Quand Reagan et Blueman arrivèrent au seuil de la porte fermée du bureau du maire, une quinquagénaire corpulente vint à leur rencontre pour les prévenir qu'il n'était pas encore là. L'élu municipal était pour l'instant en visite au commissariat de Martindale, mais il avait prévenu ses collègues qu'il allait rentrer le plus vite possible afin d'accueillir leurs invités. La fonctionnaire proposa aux deux mercenaires un café en patientant, ce qu'ils acceptèrent non sans râler du côté de l'Oiseau de Paradis. Celui-ci exigea que son subalterne lui fasse engloutir d'une traite sa tasse, vu qu'il avait encore les bras dans le plâtre. Bien évidemment, le café lui brûla la langue et le gosier, mais l'Américain se retint courageusement de crier comme une pucelle. Le voyou tatoué s'efforça aussi de ne pas éclater de rire, mais son sourire fébrile au bord de l'hilarité et ses yeux moqueurs trahissaient son humeur, au grand déplaisir de son chef.
Le maire de Johannesburg arriva au bout de trois quarts d'heure d'attente, s'excusant platement auprès des Black Knights pour les avoir fait poireauter si longtemps. Le politicien était assez essoufflé, comme s'il venait de sprinter de Martindale jusqu'au centre-ville pour éviter de déplaire à ses hôtes. Il les fit ensuite s'installer dans son bureau, sortit tous ses dossiers pour montrer patte blanche et prouver que la cité était gérée tel que la Confrérie Noire le désirait. Toutefois, il s'aperçut que cela ne passionnait guère ses deux invités, aussi s'enquit-il de la raison de leur venue :
"Hahem... Je vois que toute cette paperasse administrative et ces statistiques ne vous intéressent guère, messieurs. Si je puis vous aider de quelque manière que ce soit, je vous en prie, n'hésitez pas à me le demander.""C'est fort aimable à vous, monsieur le maire." bâilla Reagan, en train de se réveiller suite à l'exposition ennuyeuse de la situation de Johannesburg.
"Je voulais savoir si vous n'avez pas vu passer une consœur dans votre ville récemment, une fille bronzée avec des cheveux à la noisette et les yeux au miel, un peu du genre à redresser les torts et énervante... Le genre de nana à me filer le diabète, vous voyez ?""Euh... Non, je ne crois pas.""Elle s'appelle Olivia, ou un truc parfumé et méditerranéen dans le genre. Une vraie petite peste ! Vous êtes vraiment sûr de ne pas l'avoir vue ?""Sûr et certain, ce nom ne me dit rien.""Blueman ? Intimidation." gronda l'Oiseau de Paradis à l'attention de son larbin attitré, peu satisfait de la réponse de son interlocuteur.
BGM- https://www.youtube.com/watch?v=MwfAxTrbH_Y -BGMA l'écoute de cet ordre, un sourire mesquin déforma aussitôt les lèvres du punk, qui rongeait son frein dans l'espoir de martyriser un innocent. Le politicien comprit de même ce que la momie sur chaise roulante voulait signifier par ces mots et se crispa ainsi d'effroi sur son siège. Blueman empoigna violemment la gorge du malheureux et le souleva jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus le sol, le laissant étouffer petit à petit. Il laissa échapper un gloussement pervers tandis qu'il savourait ce moment de torture, sous l’œil reptilien et concentré de Reagan.
"Gaaarrkh... P-Par pitié..." gémit faiblement le maire, au bord de l'asphyxie.
"J-je vous jure q-q-que je ne sais rien... Khhhh...""Vous savez, quand je parle d'intimidation, ça ne veut pas dire que je vais seulement m'amuser à vous faire peur." professa le Chevalier Noir.
"Ça veut dire que si vous ne crachez pas rapidement le morceau, vous allez mourir pour de vrai.""P-Pour l'amour du ciel, a-ayez pitié... J-Je vous j-jure q-que je ne sais ri-rien... Errrrkhh..."Le pauvre homme commençait à sangloter à l'approche de son trépas, des larmes vaines qui ne faisaient qu'amuser le punk et agaçaient son patron. Entre le mercenaire qui se régalait de la souffrance d'autrui avec sadisme et l'autre qui ne considérait sa peine qu'avec mépris, il se sentait comme piégé dans l'antichambre des Enfers. Plus que jamais, l'élu municipal craignait affreusement la mort, les ricanements de hyène à la sonorité horrifique de Blueman alimentant toujours plus son angoisse abyssale. Seigneur, qu'allait-il advenir de son âme s'il finissait assassiné par des malades de leur espèce ?
Finalement, l'Oiseau de Paradis ordonna à son sous-fifre de relâcher sa proie, ce qu'il fit d'une mine emplie de déception. Le maire, étalé par terre, reprit laborieusement son souffle et leva son visage livide et ruisselant de sueur vers ses impitoyables maîtres, en quête d'une explication à leur cruauté gratuite.
