temps, mais s’ils avaient le monde à dos, comment les Saints pouvaient-ils réussir à protéger le monde ? L’heure n’était plus à la digression mentale, mais à la présentation. Dans un autre camp, le chevalier se serait surement présenté comme vendeur d’aspirateur, mais il n’était pas sûr que la blague fonctionnerait ici.

- Bonjour mademoiselle, je suis Razal, chevalier d’or du Cancer et voici mon collègue.

Le Cancer laissa un peu de temps, afin que le Scorpion puisse se présenter de lui-même, avant de reprendre.

- Nous ne sommes pas venu ici en tant qu’ennemi, seulement pour vous poser quelques questions… enfin si vous acceptez d’y répondre.

Le sourire du chevalier se fit un peu plus crispé, se rendant compte qu’il était déjà en train de patauger. Il aurait surement dû passer un peu plus de temps avec sa mère, histoire d’apprendre l’art de la conversation, plutôt que d’apprendre à casser des dents avec son père. Le jeune homme se tourna rapidement vers Lesath, lui lançant un regard sans équivoque, pouvant se traduire par : « Help, c’est toi qui a rencontré l’Ombre, c’est donc toi qui en connait le plus long sur le sujet ». Avant de se retourner vers la Spectre. Après tout, récupérer des informations sur Eris n’était qu’une excuse pour lui. En réalité, il voulait juste faire un petit tour dans les Enfers, histoire de parfaire sa technique, rien d’autre.

Si Razal tentait de sauver les apparences, son acolyte du Scorpion se réserva bien de le faire. Pas de faux sourire à arborer, et encore moins de rangs à présenter. Ils étaient apparemment tombés, en arrivant sur les lieux, sur un échange des plus incohérents qui, dans d’autres circonstances, aurait pu se révéler plutôt drôle. Mais l’ibère restait sur ses gardes. Ils auraient beau montrer patte blanche et être honnêtes dans leur démarche, il n’en restaient pas moins des représentants de la Sagesse sur les terres de la Mort.

Et en général, ils n’étaient pas très bien accueillis. Probablement parce que les camps étaient naturellement, et ce depuis de nombreuses générations, ennemis. Mais suite à l’apparition d’une nouvelle déité, peut-être pourraient-ils respecter une certaine trêve, le temps de tirer les choses au clair ? Si pour l’instant la Discorde n’était l’ennemie de personne, sa réputation la précédait. Et elle n’était pas forcément très glorieuse.

Ils étaient probablement face à un ou une spectre, qui devait se demander qui ils étaient et ce qu’ils foutaient là, à raison d’ailleurs. Lui-même commençait à se le demander. Ils étaient en train de quérir des informations auprès de leurs ennemis héréditaires. Lesath s’évita de soupirer à cette seule idée, et observa les présentations. Lorsque son tour fut venu, il se contenta de donner son nom, sans préciser ni son rang, ni sa constellation. Ce n’était pas vraiment important en l’état. Une ou deux phrases plus tard, le Cancer d’or se retournait vers lui. L’espagnol ferma les yeux une seconde pour penser à ce qu’il allait bien pouvoir dire. S’ils ne marchaient pas sur des œufs, ils n’en étaient pas loin.

« Eris, déesse de la Discorde, est incarnée. » se contenta-t-il d’annoncer, d’un ton qui se voulait le plus neutre possible. « Plus que chercher des réponses à ce sujet, nous venons vous informer de ce fait. » Ajouta-t-il. Aborder le sujet de but en blanc lui semblait le moyen le plus efficace pour en tirer quoi que ce soit. Ils étaient dans le flou, mais peut-être qu’en était honnêtes avec les morts, ils pourraient en tirer quelque information. « A moins que vous ne soyez déjà au courant, évidemment, auquel cas notre voyage ne fait plus aucun sens. » Conclu-t-il pour l’instant.

Lesath n’avait pas l’impression de lire la moindre surprise sur les yeux de la jeune femme, mais d’un autre côté, cela pouvait vouloir dire un grand nombre de choses. Peut-être que le spectre était déjà au courant, ou peut-être n’en avaient-ils rien à faire, de l’autre côté du Styx. Il ne pouvait se prononcer sur la question. Dans tous les cas, il faudrait que la jeune femme face à lui fasse preuve d’un minimum de bonne volonté pour que le duo puisse revenir des enfers avec un tant soit peu d’information supplémentaire.

Et, entre nous, il ne misait pas trop là-dessus.

La grande perche eut une expression bizarre quand la porte s'ouvrit, dévoilant le vestibule du Château. La Liche se retourna brièvement pour voir ce qui provoquait une telle réaction et jura intérieurement. Crétins de Squelettes, si elle leur avait ordonné de ranger leur bazar ce n'était pas pour qu'ils le fassent transiter par un endroit d'où n'importe quel visiteur pouvait le voir ! Les Spectres avaient une réputation à tenir, merde ! Une fois qu'elle aurait éconduit le duo d'importuns, ces stupides larbins en prendraient pour leur grade...

« Enchantée, Vos Excellences. Je suis Andréa de la Liche, Étoile Terrestre. » se présenta-t-elle à la suite des Saints. Le dénommé Lesath n'avait pas daigné révéler son rang mais jusqu'à preuve du contraire, mieux valait assumer qu'il s'agissait également d'un chevalier d'Or. La Spectre profita du fait qu'une de ses mains soit cachée par le battant de la grande porte pour faire discrètement signe aux Squelettes de se rendre utiles et de prévenir le reste des forces infernales au cas où elle aurait besoin de renforts : elle n'avait guère confiance en sa capacité à affronter seule deux guerriers d'élite du Sanctuaire si les choses venaient à dégénérer.

« Tout dépend du contenu de vos questions et de ce que vous nous donnerez en échange. » continua-t-elle lorsque le Cancer exposa – vaguement – le motif de leur visite. « Mais je peux déjà vous assurer que nous n'avons rien à voir avec ce Reagan, même si le comportement déplacé de mes subordonnés peut donner l'impression contraire. Ils seront sévèrement réprimandés, n'ayez crainte. »

La polonaise ponctua sa réplique d'un regard assassin en direction des sous-fifres, ce qui les fit décamper en quatrième vitesse – en plus de leur donner un excellent prétexte pour s'absenter et aller chercher de l'aide. Revenant à ses interlocuteurs, elle se demanda d'abord si les Saints n'avaient rien de plus urgent à faire puis s'ils ne seraient quand même pas un peu durs de la comprenette : c'était la deuxième fois qu'un chevalier d'Or venait les déranger sans raison valable depuis leur expédition punitive en Grèce. Le Seigneur Thanatos S'était pourtant montré très clair lorsqu'Il avait décrété la fin des combats, proclamant en substance que les gardiens de l'Au-delà cesseraient désormais de disputer la garde de la Terre aux paladins et se contenteraient de rester dans leur coin à manger du popcorn en les regardant se vautrer. Ce qui n'avait pas manqué d'arriver, comme le prouvait le capharnaüm médiatique actuel.

