“ Alors c’est ça, ce que ressent un pigeon voyageur ? “

Un petit rire sarcastique s’échappe des lèvres de Niska. L’armure de Niddhog, comme magnétisée par les traces de la présence du maître pour lequel elle a été conçue, a conduit les pas de sa porteuse vers Nibelheim, tout comme un oiseau est porté par le souvenir de sa naissance vers son colombier. Nulle parole, nulle image mentale, seulement des chemins pris des dizaines de fois par de parfaits inconnus, mais gravés dans la mémoire de la Järnskinn.

L’ombre de l’immense forteresse d’Eljudnir, enveloppée d’une nuée de corneilles, provoque une moue de la part de Niska. Elle ne sait trop si elle doit se réjouir de faire partie de cette force qui, il faut bien l’admettre, en impose, ou si elle doit prendre l’austérité et la noirceur extérieures de la forteresse comme avertissement : l’intérieur ne doit pas déborder de joie de vivre. Niska est plus une habituée du Niflheim, pauvre, en déshérence, mais où la moindre arrivée de nourriture ou de boisson est un prétexte à la fête.

“ Bah, je n’aurais sans doute pas à trop y séjourner. Cet endroit est mort, il ne doit pas y avoir foule de choses à y faire. Voyons qui va m’accueillir … “

Autrefois, la sorcière des marais ne serait jamais arrivée ainsi devant les portes de fer d’Eljudnir : Nibelheim l’a jetée pour une raison ou une autre en Asgard, et aujourd’hui, elle ressent une sorte d’aversion a priori pour ce monde. Elle n’a pas ralenti d’un pas en traversant le village de Nibel, n’a pas lancé un regard à la ronde, même lorsqu’elle a été importunée par ce sentiment vif d’être observée. La lugubre armure de Nidhogg inspire la crainte, personne n’a cherché à l’arrêter, et cela lui convient très bien comme ça.

“ Qui va là ? “

“ Niska, de Nidhogg. “

Elle vient de répondre d’une voix puissante à l’appel d’un garde qui apparaît derrière les vantaux de l’entrée s'entrouvrant lourdement.

“ Que venez-vous faire au palais Sa Majesté Hel ? “

Dame Hel ? C’est le palais de Hel ? Oh, j’aurais dû prendre le temps de manger un morceau avant de venir. Ne dit-on pas qu’ici vivent Maladie, Disette et Faim ? Et si mes souvenirs sont bons, le seuil est gardé par Perfidie.

“ Tu es bien curieux, soldat. Tiens-tu vraiment à savoir ce qu’il y a entre un guerrier sacré et un dieu ? Attends un peu, je vais te le murmurer à l’oreille ! ”

Le fouet de Nidhogg se déploie alors comme un serpent géant et file à travers l’ouverture pour happer le garde par les épaules. Le soldat se retrouve tiré à genoux devant Niska qui se penche alors dans sa direction et lui murmure à mi-voix :

“ Je ne crois pas que toi ou tes amis soient en mesure de m’arrêter, laisse donc faire d’autres plus en capacités dans cette forteresse. Tu sais, ce n’est pas la dernière fois que je viendrais ici. Tu veux devenir mon souffre-douleur attitré, ou tu me laisses entrer sans faire d’histoires ? ”

L’épée fouet se serre autour de la cuirasse qui s'écrase de quelques centimètres, et le soldat geint avant de tomber à terre. Il se retourne et appelle en précipitation ses compagnons d’un cri poussif :

“ C’est bon, laissez-la passer ! ”

Niska franchit alors les portes qui s’ouvrent en grand devant elle. Elle s’enfonce dans les couloirs du palais avec la ferme intention de ne s’arrêter que lorsqu’elle trouvera quelqu’un de capable de lui parler au moins d’égal à égale.

Comme bien souvent dans ce palais, l'ambiance était lourde, silencieuse. Mais il constituait l'un des foyers terrestres de son autorité et le rappel que la mort rôdait à tous moments dans les ombres. La déesse songeait à lancer un appel dans les villages proches pour recruter un ou deux skalds et égayer un peu les couloirs, au moins pour les périodes où elle se trouvait à l'intérieur des murs. Cela créerait aussi quelques menus emplois pour redynamiser un peu la région. Pas de raison que seules Asgard et Midgard profitent de l'ouverture sur le reste du monde, hein ?

