Les alchimistes profitèrent de la première partie du voyage pour lui faire un petit topo, sans toutefois révéler davantage d’informations que nécessaire. Malgré les dires de la géante, elle restait toujours une étrangère et ils ne lui faisaient pas encore totalement confiance.

Comme elle le craignait, il ne fallait pas s’attendre à ce que d’autres combattants éveillés prennent leur parti. Cette absence de renforts était cependant contrebalancée par une bonne nouvelle : selon les renseignements des forgerons, Reagan non plus n’avait pas réussi à rallier d’utilisateurs de cosmos à sa bannière. Ou du moins aucun suffisamment puissant pour pouvoir sérieusement prétendre à une armure noire, ce qui était une chose très différente. Même des éveillés de seconde zone pouvaient poser problème s’ils étaient assez nombreux, motivés, ingénieux ou simplement en possession du bon pouvoir.

Une fois le briefing achevé, l’attente débuta. Dakota et le dénommé Lou, clairement préoccupés par leurs propres problèmes, parlaient essentiellement entre eux en laissant l’asiatique à l’écart. Elle s’efforça tout de même de prêter attention à leurs propos – leurs problèmes risquant fort de devenir ses problèmes – sans pour autant faire preuve de curiosité malvenue. Elle s’occupa d’abord en passant en revue les affaires qu’elle avait soigneusement entassées – argent, livres et vêtements bien sûr mais aussi armes, munitions, explosifs, médicaments, matériel médical, électronique et autres outils divers et variés –, s’attirant des regards plus que circonspects de la part des autres passagers de l’appareil. Elle expliqua qu’elle aimait être toujours prête à tout et qu’elle en avait fait l’acquisition au marché noir, ce qui était strictement vrai. Elle n’avait pas pu emporter son équipement habituel, il lui avait donc fallu se fournir ailleurs en matériel plus conventionnel. Puis elle passa le reste du voyage le nez plongé dans un épais volume sur la confection de bombes artisanales, ce qui ne fit que rendre l’ambiance encore plus étrange.

Enfin, après plusieurs heures de vol, la voix du pilote retentit en leur indiquant que leur avion était en phase de descente. Ils ne se poseraient pas directement sur Death Queen Island ni ne survoleraient l’Île – dommage, mais Zhihao aurait d’autres occasions de mémoriser sa topographie depuis les airs – ; à la place, leur aéronef se dirigeait vers une piste d’atterrissage de fortune en plein milieu de l’océan. L’éveillée put voir de son hublot un ouvrage court et étroit, une bande d’asphalte inégale flanquée d’une tour de contrôle rudimentaire occupant toute la longueur d’un îlot d’origine clairement artificielle. Les autochtones avaient dû jeter des milliers de tonnes de roche à l’eau là où un récif affleurait à la surface, tout ça pour créer ce site protégé des cendres crachées par le volcan surplombant la patrie de l’Ordre Noir par les vents dominants de la région. Quant à ceux qui tenteraient d’approcher l’Île via un autre couloir aérien… les réacteurs de leur appareil ne tarderaient pas à s’encrasser puis à s’arrêter, envoyant les imprudents s’écraser en mer.

Le petit groupe passa rapidement de l’avion à un bateau qui servait de navette entre cet endroit et la terre des Chevaliers Noirs proprement dite. Celle-ci se dessina vite à l’horizon, étendue de roche noire inhospitalière au milieu des flots, écrasée par la masse d’une montagne couronnée de feu et de fumée. La chinoise put voir les rivières de lave en fusion qui se jetaient dans une onde bouillonnante tandis que leur embarcation contournait le volcan en se frayant un chemin parmi des écueils invisibles. Impressionnant spectacle qui lui rappelait de mauvais souvenirs de Goma, mais les deux alchimistes devaient être blasés depuis le temps. Ce ne fut que lorsque le navire s’engagea dans l’anse abritant l’unique port de l’Île qu’ils réagirent en voyant un attroupement autour du quai… ou plutôt deux attroupements qui se faisaient face, réalisa l’éveillée en y regardant mieux.

« Ça y est, c’est déjà les ennuis qui commencent... » maugréa la dure à cuire.

