Le cortège laissait dans son sillage une tranchée creusée d'empreintes lourdes de roues, d'armures, de sabots, de traineaux et des animaux chargés de transporter divers matériaux et fournitures qu'il serait utile de conserver. On pouvait entendre le pas cadencé des gardes sacrés à des kilomètres à la ronde, la discrétion étant évidemment le cadet des soucis dans ce genre de circonstances. Que des bandits attaquent et ils seraient reçus de façon plus qu'expéditive par la maîtresse de cérémonie. Que des villageois osent s'avancer, et ils s'arrêteraient net en constatant que, juchée sur un énorme loup digne des mythes, une femme avançait sans craindre le froid. Une femme dont le corps était asymétrique : une partie de chair, de sang et de vie, tandis que l'autre ne laissant entrevoir que des os, du vide et l'absence de ce qui aurait dû être là.

Parvenus sur le site d'une vaste plaine enneigée, relativement plane, la figure divine dont on peinait à soutenir la vue envoûtante autant que repoussante fit stopper la marche. Des hérauts par dizaines détournèrent leur monture pour se diriger aux quatre coins du pays. Des loups en firent autant, et bien sûr une multitude de corbeaux, seuls demeurant Hugin et Munin, l'un sur l'épaule solide de Hel, l'autre sur son bras de chair, caressé par la main osseuse.

Ordre avait été donné que chaque jarl, chaque maire, chaque propriétaire terrien jusque dans les montagnes les plus reculées reçoive le message. La déesse allait faire une annonce particulièrement importante dans les jours à venir et en temps que citoyens de Midgard, tous devaient répondre présents. Les rares services de presse autorisés à circuler dans cette région inhospitalière et fermée à la technologie relayaient le message, grappillant quelques images incroyables reflétant bien mal quelle avait été un jour la puissance des Conquérants de Nordheims.

Une impressionnante machine d'hommes et de bétails se mettait en branle pendant ce temps pour libérer un espace considérable sous les neiges et commencer à délimiter une sorte d'immense place devant laquelle la mi-vivante tiendrait audience. Gardes, diplomates et messagers avaient été également informés de faire passer le mot déjà connu du cercle restreint des Guerriers divins : Hel, repentie auprès d'Odin en personne, gouvernait le territoire depuis déjà quelques mois. En Son Nom et par Sa main, elle avait contribué à stabiliser les zones instables sujettes à conflits avec des jotunns errant, engagé un projet d'innovation avec Blue Graad, et répondu à l'appel international pour lutter contre la menace anubite en Égypte. C'était cette Hel et non celle qui avait pratiquement décimé les rangs de la Guerre des Fléaux qui prendrait la parole.

Restait à voir ce qu'Elle aurait à dire, car l'opinion à son égard était encore peu favorable.

L'Etat-Major, la prêtrise d'Odin et Sa nièce virent avec satisfaction des rangées de tentes s'élever comme des champignons et accueillir le peuple Scandinave au faîte de la situation. En des temps plus reculés, on aurait pu imaginer qu'une armée se tenait là et grossissait à mesure que les bannerets venaient renouveler leur allégeance à la déesse. Ici cependant, il était question de cultivateurs, de travailleurs du bois, des métaux, du verre parfois. Une minorité plus moderne avait également sa place, et tout avait été fait pour que le confort soit égal pour tous, malgré la réputation difficile que pouvait avoir les technocrates dans la région. Ils étaient, eux aussi, du pays, malgré des choix plutôt différents de la ligne de commandement ancestrale.

Tout le pays ne pouvait tenir dans cette seule plaine, mais des représentants siégeaient partout, et à l'heure annoncée la fille de Loki se montra sous des milliers d'yeux aux humeurs contradictoires. Rancune et haine héritée de son ancienne existence côtoyaient curiosité, anxiété, fascination. Pas de joie en vue. La terrible habitude des préjugés laissa la déesse de glace. A l'aide de son hamr elle amplifia la puissance de sa voix afin de ne pas avoir à hurler, puis adressa un regard panoramique à toutes ces fragiles vies qu'elle pouvait réduire en poussière d'un seul doigt.

"Peuple de Midgard. Tout d'abord, merci d'avoir fait le déplacement en si grand nombre. Je sais que je vous ai laissé un délai court, que tous n'ont pas les mêmes moyens pour y parvenir, et que voir une ancienne ennemie revenir en aura rebuté plus d'un. Merci."