En attendant, la soldatesque savait sa place et préservait l'endroit, autant pour avoir de quoi vivre que la protection de Hel. Mieux valait avoir les dieux de son côté pour éviter des catastrophes. Surtout que dans cette incarnation la fille de Loki semblait beaucoup plus disposée à l'égard de ses gens, au point même d'adopter une apparence humaine ordinaire, moins intimidante.

Plongée dans de longues recherches au milieu des ouvrages de la bibliothèque -tant sur les origines des Volsung pour honorer son pacte avec Hruodland que pour sa propre carnation ou encore rattraper son retard en matière de savoir moderne, la reine de Helheim entendit soudain un bruit de pas précipités, suspendit sa lecture en voyant l'un des fameux gardes entrer. Il déglutit à l'idée d'avoir interrompu quelque chose d'important et d'être puni pour cela, s'inclina bassement, puis tâcha de débita rapidement intelligiblement :

"Votre Majesté, une femme vient de forcer le droit d'entrer ! Elle semble rechercher quelqu'un... de supérieur. C'est une Éveillée. Elle porte une järskinn sombre.
-Une Éveillée, ici ? Voilà donc l'impression inhabituelle que j'avais. Où est-elle ?
-Elle se dirigeait vers la salle du trône aux dernières nouvelles. Nous l'avons laissée faire car elle violente le personnel sur son passage...
-Bien je m'en charge."

Elle referma le livre dans sa main avec un claquement mou, puis se leva sans empressement.

"Retournez à vos postes. Et prévoyez de vous entraîner un peu plus dur, de façon à pouvoir contenir ce type d'intrusions à plusieurs personnes si nécessaires. Mon palais n'est pas une aire de jeux.
-Bien, déesse !"

L'homme fila sans attendre, tandis qu'un soupir las résonnait dans la pièce. Une nouvelle venue qui s'en prenait au peuple... Cela allait-il finir en nouveau pacte ?

En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, Hel s'évanouit dans l'air pour se retrouver dans ladite salle du trône, directement face à l'étrangère, une dizaine de pas plus loin seulement. Sous l'apparence d'une jeune femme aux longs cheveux blonds et au regard d'un bleu sombre, elle posa une main sur sa hanche et toisa sa vis-à-vis, reconnaissant les écailles de Niddhog au premier coup d’œil. Le Dévoreur avait donc toujours soif de sang ?

"Pas un pas de plus, jeune fille. Qui es-tu et que viens-tu faire en ma demeure ?"

L’intérieur de la forteresse était sensiblement différent de ce que Niska imaginait. Mais pour autant, elle contint sa curiosité et prit les grands couloirs pour arriver à ce qui semblait être la salle d’audience. Cette fois-ci, on ne lui fit aucune difficulté, et elle attendit avec satisfaction que la garde s’empresse de lui ouvrir le chemin en l’informant que la reine Hel avait accepté de la recevoir.

Cependant, lorsque Niska entra dans la salle, il n’y avait personne. Pas âme qui vive. Se tournant de tous les côtés, la sorcière eut un soudain moment de peur en entendant la porte se refermer derrière elle. Ses dents se serrèrent et sa prise sur son fouet se crispa tanddis qu'elle protestait :

“ Qu'est-ce que c’est que cette plaisanterie ? “

S’agissait-il d’un piège ? Tendue comme un fauve en alerte, elle sursauta lorsqu’une dame blonde fit son apparition comme venue de nulle part. L’irritation de la maîtresse des lieux était palpable même si elle était contenue, et sa manière de prendre Niska de haut en l’appelant “jeune fille” aurait dû inciter Nidhogg à la prudence. Pourtant, il n’était pas question de se laisser démonter même devant une déesse : il ne s’agissait pas de Loki en personne non plus … Niska inclina la tête très sobrement et commença d'un air matois :

“ Ainsi donc, voilà la souveraine de ce pays. Majesté … Hé bien, je m’appelle Niska. J’ai accepté de porter l’armure de Nidhogg il y a peu, et je viens pour recevoir ce qui m’est dû.”

