« Les choses ne sont finalement pas si différentes … » La fumée d'une cigarette s'échappe doucement des lèvres du Sommeil, installé dans le confort de ce salon. Un léger se pose sur ses lèvres, alors que son regard se pose contre l'écran d'un ordinateur, observant quelques informations défilées, les unes à la suite de l'autre. Le monde bouge, qu'importe de quel côté du voile il se trouve. Les Éveillés doivent faire face à cette menace venue d'Égypte – le retour d'un rapport d'Andréa et Xing Huo officialise même l'introduction des Asgardiens dans l'équation de ce conflit. Oblivion a pour mission de réussir. D'en finir avec cette menace.
Bien entendu, certains iraient dire que les Enfers n'ont participé à cela uniquement à cause du vol d'âmes. Et ils n'auraient pas tort. Mais cela ne serait qu'effacer une partie du problème. Si les Saints pouvaient engendrer eux-mêmes une certaine forme de paix, cela ferait longtemps que la Terre ne vivrait plus ce genre de phénomène. Quant aux Asgardiens … Qui sait s'ils seraient intervenus sans le mouvement des Enfers.

Ce monde est instable. Sans doute sur sa fin. Il a bien vécu, aime dire le Sommeil. Il a bien rêvé. De créations, de guerres, et de tant de choses. Et là encore, il continue à exister. Ou peut-être à survivre. Même sans la volonté d'Arès, les conflits se perpétuent. Crimes contre l'humanité, actes de barbarie. Là aussi, les choses ne sont finalement pas si différentes. Enfin …

Ephemer étant revenu à lui après son message envoyé à la Mante-Religieuse et les Enfers maintenant sous son égide, le Fils de Nyx passe la main dans ses cheveux, ayant laissé sa veste négligemment sur le fauteuil d'un bureau d'angle. L'humanité n'attend pas. Et s'il n'était pas habitué à voir les rêves des êtres humains exister à travers son royaume, il pourrait presque se sentir perdre pied face à ce mouvement vif. Presque. Là est le mot le plus important. Les dieux – surtout les Jumeaux de Nyx – connaissent la patience. Celle de la Mort. Celle du Sommeil. La Discorde elle-même possède sa propre patience.
Peut-être. Peut-être qu'il faudra qu'il aille voir de ses propres yeux les manigances de sa sœur. Juger de son propre regard d'or le danger qu'elle pourrait être pour les plans infernaux. Mais avant tout cela, son Frère passera avant tout. Il est même presque tragique de ne pas avoir encore eu une entrevue avec lui.

Mais l'Humanité n'attends pas. Et l'un comme l'autre ont à faire. D'un côté du voile, comme de l'autre. Voilà ce qu'il a préparé en ce salon de Tel-Aviv, après avoir fait quelques recherches concernant la menace Égyptienne. Rendez-vous avec de nouveaux visages à mémoriser. Vendre son existence, jusqu'alors murmure dans certains domaines. Jongler, tel un artiste de cirque entre le monde des vivants, celui des morts et son propre Domaine, qui possède sa propre mission, son propre but.

Écrasant sa cigarette lorsque le téléphone se met à sonner, le Sommeil se lève, glissant une main dans sa poche. Appuyant sur le haut-parleur, il décroche ainsi, écoutant la voix stricte d'un Squelette consciencieux. « Les Spectres que vous attendiez viennent d'arriver, Votre Seigneurie. » Un silence. Nouveau sourire, alors que la lueur dorée dans son regard se manifeste un instant. « Guidez les jusqu'au salon. » Puis, plus rien. Attrapant l'ordinateur portable qui se trouvait sur la table basse, le divin vient à le mettre sur son bureau, avant de l'éteindre, simplement.
Andréa, Xing Huo. Maintenant, d'autres Spectres. Que son hôte connaissait. Lui ? Moins. Il peut profiter de ses souvenirs. Doucement, une fée particulière, celle née de l'esprit d'Ephemer, vient se poser contre son épaule, alors que le Sommeil s'installe dans le fauteuil de son bureau.

Un bruit à la porte. « Entrez. » Une porte qui s'ouvre. La silhouette couleur sable d'Hypnos lève ses yeux dorés vers ses invités. « Merci, tu peux nous laisser. » Le Squelette s'incline, s'efface, simplement, fermant derrière lui. Pas de grandiloquence. En fait, Hypnos lui-même semble assez simple, en cet instant. La veste et son gilet retiré, et ses cheveux légèrement décoiffés, tend à laisser penser qu'il a passé un certain temps à travailler – une chose qu'il confirmerait facilement. Prendre le temps de bien jauger tout ce que cette masse grouillante est capable de faire parfois en seulement quelques heures. Alors, oui. Ils verront des journaux internationaux sur la table basse où se trouvait l'ordinateur. Alors, oui, le bureau n'est pas forcément le mieux rangé, quelques dossiers concernant Tel-Aviv et l'État d'Israël.

Après tout … L'Humanité n'attends pas. Qu'importe ce qui doit se produire.

Après un rapide détour pour se rendre présentable – ils avaient été convoqués par un Dieu après tout, il était impératif de donner une bonne première impression –, le duo de Spectres gagna finalement Tel-Aviv. La première chose qu’ils remarquèrent en arrivant était l’anxieuse agitation qui semblait régner dans les rues, une agitation dont ils découvrirent bien vite les raisons en entrant dans le QG local des Spectres. L’endroit fourmillait d’activité : tous les bureaux étaient occupés par des Squelettes traitant des montagnes de documents ou en grande réunion avec leurs collègues autour de grandes cartes d’état-major, l’atmosphère bruissait du son de multiples conversations téléphoniques simultanées et du fracas incessant des touches des claviers d’ordinateurs, à un tel volume qu’il en ressemblait presque au bruit d’une mitraillette.

S’étant rendu compte de la présence des nouveaux venus, l’un des sous-fifres abandonna momentanément son siège et se leva pour les accueillir tandis que son voisin se saisissait de son téléphone pour prévenir Hypnos. Le pauvre Squelette était manifestement surmené, à en juger par ses traits tirés et la forte odeur de café de son haleine.

« Vous tombez à pic ! Excusez-nous, c’est un peu la folie ici, mais vous allez comprendre pourquoi. Laissez-moi vous faire un petit topo vite fait... »

S’ensuivit un rapide résumé des événements qui se déroulaient en ce moment-même dans le pays voisin : la tempête de sable d’abord, puis la destruction d’El Balyana et enfin l’ultimatum du héraut d’Anubis. Rogos eut du mal à en croire ses oreilles : comment les choses avaient-elles pu dégénérer à ce point en si peu de temps ?!

« Le Caire est un territoire Saint, ils seront donc en première ligne si la situation vire au cataclysme – enfin, plus qu’elle ne le fait déjà. Sommes-nous censés servir de deuxième ligne de défense au cas où Oblivion échouerait dans sa mission et où le Sanctuaire n’arriverait pas à contenir la menace ? » demanda le cavalier sans tête alors que le Squelette, après avoir terminé son explication, les guidait dans les couloirs en direction de la salle où attendait le Sommeil.

