-On est en onde dans deux minutes!

Dans les coulisses de la station de télévision, des dizaines d'employés s'affairaient à leurs tâches dans un désordre effarant. Une maquilleuse rangeait son matériel avec l'ombre d'un sourire et quelques techniciens s’affairaient autour de leur invité très spécial : Ntikuma, perché sur un tabouret et tremblant de tous ses membres. Matsuda restait non loin et donnait quelques derniers conseils à l'interprète qui prendrait sa place pour les deux prochaines heures, mais surveillait son patron avec beaucoup d’inquiétude. Est-ce qu'il se sentait bien?

Un homme dans la trentaine, au costume ajusté et au bronzage léger, sortit d'une petite loge et se posa juste devant le petit mercenaire. Malgré l'urgence de la dernière minute, l'animateur de l'émission semblait de bonne humeur.

-Bon, juste pour résumer, on parle pas des civils de Death Queen Island, de vos relations avec les autres factions éveillées et je peux vous poser des questions personnelles, mais vous allez rester vague. Ça vous convient?

Le petit être hocha fébrilement la tête. Le jeune animateur lui tapota l'épaule avec un peu trop de force dans une tentative ratée de le rassurer.

-Vous inquiétez pas, ça va être un succès. Amusez-vous!

-Trois, deux, un… on tourne!

Un jingle tonitruant se fit entendre sur scène et l'animateur bondit hors des coulisses sous un tonnerre d'applaudissements, déambulant parmi la foule de spectateurs en saluant et en les encourageant à faire encore plus de bruit. Le japonais profita de cette ouverture pour rejoindre son petit maître, ce dernier semblant sur le point de perdre connaissance.

-Hé. Vous avez pas le trac, quand même?

L'Araignée dut se reprendre à quelques reprises pour répondre. Décidemment il était toujours aussi plein de surprise…

-Mais non, il vous hait pas! Au contraire, vu la fortune qu'il a reçu pour faire l’interview, il va vous peindre les ongles de pieds avec le sourire si vous le demandez!

Il avait plein de question pour son petit chef. Pourquoi était-il là, si ça le dérangeait autant? Pourquoi avait-il accepté cette demande de l'Ordre Noir, lui qui leur avait toujours résisté avant ce jour? Depuis son retour de New York, quelque chose clochait chez Ntikuma, et il refusait d'en parler… et à moins d'être bien en confiance, il ne dirait rien. Avec un doux sourire, Matsuda posa à son tour une main sur son épaule.

-C'est la foule, c'est ça? Vous avez jamais conté devant autant de monde?

Il aurait cru que comparer la chose à une session de conte l’apaiserait, mais il sentit son cœur se serrer quand le forgeron secoua la tête, puis agita la main devant sa gorge dans un signe de coupure. Il avait presque oublié comment vulnérable et terrifié Ntikuma avait déjà été, lorsqu’ils s’étaient rencontrés, et qu’il avait déjà eu une voix, bien avant…

-Bonsoir, bonsoir et bienvenue au Late Express Show! Ici Ali Asmaal et ce soir nous avons un invité extraordinaire qui fait ses débuts ici même, avec nous. Il est une importante figure parmi les Chevaliers Noirs, un mystérieux voyageur qui a vu des merveilles que personne d’autre ne pourrait imaginer, mais le plus important, il a été l’un des premiers témoins de la tyrannie de Reagan. Et ce soir, il est prêt à briser le silence... à sa façon. Mesdames, messieurs... le forgeron des Chevaliers Noirs, Ntikuma.

Les applaudissements n’étaient pas très enthousiastes, mais ils étaient là. Le studio avait choisi une mélodie un peu plus douce pour l’entrée du petit être, sans doute pour appuyer sur son aspect “mystérieux”, et avaient opté pour des lumières jaunes, plutôt que rouge, pour bien le représenter sans paraître trop menaçant. Tout avait été pensé, réfléchi, planifié à la seconde près... incluant la petite attente avant son entrée. Trois ou quatre secondes, lui avaient dit les organisateurs. Tout pour faire attendre les spectateurs et les forcer à se demander qui était ce fameux Ntikuma. Car personne ne pouvait les forcer à l’aimer, mais ils pouvaient les encourager à être intrigués.

Alors l’Araignée attendit juste au bord des coulisses, puis avec un sourire taquin, se mit à compter. Trois, quatre... cinq, six, sept, jusqu’à ce que même Ali finisse déconcerté par son retard et se mit à regarder derrière pour voir s’il était là. Et ce ne fut qu’à ce moment-là qu’il s’avança sur la scène, baignant sous la lumière dorée des projecteurs.