Elle releva le regard avec assurance et s’expliqua :

“ En tant que guerrier sacré, je dois bien avoir droit aux avantages que me confère mon rang : des serviteurs, une solde, une immunité pour pouvoir traverser Nordheim à ma guise, que sais-je. “

Cette entrée en matière était assez effrontée, mais Niska n’était pas du genre à tourner autour du pot. Elle alla droit au but :

“ Ma part en tant que Fléau de Loki est de préparer son retour et de faire ce qui est susceptible de lui plaire. Je crois que la personne la mieux placée désormais pour me dire ce que je dois faire est sa propre fille … “

Niska adressa un sourire de connivence à Hel. Cela allait de soi : l’héritière du fourbe ne pouvait que se réjouir de cette annonce, de recevoir un aussi puissant soutien. Nidhogg se voyait déjà installée dans une chambre confortable, avec un grand lit de draps blancs chauffé par une cheminée bien garnie, une table couverte de plats en sauce accompagnés de leur bouteille d’hydromel bien costaud.

"Ce qui t'est dû ?"

La déesse haussa un sourcil. Voilà qui commençait bien. Depuis quand les guerriers divins se permettaient de réclamer des faveurs à tort et à travers ? Entre Hruodland et elle, cela en faisait déjà deux de trop. Ils étaient les serviteurs des dieux et de Nordheim, pas l'inverse. Mais Hel fit tout de même l'effort d'écouter la suite, fort instructive.

"Où penses-tu être exactement, Niska de Niddhog ? Nous ne sommes pas ici dans une auberge où tu peux disposer comme tu l'entends des biens et des services."

Néanmoins, les porteurs de järskinns avaient quelques avantages, oui. Qui n'allaient pas sans quelques responsabilités aussi.

"Pour être plus exacte, si tu veux acquérir cela, ce sera à la force de ton dévouement et de tes faits d'armes, pas simplement parce que Niddhog t'a accordé le privilège de te choisir. Une solde, oui. Tu en auras une. Des serviteurs, non : ceux du palais peuvent effectivement répondre à certains besoins, mais ils restent affiliés au palais et non à ta personne. Ils ont le droit de te refuser ce que tu demandes si ce n'est pas justifié, ou si c'est abusif. Surtout quand, par exemple, tu violentes mes gens en entrant dans ma demeure."

Sa langue claqua contre son palais, et elle laissa le temps à la nouvelle venue d'intégrer que son entrée en matière avait déplu à la maîtresse de maison.

"Quant au droit de passage, sais-tu seulement où se trouvent les portes vers les autres mondes ? Bien mal avisé celui qui chercherait à les découvrir sans préparation."

Prenant un malin plaisir à la voir déchanter tout en lui faisant miroiter ce qu'elle désirait visiblement, la fille de Loki prit place sur SON trône et la scruta encore un moment. Son air renfrogné et sa carrure supposait une femme habituée à se battre. Et dans un monde comme celui de Nibelheim, cela signifiait souvent une personne dans le besoin qui avait appris à survivre par la force des choses. Elle voulait s'élever donc ?

"Loki n'a pas donné signe de vie depuis plusieurs années. Probablement à se terrer quelque part comme un lapin lors de la chasse. Et en son absence, j'ai pris la ferme résolution de redresser la situation de Nordheim dans son ensemble, de faire prospérer tous les mondes. Tu sais sans doute, si tu es fille de ce pays, que la pauvreté est omniprésente, et qu'il ne faudra pas t'attendre à être traitée comme une princesse alors que la famine sévit et que les peuples vivotent."

Les bases devaient être suffisamment claires, néanmoins la déesse savait l'appétit de Niddhog conséquent.

"Dis-moi donc, quelle est ta motivation pour te battre ? Où désires-tu te placer dans le grand dessein du monde ? Je peux t'offrir une place enviable comme tu sembles le convoiter. Cela sera soumis à quelques conditions."

L’enthousiasme de Niska vient de recevoir une bonne douche froide. L’incompréhension et la grogne se peignent sur ses traits, mais heureusement, la prudence la retient de manifester sa déconvenue autrement que par une grimace de déplaisir. Cette Hel qui se révèle en froid avec son père a l’air d’une vraie mère poule avec ses sujets, surtout les plus faibles. Niska n’en revient pas de cette exagération : si une simple intimidation sur un imbécile de la garde qui n’a pas le bon sens de connaître sa force et d’éviter de s’opposer aussi frontalement à un Fléau provoque un tel scandale, cela promet pour la suite !