Des murmures intrigués, satisfaits, ou légèrement revanchards circulèrent, rapidement supplantés par cette introduction plutôt inattendue. Il était rare d'entendre les dieux dire merci, plus encore dans ces circonstances.

"En compagnie du Tout-Puissant Odin et de ses Guerriers divins, j'ai étudié pendant les derniers mois ce monde, ses habitants, ses coutumes, son évolution depuis les siècles passés. Le Sud a de loin développé son activité sans nous. Les Vikings conquérants des mers et des continents inconnus ne sont plus. Vous, leurs descendants, avez sédentarisé vos modes de vie et adhéré à des systèmes qui ne correspondent plus à l'idéal d'autrefois, aux traditions ancestrales. Ceci n'est pas un reproche, mais une constatation. Midgard s'est séparé de sa force guerrière et s'est laissée distancer.

Cela, avec l'accord de mon oncle, n'est pas la direction que nous souhaitons donner à Nordheims. Cela est un chemin qui appartient à cet ensemble que vous appelez "Terre", mais qui quitte les branches d'Yggdrasil. Et cela, pour ceux des nôtres qui se souviennent de leurs ancêtres, doit cesser."

Hel perçut immédiatement la vague de peur qui répondit à ses propos : déclarait-Elle une nouvelle guerre ? Revenait-Elle sur les Fléaux ? Trahissait-Elle Odin devant tous les Siens ?! La déesse posa son œil valide sur les preux qui l'accompagnaient bon gré mal gré dans cette entreprise. On vit bientôt monter sur l'estrade à ses côtés des figures connues du public : Egill de Polaris, Alexer de Blue Graad, Hruodland d'Asgard, et les plus observateurs pourraient reconnaître un ou deux Berserkers en retrait qui n'avaient pas souhaité s'exhiber mais dont les hauts faits n'étaient pas moindres.

Le Sénéchal d'Odin frappa de son sceptre sur l'estrade pour ramener un relatif silence, et bénéficia du sort d'amplification à son tour.

"Mes amis ! Mes frères et sœurs ! Ce que dit la déesse Hel est vrai. Odin nous en a informés personnellement et agrée à ces affirmations. Dans ce monde, les Ases, les Vanes, toutes les autres divinités, toutes les créatures, ont déjà bien failli disparaître au rang de mythes et de contes. Mais comme vous le savez, Yggdrasil est le socle d'autres mondes, et la Mort n'est pas la fin du voyage pour les valeureux au service du Voyageur. C'est pourquoi nous soutenons la proposition suivante, et n'imposerons à personne de s'y soumettre ou de s'y soustraire. Soyez libres et agissez avec discernement pour les vôtres.
-"A ce Midgard se superpose une terre mythique du même nom que certains d'entre vous ont peut-être aperçue par le passé. Et cette même terre fait partie des Neuf Mondes logés sur les branches d'Yggdrasil.

A partir de demain et pendant vingt jours, j'ouvrirai un portail ici-même qui vous permettra de passer dans l'autre Midgard. Définitivement. Et ensuite je couperai les voies naturelles qui relient la Terre à cet autre Midgard, à Yggdrasil et autres mondes.

Là-bas, se trouvent de vaillants guerriers, qui meurent encore au nom d'Odin et sont invités à Sa table au Valhalla. Là-bas les Valkyries emmènent les braves pour les préparer à devenir des einherjar qui serviront lors de Ragnarök. Les runes vous guident, et les dieux vous observent. Là-bas les dieux ne s'écrivent plus au passé et la vie est simple, telle qu'à la naissance de votre espèce.

Vous êtes libres de vous y rendre, bâtir votre propre foyer, conquérir votre gloire et chercher votre mort l'arme à la main. Vous êtes libres de rester ici, détournés des regards de vos divinités et de vivre dans cette Scandinavie... alternative. D'ordinaire, un tel changement n'est pas gratuit ni annoncé. Midgard, Asgard, Odin ont décidé d'amorcer le renouveau en vous offrant ce choix unique. A vous de saisir l'opportunité ou non. Nous ne vous attendrons pas une fois le délai arrivé à son terme.