Les applaudissements semblaient déjà plus soutenus.

Le public se calma très vite en observant le petit être piétiner jusqu’à son fauteuil dans un mélange d’assurance tranquille et d’incertitude mal cachée… en baissant la tête, il grimpa sur le siège, reculant pour s’adosser le plus possible au fond, jusqu’à avoir les pieds bien haut dans les airs. L’animateur eut un rire attendri, mais décida de ne rien dire de plus et passa plus tôt à autre chose.

-Ntikuma, bonsoir, comment allez-vous?

Le forgeron répondit par quelques signes et une jeune femme, installée juste à côté d’Ali, traduit ses paroles pour la foule d’une voix un peu trop robotique à son goût…

-Je vais bien, et vous?

-Ha, bien, merci. Ntikuma, c’est un vrai nom ou un nom de scène?

-C’est un nom de scène.

-Ça fait longtemps que vous l’utilisez?

Plutôt que de répondre, l’encapé haussa les épaules en ricanant, et l’interprète ne sut pas quoi répondre. « Peut-être? » « Je ne sais pas? » « Ce n’est pas important? » Quand son invité lui avait dit qu’il comptait rester vague, ce n’était pas ce que les producteurs avaient imaginé, autant pour la réponse que pour ce qui allait compter comme une question personnelle… Clairement, cette petite mascotte de la propagande Black Knight avait un passé, et n’était pas gênée de leur rappeler, mais bonne chance pour en apprendre plus. Le mystère allait devoir demeurer…
Mais plutôt que de laisser l’hésitation de l’interprète l’arrêter, Ali reprit la situation en main instantanément en relançant la conversation, comme le professionnel qu’il était.

-Oh, je me souviens! Comme dans les contes d’Anansi! Bon sang, j’adorais ces histoires quand j’étais gamin, vous savez de quoi je parle tout le monde?

Il y eut quelques exclamations enthousiastes dans la foule, et le forgeron agita les pieds en applaudissant aussi. Ces histoires étaient communes partout en Afrique, ce n’était pas si surprenant, et pourtant ça faisait beaucoup de bien d’être ainsi entouré. Et malgré ses réserves, il appréciait de plus en plus l’idée d’une parfaite inconnue capable de le comprendre sans avoir besoin d’apprendre…

-OK, OK, avant qu’on passe aux choses sérieuses, j’ai une autre question…

Le regard d’Ali s’était assombri. Ntikuma en profita pour se rapprocher du bord de son fauteuil pour se mettre dans une position plus confortable, sans savoir à quoi s’attendre…

-Votre armure est celle de l’Araignée. Ça se voit que vous êtes très attaché aux histoires, mais… est-ce que ça veut dire que vous n’avez aucun problème avec les araignées?

Il y eut un ricanement nerveux, pendant lequel Ntikuma chercha ses mots, mais il fallait bien l’avouer. En baissant la tête avec honte, il répondit avec quelques signes, et le public n’eut pas besoin de l’interprète pour comprendre et éclater de rire.

-Ha, vous aussi donc! C’est bon, vous êtes encore humain… et ça tombe bien, parce qu’en l’honneur de notre invité, l’animalerie locale a accepté de nous prêter deux de leur plus grosses tarentules!

Il y eut plusieurs cris, certains terrifiés et d’autres hilares devant la situation, car l’Ashanti venait de bondir sur ses deux pieds dans un geste de pure terreur en voyant un autre assistant sortir des coulisses avec dans ses bras un aquarium vide, et deux énormes araignées poilues, aucunement semblables aux œuvres d’art et autres bijoux qu’il aimait tant… et pourtant, une fois le choc passé, elles ne semblaient pas bien dangereuses. En faisant taire ses réserves, le petit être accepta de s’approcher de l’assistant, puis de tendre les mains pour le laisser déposer une des tarentules au creux de ses paumes, et toutes ses peurs s’envolèrent en un instant. Ce n’était qu’un autre animal… sous les applaudissements de la foule, le chevalier noir retourna à son siège, l’araignée toujours dans ses mains.

-Bien joué! Maintenant, les vraies questions… j’ai annoncé plus tôt que vous étiez le forgeron de l’Ordre Noir. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste?

L’encapé déposa doucement la tarentule sur ses genoux, pour libérer ses mains, puis répondit sans aucune hésitation.

-Je répare les armures des Chevaliers Noirs, et j’en créé des nouvelles lorsque nécessaire. Je peux aussi offrir quelques protections supplémentaires.

-Vous êtes populaire?

-De plus en plus, oui.