*Ai-je vraiment reçu cette armure pour me retrouver dans ce nid de pleurnicheurs ? Et cette femme avec ses petites leçons de morale, n’est-elle pas pire qu’Odin lui-même ? J’ai du mal à croire que c’est ici que je vais devoir me battre pour me faire une place. S’il n’y avait pas que cette cité de fidèle à Loki, je croirais m’être trompée de forteresse !*

L’incrédulité se mue en déception lorsqu’il n’est plus question que d’une simple solde : le reste est au bon vouloir de la maîtresse des lieux et de ses gens. Niska se renfrogne et ferme les yeux pour contenir sa contrariété. La sorcière des marais ne se voit pas du tout en train de faire des politesses aux uns et aux autres pour obtenir ce dont elle a besoin pour mener sérieusement une vie de guerrier, à savoir le gîte et le couvert au minimum.

*Cet endroit ne me plaît pas, tout compte fait. Vivement que les sonnantes et trébuchantes me permettent de prendre le large et de me mettre à l’aise ailleurs.*

“ Je ne me débrouille pas si mal pour voyager entre les mondes, puisque je viens d’Asgard. Peut-être ai-je quelques talents cachés qu’il ne faudrait pas sous-estimer … En réalité, je parlais de pouvoir aller à ma guise en Asgard : les gens d’Odin ont comme qui dirait une dent contre moi à cause de mes dons en sorcellerie, et j’aurais beaucoup de mal à remplir une quelconque mission si je les ai sur le dos. Mais j’ai l’impression que je vais devoir me débrouiller par mes propres moyens. “

Elle agite nonchalamment sa main et au travers de son gant de métal scintille la malrune qui lui permet d’absorber les âmes perdues, magie qui n’est pas autorisée par le dieu suprême du royaume. Le ton de Niska s’est radouci, ou du moins est devenu mielleux. C’est de bonne guerre, une déesse a sans doute mieux à faire que de se soucier des déboires personnels de simples combattants. D’autant que la reine des Enfers n’est pas le chef originel des Fléaux. Cependant, elle peut certainement lui donner l’occasion de rester à proximité de l’endroit où Loki aura toutes les chances de se manifester un jour ou l’autre. Elle formule alors sa réponse au questionnement de la déesse sur ses motivations, et cela n’a rien d’une profession de foi classique.

“ La pauvreté est quelque chose de relatif. Tant qu’on arrive à survivre, on peut supporter beaucoup de choses, mais devoir ramper et faire profil bas pour exister est encore différent. Ainsi, je ne dois pas m’attendre à une vie de princesse si Nordheim reste pauvre ? Cela veut dire que j’aurais intérêt à ce qu’il devienne riche … Pourquoi pas, cela me convient, tant que j’ai une situation. “

Les yeux de la déesse suivirent attentivement le gantelet, et surtout la rune qui y figurait. La marque des Octantis, fidèles serviteurs de Loki. Ce qui expliquait un peu plus le choix de Niddhog pour cette pauvre créature sans idéaux. Pourquoi pas ? Il aurait été absurde que Hel dénigrât une presque paria alors qu'elle-même possédait un statut pas si différents aux yeux des autres divinités du panthéon scandinave à cause de son aspect monstrueux et sa filiation. Le tout était de savoir présenter la chose avec tact à ceux qui devraient interagir avec elle à l'avenir.

"Je ferai passer le mot là-bas pour que l'on te traite aussi équitablement que n'importe quel guerrier divin. Mais cela ne te dispensera pas de leur laisser leur intégrité physique intacte. Insultez-vous si vous le souhaitez. Soyez les pires ennemis si vous le souhaitez, cela vous regarde. En revanche, tu possèdes un hamr et eux non. Si tu t'amuses à les blesser, me faisant perdre du temps à remplacer le petit personnel alors que j'ai les neuf mondes à diriger, attends-toi à recevoir de mes nouvelles. Ils sont une ressource, au même titre que la nourriture, le bois qui nous préserve du froid, les pierres et le chaume qui constituent nos maisons et ainsi de suite. Et nos ressources, comme je te le disais, sont relativement limitées."