Mais non, à sa grande surprise ce n'était pas pour ça qu'ils étaient là. Éris ? Pourquoi venaient-ils lui parler d’Éris ? Est-ce qu'ils se payaient sa tête ou est-ce que les athéniens avaient vraiment de gros, d'énormes problèmes de communication – à la fois internes et externes ? Bien sûr que les Spectres étaient au courant de la résurrection de la Discorde, le Gémeau n'avait-il pas fait passer le message après l'avoir rencontrée ici-même lors de sa propre visite ? Les chevaliers n'avaient-ils pas été mis au courant lorsqu'elle s'était rendue au Sanctuaire, mettant à exécution la menace faite au Faucheur ?

Pataugeant dans la plus grande confusion, la jeune fille entreprit néanmoins de poursuivre la conversation, remerciant mentalement son expérience avec les Squelettes. Comme quoi, il y avait parfois des avantages à devoir composer au quotidien avec un tel niveau d'idiotie, on apprenait à masquer ses propres moments de flottement et à reprendre rapidement le contrôle en toute circonstance.

« Sauf votre respect Vos Excellences, qu'attendez-vous de nous en nous disant cela ? »

Elle était curieuse de le savoir : c'était leur mission à eux de protéger l'humanité des machinations de la Discorde, pas celle des infernaux. Le Pope Gareth s'était lui aussi montré très clair à ce sujet lorsqu'il avait joint ses forces à celles de Poséidon pour punir les Spectres d'être intervenus dans les affaires de la surface après tout.

« Mais je manque à tous mes devoirs. Souhaitez-vous entrer et continuer cette discussion de manière plus confortable ? »

En entendant la Spectre s’adresser à eux, Razal trouva la formule plutôt étrange. Il était loin d’être une « Excellence » et n’avait rien de royal, sauf s’il écoutait les histoires de ses parents. Elle se présenta à eux, bien plus longuement que ne l’avait fait Lesath, en tant que Spectre de la Liche. Le nom ne disant rien au Cancer, il en déduisit qu’elle ne faisait pas parti de la haute sphère Spectre. Pour autant, il ne pouvait pas l’exclure du statut de menace, surtout après le coup du renégat Reagan. Les quelques paroles qu’avait placé le Scorpion firent comprendre au jeune homme qu’il n’était pas le seul à avoir du mal à communiquer. Il attendit la réaction de la Spectre, avant de corriger les dire de son compère.

- En fait, ce que veut dire mon ami, c’est plutôt qu’Eris, en tant que sœur de votre dirigeant actuel, a surement eu des contacts avec vous. Nous aimerions juste savoir lesquels, afin de pouvoir statuer de son niveau de menace. Bien sûr, nous connaissons une partie de ses antécédents, tout le monde connait la mythologie après tout, mais vous avez surement des informations que nous ne possédons pas actuellement.

Si, verbalement, les paroles pouvaient être traduites comme une faiblesse, elles étaient plutôt là pour le faire gagner du temps. Après tout, ils pouvaient tout aussi bien chercher d’autres pistes, voir même directement voir l’Ombre qui se trouvait à Rodorio, afin d’avoir les informations rapidement, voir même un petit séjour chez Eris. D’ailleurs, au vu du nom que se donnaient les guerriers de la Discorde, Razal nota qu’il devrait y faire un tour, au cas où le détour serait intéressant.

Avant de continuer d’avantage à parler, la jeune femme les avait invités à entrer dans le palais. Le Cancer doutait que le château puisse encore avoir des pièces confortables, mais accepta l’invitation, d’un hochement de tête. Pour lui, entrer dans le palais était un pas de plus vers l’entrée des Enfers et il voulait vraiment y faire un tour, de son vivant bien sûr. Tout en marchant derrière la Spectre et en scrutant le moindre mouvement, le chevalier reprit la parole.

- Tout d’abord, avant de reprendre le sujet d’Eris, puis-je vous demander de ne pas nous appeler « Excellence » ? Ni messire ou tout autre titre pompeux, enfin… sauf si Lesath préfère ça, à lui de voir. Appeler moi simplement Razal.

Alors qu’il suivait tranquillement le mouvement, le chevalier eut une idée, qu’il écarta rapidement. Il avait pensé récupérer un des t-shirt, pour l’offrir à Azir, avant de se dire qu’il s’agissait d’une mauvaise idée. Par contre, peut-être qu’il pourrait faire fabriquer des t-shirts « Courage Azir » et « Gloire à Eury », histoire de remonter le moral de tout le monde. Il garda cette seconde idée de côté, pour la proposer à son camarade plus tard et voir ce qu’il en pensait.

- Votre déco est… particulière… on dirait mon temple avant que j’y fasse le ménage. Vous voulez que je vous prête mon décorateur d’intérieur ? Enfin… pas sûr qu’il puisse faire grand-chose de toutes les âmes qui trainent dans le coin… vous devez être habitué à la longue.

Andréa de la Liche donc, les avait reçus avec une courtoisie aussi bienvenue que suspicieuse. Le Scorpion croisa ses bras sur la poitrine et laissa tout loisir à son compère du Crabe de prendre la direction de la conversation. L’Ibère avait l’habitude de laisser la parole plus que de raison aux autres interlocuteurs, et cette fois-ci il ne dérogerait pas à la règle. Légèrement en retrait, il se contenterait les prochains temps d’essayer d’analyser les paroles de la Spectre. S’il avait déjà eu le loisir de côtoyer des chevaliers d’autres ordres – parfois passés au leur, il est vrai – Lesath n’avait jamais croisé de Spectre. De ce qu’il avait retenu des leçons qui lui avaient été enseignées au sujet des serviteurs d’Hadès, peu avait réellement d’importance. La principale information était qu’en général, ils étaient morts. Ou pas loin. Et qu’ils partageaient leur enveloppe avec l’étoile qu’ils représentaient. Certains se laissaient choir dans un conformisme qui permettait à leur étoile protectrice de prendre le dessus, et bientôt n’étaient plus que des enveloppes charnelles pour des âmes réincarnées. D’autres, par contre, apprenaient à vivre avec cette présence, parfois en payant un tribut qui dépassait de loin les bénéfices qu’une telle cohabitation pouvait fournir.

Ou quelque chose comme ça.