-Et quelle était votre relation avec Reagan?

-Il a été un de mes meilleurs clients.

Il y eut un murmure presque indigné dans la salle. Ainsi donc ce Black Knight avait été une sorte de complice? Mais avant que l’animateur ne puisse poser d’autres questions, le petit être se leva, déposa doucement l’araignée sur l’accoudoir pour ne pas l’écraser, puis se plaça pour faire face à la foule, soudainement très serein. Le moment le plus important était enfin arrivé.

-Je… J’ai beaucoup de chose à dire sur Reagan, et je suis venu ici pour raconter mon histoire, mais il sera plus facile de vous montrer...

Commencer petit. Ces gens voulaient avoir droit à un regard dans son monde, avaient soudainement très envie de le connaître lui, mais Ntikuma n'était pas un conteur comme les autres. Son cosmos était sa nouvelle voix, une extension de son imagination, là où trop d’éveillés en faisaient leur arme. S’il oubliait cela, s’il se laissait emporter, ils prendraient peur. Alors il fallait commencer petit, et ne leur montrer que ce qu’ils étaient déjà prêts à accepter.
Mais ce qu’ils pouvaient accepter était bien trop simple pour être la vérité.

Une orbe lumineuse apparut entre les mains de l’Araignée et comme prévu, il y eut un sursaut parmi les gens du public, mais il resta calme et la lança haut dans les airs, où elle se métamorphosa en une épaisse brume blanche. De grands rochers aux reflets de cuivre se matérialisèrent sur la scène, et Ali faillit tomber en bas de son fauteuil quand une vague d’eau passa juste à côté de lui, mais il s’aperçut bien vite que rien de tout ça n’était réel ; sa main passait au travers de chaque projection sans jamais les déranger. Et toute cette création était l’œuvre d’un seul petit être, qui leur présentait ce paysage sans oublier un seul détail. La silhouette d’un volcan apparut au loin, et sans que le tout semble réaliste, ce petit ajout complétait parfaitement l’illusion et révélait enfin de quoi il s’agissait.

-C’est Death Queen Island?!

Le petit être acquiesça, puis se mit à déambuler sur la scène, comme s’il ne savait pas où aller. Il cherchait quelque chose, ou bien quelqu’un... et des coulisses sortit une autre silhouette lumineuse, toute de pourpre, d’orange et de rose, qui se dirigea rapidement vers lui en gesticulant. Dans une grande clameur, les spectateurs reconnurent Bradley Reagan. Ntikuma essaya de lui expliquer quelque chose, mais de toute évidence le faux Reagan peinait à le comprendre. Malgré cela, le cirque de l’encapé semblait l’amuser un peu...

-Il dit qu’il vient d’arriver sur l’île et qu’il ne sait pas où aller. Alors c’est Reagan qui vous a pris sous son aile?

Il hocha la tête, et la scène changea pour montrer son laboratoire. Il se déplaça autour de la projection, fit apparaître une armure noire sur ses épaules et Reagan quitta la scène, satisfait, mais revint après à peine quelques secondes, ses couleurs plus ternes, sa posture un peu moins fière et ses gestes bien plus agressifs. Et cette fois, Ntikuma ne fut pas aussi conciliant.

-Oh, il... il vient de vous dire pour l’attaque de la Palestre. Et en retour vous avez refusé de lui créer une nouvelle armure pour son duel. Mais il en avait une, non?

Pour un être complètement caché sous une cape et un masque, l’Ashanti pouvait être très expressif ; jamais Ali et l’interprète n’avait vu quelqu’un montrer autant de mépris avec de simple geste. Certes, Reagan s’était trouvé une armure avant de retourner au Sanctuaire, mais Ntikuma n’aurait jamais créé quelque chose comme ça. Avec un soupir, le petit être fit disparaître ses projections cosmiques, puis retourna à son fauteuil d’un pas léger, sans oublier de récupérer la tarentule qui se met à grimper le long de son bras.

-Oh, vous... c’est fini?

L’encapé était déjà trop occupé pour répondre, l’araignée avait déjà réussi à atteindre son masque et il devait se placer correctement pour lui permettre de continuer son escapade. Il y eut quelques rires nerveux dans la salle, mais la plupart des spectateurs étaient encore sous le choc devant sa démonstration. Même s’il était loin de ressembler au vrai, c’était la première fois qu’il voyait Reagan de si près.
Ali aurait aimé continuer de lui poser plus de questions à ce sujet, mais il était évident que la silhouette rouge n’avait plus envie d’en parler. C’était comme interviewer un enfant...

-Une dernière question, avant la pause.