Une concession en appelant une autre. Niska ne pourrait pas dire que la déesse était avare de geste de bonne volonté. S'ils étaient motivés par de vraies et bonnes raisons, elle pouvait ajuster sa gouvernance. Sinon, elle exercerait son droit de régence sans aucun scrupule, respectant ainsi le serment prêté sur Gungnir.

"Effectivement. Nordheim est un peu comme une entreprise, pour parler comme les humains de cette époque. Plus nous faisons de bénéfices, plus ces bénéfices peuvent profiter aux acteurs de l'entreprise. Autrement dit, les guerriers divins, le peuple, et ainsi de suite. Toi y compris. As-tu déjà mis les pieds dans le royaume terrestre de Midgard, Niska ? Es-tu familière avec sa technologie, sa géographie, ses ambitions ? Comme tu me sembles avoir hâte de gagner de nouveaux avantages, j'ai peut-être une mission pour toi. Avec une autre personne qui n'attend plus qu'un binôme."

Le ton a décidément changé lorsque la malrune est arrivée dans la conversation. Il n’y a plus d’ambiguité dès lors, Niska sera fidèle à Nibelheim malgré son manque d’amour pour ce pays. Hel semble l’avoir compris et prend le temps de faire de la pédagogie : la tâche qu’elle s’est donnée de soutenir les neuf mondes pour ainsi dire sur ses épaules lui rend désagréable le moindre grain de sable dans la machine de son pouvoir. Trop heureuse que les choses s’arrangent aussi vite, Niska hoche de la tête et a un petit sourire détendu.

“ Très bien. Je ferais de mon mieux pour garder patience et ne pas me mettre en colère contre les gens de ce palais … “

Soulagée d’entendre que les autres guerriers divins seront avertis de son rattachement à la cause de Hel et que cela lui permettra de souffler, Niska hoche de la tête. Elle reste assez sceptique lorsque la déesse lui parle de sa manière d’envisager son règne. Est-ce que la manière de faire des humains est ce qu’il faut pour Nordheim ? Elle n’en est pas convaincue, mais cela ne peut pas être pire qu’avant. En tout cas, elle n’a même pas la moindre idée de ce qu’est une entreprise telle que l’entend Hel.

Cela doit être de la théorie sur la manière de gouverner les peuples. Quelque chose qui sert plus à se rassurer qu’à vraiment prendre les décisions qui comptent …

Mais la théorie se transforme très vite en question bien pratique. Niska est assez prise au dépourvu par la question de Hel.

“ Familière avec le monde des humains ? Absolument pas, navrée Vot’ Altesse. A vrai dire, je n’ai jamais pensé à y mettre les pieds. Votre autre personne, qui est-ce ? Si vous voulez qu’on trouve quelqu’un et qu’on vous en débarrasse, je peux me débrouiller … Vous avez besoin d’un combattant pour combattre après tout. “

Niska pose sa main sur sa hanche tout en émettant ses suppositions à haute voix. Cela ne lui fait visiblement pas peur d’aller vers l’inconnu. Cela pourrait être intéressant se dit-elle même : depuis qu’elle a son armure sur le dos, elle ressent une audace qu’elle n’a pas connue jusqu’alors.

“ Enfin si ce ou cette partenaire sait faire marcher les machines et parler avec les humains et que c’est important pour vot’mission, je serais là quand il faudra mettre de l’huile de coude, voilà tout. “

La chose n’a pas l’air de déranger la sournoise, qui a par ailleurs une attitude assez sûre d’elle-même.

L'appât du gain, à défaut d'une fidélité authentique, semblait avoir retenu l'attention de la guerrière de Niddhog. Un souci en moins donc, en théorie. Si en prime cela protégeait les Dormeurs et les Éveillés sans järskinn d'une violence injustifiée, la déesse se félicitait de pouvoir recourir à ce type de souplesse sans devoir encore demander la permission à Odin. Qu'il était plus facile d'être officiellement la régente !

Sans expression particulière, elle hocha la tête devant l'aveu d'ignorance de la petite. En y réfléchissant elle ne devait même pas avoir compris son propos précédent. Peu importait. Sans jugement, la demi-vivante se releva de son trône et fit quelques pas, manière de ne pas rester totalement inactive. En vérité Run se révélait encore plus précieux qu'elle l'avait pensé au premier abord, et elle dut se retenir d'aller jouer avec son collier en pensant à lui. Le sentimentalisme attendrait.