S’il n’avait en réalité pas de grande envie de s’introduire dans le palais, le Scorpion dut s’y résoudre, Razal ayant choisi de suivre la jeune femme à l’intérieur, de façon plus ou moins péremptoire. Suivant le Cancer, il laissa le soin de nouveau à ce dernier de prendre la parole et de remercier leur hôte. Se contentant de signaler par un « Non, Lesath suffit largement. » que son nom était largement suffisant, le chevalier essaya tant bien que mal de ne laisser dans son dos qu’un mur des plus innocents. Peut-être à tort. Après tout, il n’avait pas le don de vision de son collègue et les feu follets représentants les âmes des défunt qui pouvaient voltiger dans la pièce – et indirectement, dans son dos – lui étaient aussi invisibles que le soleil à un aveugle.

Les paroles prononcées par Razal étaient claires. Ils demandaient à un potentiel ennemi des informations, et en contrepartie … en contrepartie ils ne proposaient rien. Autant dire que la discussion risquait de tourner court assez rapidement, malheureusement. D’un autre côté, quelle monnaie d’échange pouvaient-ils bien avoir à proposer ?

Il s’agissait peut-être d’un coup d’épée dans l’eau, mais ne prenaient fondamentalement pas de grands risques en faisant de la sorte. A moins qu’une horde de spectres ne surgisse devant eux de façon des plus inopinées. C’était peu probable, mais pas impossible. S’ils en arrivaient là, alors le sang coulerait, et il espérait fortement que ce ne soit pas le sien.

Endossant son rôle d'hôtesse, la polonaise commença à guider les Saints au travers du dédale des couloirs en direction d'une cour intérieure où ils pourraient discuter tranquillement – et minimiser les dommages infligés à l'édifice en cas de désagréments violents. Elle en profita au passage pour ordonner à un Squelette – en tenue convenable celui-là – d'apporter quelques rafraîchissements à leurs invités. Elle resta à l'écoute tout du long, répondit à la requête d'adopter un ton moins formel d'un bref « Comme vous voudrez. » mais les précisions apportées par le Cancer ne firent pas grand chose pour plaider sa cause.

Certes, les Spectres laisseraient volontiers Éris crever la bouche ouverte au cas où il lui arriverait une bricole. Question de principe, ils étaient des êtres voués à l'Ordre tandis qu'elle ne vivait que pour propager le Chaos, et le fait qu'elle ait voulu faire chanter le Seigneur Thanatos puis qu'elle ait profané l'esprit de leurs soldats pour les forcer à s'entre-tuer dans ce Château-même n'arrangeait rien. Seulement voilà, comme Razal le rappelait lui-même, la Discorde était la sœur du Faucheur et Lui au moins semblait attacher quelque importance à Leurs liens de sang ; Il n'avait pas jugé opportun de lui rendre la monnaie de sa pièce, aussi Andréa ne se risquerait-elle pas à prendre une initiative hasardeuse en la matière sans Sa permission expresse. Même si ce ne serait qu'un échange de bons procédés après que l'instigatrice des conflits soit partie faire des confidences au Sanctuaire...

« Vous voulez savoir si elle représente une menace et vous pensez que nous détenons des informations privilégiées en vertu des liens familiaux qui l'unissent à Sa Seigneurie ? Imaginons que vous ayez raison : que feriez-vous si nous satisfaisions votre curiosité ? » interrogea-t-elle alors qu'ils arrivaient dans un jardin clos décoré de statues et même d'une fontaine. Un plateau supportant plusieurs verres et tasses ainsi qu'un assortiment de boissons avait été déposé sur une table de pierre devant un banc offrant une vue imprenable sur leurs plus beaux parterres de fleurs. « Si vous décidiez qu'Éris est dangereuse et que vous l'attaquiez, ne pensez-vous pas qu'elle remarquerait que vous êtes un peu trop bien informés à son sujet ? Qu'elle ferait le rapprochement avec les seules personnes susceptibles de vous avoir transmis ces renseignements et qu'elle se vengerait d'autant plus férocement en pensant que son propre frère l'a trahie ? »

Elle doutait que ce que les infernaux aient à offrir soit si utile de toute façon – Xing Huo avait rapporté que la Discorde avait au moins une acolyte capable de manipuler l'espace-temps et qu'elle était en contact avec l'Oiseau de Paradis – mais c'était là aussi une question de principe. Elle aurait pu leur parler du bref accrochage entre Éris et Gareth des Gémeaux au cours duquel la fille de Nyx avait réduit l'ex-Pope à l'impuissance en un tournemain, lui renvoyant sa propre attaque à la figure et le forçant à fuir la queue entre les jambes. Cela seul devrait amplement suffire à les convaincre du danger posé par la Déesse dans la mesure où il s'agissait du même Gareth qui avait écrasé Son Excellence Rhadamanthe, mais elle n'en ferait rien. S'ils n'étaient pas au courant de ça, soit parce que feu le Gémeau ne s'était pas vanté de sa défaite ou parce qu'il était mort avant d'avoir pu faire passer le message, et bien ce n'était pas son problème : pourquoi devrait-elle corriger les carences de leurs collègues et supérieurs ?

« J'attends toujours de savoir ce que vous nous proposeriez en échange de ce risque, messieurs. » souligna-t-elle en maintenant son masque de politesse. Pas d'Excellences ce coup-ci puisqu'ils insistaient pour refuser la marque de courtoisie due à l'égal d'un Juge. On avait le sens du respect de l'autorité en Enfer ; tant pis pour eux. « Surtout que votre récente opération médiatique n'inspire pas exactement confiance en votre capacité à garder pour vous le secret de notre éventuelle participation. »

Elle fit une pause le temps de proposer une boisson à ses invités puis répliqua finalement au dernier commentaire de Razal avec un sourire innocent et un geste nonchalant de la main qui attirait l'attention sur les griffes acérées de son Surplis : « Je partage votre avis, cet endroit était tellement plus beau avant que vous et vos alliés Marinas ne le fassiez tomber sur nos têtes. »

Le chevalier avait déjà remarqué que son camarade n’était pas un grand bavard, et bien sûr, celui-ci l’illustrait très bien. La discussion se ferait donc à deux, sauf pour de rares interventions, si du moins le Scorpion en avait l’envie. Plus Razal passait de temps avec Lesath et plus il pouvait le comparer aux assassins qu’il avait lu dans certains livres. Il se rappelait notamment de celui d’un auteur du nom de Brent Weeks. D’un rapide regard vers son coéquipier, le Cancer se demanda s’il était capable de se fondre dans les ombres.

