Voyant le macabre résultat de la fureur de Wolgorn, le Poisson semblait enfin se réveiller. Le cavalier sans tête s'était demandé pourquoi l'efféminé avait fui à leur arrivée au Sanctuaire : était-il un couard ou cela n'était-il qu'une ruse pour mieux prendre au piège ses poursuivants ? Ses paroles seules ne suffisaient pas à éclairer la lanterne du Spectre mais qu'importe : si le serviteur d'Athéna se décidait à accomplir son devoir, il se devait d'en faire de même. Faisant signe au colosse russe de continuer à avancer, Rogos se dirigea vers le guerrier à l'armure d'or. Il réprima un frisson de dégoût à la vue de l'impressionnante collection de vermines de son adversaire – il avait fait face à la force brute du Bourreau et aux aiguilles d'Oblivion, à des chevaliers capables de manipuler l'espace et à un incendie vivant, ce n'étaient pas quelques insectes qui allaient le faire reculer !

« Plutôt mourir que courber l'échine, tu dis ? De bien grands mots de la part de soi-disant « protecteurs » qui n'ont pas bougé le petit doigt pendant que Poséidon massacrait des humains par millions ! Je vais t'enterrer maintenant, pendant que le souvenir de votre honneur subsiste encore ! » gronda le Dullahan en réponse à la déclaration d'Apollon.

L'obscurité se fit totale autour du Spectre et la température descendit à un niveau polaire tandis qu'il collectait l'énergie ambiante et la rassemblait dans sa main. Bientôt, il obtint une lame de chaleur et de pression capable de liquéfier l'acier mais nul son et nulle lumière ne filtraient hors de ses ténèbres pour en informer l'ennemi : chaque photon, chaque vibration de l'air étaient réabsorbés pour nourrir l'épée de feu.

À ce cri, le Dullahan chargea, traversant le sol couvert d'arthropodes grouillants, bravant les dards de la vermine ailée, franchissant en un éclair le mur du son et la distance le séparant du porteur des Poissons. La noirceur se condensa sur son Surplis, formant une armure par-dessus l'armure l'isolant toujours plus de l'extérieur ; les insectes qui ne finiraient pas congelés sur place seraient incinérés par son attaque. Son bras s'abattit comme un couperet, tranchant et brasier combinés, relâchant toute la puissance accumulée, traçant une entaille ardente dans l'air et, espérait-il, dans le corps de son adversaire. Le combat à mort était déclaré, il ne pouvait plus faire marche arrière.

Alors même qu'il reculait sous l'offensive de milliers de minuscules soldats ailés, Rogos ne put s'empêcher de remarquer le contraste entre le physique délicat d'Apollon et la pure révulsion qu'inspirait son armée innombrable et chitineuse. Ça lui apprendrait à ne pas juger sur les apparences. Mieux valait continuer d'appliquer cette leçon au cours de ce combat : en temps normal il n'aurait rien à craindre de simples bestioles, aussi venimeuses soient-elles, mais il était impossible que son adversaire soit arrivé au niveau de chevalier d'Or avec des attaques se basant sur de la vermine ordinaire... Aussi le Dullahan accueillit-il l'Insect Canon avec son meilleur bouclier ténébreux. Bien lui en prit, la force de l'impact était surprenante pour un projectile constitué de « munitions » aussi légères, lesdites munitions se dispersant ensuite pour tenter de l'attaquer de tous les côtés. Il incinéra autant d'insectes que possible d'un revers de la main, générant un écran de flammes ; son Surplis avait beau être hermétique, il n'avait aucune envie de savoir si oui ou non les mandibules de ces saletés miniatures étaient capables de l'entamer...

Maintenant qu'il y repensait, les insectes n'étaient pas apparus de nulle part, Apollon avait dû les faire venir à lui. Était-il possible dans ce cas de le neutraliser en exterminant ses séides ? Rogos redoubla d'efforts pour abaisser la température – même si cela ne suffisait pas à tuer toutes les bestioles, le Poisson devrait sans doute gaspiller de l'énergie pour les maintenir en vie... Dans le même temps, le Spectre se décida à répondre à la rebuffade de son opposant afin de détourner son attention.

La noirceur se solidifia autour de l’Étoile Terrestre de l'Ombre, formant des liens qu'il lança à l'assaut du manipulateur d'insectes pour drainer l'énergie de ses mouvements. Puis ce fut le Spectre lui-même qui se lança à l'attaque, son poing prolongé par un fouillis de lames obscures et glaciales qui s'infiltreraient dans les interstices de l'armure d'Apollon et vampiriseraient sa chaleur corporelle.