« Aucune idée, faudra demander à Sa Seigneurie, mais votre simple présence ici devrait déjà rassurer les hauts responsables militaires. Le réveil apparent des Égyptiens les fait d’autant plus paniquer que la Palestine était un protectorat des pharaons qu’Anubis et consorts pourraient être tentés de reprendre, et qu’ils ont peur de ce qu’il pourrait se passer s’ils venaient à lire un certain livre saint… Mais assez discuté, vous êtes arrivés. »

Leur guide toqua à une dernière porte et, ayant reçu une réponse affirmative, les introduisit en présence d’Hypnos. Le français ne perdit pas une seconde et mit immédiatement un genou à terre, ignorant la douleur qu’une telle action éveillait dans ses blessures.

« Bon retour parmi nous, Monseigneur. Nous sommes à Vos ordres. »

HRP : Je fais agir Hypnos avec l'accord du joueur afin de débloquer le sujet.

« Relevez-vous. » leur intima la divinité, un ordre que le cavalier sans tête exécuta aussi vite que le lui permettait son état physique. Posant enfin les yeux sur l’enveloppe corporelle du Sommeil, il fut choqué d’y reconnaître les traits d’Ephemer du Papillon, quand bien même ceux-ci avaient subi plusieurs altérations. Il n’eut cependant guère le temps de s’interroger davantage sur les circonstances qui avaient pu amener feu son collègue Terrestre à devenir le nouveau réceptacle du divin Hypnos, car ce dernier abandonna l’air pensif qu’Il arborait à leur arrivée pour adopter une posture plus grave et les fixer tous les deux du regard.

« Nous allons hélas devoir couper court aux échanges de politesses. En effet, je viens à l’instant de recevoir d’inquiétantes nouvelles de la part de nos amis du gouvernement israélien ainsi qu’un rapport des plus alarmants de notre très chère Oblivion. »

Comme pour ponctuer Ses paroles, une Fée jusque-là cachée derrière une pile de dossiers s’envola pour venir se poser aux côtés du dieu, qui lui accorda un bref et mélancolique sourire. Privé du masque dissimulant d’ordinaire son expression, Rogos dut se retenir de grimacer en L’entendant ; quel genre de nouvelle pouvait mériter que l’un des Jumeaux emploie un tel langage? Heureusement – ou peut-être pas, tout dépendait du point de vue – l’information ne se fit pas attendre :

« La Mante aurait rencontré au cours de son périple une certaine Zlatanna, qui semble étonnamment bien informée au sujet des capacités et des objectifs d’Anubis. Cette personne prétend que, non content d’enlever nos sujets, le Chacal pourrait également avoir le pouvoir de prendre le contrôle des Spectres, et aurait remis à Oblivion un artefact censé empêcher cela. Avez-vous déjà entendu parler de cette personne ? »

Estomaqué par ce que le fils de Nyx venait de leur révéler, il fallut plusieurs secondes au français pour passer en revue ses souvenirs, écarter tous ceux en rapport avec un certain footballeur d’origine suédoise ou avec un personnage de comics et confirmer que non, il n’avait jamais entendu parler d’une Zlatanna avant.

« Cela ne me dit rien. Mille pardons Votre Seigneurie, mais cette histoire me semble difficile à croire ; nous sommes des êtres pensants animés par un fragment de Votre pouvoir divin, éveillés au Septième voire peut-être même au Huitième Sens pour certains d’entre nous, et non de simples pantins dont quelqu’un d’autre peut s’arroger le contrôle à condition de s’être emparé des fils. Et à supposer qu’Anubis soit suffisamment puissant et habile pour y parvenir, il m’est encore plus difficile de croire qu’il existe quelqu’un qui puisse s’y opposer là où Vous auriez échoué, et que cette personne nous soit totalement inconnue de surcroît. »

Le Sommeil hocha légèrement la tête en réaction à la tirade du Dullahan qui, s’il était d’un naturel pessimiste et s’attendait à un prompt revers de fortune après que les choses se soient si bien passées à Sydney, n’était toutefois pas prêt à accepter si facilement l’idée qu’on puisse se jouer si aisément de ses divins suzerains.

« Je comprend ton scepticisme et en temps normal, je le partagerais. Cependant, Hadès et Perséphone ne sont pas parmi nous et mon frère et moi sommes… diminués. De plus, la magie a tendance à compliquer toute équation dans laquelle on l’insère et, puisque je ne peux actuellement me reposer sur l’expertise de Thanatos ou d’Hécate, je préfère être prudent et prendre la menace au sérieux. »

Ayant mis cela au clair, Hypnos se retourna vers le Béhémoth : « Et toi, as-tu quelque chose à ajouter ? »

HRP : avec la permission d'Hypnos, encore une fois.

« Votre confiance fait plaisir à voir, néanmoins il vaut mieux ne pas prendre de risque. » réitéra le fils de Nyx après avoir écouté la réponse de Drow. « Pour répondre à ta question, Oblivion ne souhaite pas recevoir de renforts, et ceci pour deux raisons : parce qu’elle veut prouver ses capacités tout d’abord, mais aussi et surtout parce qu’elle n’a qu’un exemplaire de l’artefact censé la protéger, et que celui-ci est apparemment à usage unique. »

Heureusement qu’il y avait cette deuxième raison, se dit le Dullahan : il pouvait comprendre qu’une de ses camarades veuille démontrer sa valeur – quand bien même la Mante n’avait à son sens rien à prouver en matière de prouesse martiale –, mais une crise d’une telle ampleur n’était pas le moment le mieux choisi pour se livrer à une telle chose. Et si sa réaction à lui se serait limitée à la simple désapprobation, celle de l’Exécuteur aurait très probablement été beaucoup plus violente. Mais dans le cas présent, même son sourcilleux collègue ne pourrait nier que la décision d’Oblivion n’était pas dénuée de mérite sur le plan tactique.

« En évitant de mettre tous nos œufs dans le même panier, nous restons capables de combattre au cas où nos inquiétudes seraient fondées. De plus, les Saints y sont déjà ; autant les laisser mourir à la place de nos guerriers, c’est leur rôle après tout. » poursuivit la divinité tout en réarrangeant nonchalamment quelques-uns des innombrables dossiers qui encombraient Son bureau.

