Étourdi par les roulements du bateau qui l'avait accueilli, Ntikuma restait fermement accroché à la balustrade pour observer avec fascination les roulements de l'océan désormais d'un bleu si profond qu'il aurait pu avoir été peint. L'éclat du soleil de plomb envoyait de puissantes vagues de chaleur contre son manteau rouge, mais c'est la lourde humidité qui faisait perler des gouttes de sueur contre sa peau. En comparaison, l'air sec de son pays natal avait quelque chose de léger...

C'était autant par frustration que par ennui que la silhouette rouge avait choisi de quitter ses fonctions pour un moment. Suite à son entrée en fonction -un terme qui lui plaisait déjà peu- plusieurs des autres forgerons avaient choisi de quitter les leurs, certains guettant constamment ses gestes pour lui reprocher son manque de professionnalisme et de responsabilité, d'autres parlant plus cruellement de manque de communication. Les plus inquiets lui avaient confié directement ne pas savoir à quoi ils servaient maintenant et ne pas toujours être à l’aise avec sa façon de faire. À ça, l'Ashanti n’avait rien pu répondre. S'éloigner de cet étrange groupe qui était maintenant le sien sans savoir quoi en faire lui était venu tout naturellement.

Et pour se faire, il avait suivi les histoires.

Le nom de Poséidon courait encore sur bien des lèvres et des marins renfrognés lui avaient expliqué de quoi il en retournait avec beaucoup de détails, se demandant entre eux comment ce frêle corps avec une armure noire sur son dos avait fait pour rater une telle chose sans pour autant lui en faire part de vive voix. Ils avaient accepté poliment de laisser l’étrange figure rouge se joindre au prochain équipage pour rejoindre le continent, puis de l’aider à s’organiser un voyage en jet pour traverser la terre.
Pour la suite, par contre, Ntikuma devrait se débrouiller seul.
Ce qu’il avait réussi à faire, après plusieurs essais s’étant soldé en échec. Habitué malgré lui à l’obéissance que les habitants de l’Île lui devaient, rien ne l’avait préparé au reste du monde qui toisait avec méfiance ce petit être masqué et muet qui affichait clairement ses couleurs sans pour autant ressembler aux autres membres de son Ordre devenus tristement connus. Les voyageurs suffisamment avenants pour lui offrir de l’aide durent ensuite la lui refuser en apprenant sa destination, rare étant ceux aillant le droit et l’envie de s’y rendre, se contentant de lui pointer, peut-être, la bonne direction à emprunter pour arriver à bon port.

Se rapprocher des humains lambda n’était pas le plus difficile, l’amusant mystère qu’était Ntikuma suffisant à faire fondre leur résistance et à les convaincre qu’il ne représentait pas un danger. Mais quand il pu enfin entrer en contact avec des gens capable de le conduire à New-Atlantis, le refus fut brutal : Tons agressifs, menaces violentes, certains semblaient même prêts à en venir aux poings quand l’Ashanti voulut insister, sans même qu’il n’ait posé de geste hostile. Qu’il soit le plus clair possible quant à ses intentions ne changeait rien : les gens comme lui n’étaient pas les bienvenus sur les terres appartenant aux guerriers de la mer, encore moins pour jouer les touristes. Tant de haine à son égard lui donna presque envie de tourner les talons et rentrer chez lui, abandonner sa quête et se résoudre à prendre sa place parmi les mercenaires, mais même après tout ce temps, retourner sur l’Île ne lui semblait pas satisfaisant. Laisser tomber et leur donner raison, et après?
Non, il devait s’y rendre, au moins pour en avoir le cœur net. Et pour ce faire, il devrait utiliser des techniques plus ou moins honnêtes.