"P-Pourquoi vous v-voulez tant voir cette fi-fille ?" se risqua-t-il à leur demander.
"Que vous a-t-elle fait ?""Tu veux savoir ?" grinça Reagan, un sifflement ophidien perceptible dans sa voix.
"Je la soupçonne de m'avoir abandonné lors d'une mission périlleuse et à cause de ça, je me suis fait défigurer et envoyer sur un lit d'hôpital ! J'en étais réduit à me faire torcher par des tocards et à pisser dans des bouteilles, vous vous rendez compte ?! Moi, l'homme le plus beau de tout Death Queen Island, ai subi la plus honteuse des humiliations, et jamais je ne le pardonnerai !"Ses globes oculaires étaient injectés de sang et exorbités, l’affublant d'une expression faciale immonde et ce malgré les bandages qui dissimulaient son apparence physique. Comme il était loin d'en avoir terminé avec le politicien, l'Américain vociféra à son laquais :
"BLUEMAN ! MONTRE-LUI DONC MON VISAGE !"Saisi d'une certaine appréhension devant cette requête, l'intéressé déglutit avant de se décider à s'exécuter. Après avoir déroulé les bandelettes qui cachaient le sujet de leur attention, il révéla ainsi au maire la figure couturée de cicatrices, contusionnée et gonflée de son chef : ce visage était le témoin du supplice atroce qui lui avait été infligé par le Rédempteur ainsi que le symbole hideux de sa haine. Bien qu'il ne s'agissait guère de sympathie, l'élu municipal ne put que reconnaître la gravité du massacre et porta sa main à la bouche tant le spectacle était répugnant.
"Ces plaies guériront un jour, mais je n'ai pas l'intention d'oublier cette douleur tant que je n'aurais pas obtenu confirmation et réparation pour l'outrage dont j'ai été victime !" vitupéra Reagan.
"C'est pourquoi je dois absolument rencontrer Olivia pour mettre cette affaire au clair !""Je c-comprends..." bafouilla misérablement le maire.
"M-Mais je ne p-peux rien faire a-afin de vous aider mon-monsieur...""Oh si, vous le pouvez... Il vous suffit de faire circuler ce simple message à nos contacts spéciaux d'Hawaï, de Sicile et de New York : si Olivia ne se pointe pas fissa à ma rencontre, je retourne à Death Queen Island et je pends à un gibet la morveuse qu'elle a remboursée avant qu'on parte en mission !""Quoi ?! Mais c'est monstrueux !""Ne discutez pas ! Ou bien désirez-vous finir au bout d'une corde ?""N-Non ! Mais... et si Olivia n'est pas coupable et que vous avez assassiné la gamine, qu'allez-vous faire ?"L'Oiseau de Paradis orienta sa tête vers Blueman et le fixa longuement, ce dernier lui retournant son regard insistant. Soudainement, les deux scélérats se mirent à rigoler de façon inquiétante, comme s'ils avaient entendu une blague à la fois de mauvais goût et hilarante. Il s'avérait hélas que c'était eux qui avaient de l'humour noir en réserve, tel que le prouva la réplique du renégat momifié :
"Monsieur le maire, vous savez comment nous appelons un civil de Death Queen Island par chez nous ?""Euh... non ?" hésita son vis-à-vis.
"Du bétail, pardi ! Si cette morveuse n'arrive pas à supporter qu'on sacrifie quelques animaux, comment veut-elle faire le poids dans le métier ?"Le politicien était profondément affligé par cette réponse, d'une ignominie sans nom et dénué de la moindre once de respect pour la vie humaine. Néanmoins, il s'efforça par une interrogation de poursuivre la conversation afin d'essayer de déblayer ne serait-ce qu'une modeste trace de rationalité chez ce chien enragé :
"Et si elle est tout bêtement morte ou disparue ?""Tant pis, ça fera une esclave en moins sur l'île, pas de quoi en faire un fromage." rétorqua nonchalamment Reagan.
"Ah nan, j'proteste patron !" s'insurgea Blueman.
"J'suis sûr qu'on peut s'cuisiner toute une bonne barbaque, surtout avec la viande de la p'tite fi-""Du calme Blueman, nous ne sommes pas là pour déconner non plus."Le punk voulut durant un instant corriger son employeur sur cette remarque, mais il préféra plutôt s'abstenir et rester en retrait. Quant à l'élu municipal, il n'arrivait pas à enregistrer dans son cerveau malmené toutes les insanités qui avaient été proférées par ses deux sinistres invités. C'était donc cela, la véritable nature de la Chevalerie Noire ? Il avait joué aux braves lors de la conquête de sa ville par la Heaven Inc., sauf qu'il ne s'était pas attendu à l'existence de tarés pareils ! Qu'elle arrogance que de s'imaginer nouer un partenariat équitable avec des surhommes à la moralité ô combien trop flexible... L'avenir était plus qu'incertain pour Johannesburg et le maire n'avait aucune idée de s'il devait coopérer ou non.