« Je n’aime guère l’idée que d’autres se battent à notre place pour protéger la souveraineté des Enfers, Votre Seigneurie, même s’ils ne le font pas volontairement, mais Vous avez raison : rien ne serait plus dangereux et plus humiliant que de livrer une nouvelle armée à Anubis sur un plateau d’argent. » concéda Rogos, choisissant ses mots avec soin car il avait peur que ses paroles suivantes n’outrepassent son autorité, surtout dans la mesure où une Étoile Céleste – un supérieur, donc plus à même de discuter de questions stratégiques avec le frère de Thanatos qu’un simple soldat – se trouvait à ses côtés. « Et puis cela limiterait également nos pertes au cas où la pyramide provoquerait une seconde explosion. Toutefois, ne craignez-Vous pas que l’on nous accuse d’avoir voulu tirer avantage de cette situation pour affaiblir simultanément plusieurs de nos ennemis ? »

« C’est une possibilité. » admit le Sommeil avec un sourire indulgent. « Cependant, c’est à Thanatos et moi de nous préoccuper des autres factions ; un problème à la fois. Mais justement, puisque nous en parlons, connaissez-vous les combattants envoyés par le Sanctuaire et Death Queen Island ? Leurs noms sont Azir du Lion et Colombe de la Petite Ourse pour les guerriers d’Athéna, et Zhihao de la Boussole et Gorislava du Fourneau pour les Chevaliers Noirs. Le Lion est une célébrité, nous n’avons donc pas besoin de nous attarder sur son cas, mais avez-vous des informations sur les trois autres ? »

Comme la première fois qu’Il leur avait posé la question, le français fouilla dans sa mémoire et en revint bredouille. Le nom de la Boussole lui rappelait vaguement quelque chose mais comme il revenait tout juste de la capitale chinoise, cela pouvait très bien n’être qu’une coïncidence.

« Toujours rien, Votre Seigneurie, mais je suis surpris d’apprendre que les renégats ont envoyé un contingent de taille égale à celui du Sanctuaire. »

Sans parler du fait que les autorités du Sanctuaire avaient décidé d’adjoindre un simple chevalier de Bronze – s’il ne se trompait pas – au fameux Azir plutôt qu’un deuxième chevalier d’Or pour ce qui s’annonçait comme une mission exceptionnellement dangereuse. Se pourrait-il que les protecteurs de l’humanité gardent également leurs atouts en réserve, au premier plan desquels devait se trouver la redoutable Eurydice ? Enfin, même avec une telle différence de rang au sein du corps expéditionnaire athénien, ce dernier devait tout de même largement l’emporter sur celui des Chevaliers Noirs sur le plan qualitatif.

« Je vois. »

Cachant ses iris dorées pendant un court instant, le divin s'enfonce un peu plus dans son fauteuil. Une respiration calme, tranquille. Doucement, ses doigts bougent contre le bois du bureau, un rythme aussi tranquille que cette respiration. Un mouvement furtif, musical. Si l'instant n'est pas à régler certains détails – la situation alarmante demandant une certaine priorité. Malgré tout … « Drow. En tant qu'Étoile Céleste, nous demandons de ta part une certaine … capacité à t'adapter. » L'index tapote doucement sur le bureau, avant que l'homme ne se redresse. Approchant d'un meuble, il sort un verre ainsi qu'une bouteille. Doucement, il verse le contenu ambré de celle-ci dans le verre, sa voix résonnant de nouveau. « Je ne vais pas reprocher à un Spectre de ne pas être au courant de tout, bien entendu, mais j'aimerai qu'à partir de maintenant tu te tienne plus amplement informé. De plus, sans la présence de Juges, tu es actuellement l'un des officiers en charge de l'Armée des Enfers. Nous attendons de toi que tu t'adapte rapidement à cette réalité. »

Un son cristallin. Un Papillon des Enfers voletant alors doucement, pour se poser sur l'épaule du Spectre Céleste. Buvant une gorgée, le Sommeil fini par revenir derrière son bureau, posant son verre. « Voici un conseil humain, que l'hôte que j'habite a toujours apprécié dire à ses patients. Pour connaître une information, pour avoir une réponse, il faut savoir poser des questions. » D'un mouvement de tête, le Fils de Nyx montre la Fée. « Nous possédons un réseau d'information important. Prends l'initiative de l'utiliser. »

S'installer de nouveau dans son fauteuil, Hypnos porte le verre à ses lèvres, capturant une nouvelle gorgée entre ses lèvres avant de le poser à côté de quelques dossiers. Malgré les quelques mots – une sage remontrance, par rapport à ce qui pourrait arriver avec quelqu'un doté d'une patience moindre –, le Jumeau de la Mort hoche doucement la tête. Glissant un doigt contre quelques étiquettes nonchalamment, avant de sortir une pochette, la posant en plein milieu du bureau.

« C'est bien cela. Azir, le Chevalier du Lion. Je ne dirais pas que nous possédons beaucoup d'informations sur ses dernières activités, mais il était en effet l'un des … acteurs … principal de l'affaire Reagan. » Ouvrant le dossier sur la photographie de l'ancien Chevalier Noir, il continue. « Lorsque cet individu s'est attaqué aux apprentis de La Palestre, le Lion d'Or s'est jeté dans la bataille. La suite … eh bien … J'imagine que vous vous en souvenez. » Posant ses yeux sur la photographie de l'assaillant, le divin masse un instant sa tempe. « Les envoyés de Death Queen Island ne sont pas affiliés à une autorité unique. Il est facile pour un ou plusieurs de leurs membres de se désolidariser des actions de l'un des leurs. Maintenant, pourquoi sont-ils aussi actifs que le Sanctuaire ? » Lâchant des yeux l'Oiseau du Paradis pour observer Rogos, Hypnos s'enfonce de nouveau dans son fauteuil.

« N'oublions pas que les Renégats sont des mercenaires. Sans véritable information sur les instigateurs des derniers événements, je ne pourrai qu'extrapoler la rais … Hm … ? » Lentement, un papillon vient se poser contre sa main. Le regard doré vient caresser la forme spectrale de l'insecte infernal, avant de s'assombrir légèrement. « Voilà une nouvelle information. Nos analystes du Mossad se sont intéressés à un autre pic d'énergie sur le même territoire en cause dans cette affaire. » Congédiant le papillon d'un mouvement de main, il ferme le dossier précédent avant de tourner le regard vers Rogos, plus capable de se souvenir du prochain nom qui allait résonner. « Il est étrange que la Mante Religieuse n'est pas fait mention de sa présence, mais il semblerait que l'un des anciens serviteurs de Poséidon, Hruodland, soit sur place. Nous ne savons pas actuellement pour qui il opère, mais sa présence est plus une épine dans le pied qu'autre chose. »

Cette fois, la tranquillité semble froide. Cette fois, le dieu n'apprécie pas.
Son hôte se souvient. Il se souvient donc. Les actes de Hruodland ne sont guère connus pour être sages, cordiaux et limités.
Poséidon a commis de nombreuses choses. Certaines plus terribles que d'autres. Et dans celle qui ont pu être immortalisées par l'humanité, les actes de cet homme en font parties.

