Enfin seule, la jeune femme prit le temps de constater les séquelles de l’affrontement avec Reagan. « J’y suis peut-être allée un peu fort » songea-t-elle. Elle s’orienta vers les quartiers de détente, fort heureusement préservés. Le personnel du restaurant s’affairait, malgré la très faible fréquentation, la chaleur étouffante certainement.

Eurydice commanda un jus de pamplemousse frais à un jeune serveur qui faillit lâcher un plateau en la voyant entrer dans la grande salle. « Ne vous inquiétez, je n’ai pas prévu de faire exploser quoi que ce soit aujourd’hui. » dit-elle enjouée, essayant de détendre l’atmosphère. « Je prendrai le jus en terrasse, merci. »

La jolie guerrière profita des quelques minutes nécessaires à la confection du jus pour se rendre dans le vestiaire réservé aux femmes et se changer. Elle quitta sa tunique de lin pour un maillot de bain deux pièces élégant et sensuel accompagné d’une paire de sandales compensées. Ainsi vêtue, elle quitta les vestiaires pour rejoindre les transats, elle remarqua qu’elle ne serait, malheureusement, pas seule pour profiter de la terrasse. En effet, un jeune homme semblait profiter du calme et du soleil. Eurydice s’installa à quelques transats de lui et on lui rapporta presque immédiatement sa commande.

Avant de déguster le jus frais, elle s’appliqua un lait solaire haute protection sur les zones non couvertes de son corps (c’est-à-dire à peu près l’ensemble de ce dernier). Une fois l’application terminée, elle dévisagea le jeune homme un peu plus loin. Le teint mat, taille moyenne, une crinière blonde (presque d’or) très attirante et il avait environ son âge. Trop vieux pour être un apprenti, de toutes façons ils avaient tous été transférés dans les établissements secondaires de la Palestre suite à son combat contre Bradley Reagan.

-« Excusez-moi ? Pourriez-vous m’en mettre un peu dans le dos ? » lui demanda-t-elle en lui présentant le lait solaire. Elle joignit le geste à la parole en se plaçant dos à lui et détacha la partie supérieure de son maillot tout en le retenant contre sa poitrine. Eurydice lui présentait ainsi un magnifique dos nu, un instant particulièrement séduisant.

Azir avait les mains douces et il mettait du cœur à l’ouvrage, comment aurait-il pu en être autrement ? Eurydice savoura ces précieux instants, appréciant le respect de la bienséance scrupuleusement observé par son frère d’arme. Azir lui proposa un massage, elle resta interdite durant quelques secondes avant d’accepter.
« Pourquoi pas » prononça-t-elle, mutine. La jeune femme utilisa ses capacités psycho-kinétiques et abaissa le transat à l’horizontal avant de s’y installer sur le ventre, toujours en prenant soin de cacher sa poitrine.

Tandis que le Chevalier d’Or du Lion commençait à masser son dos endolori, la jeune femme continua la conversation. « Je suis démasquée et vous avez déjà rencontré ma sœur jumelle, je n’ai plus guère de secrets pour vous… » Eurydice commençait doucement à se détendre. Les yeux fermés, elle essayait de se concentrer sur le moment présent, de savourer ces quelques instants.

-« Si j’ai bien compris c’est à moi de deviner ? Si j’en crois les quelques rapports, un jeune homme à la chevelure d’or, aux yeux d’améthystes et relativement séduisant… Azir du Lion n’est-ce pas ? »

Elle n’avait pas forcement fait le rapprochement lorsqu’elle l’avait aperçu en arrivant, mais, elle avait corrigé cette omission lorsqu’il avait ôté son t-shirt. Azir possédait un physique athlétique sans trop en faire, un corps agréable à observer à mille lieues des horreurs aperçues lors de l’affrontement avec Reagan. Elle se garda toutefois de mentionner cet évènement récent, elle imaginait combien ce devait être difficile pour un Chevalier d’Or de vivre avec une telle défaite, d’autant plus qu’Hakon l’avait affiché aux yeux du monde.

-« Dîtes-moi, comment avez-vous rencontré Cassandre ? Son retour au Sanctuaire n’est que très récent… » En tout cas, Eurydice constata que sa sœur adorée savait se placer auprès des mâles dominants des lieux.