"Je n'ai besoin de personne pour tuer, comme tu t'en doutes sûrement."

Un petit sourire ironique. La Mort paisible restait, comme chacun savait en Nordheim, une Mort malgré tout. Une Mort plus insidieuse et passe-partout de surcroît.

"Tu as deviné, il s'agit d'un guerrier familier de Midgard. Pourquoi ce monde ? Parce qu'il est riche et regorge de ressources. Nous manquons de troupes pour envisager une conquête par la force, et d'autres divinités en protègent certaines régions. J'ai donc décidé d'adopter une approche plus subtile en tissant un lien de fidélité entre un territoire très étendu et nous. Vous irez en tant qu'ambassadeurs pour poser les fondations de cette fidélité. Toi, tu représentes Nibelheim et la rage qui survit dans les peuples des Neuf mondes. Ton équipier est d'un plus haut niveau et je l'ai entretenu de nos intérêts. Vous devrez négocier d'abord, potentiellement intimider ensuite, mais éviter de blesser, encore une fois. Si nous faisons appel à ce territoire à l'avenir pour recruter des soldats, ils seront ainsi d'autant plus volontaires."

Hel s'arrêta à deux pas de sa subordonnée.

"Vous irez au nom d'Odin, non le mien. Les Midgardiens se font trop de fausses idées sur moi qui pourraient interférer dans votre mission. Ton équipier te détaillera le reste. Prenez le temps de vous mettre d'accord sur la méthode à employer. Et si tu te poses encore la question du pourquoi de 2 personnes, sache que le territoire en question a presque la superficie du royaume mythique de Midgard. Vous gagnerez du temps en y allant ensemble.

Aussi, lors de ton passage à la frontière avec Midgard, on te remettra un moyen de communication nommé téléphone. Demande une démonstration, apprends à t'en servir. Il y a de bonnes chances que les missions dans ce monde se multiplie, cela te facilitera grandement la tâche.

Des questions ?"

Hel fait part de ses plans à Niska en la détrompant : elle n’a pas l’intention de l’envoyer tuer qui que ce soit. Il s’agit plutôt de partir jouer aux missionnaires. Niska est un peu sceptique : elle n’a pas vraiment l’impression de représenter Nibelheim, mais elle ne contredit pas la déesse. En revanche, elle tend l’oreille lorsqu’il est question de la concurrence. Hel ne s’étend pas là-dessus, mais on dirait que Midgard est un gâteau dont les dieux sont friands … Pourtant, il semblait à Niska que la Terre était le territoire des grecs.

*Est-il réellement raisonnable d’aller chercher des noises du côté de Midgard ?*

C’est bien pour cela que Hel exige d’y aller avec subtilité et prudence. Niska l’écoute attentivement et hoche la tête à chaque phrase pour signifier qu’elle va tenir compte de ces ordres. Un petit sourire relève fugitivement le coin de ses lèvres lorsque la déesse exprime le souhait que ce soit au nom d’Odin et non du sien qu’elle agisse. La sorcière des marais se demande si seule la réputation de Hel est la raison de cette cachotterie, et la porte s’ouvre au doute.

Quoiqu’il en soit, les choses ont l’air parfaitement rodées, il n’y a plus qu’à suivre le chemin tout tracé pour Midgard et à semer les graines de la vassalité. Aux dire de Hel, le champ à ensemencer est vaste. Tout le reste sera à discuter avec le midgardien que la déesse lui présente d’emblée comme un plus haut gradé. Lorsqu’elle lui demande s’il y a des questions, Niska secoue la tête :.

“ Tout est parfaitement clair, Votre Altesse. Je vais de ce pas me préparer à partir aussitôt qu’il le faudra. “

En guise de salut, la sorcière incline la tête avec un sourire mielleux et tourne les talons pour joindre le geste à la parole. Elle n’a rien remis en cause de tout ce qu’elle a entendu, même pour les parties les plus obscures du plan de Hel. Cependant, au bout de quelques pas, elle semble se raviser, s’arrête et demande d’un ton nonchalant sans prendre la peine de se retourner :

“ Les autres dieux qui veulent s’emparer de Midgard, qui sont-ils au fait ? Je croyais que les midgardiens étaient sous la protection de la fille du chef des grecs et qu’elle protège leur indépendance. Enfin, je dis cela … Au fond, je n’en suis pas sûre. Je peux même complètement l’oublier si vous préférez … “

Si la discrétion était de mise, elle supposait que si les partisans des grecs venaient leur demander des comptes, il valait mieux jouer aux ignorants pour ne pas attirer de problèmes sur Asgard.