« Cette affaire devient encore plus désagréable qu'elle ne l'était déjà. J'ai ordonné à nos analystes de diriger une partie de leur recherche sur des preuves d'autres interventions et actions de cet homme dans le paysage humain ou même cosmique. Rogos. » Son regard se plante alors dans le sien. « As-tu des informations sur ses derniers agissements ? »

Les acteurs de cet événement deviennent plus nombreux.
Et une quelconque preuve de connivence avec un Éveillé comme lui pourrait s'avérer préjudiciable …

Wolgorn arriva finalement à destination de Tel-Aviv, face à l'immeuble dans lequel les Spectres avaient installé leurs quartiers. D'après les informations partagées par Xing Huo, c'était à l'intérieur de ce bâtiment récemment aménagé que se trouvaient Hypnos, Rogos et Drow. Officiellement, cet édifice ne contenait que des bureaux ordinaires, mais ceux-ci servaient en réalité à administrer le territoire israélien et à assurer la coordination avec les protectorats voisins. La municipalité de la capitale, la présidence du pays et le Tsahal travaillaient en étroite collaboration avec les autorités infernales, pour ne pas dire sous leur domination absolue. Quant au Bourreau, celui-ci s'était présenté devant cette branche locale du Royaume des Damnés en tenue civile, du moins autant que cela lui était possible. Effectivement, sa chair tuméfiée était toujours intégralement recouverte de bandages, ses brûlures sévères exigeant plus de temps que prévu pour guérir. Néanmoins, il avait tout de même pris soin de se vêtir d'un ensemble complet noir de sport, ce dernier comportant un pantalon de jogging, un sweat-shirt à capuche et des baskets. Bien évidemment, il avait enfilé sa cagoule afin de dissimuler au maximum son apparence de momie ambulante, même si son accoutrement demeurait toujours aussi suspect. Fermement agrippée à sa main droite se trouvait une grosse mallette de transport, celle-ci contenant la mythique Harpè en son sein. N'ayant pas encore acquis de fourreau dans lequel ranger une si vénérable épée, il s'était pour l'instant résigné à la déposer à l'intérieur d'une valise rembourrée.

Une fois entré dans l'enceinte de l'immeuble, Wolgorn fut diligemment accueilli à la réception par un Squelette. Ce dernier se chargea ensuite de le guider rapidement jusqu'au bureau du Sommeil, situé quelques étages plus haut. Une fois parvenus au palier de la pièce, le larbin toqua délicatement à la porte puis annonça d'une voix claire l'arrivée imminente de l'Exécuteur. La permission de pénétrer dans le bureau donnée, l'intéressé se dévoila finalement à l'assistance dans un véritable silence de mort.

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=6jm6Aoizw7Y -BGM

En raison de son évidente morbidité, sa silhouette monstrueuse contrasta immédiatement avec les physiques plus conventionnels de ses maîtres et coreligionnaires. Parmi les trois individus qui se trouvaient à cet endroit, le Dullahan était visiblement le seul visage familier du lot. A en juger par son emplacement symbolique dans la pièce, le personnage qui occupait le fauteuil principal était probablement le rejeton de Nyx, tandis que le second inconnu devait être le Béhémoth. Le premier émettait également une aura aussi puissante que mystérieuse, enveloppant par son omniprésente grandeur le périmètre dans une paradoxale atmosphère de sereine oppression. Aucune agressivité ne se dégageait de cet homme ombrageux, mais un malaise persistant tiraillait ceux qui osaient poser le regard sur lui. Voyant à qui il avait affaire, le Russe s'agenouilla, ôta sa capuche puis se présenta avec déférence auprès de ses supérieurs :

"Votre Excellence Hypnos, Monseigneur Drow du Béhémoth... Wolgorn du Bourreau de l'Étoile Terrestre de l'Exécution, à votre service ! Après une trop longue absence, votre humble serviteur est finalement de retour à vos côtés. Veuillez toutefois rester assurés, Messeigneurs, que je ne vous reviens point les mains vides. En effet, dans l'intérêt de notre glorieuse faction et de notre noble idéal, je m'en suis allé quérir un objet particulier... J'espère, Messeigneurs, que vous trouverez son utilité et sa valeur à votre convenance."

Les salutations protocolaires faites, il déposa alors la mallette métallique juste devant lui et l'ouvrit précautionneusement avant d'enfin montrer son précieux contenu à l'assemblée. A ce moment, Wolgorn choisit de laisser Harpè parler pour elle-même au lieu d'importuner plus longtemps ses supérieurs avec des bavardages vides de sens et indignes de cette arme. D'un geste profondément révérencieux et tête baissée, il tendit donc à Hypnos la lame légendaire du bout de ses bras émaciés. Le récit homérique de sa quête épique dans le but de s'accaparer l'épée recourbée attendra pour plus tard...

Étant une nouvelle recrue, Drow ne fut pas en mesure d’apporter davantage d’informations à Hypnos, un état de fait que la divinité lui ordonna de rectifier au plus vite – le caractère impératif de la remarque ne faisait aucun doute, quand bien même elle avait été formulée sur un ton trop indulgent pour pouvoir être véritablement qualifiée de remontrance. Les prochains jours s’annonçaient studieux pour le Béhémoth, mais ils devraient pouvoir rapidement remédier à son ignorance à l’aide de tous les dossiers et rapports de missions que les Spectres compilaient précisément pour ce genre de choses.

« Tout dépend du chevalier d’Or… et de l’adversaire qu’il affronte, car il me semble que Reagan était une anomalie parmi les Chevaliers Noirs. » répondit le Dullahan lorsque l’Étoile Céleste s’étonna de la faible taille du contingent athénien et émit des doutes sur les capacités d’Azir. Rogos ne pouvait blâmer son supérieur : il était encore inexpérimenté, et avec le temps il apprendrait que l’on pouvait toujours tomber sur plus fort que soi, ou simplement se retrouver désavantagé face à un certain style de combat.

« Dans tous les cas, il vaut mieux ne pas sous-estimer les guerriers du Sanctuaire, ce n’est pas pour rien qu’ils sont considérés comme étant les plus puissants protecteurs de l’humanité. » poursuivit-il. « De plus, ils sont connus pour leur tendance à se relever et à devenir encore plus forts après chaque défaite ; le Lion d'aujourd'hui n'est sans doute plus le même que celui qui a perdu face à Reagan. Et cela s’applique aussi à la Petite Ourse : n’oublions pas qu’à force de travail acharné, même un Bronze peut tutoyer les sommets. Bien sûr, ce n’est pas exclusif aux Saints : Wolgorn et Oblivion aussi en sont d’excellents exemples. »

La mention des deux meilleurs guerriers de leur faction avait été ajoutée dans la précipitation lorsque le cavalier sans tête s’était rendu compte que ses propos risquaient fort de rappeler au Sommeil le souvenir – sans nul doute très désagréable – d’un certain quintet d’adolescents japonais, mais il n’était pas sûr du succès de la manœuvre. Désireux de s’éloigner au plus vite du sujet, il acheva son explication :

« Peut-être également qu’ils ne sont venus qu’en reconnaissance et que des renforts sont prêts à les rejoindre si nécessaire. »

Sur ces entrefaites, la divinité reprit la parole pour spéculer sur les motivations des renégats de Death Queen Island, mais Il fut interrompu lorsqu’un nouveau papillon messager porta une nouvelle information à Son attention. Et quelle information ! Le français perdit lui-même le fil de ce qu’il s’apprêtait à dire en apprenant que cette situation déjà explosive était rendue d’autant plus instable par la présence de l’ex-Léviathan.