Reprenant ses recherches autour de la côte américaine, le conteur reçut la même méfiance des prochains marins qu’il rencontra, mais décida cette fois de changer sa propre histoire : quand les violents voyageurs lui demandèrent ce qu’il avait à faire dans le royaume de Poséidon, l’Ashanti se présenta comme un négociateur venu discuter avec les Marinas. Les marchands devinrent encore plus méfiants et lui demandèrent les détails; Ntikuma se fit évasif et leur dit que ça ne les regardait pas. Quand ils demandèrent pourquoi un muet était envoyé seul en ambassade, le forgeron leur demanda en retour à quoi ils s’attendaient. Entre Reagan et ce qu’il savait des autres mercenaires… ça se tenait, un peu. Et de toute façon, avec ou sans compagnon, tout le monde l’aurait à l’œil en s’attendant au pire. Une place lui fut don finalement accordée, bien qu’à contrecœur, et son voyage jusqu’à New Atlantis put enfin se poursuivre.
Il y avait quelque chose de confortable dans sa façon de voyager, d’approcher les inconnus et de se perdre dans son propre vague, de ne rester qu’une simple figure masquée sans identité, sans rôle, sans titre. C’était s’éloigner de la réalité et paraître moins qu’humain, se présenter comme un simple costume ambulant, un personnage que les autres façonnaient comme ils l’entendaient. C’est ce qui le rendait libre et il n’avait aucune envie de vivre autrement.

Une multitude de bateaux tous différents les uns des autres apparurent à l’horizon et quelques oiseaux commencèrent à survoler leur embarcation, se posant parfois sur la balustrade non loin du conteur. Au loin, un jet d’eau jaillit de l’océan en donnant l’impression de rejoindre les nuages, suivi de près par une énorme bête qui laissa entrevoir son dos. Surexcité, Ntikuma partit à la recherche des marins pour leur montrer sa trouvaille, sautillant et leur tirant le bras avec enthousiasme jusqu’à ce que ceux-ci, avec peu de patience, lui expliquèrent que ce n’était qu’une baleine et retournèrent à leurs occupations. Nullement vexé par leur réaction, la silhouette rouge poursuivit son observation sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre, et ce jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.

Ils étaient loin d’atteindre la terre ferme, par contre. Le port n’était fait que de bateaux reliés entre eux, parsemés de ponts et de cordage pour faciliter la circulation. Jamais Ntikuma n’avait vu une chose pareille; une telle fabrication avait été jusqu’à aujourd’hui impensable, inimaginable. Un éventail de possibilité s’ouvrait devant ses yeux, des idées qu’il n’avait jamais envisagé, et de les voir étaler ainsi faisait battre son cœur un peu plus fort, faisait bourdonner sa tête de projets et de questions. Sans un mot, il y voyait déjà tant d’histoires…
Le navire accosta et pendant qu’une partie du groupe s’affairait à solidifier leur porte de sortie, les autres allèrent chercher leur visiteur pour le mener aux autorités locales qui sauraient sans doute mieux quoi faire de lui.
La colère monta vite en constatant que le mercenaire masqué n’était déjà plus à bord.

Le garçon était heureux d’avoir enfin son écaille. Il s’était entraîné pendant des semaines, entre la maîtrise de son élément, puis son maintien en milieu aride. Maintenant qu’il était réellement devenu Marina, le français se dirigea vers la bibliothèque pour y retrouver son maître. Il savait qu’il n’était pas complètement formé, qu’il devrait rencontrer plus tard le général du Kraken, mais en attendant, il avait hâte de retrouver Eize et de lui annoncer la nouvelle. Enfilant son écaille d’un magnifique bleu, le garçon se dirigea dans les profondeurs de l’Atlantide. En chemin, il croisa la route des deux gardes, qu’il salua, fière de montrer sa belle écaille. Après une brève discussion, le garçon reprit son chemin et entra enfin dans la bibliothèque.

- Me voici de retour maître, je suis maintenant Gaïus, guerrier de l’écaille préhistorique du Megalodon !

Le garçon était tellement heureux, que son maître ne pouvait que se réjouir pour lui, même si les choses sérieuses n’allaient réellement commencer que maintenant. En guise d’amuse bouche, le bibliothécaire annonça justement au breton qu’il avait déjà une mission. D’après les rapports, un Mercenaire voulait se rendre à New-Atlantis. La mission du rouquin serait seulement de l’accueillir afin de savoir ce qu’il voulait, rien de bien méchant en soi.

- Bien chef, oui chef !