Si leur guide avait gardé le silence, elle ne ratait aucune des paroles des Saints. Elle avait même enregistré les informations, attendant d’être dans un espace plus confortable. Ce fut ainsi que le trio se retrouva dans un petit jardin, bien plus beau que le premier. Son emplacement géographique avait dû lui épargner les conflits et ainsi en sauvegarder la pureté. Ce ne fut qu’à cet endroit que la Spectre accepta de parler de nouveau.

- La Discorde est FORCEMENT une menace, comme quatre-vingt-dix-neuf pour cent des dieux. Même le plus faible d’entre eux est capable de réduire la terre à néant, simplement parce qu’il en aurait VRAIMENT envie. Mais effectivement, nous pensons que vous détenez plus d’informations que nous.

Le crabe d’or écouta la suite des paroles de la Liche. La jeune femme avait certaines craintes évidentes et tout à fait logiques. Razal essaya toutefois d’adoucir la conversation.

- Nous ne parlons pas de l’attaquer, seulement de connaître ses intentions. N’oubliez pas que nous ne sommes pas comme vous, notre vie peut être longue ou courte, mais de votre point de vue, nos vies ne seront qu’un battement de cils.

Puisque le chevalier n’avait toujours rien donné en contrepartie, la Liche souligna son impatience, afin de reporter la discussion dessus, avant d’elle-même partir sur un autre sujet. Razal inspira profondément, tout en se demandant comment les Spectres avaient pu faire pour avoir une connexion internet. Le réseau était déjà pourri dans un tunnel ou même en forêt, alors dans une autre dimension, la technologie devait être importante. Le Cancer garda cette information pour lui, se disant qu’il devrait en parler aux autres plus tard. Même s’il ne connaissait pas les limites de cette technologie, les Spectres en avaient suffisamment pour avoir internet et ainsi récupérer des informations importantes sur le monde terrestre.

Les boissons étant déjà servi, la jeune femme leur proposa de boire un peu, avant de faire un nouveau commentaire, en réponse aux dernières paroles du Cancer. L’accusation n’était clairement pas cachée et énervait grandement le chevalier, qui n’aimait pas être accusé de crime qu’il n’avait pas commis. Il se posa rapidement sur une chaise, sans cacher son agacement, avant de sortir un papier et un plume. Il commença à griffouiller quelque chose, avant de le tendre à la Spectre.

- Le passé est le passé, vous ne pouvez reprocher à des chevaliers, qui ne l’étaient pas à l’époque, les erreurs des autres. Sinon, nous serions dirigés par des chevaliers de bronze ou alors je serai en train de passer un accord avec vous, afin de vous apporter la tête d’Athéna. Je vous propose donc ceci, en désignant le papier, ou alors je peux aussi renvoyer toutes les âmes présentes ici, vous y compris, directement aux Enfers, voir même le Tartare, si je suis motivé.

Le regard du Saint était perçant, ne trahissant pas le mensonge qu’il cachait derrière. Il pointa du doigt le papier, afin de faire comprendre à la jeune femme qu’elle pouvait le lire. Elle pourrait donc y lire : « Ne vous occupez pas des paroles, seulement de ce qui est écrit là. Je peux vous proposer mon aide, afin de rendre la splendeur passée à cet endroit. Je ne peux pas plus, n’ayant ni les moyens, ni le rang pour en faire d’avantage. » Le message était assez simple, le chevalier proposait son temps libre, afin d’aider aux réparations, contre une simple information, même mineur. Après tout, ils n’avaient rien pour savoir si la jeune femme leur dirait la vérité, sauf si Lesath en savait plus long.

- Alors ma belle, à toi de choisir.

D’un geste de la main, le Scorpion refusa l’invitation à se désaltérer et suivi la discussion de loin, un peu absent, se contentant de compter les points. La Spectre avait raison, et il le savait. Ils n’avaient rien à foutre là et l’idée de glaner quelque information auprès de leurs ennemis héréditaires était, au mieux saugrenue, au pire, dangereuse pour eux. L’ibère aurait pu – et probablement dû – s’en douter au moment de la proposition, mais d’une part il ne connaissait pas les relations entre les deux camps avant leur escapade en enfer, et d’autre part, il ne servait à rien de s’en lamenter maintenant. Le spectre avait raison principalement sur un point, ils n’avaient rien, ou du moins pas grand-chose, à proposer en échange de ces informations. Et quand bien même ils auraient une monnaie d’échange, rien ne les garantissait que les données récoltées seraient vraies. En un mot, cette petite virée dans le monde des morts était un échec.

« Proposer quelque chose… » Marmonna-t-il. Ce fut à cet instant que son collègue d’Or sorti une plume et un document vierge, avant de se mettre à badigeonner ce dernier d’encre. Sans même jeter un coup d’œil sur le texte, le Scorpion se douta de son contenu. Compte tenu des paroles qui venaient d’être échangées, Razal devait sans aucun doute proposer une aide, ou une compensation quelconque, afin d’excuser ou d’au moins atténuer les effets de la dernière invasion des Saints. Ou quelque chose comme ça. Si la méthode lui semblait pour le moins étrange – après tout, sa parole était aussi valide par écrit qu’à l’oral – l’objectif était louable. Il était disposé à donner de sa personne, d’une façon ou d’une autre, pour mener à bien ce troc loufoque.

Cependant, le Scorpion doutait que la jeune femme face à eux n’accepte le deal. Après tout, ils étaient les enfers, et la main d’œuvre ne devait pas être ce qui manquait le plus. Si l’idée saugrenue d’exploiter un chevalier d’or en tant que maçon, plombier ou électricien pouvait être intéressante pour un Spectre, cela risquait de faire léger sur la balance. Cela pouvait suffire, bien entendu, mais l’Espagnol en doutait fortement.

« On perd notre temps, en somme. » Annonça-t-il, péremptoire.

Il remarqua que les deux autres paires d’yeux s’étaient tournées vers lui, et répondit par un haussement d’épaules. « Je me trompe, peut-être ? » Ajouta-t-il à l’intention de la jeune femme, esquissant un ersatz de sourire. Plus une moue qu’autre chose d’ailleurs. Il se doutait de la réponse de cette dernière, mais il n’était pas à l’abri d’une surprise. Au final, leur présence ici était déjà assez singulière, elle aussi, donc …

Spoiler:

Le taiseux avait tout compris : au moins quand on ne disait rien on ne risquait pas de sortir une ânerie. Razal par contre enchaînait les platitudes et les arguments n'ayant rien à voir avec leur discussion : quel rapport entre l'espérance de vie humaine et la réaction de la Discorde si les Spectres décidaient de jouer les Judas, attaque ou non ? S'il fallait vraiment considérer le problème sous cet angle, c'était plutôt une donnée qui jouait en défaveur du Cancer : les immortels avaient tendance à prendre extrêmement au sérieux toute offense commise par un être de plus basse extraction et étaient capables de conserver leur rancune intacte pendant des millénaires. Ils n'avaient aucun scrupule non plus à se venger sur des populations ou des lignées entières d'un affront infligé par un unique individu, ce qui rendait la Liche d'autant plus réticente à attirer le courroux d’Éris sur les prochaines générations de son ordre.