Sur le point de se téléporter autre part, la déesse se félicita de sa tendance à attendre que ses subordonnés aient franchi les portes lors des audiences. Versatile, l'Homme avait cette tendance à hésiter sur le seuil. Une symbolique plutôt commune.

Sans trop de surprise, Niddhog s'intéressait aux adversaires éventuels qu'elle pourrait rencontrer, au pourquoi de cette stratégie particulière. Bien sûr elle pouvait douter de Hel, de ses intentions réelles, comme beaucoup le faisaient continuellement pour des raisons fondées et d'autres... moins. La reine de Helheim prit donc un peu de temps supplémentaire et en quelques mouvements de doigts créa l'illusion d'une Terre miniature en plein milieu de la pièce.

"Les peuples humains ont des fois divergentes d'un pays à l'autre, et une tendance marquée à la rebellion. Cela rend leur unification plus ardue. Ces territoires-là représentent la branche d'Yggdrasil qui s'est superposée à Midgard. Notre porte d'entrée en quelque sorte."

Sur l'illusion, des einherjar "poussèrent" dans les régions scandinaves concernées, et une couleur d'un bleu glacé délimita les frontières. Puisqu'elle avait déjà posé le pied à Asgard, Niska devait saisir le concept de territoire mythique et territoire humain, aussi la déesse s'épargna l'explication. Elle fit ensuite pivoter la Terre successivement suivant ses explications, colorant et peuplant de miniatures diverses les régions qu'elle décrivait :

"La théorie veut que, depuis la chute des Titans, les dieux Grecs appelés Olympiens se soient partagés le monde. Zeus "le roi des rois" aurait pris les cieux, Poséidon, l'équivalent de Njord, règnerait sur les océans et Hadès, les Enfers, seul monde des morts existant chez eux. Seulement, la discorde est importante dans leur panthéon et les trois frères ont passé beaucoup de temps à tenter de s'emparer des territoires des autres. Zeus a remis la garde de la Terre à sa fille en effet, mais elle n'a jamais totalement mis au pas ses oncles. Et inversement. Il y a également une bonne dizaine de frères et sœurs qui pourraient venir revendiquer des miettes, des histoires de coucheries avec des mortels qui ont provoqué des guerres entre les humains eux-mêmes, et d'autres panthéons qui ont tenté de s'implanter sur des zones moins protégées."

Sur ses derniers mots, la Terre s'arrêta face au Japon et les personnages miniatures de Nyorais se firent exterminer, sans qu'on sût vraiment à qui appartenait la couleur laissée derrière eux.

"Autrement dit, si tu veux savoir qui a la garde de la Terre, pose-leur la question directement et regarde-les s'entretuer. Tant que notre part de Midgard reste intacte, nous n'intervenons pas. Certains humains se réclament de Thor, d'autres d'Odin, d'autres de Loki... Et pendant qu'ils règlent la question entre eux, c'est moi qui gouverne. Le jour où on nous attaquera en revanche, je compte bien faire comprendre notre chasse gardée à ceux qui voudront s'y essayer."

Refermant le poing, la déesse dissipa sa Terre et planta son regard bleu glace dans celui de Niska.

"Ton équipier et toi intervenez sur une zone qui a été laissée à l'abandon par les dieux, où les humains se gèrent eux-mêmes, avec leurs propres lois, leur propre pays."

La réponse de Hel prend alors la tournure d’une démonstration de pouvoir. Niska est bien obligée de revenir sur ses pas pour pouvoir observer la Terre miniature créée par la déesse. Il lui faut bien reconnaître que c’est assez impressionnant, et reflète sans doute une compréhension divine du monde. Assez fascinée par cette vision, Niska regarde les terres qu’elle a déjà parcourues ou vues de loin prendre des couleurs surnaturelles, qui correspondent à la vision territoriale que s’en fait la déesse. Etrangement, elle arrive à saisir tout cela de manière assez instinctive.