Lança le français avant de prendre la direction du passage vers New-Atlantis. C’était d’un pas rapide, une sucette neuve dans la bouche, que le Marina se rendit au port. Si quelqu’un devait arriver, ce serait forcément par ici, du moins il l’espérait. Le Megalodon arriva juste à temps pour voir arriver un premier navire, qui ne transportait que des marchandises. Ne voulant pas tourner en rond en attendant le Mercenaire, Gaïus se dirigea vers l’une des supérettes et y acheta un nouveau stock de friandises. Il retourna ensuite s’installer au port et attendit que les navires arrivent. Par chance pour lui, les restrictions sur la navigation ne faisaient que d’être levées, ce qui faisait que peu de capitaines avaient le courage de prendre la mer. Il ne vu donc arriver que deux navires, le second laissant échapper quelqu’un avant même d’être arrimé au port. Le rouquin se dirigea donc vers la silhouette qu’il avait vu sauter, un grand sourire éclairant son visage.

- Bonjour, vous devez être le Black Knight qui veut se rendre chez les Marinas. Enfin… je suppose… vous portez une armure noire, donc ça correspondrait plus ou moins à la description des Mercenaires… enfin on s’en fiche hein.

Le garçon enfourna une nouvelle sucette, avant de reprendre aussi vite.

- Je suis Gaïus, guerrier du Megalodon, ravi de faire votre connaissance. Vous voulez une sucette ?

Ils eurent beau chercher et appeler le fuyard, il n'y avait plus rien à trouver. En voyant un plus petit bateau circuler entre les mastodontes de bois et de métal, Ntikuma y avait vu son ticket de sortie et avait enjambé la balustrade, ne se donnant pas le temps de le regretter avant de se laisser tomber. Loin de la terre ferme, la silhouette rouge se sentit légère comme une plume, ses multitudes de voiles virevoltant autour d'elle, un millier de petites flammes embrasant le bleu omniprésent de la mer et du ciel. Ça aurait pu durer une éternité. L'air la portait et son cœur criait d'adrénaline, ne demandant qu'à voler pour une seconde de plus.

Mais au final, la chute ne dura même pas une seconde.

L'atterrissage fut aussi brutal que la réaction des passagers à bord de l'embarcation. Les frêles jambes de l'entité encaissèrent tout le choc et se dérobèrent sous le poids inattendu, ponctuant sa flamboyante entrée d'un douloureux retour à la réalité. Prostrée au sol, Ntikuma ne remarqua pas tout de suite les quelques passagers paniqués s'étant réfugié à l'autre extrémité du bateau, ne levant la tête qu'en entendant une grosse voix grave lui crier dessus. Descendre de son bateau en plein milieu de l'océan, et puis quoi encore? Se relevant péniblement, l'Ashanti se mis immédiatement à user de ses jeux de lumières pour distraire et calmer les passagers, en particulier le capitaine qui brandissait une pagaie avec un air menaçant. La menace ne dura pas longtemps car ce dernier dû rapidement retourner aux commandes de l'embarcation pour éviter un accident, mais quand il coupa enfin le moteur après avoir trouvé un endroit sécuritaire où s'arrêter, il n'y avait déjà plus aucune trace de la silhouette rouge. Celle-ci avait profité d'un amas de cordage à sa portée pour quitter le bateau et grimper péniblement jusqu'à la terre ferme. Heureusement qu'il finissait par avoir de la véritable terre quelque part, sinon son périple se serait peut-être terminé au fond de la mer... se laissant rouler sur le dos, le conteur attendit quelques secondes avant de se relever, contemplant tous les obstacles qui avaient été traversés. Comme pour sa nouvelle maison, impossible de voir le continent... la vaste étendue de bleu lui donna le vertige. Derrière ce miroir se trouvait un autre monde...

En entendant une voix derrière lui l’interpeller, le forgeron se retourna et leva rapidement les mains en un signe de soumission, pour bien signifier qu'il ne voulait aucun mal. Évidemment, son entrée douteuse et sa fuite ne pouvaient pas passer inaperçues, surtout pas en sachant qu'il était maintenant attendu, mais aucun préparatif n'avait vraiment été fait pour ce moment... oh, il avait un plan, mais rien de bien prometteur et qui lui assurait que s'il devait partir, ce ne serait pas en étant poussé dans l'océan. Son nouvel interlocuteur semblait bien insouciant, se présentant après avoir rapidement confirmé qu'il avait bien affaire à un mercenaire. Ce dernier s'inclina rapidement pour le saluer, puis secoua doucement la tête pour refuser poliment la friandise, plus intéressé par la couleur de l'armure du Marina que par le garçon en lui même. Le peu de temps passé avec ses collègues forgerons lui avait appris que, contrairement à ce qu'il avait d'abord pensé, toutes les armures ne portaient pas toujours les mêmes couleurs. C'était curieux...
Se reprenant, l'Africain décida de se présenter à son tour et tendit la main devant lui. Une lumière dorée s'en échappa, suivant les mouvements de son doigts pour tracer son nom dans l'air entre les deux éveillés. Une geste de la main et l'écriture disparut, lui laissant assez d'espace pour voir la réaction du Marina et lui permettre de répondre. Il en profita aussi pour rassembler son courage, expliquer sa venue ne pouvait pas attendre éternellement...