« Hruodland… ça faisait longtemps que plus personne ne l’avait vu, et ce n’est pas faute d’avoir cherché. Les gens commençaient à espérer que cela voulait dire que quelqu’un lui avait réglé son compte, mais c’était clairement trop demander. » fit amèrement le Dullahan. Il se massa la tempe quelques instants, cette action l’aidant à se concentrer, mais il n’avait pas grand-chose de plus à raconter que ce qui se trouvait déjà dans les archives des Spectres. « Il a déserté les Marinas peu après que Poséidon ait succombé aux séquelles de son attaque sur Tokyo. Il a rejoint les rangs des mercenaires, a affronté deux de ses anciens camarades aux côtés du Lion Noir – encore à Tokyo – et puis il a disparu d’un coup, cela fait plus d’un an maintenant... »

Une partie des paroles du fils de Nyx le tracassait toutefois, un détail qui exigeait un éclaircissement : « Vous avez dit que nos contacts ne savent pas pour qui il opère ? Cela veut-il dire qu’il ne porte plus son armure noire ? »

Le son d’un Squelette toquant à la porte retentit alors, faisant dérailler la discussion pour la deuxième fois et annonçant rien de moins que l’arrivée à l’improviste du Bourreau. Celui-ci ne tarda pas à entrer dans la pièce, sa haute silhouette momifiée attirant tous les regards. Rogos aurait dû être estomaqué de retrouver son camarade dans un tel état, alors qu’ils venaient à peine de terminer leur mission précédente et qu’Oblivion était la seule d’entre eux à s’être rendue sur les lieux de la crise en Égypte. Et pourtant, sa réaction se limita à hausser un sourcil : Wolgorn était manifestement allergique au repos, ce n’était pas nouveau, et ce n’était pas non plus comme s’il pouvait lui jeter la pierre vu ses propres blessures.

Plus surprenant était le contenu de la mallette qu’il leur présenta avec fierté : une curieuse mais magnifique épée recourbée irradiant une aura d’une telle puissance qu’il se demanda comment il avait pu ne pas se rendre compte de sa présence à l’instant où le russe avait posé le pied à Tel-Aviv, et au tranchant si affilé qu’il avait l’impression qu’il lui suffirait d’être à proximité pour s’y couper. Une arme égalant la hache qu’ils avaient risqué – et perdu – leur vie pour ramener des profondeurs d’une certaine forêt de cèdres en compagnie d’Oblivion, il y a de cela ce qui lui semblait être une éternité. Où avait-il déniché une lame pareille ? Avait-elle été placée sous la protection d’un gardien aussi redoutable qu’Humbaba ? Voilà qui expliquerait son physique ravagé…

Une fois de plus, le cavalier sans tête se voyait administrer une cure d’humilité suite aux actions de son collègue Terrestre. Il voulut le féliciter, mais garda le silence car c’était au dieu et à l’Étoile Céleste qu’il s’était adressé. En tout cas, une chose était claire : il allait lui falloir redoubler d’efforts à l’avenir. Encore. Une sensation familière...

Une mèche entre ses doigts, les paupières closes, le Sommeil écoute en silence la discussion qui s'élève doucement concernant les Saints, ainsi que leur si connue capacité à se relever, plus fort que jamais, après une défaite. Lentement, mais fermement, une image du passé vient s'extraire de sa mémoire, dansant un instant entre les frontières de sa pensée. Une paupière s'ouvre – la gauche. Un œil doré fixe Rogos – tout en donnant l'impression de ne pas le voir. La main quitte sa mèche, pour se poser un instant contre son poitrail. Geste court. Geste personnel. Bien vite, l'or devient plus présent dans l'unique œil ouvert. Les lèvres s'étirent. Un fin sourire. Mais aussi un sentiment qui remplace pendant un instant l'atmosphère ambiant.

Une pression. Palpable. Qui peut arracher un frisson. Une peur rampante, qui vient frôler les corps des Spectres … avant de simplement s'effacer, et tandis que quelques mots viennent cueillir l'attention de ses subordonnés, la paupière, elle, se ferme. « Tu as bien appris l'héritage des derniers conflits, Rogos. » Une accalmie renouvelée. Une certaine douceur sur le visage du fils de Nyx.
Cela ne semble avoir aucune importance, finalement. Malgré cette pression. Malgré ce sentiment. Un amalgame étrange de réalités, toutes connecté à une seule vérité : il est dans la nature du Sommeil d'être une entité multiple. D'être autant les Abysses dans lesquelles reposent les horreurs les plus noirs … et à la fois un océan tranquille.

Ouvrant un tiroir, Hypnos sort doucement un paquet de cigarettes, ainsi qu'une boîte d'allumettes. Glissant l'extrémité de l'un des bâtons de cancer entre ses lèvres, il fait craquer le souffre, une belle flamme dansant devant ses yeux, de nouveau dévoilés. « C'est un comportement humain. Les dieux ne connaissent pas ceci. Un éclat, une flamme. Capable de brûler un peu plus fort. L'humanité est un combustible intéressant. Puissant. Mais … » Allumant la cigarette, une légère odeur d'opium commence à envahir l'atmosphère, bien qu'aucun effet véritable ne semble se faire ressentir. D'un mouvement de main, la divinité éteint l'allumette, la laissant tomber dans un cendrier.

« Elle brûle vite. Pour finir un jour par ne plus se rallumer. » Quelques volutes dansent, glissant hors de ses lèvres, alors que ses yeux se posent sur les deux Spectres. « J'espère que Wolgorn et Oblivion ne seront pas les seuls Spectres à savoir utiliser ce combustible. » Surtout qu'ils ont un avantage. Celui de ne pas réellement subir les peines de la mort.
Oh, bien entendu, c'est douloureux. Bien entendu, c'est désagréable. Mais ce phénomène, ce lien à une existence infernale … Il doit être utilisé. Il doit être l'essence d'une force véritable.