A chaque passage du Chevalier du Lion sur son dos, ses flancs et ses reins la jeune femme ressentait une chaleur agréable. Les pointes blondes d’Azir qui, par moment, l'effleuraient lui procuraient de délicates sensations.

Alors qu’il lui contait les évènements l’ayant conduit à rencontrer sa sœur elle l’écoutait d’une oreille distraite et ne souhaitait pas que cet instant d’intimité prenne fin. Quelques minutes de calme dans le tourbillon de son existence guerrière… Quelques minutes sans être en proie à ses nombreux démons.

Mais il a fallu que la beauté de l’instant soit définitivement gâchée. Pourquoi a-t-il orienté la conversation sur ce sujet précis ? Eurydice comprenait parfaitement la douleur qu’il pouvait ressentir, les blessures qu’il devait endurer. Avant qu’il ne puisse atteindre ses cuisses, la jeune femme se redressa et replaça la pièce supérieure de son maillot.

-« Je n’ai jamais voulu cela… Lorsque nous avons appris pour votre défaite, nous étions plusieurs Chevaliers d’Or, j’ai choisi de poursuivre Bradley Reagan et je comptais le faire discrètement. » Eurydice saisit son jus de fruit et avala plusieurs gorgée avant de reprendre le fil de ses explications. «… Comme vous j’ai été mise devant le fait accompli. L’affrontement télévisuel a été organisé sans mon accord, je n’ai jamais voulu de tout cela. » sans y prêter attention, Eurydice avait passée une main dans le dos du jeune guerrier. « J’imagine la douleur que vous avez dû ressentir. ».

Eurydice accentua ses caresses sur les épaules du guerrier avant de saisir sa main droite pour la placer à l’horizontale paume en supination. Elle passa son index à plusieurs reprises au centre de la main du guerrier. « Quant à Reagan, parfois certains problèmes nécessitent des solutions différentes… ». Alors qu’elle parlait un petit lion flamboyant s’agitait au cœur de la main d’Azir.

-« Lorsque deux forces similaires s’opposent c’est la première qui plie qui est vaincue. » La jeune femme saisit l’illusion entre ses doigts et la lança un peu plus loin. Avant de toucher le sol cette dernière prit une taille réelle. Il s’agissait d’un jeune lion couvert de flammes, mais dont la crinière n’était pas encore totalement développée.

-« D’après ce que j’ai lu de votre affrontement, vous fondez votre art sur la force cosmique que vous êtes capable de déployer. Hier vous avez plié, mais demain vous gagnerez. Il vous faut simplement du temps ».

Le lion s’approcha lentement des deux guerriers, au fur et à mesure de son avancée il vieillissait. Sa crinière de flammes s’épaississait et son pelage se teintait d’or. Il se planta devant le gardien de la cinquième prison et le fixa intensément. Hormis les flammes qui parcouraient son corps, l’illusion était criante de réalisme.

-« Ne précipitez pas les évènements, portez haut cette fierté que vous essayez de masquer et vous ferez honneur à vos prédécesseurs. Vous deviendrez un grand chevalier, Azir du Lion. ».

L’air avenant d’Eurydice quitta son visage lorsque son frère d’arme se livra sur ses sentiments profonds, ses désirs et sa vision chevaleresque de leur situation. Un optimiste, un homme qui voulait garder la tête haute et les mains propres. Eurydice détestait ce genre de pensées. Ces idéalistes imaginaient pouvoir venir à bout des forces menaçant l’humanité à coups de bons sentiments…

-« Pour que des gens comme vous conservent les mains propres d’autres sont obligées de les plonger dans la crasse. » répondit-elle avec un mépris quasi-palpable. « Si l’on ne m’en avait pas vivement dissuadé, Reagan et le guignol qui lui sert d’acolyte, seraient morts tous les deux. Je regrette encore de les avoir épargnés. Vous savez, vos ennemis n’auront pas votre grandeur d’âme. »

La jeune femme termina son jus de fruit et fit signe au serveur de venir lui en apporter un second. « A penser ainsi vous ne gagnerez qu’à vous faire tuer bêtement. »

Tandis qu’Eurydice allait poursuivre son argumentation, les deux guerriers furent interrompus par un nouveau venu. Le responsable de ce petit établissement en personne apportait la nouvelle commande d’Eurydice.