Le français ne fit pas attention aux clameurs provenant du navire d’où venait le mercenaire, après tout, chacun avait sa méthode pour venir dans le territoire des autres, encore plus quand les voyages vers ce territoire étaient aussi rares. D’abord déçu que le nouveau venu refuse sa friandise, il fut vite amusé par le regard que portait le Black Saint à son armure. Le garçon bomba le torse, se trompant sur le regard du mercenaire.

- Elle est belle hein ? Je l’ai depuis ce matin seulement. Tu as devant toi l’une des écailles les plus faibles de notre camp. Heureusement qu’elles ne sont pas toute comme ça. Je l’aurai préféré un peu plus sombre, genre noire comme les Black Saints, mais bon… la couleur va bien avec mon pouvoir, donc c’est pas trop mal comme ça.

Le muet leva ensuite la main, traçant son nom du bout du doigt. Le regard du Megalodon brilla de curiosité en le voyant faire.

- N…T…I…K…U…M…A… hum, tu prononces ça comment ? Ntikuma ? Ntikouma ? Tikuma ?

Soudain, quelque chose frappa le rouquin, qui en lâcha presque sa sucette.

- Attends… tu ne parles pas depuis tout à l’heure… tu as une voix horrible ? Ou alors tu es simplement muet ? En tout cas, c’est génial de pouvoir écrire avec son cosmos. Mais euh… ça ne serait pas plus simple de développer de la télépathie ? Tu pourrais parler directement à l’esprit des gens via ton cosmos… enfin je crois, j’ai lu ça dans l’un des livres de mon maître, mais il n’expliquait pas vraiment le temps d’apprentissage pour y arriver.

Gaïus croqua un grand coup dans sa sucette, avant d’en sortir une nouvelle au goût différent. Il lui arrivait parfois, quand ses idées s’affolaient, qu’il mélange les goûts pour exciter ses papilles et ses neurones.

Si l'idée d'être pris en charge par un novice avait de quoi faire sourire –Ntikuma ne pouvant pas se vanter d'avoir bien plus d'expérience– le concept d'une armure "faible" soulevaient quelques questions. Toutes les armures construites par ses idées n'avaient pas eu droit à la même dose d'inspiration, mais elles étaient néanmoins vide d'énergie et donc de réelle puissance, les mettant toutes sur un pied d'égalité avec les autres armures noires. Chez les mercenaires, le porteur fait l'armure, mais les camps divins pouvaient y insuffler bien plus de puissance... Sa tête s'inclina sur le côté, révélant son interrogation, puis de l'autre en entendant le reste de la complainte. Il voulait donc une armure noire?
Le jeune Gaïus voulait bien plus qu'une chose: ses questions n'arrêtaient pas, sa curiosité cherchant sans relâche à traverser le masque de son interlocuteur, à comprendre ce qu'il était, qui il était. Ce n'était pas la première fois. Et s'il y avait des réponses que l'Ashanti pouvait bien lui donner, la plupart d'entre elles allaient rester où elles étaient, bien caché dans son imaginaire.

Il s'appelle Ntikuma. C'est un conteur.

Il y a longtemps de cela, ces simples mots avaient su satisfaire n'importe qui. Ses compatriotes avaient cherché à savoir, eux aussi, mais avaient fini par s'en désintéresser pour plutôt porter attention à ses histoires. C'était là la chose importante à retenir. Le reste, ils pouvaient bien en faire ce qu'ils voulaient.
Malgré tout, ça ne pouvait que lui faire plaisir que quelqu'un demande enfin comment son nom devait être prononcé. Depuis le début de son aventure, la silhouette rouge en avait entendu plusieurs variantes, aucune d'entre elle n'ayant su être la bonne, mais l'occasion de corriger ne s'était jamais présentée. Avec beaucoup de patience, sa tête se secoua à la négative à chaque tentative, accompagnée seulement d'un mouvement de main pendant la deuxième pour signifier que c'était presque ça, mais pas tout à fait. Un peu plus et il faudrait accepter de se faire appeler "Kuma", comme avec les enfants...
Mais pour le reste, l'encapé se contenta de hausser les épaules, ne s'attardant pas plus sur ce qu'il était et ce qu'il ne pouvait pas faire. Sa profession avait changé, ses moyens de communiquer aussi, mais ce n'était pas là l'intérêt de sa personne. C'était ce que les autres voulaient et ce qu'il pouvait leur donner.