Andréa faillit s'esclaffer lorsque le Saint voulut se défausser de sa part de responsabilité sur ses prédécesseurs. Si seulement c'était aussi simple... était-ce cette philosophie lénifiante qui était à la base du laxisme que le Sanctuaire avait montré envers l'Atlantide dès lors que Poséidon avait cessé d'apparaître en public ? Pensait-il qu'il pouvait juste enfiler une armure d'Or et laisser de côté tout le passif qui allait avec, l'héritage et les idéaux qu'il embrassait en toute connaissance de cause ? Quelle naïveté...

Les paroles qui suivirent lui ôtèrent prestement toute envie de rire. La polonaise se figea, ne bougea pas un muscle pendant que son interlocuteur lui faisait passer sa « proposition ». Elle garda le silence en déchiffrant les quelques lignes écrites sur la feuille volante et ne réagit que lorsque Lesath se décida à s'exprimer : elle se tourna vers lui lentement, mécaniquement, et le dévisagea sans ciller avant de répondre à sa question en détachant chaque syllabe.

« Vous n'avez pas idée. »

Le cosmos de la jeune fille se manifesta à l'instant où elle retomba dans le silence, arabesques de miasme obscur qui emplirent l'air d'une puanteur de charnier. Le papier de Razal se racornit et tomba en poussière ; les oiseaux nichant dans les frondaisons s'enfuirent dans un concert de pépiements affolés et même les insectes du jardin prirent leur envol pour s'éloigner le plus loin possible. Les fantômes hantant le Château, eux, se rapprochèrent et devinrent visibles à l’œil nu en recevant l'énergie de la nécromancienne, d'abord sous forme de feux follets puis de silhouettes émaciées et affamées portant encore les stigmates de leur décès, tentant d'agripper les intrus de leur poigne immatérielle. Sans succès... pour le moment.

« Nous envoyer tous au Tartare... vous venez quémander une faveur et vous osez nous menacer, en plus de vous prendre pour l'égal d'un Dieu ? » siffla la Liche tremblante de rage. Hubris, blasphème, condescendance... même sa pitoyable proposition insultait l'intelligence des infernaux. « Et pour couronner le tout vous pensez que vous nous amadouerez en jouant les ouvriers du bâtiment à la petite semaine ? C'est quoi ça, un plan pour nous espionner dès que nous aurons le dos tourné ? »

Décidément les Spectres avaient fait une erreur en n'achevant pas les Saints lorsqu'ils en avaient eu l'occasion, maintenant tout le monde leur marchait sur les pieds en profitant de la générosité du Seigneur Thanatos. Gareth s'était invité chez eux et avait tenté d'enlever la Mante en l'emmenant dans l'une de ses dimensions, Éris avait abusé de leur hospitalité et s'était moquée d'eux pendant des mois, puis c'était de nouveau le Gémeau qui s'était attaqué à eux à Rozan... et aujourd'hui ça. C'en était trop.

« Lesath, je vous conseille de rester en dehors de ça. » lança-t-elle, acide, en se relevant. L'espagnol n'avait rien fait pour mériter sa colère, lui. La porte vers l'Au-delà que son Surplis abritait s'ouvrit et vomit un flot d'âmes damnées qui s'ajoutèrent à la ronde des défunts impatients de prendre part au festin offert par l’Étoile Terrestre ; elle se tourna vers le Cancer, maîtrisant à grand peine les tics nerveux qui agitaient ses mains alors que l'influence des morts et celle de Kochtcheï érodaient peu à peu ses dernières inhibitions. « Je vais vous faire ravaler ces paroles. En garde ! »

HRP : Andréa défie Razal en duel !

Les paroles, que Lesath avait prononcées, étaient claires et parfaites pour décrire la situation actuelle. Pourtant, le Cancer y croyait encore, il espérait vraiment pouvoir corriger les erreurs passées en proposant son aide. Pourtant, en une simple phrase, la Spectre avait fait sombrer cet espoir, faisant bien comprendre au chevalier qu’il était bel et bien nul en communication. En discutant avec Azir, il s’en était fait un ennemi, pareil avec Eurydice, alors qu’il ne cherchait pas la violence. Et maintenant, devant les portes des Enfers, il se faisait une nouvelle ennemie, alors qu’il pensait bien faire. Le jeune homme du même se retenir de signaler qu’il n’était pas capable de faire ce qu’il avait dit, tout comme il l’avait indiqué sur son message. Peut-être la Spectre avait-elle prise la menace au sérieux ou alors jouait-elle mieux la comédie que lui ?

La réponse fut simple à comprendre, le cosmos de la jeune femme emplissant l’air, flétrissant ce qu’elle touchait et peut-être plus encore. Razal comprenait mieux l’odeur qu’il avait sentie quand elle avait ouvert la porte. Elle ne sentait pas simplement la mort, comme les milliers d’âmes se trouvant autour d’eux, mais la décomposition. Une décomposition déjà bien avancée, loin de la magnifique mort que l’on pourrait décrire dans les livres, mais plus proche d’un charnier en tant de guerre.

Le regard du chevalier devin triste, non pas à la vue des âmes se trouvant autour d’eux, puisqu’il les avait vu depuis longtemps, mais simplement parce qu’il venait de comprendre quelque chose. Jamais les Saints et les Spectres ne pourraient s’entendre, simplement parce qu’ils s’étaient tellement tiré dans les pattes, qu’ils étaient maintenant au point que tout devenait une insulte. Le jeune homme tourna doucement la tête vers son camarade, avant de lui dire :

- Elle a raison, tu devrais t’éloigner un peu. Je vais assumer mes erreurs et laisser mon entraînement parler pour moi.

En lui, les paroles de son père résonnaient, afin de lui rappeler qui il était : « Tu es un spartiate et tu le seras toujours ». Et en effet, Razal était bien un spartiate, il s’en rendait bien compte maintenant, car comme tout bon spartiate, les duels étaient toujours relevés. Pourtant, au lieu de s’en attrister, de vouloir être plus comme sa mère, le jeune homme s’en réjouissait. Il n’avait peut-être pas la puissance de ses confrères, mais il était suffisamment fort pour porter une armure d’or. Alors, résigné à combattre, le chevalier laissa son cosmos envahir les lieux.