La guerrière de Nidhogg croise les bras en hochant de la tête : elle comprend mieux où Hel veut en venir. Il y a peu de risque qu’à l’endroit où on l’envoie elle rencontre ces fameux grecs qui se bagarrent probablement ailleurs sur la Terre. La voie est libre en somme, elle peut y aller l’esprit tranquille sans trop craindre qu’ils subiront le même sort que ces éveillés à l’autre bout de la planète. Du moins pas immédiatement. Le tout est de rester assez vague sur leurs intentions. Elle fait un geste de la main pour signifier qu’elle a bien saisi cet aspect.

“ Bien : pas de vagues, nous nous réclamons d’Odin, nous demandons des vivres, des richesses, des hommes entraînés pour nous en échange de ce dont ces gens pourraient avoir besoin et que nous pourrions leur fournir. S’ils n’ont besoin de rien, nous leur offriront notre clémence en échange de leur coopération … hahaha … “

La guerrière d’oméga prend quelques secondes pour modérer ce dernier gloussement, sachant que la sévère déesse n'apprécie pas tant ce genre de plaisanterie, surtout lorsqu'il s'agit de ses propres gens. Reprenant sa composition, Niska continue alors en guise de conclusion avec un sourire ironique :

“ Et si les grecs viennent mettre leur nez dans nos affaires, nous les renvoyons d’où ils viennent … C’est entendu. Nous allons vous donner ces nouveaux sujets, déesse Hel, et nous rapporteront leurs premiers tributs. “

Le regard glacé de Hel rencontre le regard matois de Nidhogg qui ne se baisse pas malgré tout. Elle avait l’impression que la déesse n’avait pour autre ambition que de continuer de faire vivoter à peine mieux le royaume, mais elle commence à espérer que ce n’est que le début d’un plus grand projet. Sans doute Hel ne désire pas en dire plus parce qu'elle ne fait pas confiance à Nidhogg, mais à force de cotoyer le Midgardien, sans doute finira t-elle par y voir plus clair. Quoiqu'il en soit cela ne peut pas faire de mal à la puissance Nibelheim, bien au contraire.

Niska attend alors désormais un signe d'assentiment de la régente pour confirmer qu'elle a compris ce qu'elle devait comprendre et se mettre en marche vers Midgar.

La théorie selon laquelle faire un dessin en guise d'explication aidait certains esprits à mieux saisir la situation se vérifiait. La déesse acquiesça simplement lorsque Niska résuma ses propos à sa manière, satisfaite de ce qu'elle entendait. La partie sur le prélèvement des richesses et la clémence d'Asgard risquait sans doute d'être superflue, mais tant qu'à la fin les Neuf mondes obtenaient de quoi améliorer leurs conditions de vie de manière durable et indépendante, couplé au résultat de la mission à Blue Graad parallèlement, alors Hel laissait courir. Et si les Grecs s'en mêlaient ou tentaient de leur mettre des bâtons dans les roues... Malgré leur aide charitable, ils finiraient par se faire de nouveaux ennemis. Ce qui n'était pas souhaitable pour eux si l'on en croyait les dernières informations et le probable retour d'Anubis.

En fin de compte, Nordheim deviendrait un allié décisif dans la Guerre Sainte qui se profilait, faisant pencher dans la balance le poids de ses guerriers endurcis par le froid et la pauvreté.

"En attendant que je communique ton arrivée à Asgard, je vais déjà prévenir les serviteurs de ce château. On t'attribuera une chambre, le droit au souper, mais ne t'attends pas à des banquets, et si nécessaire de quoi te vêtir. Pour le reste je t'ai déjà expliqué. Demain tu pourras te présenter à la frontière de Midgard pour le téléphone et le déroulé de mission, et d'ici 3 jours vous devriez être à Moscou."

Puisqu'elles avaient en principe tout abordé, la demi-vivante se retourna cette fois sans attendre et disparut aussi vite qu'à l'aller. Elle espérait que Run ne lui tiendrait pas rigueur de lui envoyer une tête brûlée de la sorte, mais malheureusement les troupes étaient clairsemées...

Merci pour le RP !