S'avançant de quelques pas, la silhouette rouge tendit la main pour la poser sur le torse du Marina, mais la retira rapidement en lançant quelques regards craintifs autour d'elle. L'accueil n'avait pas été très cordial à cause de son armure noire, ils allaient tout deux y passer s'ils n'étaient pas soustraits aux regards avant de passer à la suite. L'encapé secoua la tête comme pour chasser ses mauvaises idées; ça pouvait être fait discrètement. Revenant à la charge, il se saisit cette fois du poignet de Gaïus, posant ses longs doigts sur le métal de son armure. À son contact, une encre noire comme la nuit commença à se répandre sur l'écaille, étouffant sa couleur bleue originale pour l'assombrir, lui donnant l'allure d'une cuirasse de Chevalier Noir...
Le phénomène n'alla pas plus loin que l'avant-bras du Mégalodon. Le Black Knight rompit le contact et l'armure marine reprit sa couleur bleue sans aucune transition, coupée de l'énergie qui avait provoqué ce changement. Ce n'était pas la façon exacte de décrire ce que Ntikuma venait de produire; son cosmos avait servi de peinture, recouvrant le métal sans l'altérer ou réellement le changer. C'était un nouvel exercice avec un résultat qui, à ses yeux, étaient correct sans plus. S'il ne pouvait pas changer la couleur d'une armure sans vie, en altérer une habitée d'une force qu'il ne contrôlait pas était impossible.
À sa façon, l'Ashanti apportait quelques pièces de plus au casse-tête. Écrire avec son cosmos n'était pas que son seul talent, et même sans voix il savait toujours donner vie à l'imaginaire, le sien comme celui des autres.

Réalisant que son geste pouvait être mal vu par le jeune Marina lui-même, Ntikuma s'empressa de reculer et de se remettre à écrire devant lui pour le rassurer sur ses intentions. S'il pouvait encore ne pas aimer ce qu'il verrait, au moins Gaïus aurait droit à la vérité. La silhouette n'était venue ni en tant que messagère ou recruteuse, mais bien plus simplement en tant que...

"Touriste"

Elle conclua en se désignant. Il n'y avait rien de plus, vraiment. L'entité masquée voulait voir le monde et apprendre, connaître ce avec quoi elle vivait vraiment et ce qui cachait vraiment derrière les facades des dieux et de leurs promesses. Contre toute attente, ces dernières ne parlaient pas toujours d'elles-même et plus que jamais, le forgeron se demandait qui était à leur service et surtout, pourquoi.

Sur chacune des propositions que tenta le garçon, quand il chercha la prononciation du nom de Ntikuma, il n’obtenu que des réponses négatives, même s’il avait visiblement approché de la vérité avec sa seconde prononciation. Puisqu’il n’avait prononcé le « kou » que dans celui-ci, il en conclu qu’il était sur une bonne piste. Mais ne voulant pas embêter plus longtemps son interlocuteur, il se décida pour l’appeler.

- Bon, on va faire plus simple, je vais t’appeler Kuma. Ca te va ?

Le Black Saint s’approcha ensuite du Marina et lui attrapa le bras. La suite marqua grandement le rouquin, puisque son écaille commença à prendre une couleur noire. Quand Ntikuma le lâcha, Gaïus eut un mouvement de recule, avant de regarder l’armure de son poignet et de voir que la couleur était redevenu normale. Pourtant, le manieur de glace préféra rester sur la défensive, sans pour autant augmenter son cosmos et se montrer agressif. Son écaille étant redevenu complètement normale, le garçon ne voulait pas attirer l’attention sur eux, surtout si des gardes passaient dans le coin ou pire, d’autres Marinas. Après un coup d’œil derrière lui, l’Atlante décida qu’il pouvait être tranquille, personne d’autre que lui n’était dans le coin.