Que le message parvienne à tous au plus vite !"

Hel n'avait pas dormi. Outre le fait qu'elle n'en avait pas réellement besoin, un jeune homme téméraire avait osé braver la distance pour venir lui poser des questions. Lui, puis suivant son exemple, ses camarades, les leurs, et ainsi voyant l'affluence et la peur au sein des ouailles d'Odin, elle avait fait apprêter un espace à l'écart où donner audience autour d'un grand feu. Il y avait eu de tout dans ces interrogations, du plus trivial au plus sérieux, du plus mythique ou plus réaliste, et elle s'était efforcée de donner à chacun des réponses précises sur les contours de la nouvelle vie qui leur était offerte. Elle avait également souligné que cette écoute ne deviendrait pas une habitude des divinités, ni ici sur Terre, ni là-bas à Midgard et que s'il subsistait la moindre once de doute, il fallait parler maintenant. Ces vingt jours servaient à réfléchir. Ces vingt jours servaient à rassembler ce qui devait l'être, excluant toute technologie étrangère au mode de vie des vikings qu'ils allaient rejoindre. Ces derniers avaient été informés par les Corbeaux, le Borgne et les présages. Les nouveaux-venus seraient traités en camarades et éduqués en conséquence, mais pas non plus tenus par la main.

A la fin de la nuit, la plaine encore baignée d'une fraîche brume matinale, la déesse s'aventura en silence dans la neige et commença à tracer les runes nécessaires au Passage. L'air se tinta de consistance là où elle l'effleurait de ses doigts, puis sans déranger les dormeurs deux branches sortirent de la terre, l'une vivante et l'autre morte, qui vinrent s'enlacer en une arche évocatrice. L'espace entre elles se voila de bleu, comme d'un liquide, avant de laisser apercevoir un paysage similaire mais lointain. Une dizaine de personnages se tenaient là à attendre : des caricatures exactes de ce que l'on attendait d'un viking, haches plantées à l'envers dans le sol, main sur le bout du manche.
Au milieu d'eux, inimitable, se tenait Wotan. Un sourire satisfait orna ses vieilles lèvres et il désigna son cache-œil en écho au demi-masque absent de celui de la maîtresse des Morts paisibles. Non loin, un homme avec un marteau gravé, une carrure des plus enviées et la stature divine qui convenait croisa également son regard. Son sourire se fit triomphal, arrogant même, et Hel eut un frisson de dégoût instinctif. Freyja l'emportait cependant en la matière, et fort heureusement elle était absente de la petite réunion. Alors, la mi-vivante se retourna vers les rangées de tentes, desquelles une minorité avait sorti la tête pour savoir quelle était la source des bruits étranges entendus au milieu d'un sommeil trop léger.

"Il est l'heure, mortels ! Que ceux qui souhaitent se rendre à Midgard fassent leurs adieux et traversent !"

D'une légère impulsion de hamr, Hel dissipa la brume sur le campement. Le portail luisait derrière elle. Personne ne bougea dans un premier temps. Ainsi qu'elle en avait convenu avec le Père de Toutes Choses, elle se tiendrait là pour les jours à venir, respectant sa promesse de servir Ses intérêts avec repentance. Thor exultait visiblement mais elle n'en avait cure. Et il se lasserait bien assez vite. La patience n'était pas exactement son fort.

Les mortels semblaient attendre quelque chose, car pendant les premiers jours, nul n'emprunta le chemin qu'elle avait tracé. Il y eut plus d'un conciliabule, mais rien de plus. N'y avait-il donc aucune âme courageuse en quête de gloire dans ce monde ? Après tout, peut-être... et c'était la raison pour laquelle la Terre et les mondes mythiques seraient séparés. Mais tout de même. Les pronostics des dieux avaient été pessimistes, mais pas à ce point.

Intriguée et légèrement agacée de cette dépense de pouvoir jusque-là inutile, Hel décida d'aller s'adresser à ceux qui lui parleraient en toute sincérité sans craindre son courroux. Il fallait qu'elle comprenne la situation. Comme s'ils l'attendaient, elle trouva les guerriers divins, le Sénéchal et sa fille, ainsi que le roi de Blue Graad réunis sous la même tente, devant un feu la choppe à la main. Tous la saluèrent avec leur degré de familiarité respectif. Une attitude normale et plus que bienvenue après tous ces mortels craintifs. Le plus naturellement du monde, elle se servit une large pinte à son tour et prit place au bord du cercle. A certains regards intrigués -après tout elle n'avait qu'une moitié de gorge, une moitié d'estomac et ainsi de suite-, elle répondit par un sourire énigmatique teinté de malice. Juste pour les laisser se demander comment elle allait s'y prendre, elle suspendit son geste.