Faisant tomber un peu de cendres dans le cendrier, le divin caresse son menton de son autre main, semblant réfléchir un instant, alors qu'il reprend les derniers éléments de la discussion dans son esprit. « La Constellation de la Petite Ours … Cela ne m'est pas inconnu … » Portant la cigarette à ses lèvres, le Sommeil reste silencieux quelques secondes, avant qu'une lueur légèrement irisée n'apparaisse dans ses yeux. « Oh. Oui. Oblivion et Ephemer ont rencontré la demoiselle qui porte l'Armure de Bronze de la Petite Ours. Une personnalité particulière … Bien loin des Saints que j'ai pu rencontrer par le passé. » Intéressante situation. Oui. Il faudra savoir ce que la Mante Religieuse a pu penser de cette collaboration …

Bien vite, Hruodland vient remplacer les Saints et les Spectres. Hochant la tête aux propos du Dullahan, le Sommeil pose sa cigarette, posant sa joue contre son poing. « Aucune affiliation aux Chevaliers Noirs revendiquée, du moins officiellement. Comme tu l'as si bien expliqué, il a été plutôt actif il y a une année, environ. Mais durant cette année qui a suivie, son nom n'est plus réapparu. Son retour sur le devant de la scène cosmique est donc récent. J'attends de plus amples informations assez rapidement. » Implicitement, l'absence d'information semblait contrarier le frère de Thanatos. L'idée qu'un tel problème vivant ait été en capacité de faire quelque chose pendant cette année sans qu'aucun service de renseignement n'ait pris le temps de garder à jour les informations n'était pas pour lui plaire … Mais le sujet ne peut être bien plus développé : bien vite, un Squelette toque à la porte. L'autorisation lancée, le divin observe la porte s'ouvrir. Sur le Squelette. Et la silhouette rachitique de l’Exécuteur.

D'un geste, Hypnos congédie le Squelette, avant de regarder le nouveau venu. Portant sa cigarette à ses lèvres, le divin observe. En cet instant, Wolgorn semble plus proche des prisonniers des Enfers que d'un Spectre. Dans cette pâleur qui le caractérise, le Sommeil pourrait presque y voir une certaine transparence. Une certaine fragilité. Celle d'une feuille qui pourrait être déchirée. Et pourtant … Cette simple apparence n'est que ceci : une apparence. L'Exécuteur reste l'une des plus grande force du monde infernal. Et sans doute le calvaire qu'il a traversé – l'épreuve, le pèlerinage, qu'importe le terme approprié – a-t-il développé encore plus certaines capacités …

« Bon retour parmi nous, Wolgorn. Il m'est agréable de voir les forces des Enfers peu à peu se rassembler. Et je t'en prie, montre nous donc ce que tu as pu trouver lors de ton voyage. » D'ailleurs, alors que le Bourreau pose la mallette, Hypnos se redresse, quittant son siège. Une main dans une poche, l'autre le long du corps, il attend. Observe. Avant de voir la lame à l'aura puissante.
Un intérêt vient lentement habiter le regard du Sommeil. Alors que sa main s'approche de l'arme. Pendant un instant, il ne la touche pas. Son aura semble simplement caresser celle de cet artefact guerrier. Caresser les courbes de l'acier, son tranchant. L'or palpite, légèrement. Pas par simple intérêt. Mais par véritable communion avec cette force qui réside dans cette arme.

Son regard observe. Admire.
Avant que les doigts ne finissent par attraper le manche de l'arme.
Légère. Et à la fois puissante. Un véritable équilibre – tant dans l'artisanat que dans l'énergie – se ressent. Pareille arme est rare, même pour les dieux. Surtout en cette époque : l'humanité, depuis longtemps, a oublié les armes qui composaient leurs contes, leurs légendes. Mais aussi leurs guerres. Et par cet oubli, les sables ont fini par recouvrir ces trésors anciens.

Alors. Oui, il prend le temps d'observer. Avant de quitter l'arme des yeux, pour regarder le dernier Spectre arrivé. « Félicitations, Wolgorn, Spectre du Bourreau, de l'Étoile Terrestre de l'Exécution. Ce que tu ramène est un véritable trésor … et surtout, une arme puissante. » Doucement, ses doigts viennent caresser la lame. Peu à peu, un tissu doré vient la recouvrir, l'enlacer, avec douceur, précaution. Des cordelettes s'étreignent, se nouent, pour bloquer le tissu. Non pas pour cacher la lame. Mais pour lui offrir, avant un véritable fourreau, une certaine protection. Un tissu à l'origine certaine : des fils d'une magnifique soie, mêler à une douce lueur dorée.

« Je préviendrai personnellement mon Frère de ton action. Et, pendant ce temps … » L'arme est posée, dans la mallette. « Je t'en laisse la charge. Si je présenterai ton action, tu seras celui qui portera cet artefact jusqu'à lui. Cette arme est la conclusion de ton pèlerinage. Celui-ci est d'ailleurs une œuvre que je souhaiterai découvrir, en temps et en heure. »

Drow répondit laconiquement aux salutations de Wolgorn, ce qui n'aida guère ce dernier à cerner sa personnalité dès la première impression. Sa curiosité piquée par cette offrande singulière, Hypnos accueillit chaleureusement son famélique subordonné et contempla de près l'épée légendaire qui lui était présentée. Sans qu'elle ne soit en réalité touchée, le Bourreau pouvait sentir le Sommeil caresser Harpè son divin regard, ceci rien qu'aux fluctuations de son aura mystérieuse. Un voile doré enroba ensuite l'arme mythique et préserva son tranchant des affres de l'extérieur, même s'il ne s'agissait au final que d'une protection temporaire. Tout comme le Russe, le rejeton de Nyx était conscient du besoin de procurer un fourreau adapté à une lame d'une pareille qualité. En effet, il s'agissait là d'une nécessité impérieuse, une épée aussi prestigieuse ne pouvant décemment pas souffrir d'être ainsi exposée aux affres du monde extérieur. Harpè était destinée à des batailles dantesques et à de splendides victoires, pas à baigner dans la poussière ou la sueur de pourceaux indignes de sa bénédiction ! Empli de gratitude face à ce geste, Wolgorn remercia son supérieur pour ce don bienvenu et pour les félicitations qui lui avait été adressées. Ayant attisé l'intérêt de l'assistance, il révéla ensuite à son public le nom de l'arme antique qu'il tenait entre ses mains osseuses :

"La lame que vous voyez devant vous n'est autre que la légendaire Harpè, l'épée-serpe jadis brandie par le glorieux héros Persée, illustre progéniture du Tout-Puissant Zeus ! Mais comme Son Excellence Hypnos le souhaite, je vous conterai le récit de son acquisition plus tard... Si j'ai cru comprendre, des sujets plus urgents exigent notre attention : la question égyptienne, par exemple. A ce sujet, j'ai ouïe dire que la Mante Religieuse serait en train de s'occuper -en compagnie d'autres factions- du cataclysme causé par Anubis. Aurais-je raté quelque chose d'important, entretemps ?"