- Je vais passer pour cette fois, mais ne recommence pas ça. C’était… comme si on m’arrachait un morceau de mon âme… et pourtant je suis roux, alors t’imagine.

Le français s’amusa lui-même de sa petite blague, avant de redevenir plus sérieux. Enfin aussi sérieux qu’il le pouvait du moins. Une fois le malaise passé, le mercenaire annonça qu’il venait pour faire du tourisme. Ce ne fut qu’à ce moment que le garçon se rappela pourquoi les navires n’étaient pas nombreux.

- Hum… ça va être compliqué… il me semble qu’il est interdit de venir ici pour le moment. Peut-être que si on cache ton armure et qu’on te déguise, ça passera pour faire un tour rapide du port. Tu en penses quoi ?

Le garçon était assez naïf pour penser à cette idée, mais il ne voyait pas vraiment comment il pourrait faire visiter une partie de la ville autrement.

Ntikuma resta parfaitement immobile devant la réaction du jeune Marina après le changement de son armure, ne réagissant même pas quand ce dernier le sermonna. Avait-il eu peur? Il avait sans doute parlé sans vraiment y penser, encore moins en assumant que son interlocuteur avait de quoi répondre à ses interrogations ainsi. Qu'aurait pensé l'Ashanti si Andréa avait changé son armure noire en Surplis, ne serait-ce que pour une seconde? Mystère; lui-même aimait bien secouer ses interlocuteurs sans qu’ils ne s’y attendent, et il n’était pas du genre hypocrite. Difficile de refléter certaines situations sur sa personne…
Bref, Gaïus se remit bien vite du choc et semblait encore enclin à laisser la silhouette rouge voir un peu de la ville, et ce malgré sa fermeture. Ce fut cette information qui piqua le plus la curiosité du Black Knight, personne sur l’île ne l’ayant prévenu… mais même en connaissant sa destination, plusieurs avaient déjà le réflexe de l’éviter, les plus récents événements n’en faisant pas un arrêt des plus attirants. Sauf pour Ntikuma. Les histoires l’attiraient comme un aimant et celles des dieux portaient même une amère vérité qui lui tardait de comprendre.

L’idée du déguisement le traversa comme un frisson, laissant bien sa marque sans pour autant attirer toute son attention : avant ça, l’Araignée voulait quelques réponses de plus. Regardant autour d’eux avec interrogation, cherchant un regard à croiser sans en trouver, elle finit par se retourner vers le garçon, traçant un point d’interrogation devant lui et pointant le Marina du doigt en inclinant à nouveau la tête sur le côté pour montrer son incompréhension. Pourquoi tant de précautions? Être en compagnie d’un des chevaliers des mers n’était-il pas suffisant? Ntikuma pouvait bien se séparer de son armure pour quelques heures, mais à quoi bon se déguiser? Était-ce aussi une question de culture…? Il pouvait bien changer ses vêtements en quelque chose de plus commun, mais l’envie n’y était pas du tout et il était évidemment hors de question d’enlever le masque. Décidément, les choses risquaient de se compliquer si les deux éveillés ne mettaient pas quelques choses au clair…
Pour le mercenaire, c’était simple : de l’information contre sa coopération. Si le Marina était prêt à lui expliquer plus en détails tout ce qu’il y avait à savoir sur son camp, alors il voudrait bien le suivre dans ses idées.

Pourquoi tout ça? Pourquoi les gens vous craignent-ils autant? Pourquoi ils me détestent? Qu’est-ce qui s’est passé? Et pourquoi y a-t-il un gamin en armure dans les rangs d’un dieu destructeur?

Le silence aidait à ne pas succomber à la peur. Destructeur… les témoignages s’entendaient tous sur ça et ce n’était pas pour le rassurer. Inoffensif ou pas, venir seul et sans défense avait plusieurs désavantages, surtout si ses hôtes finissaient par se lasser de sa présence. Mais Ntikuma n’était pas là pour changer l’histoire, pas encore. Avant ça, il fallait au moins prendre la peine de la connaître.

Le silence que laissa le Black Saint s’étendit un long moment, tellement long que Gaïus aurait aimé pouvoir lire dans les pensées de son interlocuteur pour pouvoir répondre aux questions qu’il ne posait pas. Le français allait prendre les choses en main, gardant toujours son grand sourire, quand il entendit le son caractéristique d’une lance frappant le sol. Son regard se mit vite en alerte, sachant exactement ce qui allait se passer si les gardes tombaient sur Ntikuma.