… Mais il avait la discipline nécessaire pour le faire parler. Ali retint son souffle alors que Ntikuma baissait doucement la tête pour le regarder, déposant l’insecte sur son épaule sans lui répondre tout de suite. Ou peut-être qu’il réfléchissait… L’encapé sans visage était plus mystérieux que jamais, si ça n’avait pas été de sa petite démonstration de pouvoir personne n’aurait su ce qui se passait dans sa tête, ce qu’il avait vu, ce qu’il savait, ce qu’il en pensait… et ils ne savaient toujours pas. C’était à peine s’ils avaient effleuré la surface et vu son rôle dans l’histoire, mais encore? Face à toutes ces atrocités, qu’avait-il fait? Pas assez. Trop. Il n’y avait pas vraiment de réponse. Certains auraient même dû dire qu’il n’aurait rien pu faire… Comme Reagan lui-même. D’un geste las, le petit être autorisa l’animateur à poser sa question.

-Si vous pouviez dire quelque chose à Reagan maintenant, n’importe quoi, qu’est-ce que vous voudriez lui dire?

Un spasme parcourut les jambes de Ntikuma, alors qu’il dut se faire violence pour ne pas se lever et quitter le plateau de tournage. Ali sursauta en voyant des étincelles de cosmos s’échapper du masque de son invité, mais ce dernier ne posa aucun geste hostile. Dans les coulisses, Matsuda tentait de se faufiler parmi les techniciens pour communiquer des encouragements à son patron, qui devait maintenant se prononcer sur ce difficile sujet en faisant très attention à son choix de mots. Il devait parler comme si l’Oiseau du Paradis était encore dans sa cellule de la Palestre à attendre un jugement qui ne viendrait jamais…
Pas comme si sa tête pourrissait sur les plages de Death Queen Island.

La tarentule était de retour sur son épaule, juste au moment où le forgeron écartait un pan de sa cape pour révéler son épaule blessée. Depuis le temps, sa peau avait repris une couleur normale, mais il n’avait pas pris le temps de faire retirer ses points de suture encore. Comme certains organisateurs de l’Ordre Noir avaient fait remarquer, cela créait un visuel bien plus choquant pour ceux qui doutaient encore de lui ; contrairement à un Chevalier d’Or, et même leurs apprentis, Ntikuma n’était pas un combattant, mais ça n’avait pas empêché Reagan de s’en prendre à lui avec sa violence habituelle. Ils n’avaient pas tort…

-Je lui ai déjà dit tout ce que j’avais à dire. Après ce que le Sanctuaire lui a fait, il se croyait incapable de changer pour le mieux, et rien n’a pu le faire changer d’idée, mais il avait tort. Il a juste choisi la voie la plus facile et pour cela, il ne mérite pas de pitié, encore moins de l’admiration. J’espère que le reste du monde saura apprendre de ses erreurs.

-… Ntikuma, merci beaucoup d’avoir partagé votre expérience avec nous. Après la pause, nous reviendrons sur votre vie d’éveillé, et plus précisément votre vie de Chevalier Noir!

Et enfin, sous les applaudissements nourris du public, le petit être pu quitter son siège et retrouver la sûreté des coulisses…

-Alors?!

Dès qu’il fut hors de la vue du public, Ali se rua vers ses assistants et autres techniciens qui observaient avec beaucoup d’attention leurs téléphones et leurs ordinateurs, surveillant l’activité de tous les réseaux sociaux auxquels ils pouvaient penser. Ntikuma accepta avec joie le verre d’eau glacée que lui tendait un des employés et le sirota à petites gorgées en attendant que Matsuda vienne le rejoindre. Ce dernier ne tarda pas, mais il n’était pas seul ; une femme en tailleur trop serré le suivait de près, tablette à la main, un sourire triomphant sur ses lèvres peintes d’un rouge presque noir. Probablement pas un chevalier, peut-être une éveillée, mais de toute évidence, elle travaillait pour l’Ordre Noir. Avant de lui accorder son attention, le petit être dû rendre à contrecœur la tarentule au responsable de l’animalerie, que son interprète regarda s’éloigner en pinçant les lèvres.

-Vous êtes pas humain. Elle vous a grimpé sur la tête!

L’encapé haussa les épaules en ricanant, puis lui mima quelques blagues pour calmer le Japonais. Ce dernier fut partagé entre éclater de rire ou hurler de terreur.

-Non! Si on en ramène une, je vous préviens, on met le feu au Labo!