"J'ai besoin de vos lumières, serviteurs d'Odin. Pourquoi les mortels restent-ils dans ce camp sans emprunter le portail ? Je crois pourtant avoir été claire sur le caractère éphémère de cette faveur."

Plus d'un regard fut marqué d'étonnement. Hruodland fut le seul à éclater de rire, manquant même de s'étouffer avec le contenu de sa choppe. Hel resta de glace, à les regarder successivement, guettant une réponse précise et concise.

"Je pense connaître, déesse, quelques motifs de leurs réticences. C'était Hilda. Les gens de ce pays, comme vous l'avez souligné, ont perdu les habitudes guerrières que vous gardez en mémoire. Avec les derniers affrontements, des guerriers divins se sont éveillés, mais il s'agit d'une infirme minorité parmi tout le peuple. Et aujourd'hui vous leur dites que pour honorer des divinités dont ils avaient pratiquement oublié l'existence, il leur faut prendre les armes jusqu'à en mourir. Alors qu'une perspective de stabilité et de sécurité les attend en restant ici, où ils ont construit leur vie, leur famille. De plus, et sans vouloir vous offenser, vous êtes toujours Hel, l'ennemie d'hier.
-'Comment croire qu'elle ne nous ment pas et que ce portail ne va pas nous conduire droit à la mort ?' se disent-ils. Légitimement il me semble.
-Odin les attend en personne de l'autre côté.
-Moi, je le sais. Nous le savons tous sous cette tente.
-Que cherchez-vous à me faire comprendre, Egill ? Parlez franchement.
-Ces personnes ne croient pas en vous. Ils pensent que c'est une illusion.
J'ai déjà songé à cela. Mais si je franchis mon propre portail et en reviens, cela n'aura aucune valeur. Il me faut un exemple à leur montrer, des leaders en qui ils ont confiance."

Elle se tourna vers les Guerriers divins, et en particulier Wulf, le plus apprécié des survivants face à elle.

"Avez-vous pris votre décision tous les trois ? Abandonnerez-vous la järnskinn ou irez-vous servir Odin là-bas ? Nul meilleur exemple que les guerriers sacrés ne saurait illustrer que tout ceci n'est pas un piège. De même pour vous, Polaris, et vous, Roi Alexer.
-Étant donné la souffrance que j'ai infligée au peuple d'Asgard dernièrement, je me sens indigne de rejoindre Ses rangs. Ce sont des blessures de l'âme que je porterai jusqu'à la fin de mes jours, et je crains que même le Valhalla ne puisse y remédier. Je resterai donc.
-Je reste ici pour veiller sur mes filles. De plus, je me fais vieux, je serai un poids plus qu'autre chose en tant que guerrier. Flamme également a besoin de moi.
-Je partirai lors du dernier jour. En tant que roi je dois assurer ma succession et faire connaître mes volontés à mon peuple. Blue Graad est peut-être la moins isolée des provinces scandinaves et je serai plus tranquille si elle ne s'effondre pas soudainement parce que j'aurais quitté ce monde sans prévenir. Je dois dire que la perspective de tout abandonner m'effraie un peu, également. Je m'y prépare."

Tout abandonner. Oui, il était vrai que les mortels avaient une notion de foyer plus ancrée et étroite que le Voyageur et sa disciple. Il fallait dire aussi qu'avoir pour frères un loup géant et un serpent-monde n'aidaient pas à se projeter dans la vie dans un mortel. Heureusement, il restait les fiers et vaillants Guerriers divins. Skarn répondit très simplement "J'irai.", Wulf acquiesça en silence à son tour, et Hruodland éclata de nouveau de rire en brandissant sa choppe, s'exclamant pour que tous ceux qui passaient à proximité entendent bien qu'il irait le premier, comme il le fit dans l'avant-garde de Charlemagne à la belle époque.