- Changement de plan, je vais te demander de te cacher là bas.

Le rouquin montra un tas de caisses vides qui attendaient depuis plusieurs semaines qu’un navire vienne les récupérer et les remplacer par des caisses pleines. Il n’avait pas l’intention de déclencher une alerte générale, parce qu’un membre d’une autre faction était venu rapidement sur l’île. De plus, son maître était déjà au courant que le forgeron était là, sinon pourquoi aurait-il envoyé son disciple ? Gaïus ne pouvait que supposer qu’Eize l’avait justement envoyé pour éviter un scandale entre les deux camps.

- Surtout, tu ne dois pas en sortir, sous aucun prétexte. Depuis un certain évènement, tout le monde est sur les dents. Ca serait d’ailleurs logique qu’on vienne nous attaquer avec les dégâts qu’il y a eu à Tokyo. J’espère que tu comprends. Je fais ça pour toi, je n’ai pas envie de te voir en prison, alors que tu as l’air d’être quelqu’un de gentil.

Une fois qu’il fut sur que le mercenaire était bien caché, il se dirigea lui-même vers les gardes. Les deux soldats le saluèrent, plus comme un simple confrère que comme un supérieur. De ce qu’il avait pu lire, les chevaliers de bronzes, chez les Saint, avaient un rang supérieur à celui des gardes, qu’importe l’âge qu’ils avaient. Les gardes n’étaient que des éveillés n’ayant pas la puissance de revêtir une armure. Alors que chez les Atlantes, les gardes n’étaient pas d’ancien apprenti, ils étaient des habitants même de l’Atlantide, fière descendant d’une nation que les gens croyaient disparus. Chacun d’entre eux pouvait utiliser le cosmos, même réclamer une armure s’il le désirait. Alors pour eux, les seuls pouvant se proclamer supérieurs étaient les généraux, l’élite de l’armée du seigneur des Océans. Une fois que le garçon eut expliqué qu’il avait fait le tour du port, sans rien voir de suspect, il continua un peu de marcher avec les gardes, jusqu’à leur dire qu’il ferait mieux de rentrer, surtout en entendant la nouvelle qu’ils venaient de lui apprendre.

Le Megalodon se dépêcha de retrouver Ntikuma, pour lui annoncer ce qu’il venait d’apprendre.

- Je suis désolé de te dire ça, mais tu vas devoir prendre le prochain bateau. Même si l’un des autres essais de faire en sorte que les navires circulent, nous devons fermer le port pour un certain temps. Tu as eu beaucoup de chance d’arriver le premier jour d’ouverture, mais il sera également le seul avant le mois prochain.

Le désarroi du jeune Marina était palpable, et sa volonté de le cacher derrière sa bonne humeur appréciable. La figure masquée ne pouvait lui donner bien plus que ce que son imagination lui dictait déjà. Savait-elle au moins communiquer sans sa voix? D'autres auraient pu le confirmer, mais Gaïus lui-même n'en avait aucune preuve. Sans ralentir Ntikuma dans ses projets, cela lui donnait simplement un air plus innocent, ingénu, naïf... peut-être pas ce qu'il y avait de mieux pour avoir l'air d'un véritable négociateur, comme elle avait prévu de se présenter, mais pour être approchable et pris pour une amie, plutôt qu'une menace, ça faisait très bien l'affaire.
Car les Marinas vivaient entourés de menaces. Les plus récents événements n'avaient pas été sans conséquence pour leur cité et tous ceux sous leur protection. Le cœur de l'Ashanti se serra. Qui pensait à ça, quand le temps était venu de déclencher catastrophes et atrocités?
Docilement, le mercenaire suivi son interlocuteur et se cacha entre les caisses de bois que celui-ci lui pointait. Après tous ses périples pour arriver ici, il voulait bien croire que ses supercheries n'avaient pas dupé tout le monde... Posant un doigt contre son masque en un signe de silence, il agita son autre main au dessus de sa tête. Rapidement, ses habits rouges se mirent à ternir et à prendre une couleur brunâtre identique à celle des caisses qui l'entouraient, le camouflant parfaitement parmi l'ensemble. Son armure bien cachée derrière ses multiples voiles, le Black Knight observa Gaïus s'éloigner, pour attendre avec patience son retour.