Bien évidemment, la situation devait avoir rapidement évolué entre le moment où il avait quitté Xing Huo et celui où il avait rejoint Tel-Aviv. Même s'il en connaissait les grandes lignes, l'Exécuteur n'était également pas encore au fait de tous les détails relatifs à cette crise planétaire. De plus, d'autres dossiers épineux devaient très certainement tracasser l'état-major des Spectres, aussi devait-il en être informé le plus vite possible. Volontaire comme à son habitude, le Russe était prêt à s'en charger séance tenante si jamais ses capacités pouvaient contribuer à résoudre le problème. Après avoir obtenu une arme aussi puissante que la fameuse Harpè, il serait dommage de ne pas l'utiliser dans l'éventualité où les circonstances le demanderaient. Malgré ses innombrables blessures, Wolgorn était déjà impatient de repartir au combat et de mettre ses nouvelles facultés martiales à l'épreuve. Néanmoins, il ne devait pas non plus oublier l'objectif premier de cette rencontre avec le frère de Thanatos : observer son comportement et attester de sa loyauté envers Hadès. Effectivement, le doute qu'Éris avait instillé en lui continuait sans cesse de le tourmenter, ce qui était pour le Bourreau une profonde source d'embarras. Dire qu'il s'était pourtant juré de ne plus laisser son esprit être manipulé par quiconque, que ce soit un individu ou ses propres émotions... Quelle terrible humiliation !

Le mutisme du Dullahan se prolongea tandis que le Sommeil admirait le trophée ramené par le Bourreau, le congratulait pour son action et pour finir enveloppait la lame dans des bandelettes faites de la soie la plus raffinée, qui à défaut de pouvoir véritablement lui servir de fourreau complimentaient à merveille la magnificence de l’arme. Puis le moment passa, et il fut de nouveau temps de se préoccuper du péril égyptien, quand bien même Rogos aurait préféré aider le Béhémoth à faire une bonne première impression en évoquant la conquête de Sydney réalisée sous son leadership. Hélas, de telles choses devaient passer au second plan ; ils auraient toujours l’occasion d’en parler une fois le maudit dieu chacal renvoyé à la niche.

« Sa Seigneurie vient tout juste de nous informer du fait que Hruodland a été aperçu en Égypte. » répondit le français lorsque son collègue demanda à être mis au courant des dernières nouvelles. « Nos contacts au Mossad ne savent pas pour qui il travaille, il semble qu’il ne porte plus d’armure noire. Il n’y a pas trente-six possibilités, ceci dit : Athéna a beau s’être montrée très complaisante envers les Marinas par le passé, cela m’étonnerait que ce soit au point d’accueillir le Léviathan dans ses rangs. Cela ne laisse que les Ases ou les Ombres ; Ubar est suffisamment près pour qu’Éris ait pu ressentir le besoin d’intervenir, et j’ai cru comprendre que Vous aviez envoyé le Cyclope et la Liche traiter avec Asgard au sujet des événements actuels, Votre Seigneurie ? »

Il y avait deux autres possibilités, bien sûr, mais le cavalier sans tête les jugeait improbables au point de ne pas mériter qu’on en parle à voix haute. Après tout, il y avait peu de chances que l’ex-paladin de Charlemagne ait rejoint une tierce faction dont les Spectres ignoraient l’existence jusqu’à aujourd’hui, et il était encore plus difficile de croire qu’un quelconque vestige des Marinas ait accepté de passer l’éponge sur sa trahison après son combat remarqué contre ses anciens camarades à Tokyo.

« Vous savez mieux que nous comment Votre sœur réagirait dans une telle situation, cela Vous paraît-il vraisemblable ? » poursuivit-il en s’adressant au fils de Nyx. « Et si ce sont les Ases… je dois me demander à quoi ils pensaient en l’envoyant. Je sais qu’ils s’intéressent peu à ce qu’il se passe en dehors de leurs frontières, mais tout de même ! »

Rogos aurait également pu parler des raisons pour lesquelles Oblivion refusait que ses camarades viennent l'aider, un sujet qui ferait sûrement l'effet d'une bombe, toutefois il préférait en laisser le soin à Drow, qui avait jusque-là été mis relativement à l'écart de la discussion. Il était sans doute mieux placé pour aborder ce point, étant lui-même une Étoile Céleste et ne pouvant être accusé d'être biaisé envers leur consœur, une accusation que Wolgorn pourrait très bien porter à l'endroit du Dullahan – et il n'aurait pas tout à fait tort.

Hypnos écouta attentivement les questions et les spéculations de ses subordonnés, conscient qu'il ne pouvait pour l'instant qu'ajouter ses propres supputations aux leurs. Les circonstances actuelles et les trop nombreuses inconnues auxquelles les Spectres faisaient face ne pouvaient que leur inspirer la nervosité, mais ils devaient se résoudre à prendre leur mal en patience. Néanmoins, le Sommeil pouvait apporter quelques éléments de réponse à propos de la situation diplomatique avec Asgard, puisque la délégation conduite par Xing Huo et Andréa avait été mentionnée durant la conversation. Il appuya ainsi son dos contre son siège et s'inclina vers l'arrière, les yeux fermés et les mains jointes dans une posture de méditation, puis informa ses subalternes sur ce point précis :

"Le Cyclope et la Liche se sont bien rendus à Asgard afin de se renseigner sur les phénomènes récents, en effet. Durant leur visite, ils ont pu constater que les Nordiques n'étaient en rien impliqués dans cette histoire. Ils nous ont également indiqué que les God Warriors ne nourrissaient -du moins pour le moment- aucune hostilité à notre encontre. Nos deux émissaires auraient par ailleurs été bien reçus, si j'en crois leur rapport, et ils auraient quitté leurs interlocuteurs en bons termes. Cette posture est à prendre avec des pincettes, bien entendu, étant donné que le Cyclope et la Liche n'ont guère pu s'entretenir avec un ponte de la faction scandinave. Sans une déclaration d'intention claire en provenance directe de leur état-major, nous ne pouvons considérer la cordialité de nos relations comme acquise. Toutefois, compte tenu de l'urgence de la situation sur le front égyptien, nous nous contenterons pour l'instant de cela."

Passablement incrédule devant le récit d'Hypnos, Wolgorn dut se faire violence pour se retenir de persifler au sujet de la supposée hospitalité des God Warriors. Effectivement, il gardait encore un souvenir amer de sa dernière excursion en Scandinavie, à un tel point qu'il avait développé une profonde aversion à leur égard. Certes, celle-ci était moins prononcée que son animosité envers les Chevaliers Sacrés, mais elle demeurait malgré tout suffisamment sévère pour le plonger dans une humeur bilieuse. Bien évidemment, le Russe étant constamment de mauvais poil quelle que soit la situation, cela signifiait tout simplement qu'il était encore plus imbuvable qu'à son habitude. Cependant, il devait s'efforcer de mettre ses griefs à l'encontre d'Asgard de côté pour mieux se concentrer sur la discussion. Néanmoins, le Sommeil n'eut guère le temps de reprendre la parole, car l'attention de l'assemblée fut détournée par l'arrivée inopinée d'une seconde fée. Comme la précédente, celle-ci était porteuse d'une dépêche de dernière minute, sans aucun doute transmise par les espions du Mossad déployés sur la ligne de front.