« Cela fait des millénaires que le laxisme d'Athéna condamne l'humanité à la faute et à la damnation ! Pour le Salut des âmes restantes sur cette Terre, le Sanctuaire doit périr ! » asséna Rogos à la suite de son Dorchadas. Ce n'était pas la première fois qu'il répétait cet argument ; ça n'avait jamais marché auparavant, mais comment pourrait-il se prétendre un purificateur d'Hadès s'il n'essayait pas au moins de faire prendre conscience de leurs erreurs à ses ennemis ?

Distrait par la myriade de points d'énergie autour de lui, chacun représentant un insecte gorgé du cosmos d'Apollon, Rogos ne parvint pas à éviter les mygales avant qu'elles ne se posent sur son Surplis et ne profitent des interstices pour lui infliger leur redoutable piqûre. La douleur qui le transperça en une douzaine d'endroits stimula l'éruption de son propre cosmos et il incinéra les bestioles avant de se replier au cœur de la noirceur pour se livrer à une inspection des dégâts. Il n'avait pas eu le temps de se livrer à une inspection précise des arachnides velus mais il préférait ne pas perdre de temps : concentrant ses flammes bleutées au bout de ses doigts, il les plongea rapidement dans chacune des plaies, utilisant ses ténèbres pour ré-absorber l'excès d'énergie et éviter que la chaleur ne se propage trop loin dans la chair avoisinante. La souffrance décuplée lui arracha un hurlement, heureusement étouffé par les ombres – son ennemi ne devait pas l'entendre dans ce moment de faiblesse.

Les toxines organiques ne supportant pas les très hautes températures, il avait choisi de cautériser les blessures pour arrêter la pénétration du venin dans les tissus. Il le payerait plus tard lorsque la chair nécrosée s'infecterait mais ça valait toujours mieux que de laisser son état physique empirer au cours de l'affrontement à mesure que le poison se répandait dans son organisme. De toute façon, l'infection n'aurait pas lieu avant plusieurs heures ; le temps qu'elle s'installe, il serait soit tombé au combat, soit de retour en Enfer où il pourrait recevoir une nouvelle enveloppe corporelle.

Pendant ce temps, le Poisson avait choisi de répondre au discours du Dullahan tout en préparant sa prochaine attaque. Les ombres permettaient au cavalier sans tête de ressentir le regroupement des hyménoptères, l'intensification du cosmos conféré par le Saint alors qu'il les préparait à l'attaque. L'Insect Needle Spear était peut-être plus puissante que l'Insect Canon, il n'en restait pas moins que les deux attaques étaient excessivement similaires : Rogos concentra l'obscurité sur la trajectoire de la lance, freinant l'attaque, puis l'accueillit du Claíomh Ifreanda le plus ardent qu'il puisse conjurer. La lame de chaleur et de pression réduisit en cendres la plupart des abeilles et frelons, le reste s'écrasant au sol une fois leurs ailes fragiles consumées. Le bras droit de son armure était toutefois marqué de dizaines de fêlures ; cet Apollon était décidément plus fort qu'il n'y paraissait pour endommager ainsi un Surplis renforcé par le Seigneur Thanatos en personne.

Comme son adversaire, l’Étoile Terrestre ne parlait pas pour le plaisir d'entendre sa propre voix ou même de tenter de prendre l'ascendant psychologique. Toujours masqué par un voile d'ombres, il mettait ce temps à profit pour rôder autour de la masse d'insectes dissimulant la localisation du Saint, cherchant une brèche, une faille et n'en trouvant pas. Il allait donc falloir en créer une...

Le Dullahan cessa de déambuler, concentrant un peu plus ses ténèbres pour en créer un fin tapis recouvrant le sol. L'énergie cinétique qu'il dérobait à son environnement lui donnait une idée approximative de la position de son adversaire et le froid commençait à générer une couche de givre sur la pierre, qu'il dirigea subrepticement sous les pieds du guerrier d'Athéna. Il commença à faire fluctuer et épaissir l'obscurité à quelques mètres de distance, comme s'il se préparait à en émerger, et attendit que l'essaim monstrueux réagisse à ce mouvement. Dans le même temps, il avait comprimé ses flammes bleues en deux sphères, une dans chaque paume, leur éclat dissimulé par les ombres résiduelles. Sa diversion mise en place, il laissa exploser la lumière du feu dans sa main gauche, créant une brillance aveuglante qui devait être encore plus cruelle pour les yeux d'Apollon, à présent habitués au noir total. Rogos chargea et la seconde sphère se mua en lame incandescente dont il délivra une puissante estocade à son ennemi, ignorant les insectes sur son chemin, comptant sur sa vitesse pour ressortir du nuage d'arthropodes avant de subir une contre-attaque trop sévère.