Les minutes passèrent et le Marina n'était toujours pas revenu. Parfois, des civils passaient près de Ntikuma sans pour autant le remarquer, ne regardant pas assez longtemps dans sa direction pour apercevoir l'amas de tissus caché parmi le bois. Rapidement, son excitation céda sa place à l'interrogation, puis à l'ennui... l'idée insouciante de poursuivre sa visite seul se faisait de plus en plus tentante quand le jeune guerrier des mers revint enfin, la mine sérieuse. Sans grande précautions, l'encapé bondit hors de sa cachette, heureux de pouvoir bouger un peu, et entreprit de se débarrasser de son camouflage en se secouant avec énergie; à chaque mouvement, un peu plus de la teinture brunâtre se détacha de son manteau comme de la poussière, s'envolant et se dissipant dans l'air. En quelques secondes seulement, ses vêtements avaient retrouvé leur couleur originale et tout leur éclat. L'artisan s'étira, bien en équilibre sur la pointe des pieds, les prochaines paroles de Gaïus le tirèrent bien vite hors de son calme. Partir? Déjà?
Ses épaules s'affaissèrent de dépit, mais malgré sa déception le conteur se força à garder la tête haute. Après tout, c'était à prévoir. Si tout ce qui avait été dit à propos de Poséidon était vrai, la situation devait être pire que ce qu'il avait imaginé. Il n'avait réussi que de justesse à atteindre New Atlantis, tenter d'allonger sa visite était sans aucun doute la chose qu'il ne pouvait pas se permettre. Aucune bonne intention ne le sortirait du pétrin, plus maintenant...
Mais il n'y avait toujours pas eu d'histoire. Seulement un coup d’œil dans un brouillard qui refusait de se dissiper. Comment récolter des réponses, si revenir était impossible? Pas en se faufilant sur les terres à nouveau, ce serait risquer trop et ce n'était pas son but... mais après sa visite, la silhouette rouge avait un contact, un ami. Et de son côté, elle n'avait aucune gêne à inviter ses amis dans sa demeure...

Sans cacher sa tristesse, l'entité hocha doucement la tête pour montrer qu'elle avait compris et qu'elle allait coopérer et partir sans trop tarder. Elle devrait pouvoir se joindre à un des navires sans problème, et ensuite... eh bien, qui sait? D'autres histoires, d'autres mondes que le sien, et tout le temps qu'il faudrait pour les découvrir. Après tout, rien ne pressait. Peu de gens connaissaient son existence et il n'avait qu'une responsabilité dont il ne voulait pas, il n'y avait aucune demande, aucun travail qui l'attendait encore. Et avant de s'y mettre sérieusement, Ntikuma voulait voir la liberté et la vivre pleinement.
Inspirant profondément, l'Ashanti tendit la main devant lui. Une réplique miniature de l'île volcanique apparut dans sa paume, tournoyant lentement sur elle-même, suite à quoi le petit être pointa Gaïus pour lui faire comprendre qu'il l'invitait à s'y rendre. Puis, l'hologramme se mit à fondre, coulant dans sa main jusqu'à se que la masse de cosmos liquide prenne la forme d'une araignée dorée. Un éclat de lumière frappa la création, et le reflet blanc sembla se soulever comme une fine pellicule, gonflant et prenant de l'expansion jusqu'à englober complètement l'insecte comme une bulle. Ntikuma n'eut qu'à se concentrer et soudainement, c'était une breloque en or figée dans bulle de verre translucide, on ne peut plus réelle, qu'il tenait dans ses mains et qu'il tendit au jeune Marina. Avec ça, il ne devrait pas avoir de problèmes avec les habitants de Death Queen Island, quand il se décidera à venir les gens auront eu le temps d'apprendre à qui ce symbole appartient. Le Black Knight ne dégageait plus aucun sentiment de tristesse ou de déception, seulement une sérénité toute légère difficile à expliquer...

Et, soudainement taquine, la silhouette rouge tourna dos à son interlocuteur et fila vers les bateaux, grimpant à toute vitesse sur l'un d'eux pendant que ses propriétaires ne regardaient pas. Quelques minutes plus tard, les cordages étaient dénoués et l'embarcation quittait tranquillement le port...