Contrairement à la Spectre, le cosmos du Cancer était plus doux, montrant une image de la mort plus calme. D’abord d’un blanc laiteux, la couleur de son cosmos changea rapidement, pour devenir presque invisible et ne laisser qu’une vibration de l’air autour de lui. Tout comme son ennemie, le cosmos du Saint avait un effet sur son environnement direct. Les âmes s’agitèrent rapidement, s’éloignant d’abord, avant de se rapprocher, pour finalement s’arrêter. Si on ne regardait que les âmes, le temps semblait suspendu, simplement parce qu’elles avaient cessées tout mouvements. Devant les yeux des éveillés présents, les âmes prenaient presque vie, le mélange des deux cosmos leur offrant presque un corps physique, ayant pour seul défaut d’être translucide.

- Puisque tu veux jouer, on va jouer.

Le chevalier claqua alors des doigts, juste pour donner un effet théâtrale supplémentaire, avant d’attendre. Il attendit encore un peu, avant de lever les yeux au ciel, l’air un peu perplexe.

- On a bien sorti les armures de la voiture ? Nan, parce que sinon… on va devoir rentrer à pied et j’ai pas vraiment envie de créer une brèche en parcourant tout le trajet en vitesse lumière…

Finalement, après un temps trop long pour le Cancer, moins d’une minute, l’armure d’or vint le recouvrir, diffusant une lumière bien plus vive dans ce lieu sombre. Pendant un temps supplémentaire, le chevalier quitta son air sérieux, jubilant de sentir la puissance de son armure. Il n’allait pas le hurler dans la cour, mais il était heureux de sentir cette puissance pour la seconde fois, n’ayant pas eu le temps de la reporter, après l’avoir reçu. Quand il s’habitua à ce bien-être intérieur, le jeune homme se concentra de nouveau sur son adversaire, plongeant un regard plus déterminé dans celui de la jeune femme.

- Défi relevé. Mais n’oublie pas une chose… ici, c’est la Terre !

HRP : Razal relève le défi

Presque impatient, le Scorpion s’esquiva et s’éloigna quelque peu des deux belligérants. Il n’avait pas particulièrement envie d’être pris dans un échange de coups qui ne le visait pas. Ceci dit, l’Ibère avait déjà décidé qu’il n’interviendrait pas dans le combat, sauf pour les séparer si cela allait trop loin. Il n’avait aucune envie qu’une nouvelle guerre sainte se lance à cause d’un échange peu inspiré. Le combat fut expéditif, comme souvent entre éveillés. « Jolie droite. » Et rapidement le spectre avait pris le dessus. Aussi étonnant que cela puisse paraître… Avant de conclure la rixe à l’aide d’une attaque qui plongea le champ de bataille et les gradins improvisés dans le noir.

« On en est là, donc. Eh bien, c’est ma foi plutôt décevant. » Marmonna-t-il avant de s’étirer les muscles du dos. Le combat avait été rude, et s’il le désirait il pouvait cueillir le fruit bien mur qu’était devenu Andréa de la liche. Cependant, il n’en avait pas la moindre envie. Il ne comprenait que trop bien la posture du spectre, les paroles de Razal avaient été, au mieux idiotes, au pire insultantes. S’il avait été dans la même posture que la Liche, sans doute aurait-il dégainé lui aussi. Il ferma les yeux et se laissa envahir par son cosmos. La douleur dans la poitrine s’éveilla, comme à chaque fois qu’il faisait appel à sa propre aura. Puisant dans ses propres blessures, l’intensité de sa propre flamme augmenta. Il n’estimait pas devoir se sublimer pour envoyer le spectre dans la tombe si le combat venait à avoir lieu, compte tenu des passes d’arme qu’elle avait déjà du échanger avec le Cancer, mais mieux valait prévenir que guérir.

Comme à son habitude lorsqu’il faisait appel à son cosmos, l’ongle de son index droit s’allongea et se tinta d’un noir sombre, opaque. Alors que la Liche avait porté son dernier coup et que le Cancer avait lui décidé de faire ami-ami avec son adversaire, le Scorpion décida de se manifester. « Antarès. » L’attaque était partie sans s’annoncer et surtout sans cible définie. La vague d’énergie traversa le sol entre les deux anciens adversaires et explosa le sol en pierre, forçant le Spectre à reculer.

« On arrête là. Vous comprenez bien que je ne peux pas vous laisser terminer ce chevalier, quand bien même il le mériterait. Cela ferait quelque peu tâche dans mon historique d’avoir laissé un chevalier se faire tuer alors que je pouvais l’en empêcher. » Ajouta-t-il, très sérieusement. Lentement, il s’approcha du corps inanimé de son collègue, la terre noire crissant sous ses solerets dorés. De la main droite il attrapa le bras de Razal et l’envoya d’un geste brusque, brut, sur son épaule. Il l’avait bien cherché, cette branlée.

« Quand à cet échange. Disons que mon cher collègue a surement dépassé les bornes. J’espère que la correction que vous lui avez infligée suffit à dire que la balance est à l’équilibre sur le sujet. Si cela vous convient. » Conclut-il, sous-entendant par la sorte qu’il n’y aurait pas de réponse de la part du sanctuaire à cette agression. Du moins, lui ne le demanderait pas.

Le Cancer se montra contrariant jusqu'au bout : même après avoir encaissé un assaut d'une telle puissance, il persistait à se relever futilement. Andréa le laissa faire, ceci dit : il y avait des limites à tout, y compris l'endurance d'un chevalier d'Or. Rien qu'en le regardant, elle pouvait voir qu'il était à présent inoffensif, l'intégralité de son cosmos parvenant à peine à lui conférer la force nécessaire pour mettre un pied devant l'autre. Dans son état, une pichenette aurait sans doute suffi à l'achever.

« Pas intéressée. » répondit-elle lorsque le Saint lui offrit la possibilité d'un match retour. Il était là, sans défense, et il ne prenait toujours pas sa situation au sérieux. Peut-être que tout ceci n'était qu'un jeu pour lui mais la Spectre par contre ne se battait pas pour son amusement personnel, merci beaucoup ! Il ferait mieux de se préoccuper de sa sécurité... heureusement pour lui que la rage de la Liche avait reflué à l'issue de l'affrontement, lui rendant sa clarté d'esprit.