Et ils rigolèrent ensemble, sans tracas, comme s’ils n’étaient plus dans les coulisses d’un studio bondé pour servir de propagande à leur Ordre corrompu. Un simple « ahem » les ramena à l’ordre, alors que Ntikuma s’intéressa enfin à ce que la femme voulait tant lui dire.

-Vous avez bien géré la situation, mais vous en avez assez dit sur Reagan comme ça. Ne lui donnez plus la chance de vous arracher plus d’information.

-Assez? Il n’a presque rien dit!

Si les regards pouvaient tuer, Matsuda aurait été transpercé de toute part par celui de la représentante, mais pas sans lui causer quelques dégâts à son tour. Il força même un petit sourire arrogant.

-Je traduis.

-C’est pour ça que vous n’êtes pas sur cette scène avec lui, monsieur Ishimaru. Et même si votre maître vous apprécie bien, comme vous avez pu le constater il n’a pas spécialement besoin que ce soit vous l’interprète…

Le petit être s’interposa tout de suite face à la menace, et ordonna sèchement à la femme d’en finir avec ses directives et de les laisser tranquille. Elle n’avait pas tort sur ce point ; il n’avait pas toujours besoin d’un interprète pour se faire comprendre. Mais Matsuda lui-même haussa les sourcils devant l’autorité de son patron. Il donnait des ordres, maintenant?

-Très bien. Comme nous l’avons déjà spécifié, cette petite entrevue n’est qu’un test, autant pour vous que pour les médias, nous avons besoin de voir s’ils vont mordre à l’hameçon. Évidemment, c’est la première fois qu’un Chevalier Noir parle publiquement de Reagan, alors il va y avoir beaucoup de question, c’est inévitable, mais vous en avez dit plus que vous le pensez. Vous avez parlé de votre relation avec lui. Vous avez mentionné l’effet que les Saints ont eu sur ses derniers moments. Et plus important, vous avez fait comprendre que vous ne voulez plus entendre parler de lui. Si ça fonctionne, cette conversation va finir entre les mains de personnalités bien plus importantes qui vont la décortiquer, l’analyser, débattre… et éventuellement, ils vont manquer de sources, alors ils vont demander à vous voir. Mais vous ne voulez plus parler de Reagan. Amusez-les, intriguez-les, faites ce que vous voulez, tant que lorsque qu’ils pensent à l’Ordre Noir, ils ne pensent plus à Reagan, mais à vous.

Bon sang, ils étaient vraiment des vendus. Matsuda ne répondit rien, mais ne put s’empêcher de regarder son patron avec horreur quand ce dernier hocha la tête avec ennui, comme s’il avait déjà entendu tout ça. Mais il ne pouvait quand-même pas être au courant de ce plan… et être d’accord?
La représentante les laissa pour rejoindre les autres employés, pianotant sur sa tablette sans même les saluer. Avec un soupir, Ntikuma mima une autre blague, mais cette fois le Japonais n’eut même pas envie de sourire.

-Vous saviez? Et vous avez dit oui?!

La réponse de l’encapé le plongea dans encore plus d’incompréhension : « L’Ordre a besoin de nous. » Depuis quand se sentait-il obligé de les servir ainsi, pire encore, de se poser en cible pour prendre les coups à la place de leur maîtres invisibles? Mais à bien y penser, pour Ntikuma, l’un d’entre eux s’étaient rendu bien visible il n’y a pas si longtemps…

Sans plus élaborer sur ses raisons, le forgeron décida de communiquer ses plans pour le futur à Matsuda. Le Japonais sursauta quand son petit chef lui dit qu’il pensait enfin retirer la tête de Reagan.

-C’est trop dangereux. On sait pas…

Retourner à Asgard. Demander des informations sur Eris.

-C’est fini tout ça! Arrêtez de lui chercher des noises!

Trouver Ubar. Négocier.

-Arrêtez. Par pitié, arrêtez. Ce n’est pas vous qui parlez et vous le savez.

Les mains de l’Araignée se figèrent devant elle, et l’asiatique pu voir qu’elle était prête à éclater en sanglots. Il s’était vraiment passé quelque chose à New York… En l’attirant contre lui, Matsuda le serra aussi fort qu’il pu, et pencha la tête pour lui murmurer à l’oreille :

-Qu’est-ce qu’il vous a dit pour vous secouer comme ça?

Le petit être se crispa, mais refusa de mimer sa réponse, au cas où l’autre interprète les observait quelque part. D’une main tremblante, il traça doucement une phrase directement sur le bras de Matsuda, et ce dernier sentit un long frisson parcourir son dos quand il eut fini de déchiffrer.

« Il veut que je devienne un Seigneur Noir. »