-« Mon Seigneur » dit-il en s’inclinant devant Azir avant de se tourner vers Eurydice. « Ma Dame, je souhaitais vous entretenir d’un petit problème. » Le responsable déglutit péniblement et repris. « Votre prédécesseur avait, en notre établissement, ce que nous pourrions appeler une ardoise. Depuis que cet établissement est devenu payant pour les chevaliers, afin de financer les consommations des apprentis, la plupart d’entre eux inscrivent la note sur leur frais de fonctionnement. Mais le Seigneur Gareth, et c’est tout à son honneur, souhaitait régler directement ses consommations, malheureusement… »

-« C’est bon, j’ai compris » coupa la jeune femme. « Je vais éponger l’ardoise, ce n’est pas comme si c’était la première fois. Indiquez-moi le montant. »

Cette situation rappelait à la jeune femme d’agréables moments passés en compagnie de sa sœur et de leur ancien Maître, quand bien même ce dernier se débrouillait toujours pour ne pas régler l’addition lorsqu’ils dinaient tous les trois à l’extérieur. Pour ça, il redoublait d’imagination, Cassandre et elle avaient fini par créer une caisse commune pour financer les dites sorties.

Le responsable sortit Eurydice de sa rêverie en lui tendant un papier plié. « J’ai pris soin de noter le montant, le détail pourra vous être transmis si vous le souhaitez… Et il est possible de mettre en place un échéancier… ».

-«Un échéancier ? Allons bon ce ne doit pas être si terrible et puis… » La jeune femme resta interdite une fois le papier déplié… Ses mains tremblaient, un rictus effrayant déformait son adorable visage… Cette situation gênante dura une bonne minute. « Alcools, 14 786 euros… Comment peut-on dépenser 14 786 euros en alcools dans une école ?! Vous ne pouviez pas stopper ?! Lui demander de régler son ardoise ?! ».

Le responsable recula d’un pas devant la colère noire qui agitait la jeune femme et tenta maladroitement de se justifier : « le seigneur Gareth avait d’excellents goûts, régulièrement il nous demandait de lui envoyer de grands crus français ou autre rhums d’exception… Un homme de sa qualité devait être très occupé c’est pourquoi nous allongions régulièrement sa note. Malheureusement sa disparition soudaine, que nous pleurons chaque jour soyez-en certaine, nous a privé de sa grande probité. »

Deux solutions, soit le responsable se moquait ouvertement d’elle, soit il croyait réellement au tissu d’âneries qu’il débitait… Dépitée, la jeune femme traça un cercle dimensionnel sur le transat et en tira un lingot d’or qu’elle remit au responsable : « … ça devrait couvrir la note et mes prochaines consommations, dégagez de ma vue ! » Le responsable ne se fit pas prier.

« Agissez comme vous le souhaitez… Nous vous offrirons alors de belles funérailles. » Répondit-elle aux dernières paroles de son confrère.

Confrère qui, au fil de la conversation, gagnait en épaisseur, le lionceau avait donc des crocs. Eurydice lui dédia un sourire enjôleur et termina lentement sa seconde commande. Le temps était venu pour elle de quitter les lieux.

-« Gardez-donc cette hargne, cette colère et servez-vous en… Utilisez l’humiliation que vous a fait subir Bradley Reagan pour remonter la pente. Ne contrôlez pas vos émotions, libérez les et les ennemis du sanctuaire trembleront devant votre puissance. » Suggéra la belle Eurydice à son compagnon d’arme.

C’est en libérant sa colère qu’elle avait transformé Reagan en fétu de paille. Les instructeurs de la Palestre enseignaient aux apprentis à contrôler leurs émotions, à ne pas se laisser gagner par la colère, la haine et l’ensemble des sentiments qui permettent aux éveillés de dépasser leur condition. Eurydice l’avait compris il y a bien longtemps, pour devenir un chevalier exceptionnel les moyens utilisés devaient l’être tout autant.

-« C’est la force qui maintiendra notre suprématie militaire sur les différentes factions divines. » Précisa-t-elle en rassemblant ses différentes affaires. « Quant aux illusions, il est parfois délicat de différencier ce qui réel de ce qui ne l’est pas. »

Le lion disparut et le corps d’Eurydice s’évapora lentement, laissant sur place son frère d’arme et un tenancier persuadé d’avoir été payé. Eurydice, elle, se trouvait déjà loin.