Elle recula d'un pas, privant Razal de son appui, et le regarda s'étaler au sol sans faire le moindre effort pour le rattraper. C'était peut-être mesquin de sa part mais à défaut de briser l'armure du Scorpion, elle le laisserait volontiers se couvrir de fange. Autant profiter des petits plaisirs de sa victoire tant qu'elle le pouvait encore parce que même si ce n'était pas l'envie qui manquait, même si la perspective de priver le Sanctuaire d'un de ses combattants d'élite était diablement tentante, elle ne pouvait pas se permettre de le tuer. Ce qu'elle venait de faire pouvait encore passer pour un vigoureux remontage de bretelles – il était de notoriété publique que nombre de chevaliers avaient la tête dure et qu'il fallait vraiment forcer pour y introduire un peu de plomb salutaire – mais aller plus loin que ça serait une déclaration de guerre, or le Faucheur n'avait pas donné Son aval pour une telle chose. Dire que les guerriers d'Athéna persistaient à Lui renvoyer Sa clémence au visage, quelle ingratitude !

Priant qu'elle ne soit pas en train de faire une énorme bêtise – quand un Spectre épargnait quelqu'un, cette personne avait trop souvent tendance à leur faire regretter cette décision en revenant leur pourrir l'existence ensuite – elle se pencha vers le Cancer inconscient avec la ferme intention de le traîner par la peau du cou jusqu'à son camarade. Lesath la devança toutefois : se méprenant sans doute sur ses intentions, il laissa éclater sa propre énergie et fendit l'air et le sol entre les deux éveillés, forçant l’Étoile Terrestre à prendre ses distances. Se tournant vers cette nouvelle menace, la jeune fille se félicita intérieurement de la justesse de son estimation précédente : il avait lui aussi le niveau d'un chevalier d'Or. Kochtcheï acheva de confirmer l'hypothèse en attirant son attention sur la forme étrange de l'ongle de l'espagnol, signifiant qu'ils avaient vraisemblablement affaire au Scorpion.

« Vous vous inquiétez pour rien, je m'apprêtais simplement à vous le rapporter. » annonça froidement la polonaise. La méfiance du second Saint était tout à fait compréhensible et il admettait que c'était son compagnon qui était en tort, aussi passerait-elle l'éponge pour cette fois ; elle n'aurait pas été si magnanime s'il avait lancé une attaque plutôt qu'un avertissement, en revanche. Elle était affaiblie, certes, mais sa condition physique s'améliorait à chaque instant maintenant que son cosmos était libre de se concentrer exclusivement sur la guérison de ses blessures. Les hémorragies les plus graves coagulaient, les plaies les plus handicapantes se refermaient à vue d’œil et des filaments de miasme terminaient de décomposer la chair brûlée, laissant de nouvelles cellules issues des tissus sains environnants germer à sa place. L'ensemble du processus n'était pas sans rappeler la mue d'un reptile ou le spectacle d'un insecte émergeant de son cocon ; ce n'était pas pour rien que son Étoile était celle de l'Immortalité. Il lui faudrait plusieurs jours pour se rétablir entièrement mais s'il ne s'agissait que d'échanger une ou deux passes d'armes avec Lesath – dont l'aura était considérablement moins importante que celle de Razal, même si la puissance brute ne faisait pas tout –, cela devrait d'ores et déjà être possible.

Elle n'aurait peut-être même pas besoin de gagner si elle souhaitait se débarrasser définitivement de l'autre nécromancien : un Squelette n'aurait aucun mal à mettre fin à sa vie, il suffirait à la Liche de garder l'espagnol occupé pendant ce temps. Cela ne devrait pas être si difficile, elle avait la technique parfaite pour ça... il se pourrait même que la seule proximité d'un éventuel affrontement suffise à sceller le sort de Razal. L'espagnol serait-il assez fort pour se protéger en même temps que son coreligionnaire tombé ? Pas sûr. Terminer comme simple dommage collatéral, quelle fin splendide ce serait pour le Cancer... Mais non, elle avait déjà décidé qu'elle n'irait pas jusque là.

En parlant de Squelettes, elle s'aperçut que la confrontation avait attiré son lot de spectateurs : toute une tripotée de larbins se pressait aux fenêtres donnant sur le jardin, jouant des coudes pour avoir les meilleures places. Elle les foudroya du regard et ils disparurent aussitôt. Enfin, elle devrait déjà être heureuse qu'aucun d'entre eux n'ait accroché l'une de ces stupides banderoles à la balustrade... elle soupira de lassitude pour la énième fois de la journée et agita distraitement une main en direction de Lesath, qui avait hissé son collègue inanimé sur son épaule :

« Assurez-vous qu'il ait bien retenu la leçon, tout le monde ne se montrera pas aussi généreux que moi. Et oui, mieux vaut en rester là, raviver la querelle entre nos factions ne serait à l'avantage de personne et nos supérieurs respectifs ont d'autres chats à fouetter... surtout les vôtres. Il faudra qu'on m'explique d'où vous avez sorti cette idée de duel public d'ailleurs, qui a bien pu penser que ce serait une bonne chose ? Sinon, maintenant que nous sommes entre gens raisonnables, avez-vous une meilleure offre à me proposer en échange de ce que vous êtes venus chercher ici ? »

Il avait peut-être sous-estimé la malice des spectres et de leurs subalternes. Autour d’eux, un grand nombre de squelettes se firent remarquer, probablement plus intéressés par les échanges de coups que par leurs tâches quotidiennes. S’il s’agissait de serviteurs fragiles et faiblards seuls, ils restaient dangereux en meute. Heureusement pour lui, et surtout pour Razal, ils n’intervinrent pas. Pire encore, ils détalèrent comme des lapins au premier geste de travers de la Liche. La jeune femme avait, il était vrai, un regard qui ne laissait pas la place à l’hésitation.

« On est bien d’accord sur ce point en tout cas. » Rebondit-il au sujet du combat organisé par Hakon, le Don King du Sanctuaire. Se donner en spectacle n’était pour le coup pas dans ses habitudes, ayant plutôt jusqu’alors toujours opté pour se charger de ses adversaires à visage couvert. La pénombre était souvent une arme aussi affilée que son dard empoisonné, il suffisait de savoir comment l’utiliser. Mais ce n’était ni l’endroit ni le moment pour mettre en pratique ses connaissances de l’assassinat.

L’ibère revint alors sur la dernière demande de la polonaise. Avait-il en sa possession le moindre levier permettant de lui faire changer d’avis ? Sans doute pas. Qui plus est, il avait beau n’être dans l’ordre officiellement que depuis bien peu de temps, il se doutait que fournir des informations à un membre du camp d’Hadès était une bien mauvaise idée. Probablement la meilleure s’il avait envie de finir sur un ring avec Eurydice, comme le chevalier noir de l’oiseau du paradis, mais probablement la pire s’il avait la moindre envie de vivre quelques jours de plus.