Sans plus se formaliser de l'apparition de la fée, le jumeau de Thanatos la laissa se poser tranquillement sur son épaule et réceptionna son message d'une inflexion de la pensée. Jusqu'ici le regard clos, Hypnos ouvrit finalement les yeux et partagea promptement à ses troupes le contenu de ce mystérieux courrier :

"Le Mossad tient à nous informer de la présence d'un combattant d'origine inconnue, en dehors de Hruodland. Il s'agirait manifestement d'une jeune femme, mais celle-ci arborerait une armure étrange qu'ils ne parviendraient pas à identifier. A l'instant même où nous parlons, elle serait aux côtés de Hruodland en train de croiser le fer avec l'armée des morts-vivants conjurée par Anubis. Si les Ases, les Marinas, les Spectres, les Chevaliers Noirs ou les Saints ne leurs viennent pas à l'esprit, peut-être s'agit-il des Ombres ou d'une autre faction. Comme l'a dit Rogos, il est probable qu'Éris ait jugé nécessaire d'intervenir dans ce conflit, ne serait-ce que pour défendre l'intégrité territoriale de son royaume. Cette dernière a été mise à rude épreuve suite à la petite incursion de Reagan et je doute que la Discorde soit du genre à tolérer une nouvelle invasion de son domaine. Elle a toujours été douée pour négocier avec ses ennemis, mais même elle a conscience que courber éternellement l'échine ne paie jamais sur le long terme. Hélas, cela ne nous permet toujours pas de confirmer l'allégeance exacte de Hruodland. Au final, nous en restons encore au stade des suppositions."

"Il nous faudra donc toquer à la porte des camps concernés par nos soupçons, je présume." souligna le Bourreau.

"Exactement. S'il y a une chose qui peut nous rassurer dans cette histoire, c'est que le Léviathan semble pour le moment disposé à prêter main-forte à notre coalition. Prudence néanmoins, ce personnage nous a prouvé par le passé qu'il était aussi imprévisible que destructeur."

"Qu'en est-il de l'autre inconnue, Votre Excellence ? Serait-elle aussi redoutable que Hruodland ?"

"Nous n'en savons rien pour l'instant. A l'heure actuelle, elle ne fait que se battre et rien de plus intéressant n'a été noté à son sujet."

Comprenant que les divers informateurs des Spectres ne pouvaient guère plus enrichir leurs connaissances sur l'affrontement qui faisait présentement rage, Wolgorn s'inclina et se tut. Si la situation sur le front évoluait de manière négative, il était préparé à partir au renfort, mais il devait attendre de nouvelles dépêches et des ordres pour cela. Le suspense lui était insoutenable et la présence de l'ancien champion de Poséidon aux abords de la pyramide ne faisait qu'alimenter son anxiété. Ce dernier paraissait se montrer coopératif, sauf qu'il suffisait d'une saute d'humeur ou d'une erreur de sa part pour changer le cours de la bataille en la faveur d'Anubis. Frustré par son impuissance et les sens aux aguets, le Russe raffermit nerveusement sa prise sur la poignée de son épée recourbée. Dès que l'autorisation de brandir Harpè lui aura été donnée, que ce soit par Hypnos ou par Thanatos, il fondra sur ses ennemis tel un rapace en chasse afin de les faucher de sa lame acérée.

Le Béhémoth exprima de nouveau son désir d’avoir l’occasion de démontrer sa dévotion, faisant preuve d’un zèle admirable. Le Dullahan espérait cependant que son souhait ne serait pas exaucé sous la forme d’une guerre contre les forces d’un Anubis ressuscité ; Sydney n’avait peut-être été qu’un échauffement, mais cela serait un peu extrême pour un baptême du feu.

« Cela va de soi. » acquiesça le français lorsque son supérieur rappela la nécessité de garder l’ex-Léviathan à l’œil. « De par sa puissance et sa réputation, Hruodland est l’une de ces pièces capable de renverser l’échiquier à elle toute seule. Il sera toutefois difficile de le surveiller s’il se trouve sur le territoire souverain d’une autre faction, surtout s’il s’agit des Ases, avec leur politique isolationniste. Il faut également espérer que sa présence ne mettra pas le feu aux poudres : la probabilité est faible, mais certains militaires au sang chaud pourraient être tentés d’utiliser une arme de destruction massive pour se débarrasser de deux problèmes en même temps, avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir. »

Ayant dit ce qu’il avait à dire, il se tut tandis que l’incarnation du Sommeil reprenait la parole. Rogos ne manqua pas de relever une certaine tension chez le Bourreau tandis qu’Hypnos leur rapportait les résultats de l’expédition de leurs collègues Terrestres à Asgard, une tension qu’il ressentit lui-même en se rappelant à quel point leur propre visite dans les contrées nordiques avait tourné au vinaigre. Tant mieux pour Andréa ceci dit : il savait qu’elle avait réussi par le passé à établir des relations… bon, peut-être pas amicales mais en tout cas non-hostiles avec certains Guerriers Divins, et il n’était pas assez mesquin pour en vouloir à une consœur d’avoir rencontré le succès là où il avait échoué.

La situation étant constamment en flux et le monde n’était pas prêt de s’arrêter de tourner alors qu’ils s’asseyaient pour en discuter, ce fut l’instant qu’une seconde Fée choisit pour faire son apparition et délivrer un nouveau rapport. Encore une éveillée inconnue de plus ? Décidément, c’était la journée des surprises.

Le cavalier sans tête eut du mal à ne pas afficher trop ouvertement son scepticisme lorsque le dieu mentionna les supposés talents de la Discorde lorsqu’il s’agissait de négocier avec l’ennemi. Éris avait certes la langue bien pendue, mais quand on voyait la façon dont elle « négociait » avec ses propres frères et persistait à asticoter les Spectres sans raison valable, on pouvait se demander si les enfants de Nyx n’avaient pas une définition très personnelle de ce qu’était la diplomatie. Ceci dit, il était également vrai que les divinités ne réagissaient pas de la même façon aux action de leurs semblables qu’à celles de leurs inférieurs, alors…

« Avec un peu de chance, le rapport d’Oblivion nous dispensera d’aller de nouveau quémander des informations aux autres factions. Si cela devait néanmoins s’avérer nécessaire, je pense que ce serait une bonne opportunité pour vous, Drow. Très formateur, bien que souvent frustrant. »

Maintenant qu’ils avaient fait le point sur les actions des uns et des autres, Rogos se demandait s’il ne serait pas plus approprié de changer de local…

« S’il n’y a rien d’autre, ne devrions-nous pas redescendre afin que les Squelettes puissent nous tenir au courant en temps réel de l’évolution de la situation ? Chaque seconde compte si nous devons être déployés en urgence. »