« Laindéir na Marbh ! » annonça le Spectre. « C'est votre punition pour être restés aveugles face à la clémence de Dame Mohana et à la véritable nature de Poséidon... »  

Une fois de plus, le Dullahan fut assailli par des escadrons entiers d'horreurs chitineuses ailées. Comment était-ce possible, ce coup aurait dû être parfait et venir à bout du Saint des Poissons ! Rogos dut résister à ses instincts primaires qui lui ordonnaient de gesticuler futilement dans tous les sens et se mit en posture défensive, protégeant ses articulations vulnérables et n'offrant aux insectes que la solidité de son fidèle Surplis. Tarder à se débarrasser de cette nuée de bestioles ne ferait que l'exposer à la prochaine attaque d'Apollon, il fallait faire vite !

Il n'était pas Humbaba cependant, il ne pourrait jamais générer une explosion suffisamment puissante pour exterminer toute cette vermine. Il allait falloir ruser... Rogos déchaîna autour de lui-même son Dorchadas, les ténèbres se rassemblant pour filer des liens qui prenaient au piège les insectes tourbillonnants avant de se resserrer telle une nasse et de les écraser contre son armure. Une fois certain d'avoir pris au piège l'intégralité de l'essaim le cavalier sans tête convertit brutalement l'énergie cinétique dérobée en chaleur, carbonisant la Plaie d’Égypte miniature du serviteur d'Athéna... juste à temps pour en recevoir une autre cent fois pire.

Rampants, grouillants, volants, les arthropodes s'abattaient par dizaines de milliers sur le Dullahan. Pinçant, piquant, rongeant, tous cherchaient à franchir sa carapace de métal noir pour le mettre en pièces. Rogos était aveugle et sourd au milieu de cette tempête meurtrière ; le chevalier d'Or avait peut-être un visage d'ange mais une technique capable d'infliger une mort aussi horrible aurait eu toute sa place en Enfer... Le Spectre Terrestre n'avait-il d'autre choix que de se faire dévorer ? Ressusciter pour affronter une fois de plus la déception de Wolgorn, sans parler de celle du Seigneur Thanatos qui, comme Rhadamanthe avant Lui, avait fait don de Son sang à un subordonné indigne ? Ou bien échapperait-il aux quolibets et au mépris en se faisant absorber par le Rosaire, scellant son destin en même temps que son âme ?

Non, c'était insupportable. Il avait déjà été suffisamment humilié et rudoyé, il était la risée de ses pairs, il fallait que ça cesse !

La noirceur s'approfondit autour de l’Étoile Terrestre de l'Ombre et l'air prit la consistance de la poix, engluant les insectes directement au contact de sa cuirasse en les immobilisant au niveau des pattes et des mandibules. Pas un centimètre carré n'était libre, le Dullahan avait à présent revêtu une armure d'insectes figés par son pouvoir ; leurs camarades ne pourraient passer sans se débarrasser d'abord de cette protection improvisée. Puis il réitéra la stratégie de la nasse à plus grande échelle, capturant chaque bestiole jusqu'au plus infime moucheron avant de les incinérer dans un brasier vengeur. Il ne devait la vie sauve qu'à son Surplis : sans son masque il n'aurait pu empêcher la masse vivante de s'insinuer dans ses voies respiratoires dont il aurait été impossible de la déloger. Plus que la douleur qu'il ressentait dans sa chaque fibre de son corps, c'était cette réalisation qui alimentait sa colère. Encore et toujours ses capacités étaient insuffisantes et il lui fallait se reposer sur une béquille, un pouvoir donné par d'autres ! Sauf que pour une fois ça n'allait pas se terminer par une humiliation totale : Apollon était à court de grouillants et donc d'options...

Rogos aurait pu faire comme si de rien n'était et reprendre la conversation histoire de narguer son adversaire. « Mais bien sûr que vous êtes responsables de tous les maux de cette planète, qui d'autre ? C'est votre Déesse qui est aux commandes depuis la nuit des temps après tout ! » ou bien « Deux chevaliers, maintenant ? Trop peu, trop tard ! », quelque chose du genre. Au lieu de cela il garda le silence et sans aucun signe avant-coureur envoya une vague de ténèbres à l'assaut d'Apollon tout en invoquant un Claíomh Ifreanda brûlant de haine. Pour la première fois, la rage qui coulait dans ses veines lui permit d'atteindre le niveau de vitesse d'un chevalier d'Or ; la lame infernale s'abattit sur le cou du Saint des Poissons...