« Non, je n’ai pas en ma possession en ce moment d’information suffisamment importante pour être troquée contre les votres, quand bien même ces dernières existeraient. » Annonça-t-il, honnête. Une pensée lui vint ceci-dit à l’esprit à peine avait-il terminé de prononcer sa phrase. Malheureusement, cette idée était au mieux bancale, au pire complètement idiote. Il s’en dédouana en l’annonçant comme impossible, dans le doute …

« A la rigueur je pourrais intervenir pour vous éviter une expédition punitive, mais, entre nous, je doute d’avoir ce genre d’influence de toutes façons. Si les autres chevaliers décident de venir venger le simplet que je porte sur mon épaule, je ne pourrais m’y opposer, alors autant éviter de promettre quoi que ce soit. » Conclut-il avec un haussement d’épaules, alors qu’il repositionnait le corps inanimé de Razal sur son épaule. Il commencer à peser une tonne, ce qui était étonnant compte-tenu de son gabarit.

« Sur ce… » Lança le Scorpion en la saluant de la main droite.

Tout n’était peut-être pas encore perdu pour les Saints : à en juger par la désapprobation exprimée par Lesath, il devait au moins subsister un îlot de raison chez les serviteurs d’Athéna. Andréa en profita pour noter le fait que tous les chevaliers sacrés n’étaient pas d’accord avec la ligne de conduite officielle – toujours une information intéressante, ça –, sans pour autant se risquer à des conclusions hâtives. Ce n’était pas parce qu’un guerrier contestait le bien-fondé d’une décision de son supérieur que le Sanctuaire dans son ensemble était en proie à la dissension. De toute façon, une agression venue de l’extérieur pourrait aisément les pousser à mettre de côté d’éventuels désagréments le temps de serrer les rangs et faire bloc face à la menace…

« Merci de votre considération. » fit-elle poliment lorsque le présumé Scorpion offrit de prendre le parti des Spectres – dans certaines limites – au cas où il viendrait à l’idée des autres Saints de revenir les importuner. Elle ne se faisait guère d’illusions, elle doutait que tous acceptent calmement que Razal n’avait fait que récolter les fruits de sa propre inconscience, mais c’était l’intention qui comptait. La Liche fronça les sourcils en reportant de nouveau son attention sur le combattant comateux... « Le pire c’est que je me demande s’il ne dirait pas la même chose, ça avait l’air de l’amuser de se faire taper dessus. »

C’était un problème, comment était-on censé dissuader les mauvais comportements quand les pécheurs aimaient qu’on les punisse ? Elle s’efforça – en vain, malgré l’assistance fébrile de Kochtcheï – de chasser de ses pensées l’image saugrenue d’un Cancer ayant troqué son armure d’Or pour une tenue en cuir très… restrictive, et raccompagna l’espagnol à la porte du Château pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de coups fourrés.

Une fois celui-ci parti, la jeune fille se délesta de son Surplis et prit le temps de constater l’étendue des dégâts ainsi que la progression de sa guérison accélérée. Chaque pas de son court voyage s’était accompagné d’une douleur lancinante mais elle ne saignait plus. Ses membres étaient faibles, leurs mouvements malaisés et saccadés : il faudrait un moment pour que les fibres musculaires fraîchement restaurées se renforcent jusqu’à arriver au même niveau que les anciennes. Sa peau semblait avoir été raccommodée par une couturière maladroite, résultant en une alternance d’épiderme ordinaire et de grandes plaques décolorées délimitées par des tracés rouges et gonflés d’inflammation résiduelle. Là aussi, il faudrait attendre que l’irritation s’apaise et que la pigmentation s’harmonise, mais cela ne devrait pas l’empêcher de remplir ses devoirs.

Et en parlant de devoir, elle avait un rapport à composer… mais pas tout de suite, car un grand raffut éclata soudain dans l’édifice. Surprise, la polonaise regarda en direction de la porte, s’attendant à ce que Lesath ait changé d’avis ou qu’il ait seulement prétendu ne pas vouloir venger son camarade le temps de mettre ce dernier à l’abri pour ensuite revenir sur ses pas et attaquer le Château… Mais non, elle ne ressentait aucun cosmos. Énervée, elle fit volte-face et s’engagea à marche forcée dans les couloirs puis alpagua le premier Squelette qu’elle croisa.

« Quoi encore ?! Il peut pas se passer deux minutes sans qu’un désastre nous tombe dessus, c’est ça ?! » cracha-t-elle en saisissant le pauvre larbin par le col. Celui-ci ne se laissa pas décontenancer et coupa court à la crise de nerfs de l’Étoile Terrestre : « Non non, c’est pas ça ! Venez vite, ça va commencer ! »

« Qu’est-ce qui va commencer ? »

« Le combat de Reagan ! »

Interloquée, elle lâcha le sbire qui se mit aussitôt à courir en l’encourageant bruyamment à le suivre, ce qu’elle fit tant bien que mal. Il la mena ainsi jusqu’à la grande salle du Château, où tous les meubles avaient été poussés contre les murs et où tous les Squelettes s’étaient regroupés devant…

« Un putain d’écran géant ? Attendez une seconde... »

Son guide prit les devants et fit taire ses objections en lui fourrant d’autorité un grand cornet de pop-corn dans les mains. Trop estomaquée devant tant de culot pour protester, elle ne put empêcher ses subordonnés de la forcer à s’asseoir sur l'un des innombrables coussins jonchant le sol – sous prétexte qu’elle était blessée et qu’elle ne devrait pas se fatiguer à rester debout – avant qu’un jingle ne retentisse et que l’énorme téléviseur ne se mette à afficher les images d'un Reagan tout aussi flamboyant qu'à son habitude et de son adversaire.

« Vous êtes vite passés à autre chose. » grommela-t-elle en piochant avec hargne dans son pop-corn et en engouffrant bouchée après bouchée. C’était ça ou faire un carnage, et la première option n'avait que très peu d'avance sur la seconde. « Je viens à peine de me décarcasser à étaler un chevalier d’Or et vous vous faites quoi ? Vous commencez de suite à vous extasier sur l’autre andouille musculeuse... »

« Chut, on les entend pas s’insulter ! » l’interrompirent plusieurs séides tandis que celui qui avait la télécommande appuyait frénétiquement sur le bouton pour augmenter le son. Andréa tiqua, carra son poing dans la figure du Squelette à sa droite et lui vola sa bière, qu’elle engloutit cul-sec. Pas assez fort ; le sous-fifre à sa gauche, la voyant se tourner vers lui avec un œil mauvais et peu désireux de finir comme son collègue, donna immédiatement sa bouteille de vodka à la Liche. Mieux, beaucoup mieux. Elle allait en avoir besoin. Foutu Black Knight qui n'était même pas là et qui arrivait encore à lui voler la vedette juste après sa première victoire.

« Même pas droit à cinq minutes de félicitations… non, vraiment, c’est bien de se sentir appréciée... »