Ainsi donc, après de derniers adieux, le pâle soleil de l'après-midi vit s'avancer le guerrier de la branche d'Asgard dans son armure, prêt à en découdre, suivi de peu par ses homologues plus discrets.

"Hruodland, à toutes fins utiles laissez-moi vous rappeler que vous êtes toujours lié avec moi pendant une année. Je recourrai à ce serment même dans l'autre Midgard, soyez-en sûr. Alors évitez de mourir trop vite."

Pour toute réponse, un pouce en l'air et il s'engouffra droit devant lui. Sa silhouette se fit légèrement trouble, mais apparut bien de l'autre côté, où on le vit s'agenouiller devant Odin en personne, qui le gratifia d'une accolade. Pour avoir faire le premier pas, songea Hel.

"A vous deux aussi, un mot. Premièrement, Skarn, si vous retournez à Helheim, je vous prie de laisser Garm tranquille. Autrement je lui ôterai sa chaîne pour votre prochain passage. Secondement, Wulf, j'ai toujours quelque chose qui vous appartient."

Comme si elle le sortait de sa poche, elle tendit vers Wulf le rubis dont elle avait pris soin tandis qu'il récupérait, enchainé dans cette cellule sous le palais d'Asgard. La pierre était propre, comme neuve, et aucun signe de corruption ou de pouvoir de Loki en son sein. La mi-vivante avait tenu parole en protégeant simplement l'objet comme il l'aurait fait s'il avait été en état. Elle put lire un brin de surprise dans son regard, puis un hochement de tête soulagé. S'il était reconnaissant, il le cachait bien. L'essentiel était de se séparer en bons termes aux yeux d'Hel, car ils se reverraient, et elle avait choisi d'embrasser cette vie au service du Borgne. Ragnarök surviendrait bien assez tôt, et alors reprendrait-elle son mauvais rôle. Peut-être.

Ils Passèrent à leur tour, puis le silence revint. La fille de Loki se tourna alors vers les mortels et constata que certains profitaient de cet élan de courage pour suivre la marche.

La séparation de la Terre et Midgard commençait donc.

"Le temps est écoulé."

Le roi Alexer de Bluegraad, qui ne porterait plus ce titre désormais, venait de franchir en dernier le portail reliant les deux mondes. La déesse scruta une dernière fois les mortels réunis là pour adresser leurs adieux aux tout nouveaux guerriers de Midgard, les larmes de certains, la fierté d'autres. Après leur avoir montré la marche à suivre, les départs s'étaient accélérés, plus confiants de sorte que les dieux fussent satisfaits de cette exception à leurs habitudes.

Hel passa sa main squelettique sur les branches enlacées dans un geste qui avait quelque chose de presque maternel. Le bois se tordit à l'inverse de la première fois et retourna sagement en terre, effaçant la vision d'Ailleurs, et ne laissant que le silence et la neige retomber sur la plaine. Désormais, ce que ces gens appelaient la terre d'Asgard, ou les royaumes scandinaves, n'existait plus en ce monde.

"Une nouvelle page se tourne pour vous et pour moi en ce jour. Vous pouvez à présent évoluer selon votre bon-vouloir. Vous n'êtes plus soumis aux lois des Ases et des Vanes. Sentez-vous libres de passer des accords, d'acquérir des technologies nouvelles, de vous ouvrir au Sud et sa liberté. De rentrer chez vous. Je vous souhaite un avenir des plus paisibles, mortels."

Peut-être se reverraient-ils de temps à autre, pendant qu'Hel œuvrait à couper les voies invisibles qui subsistaient ici et là. Elle pouvait voyager à sa guise entre les dimensions grâce à l'enseignement du Borgne, ce n'était donc pas pour elle un déchirement. Et en tant que déesse des morts paisibles, elle trouvait encore un certain intérêt à rester ici et observer tout en menant à bien sa tâche. Alors, elle porta la main à son visage et y déposa le demi-masque qui venait d'apparaître dans sa paume pour recouvrir son orbite vide. A ceux qui lui firent signe, elle répondit d'une légère -très légère- inclinaison du buste, puis se détourna et disparut dans le souffle du vent, comme un mirage.

[Fermeture officielle de la faction Ases. J'espère que vous avez apprécié d'y jouer, et cette fin pour les derniers personnages.]