« Tu peux pas savoir si c’est pour nous. » répliqua l’ancêtre, de façon purement rhétorique. On voyait de suite qu’il n’en pensait pas un mot.

« Avec notre veine... »

« Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, on prend l’initiative ou on attend de voir ? Je peux vous couvrir pendant que vous mettez les voiles pour rejoindre vos collègues, si vous voulez. »

« Dépend de ce que tu entends par « couvrir »... »

« Rien de drastique, je vous rassure de suite. »

Elle savait que ce ne serait pas une bonne idée de jouer les cow-boys dès son premier jour, ce n’était plus un concours contre un autre candidat à une armure noire. Death Queen Island renfermait certainement pléthore d’éveillés capables de l’atomiser avec leur petit doigt pour peu qu’elle agace la mauvaise personne ; il lui faudrait donc éviter de faire trop de vagues. Son engagement aux côtés des forgerons était déjà un pari extrêmement risqué avec le peu d’informations qu’elle possédait.

Ils n’avaient plus beaucoup de temps pour se décider : leur moyen de transport se rapprochait du quai, et ils commençaient à mieux voir leur comité d’accueil. Il y avait là une bande de jeunes gens qui lui rappelaient désagréablement ceux rencontrés plus tôt à Johannesburg, hélant les passagers du navire en réclamant des nouvelles d’un dénommé Hugo. Si c’était bien ce qu’elle croyait, Zhihao se doutait qu’ils n’apprécieraient guère de recevoir la réponse à leurs questions. Quant au second groupe… il semblait principalement composé de cousins du désormais célèbre Blueman, elle ne voyait pas comment décrire la chose autrement. De grands gaillards musculeux aux mines patibulaires – pour ceux dont elle arrivait à voir le visage –, aux coiffures et maquillages fantaisistes couvrant toutes les teintes de l’arc-en-ciel et plus encore, souvent vêtus d’improbables ensembles de cuir clouté et passablement énervés.

« Ok, là ça commence à faire beaucoup... »

Après avoir arraché le plus d’informations possible à leur nouvelle « amie » sur sa personne, Dakota et Lou passèrent la majorité du voyage à discuter entre eux à voix basse, usant même de leurs connaissances en langage des signes pour communiquer lorsqu’il s’agissait de sujets trop confidentiels. Il y avait probablement des caméras et micros dans l’avion, ce n’était donc pas à eux de rapporter toutes leurs trouvailles, ils pouvaient donc se concentrer sur leurs propres problèmes, et ils en avaient plein les bras de ça… Il n’y aurait pas assez de Zhihao pour retenir tout le comité d’accueil, qui était non seulement composé des proches de l’autre candidat à l’armure tabassé par la Chinoise, mais aussi des « collègues » de Blueman, très certainement les derniers à travailler pour Reagan sur l’Île. Et personne ne semblait heureux de les revoir…

-Reste avec Dakota, les amis d’Hugo devraient pas être trop compliqués à convaincre de nous laisser tranquille s’ils vous embêtent. Je m’occupe de la parade gay, ça devrait vous laisser le temps de partir devant.

Même si le fait de ne pas revoir leur ami allait sans doute les énerver, le combat s’était déroulé dans les règles, et ils n’avaient simplement pas à se plaindre si leur « favori » avait perdu. Les péons de Reagan, par contre, suivaient encore les ordres de leur maître déchu : s’ils ne pouvaient pas savoir quel rôle les alchimistes avaient joué dans sa situation actuelle, ils avaient apparemment appris qu’ils s’étaient interposé dans les projets de cruauté de l’Oiseau du Paradis, et leur petit chef avait beau être intouchable, ses employés ne l’étaient pas. La façon parfaite de lui passer un message…

Quand les mercenaires descendirent du bateau, Dakota se dépêcha de filer, accompagnée de Zhihao, mais fut rapidement interceptée par la bande de Hugo. De son côté, Lou laissa un des punks s’approcher, un véritable clône de Blueman peinturé de vert, s’approcher de lui et le toiser de haut, sans pour autant être intimidé.

-Tiens, si c’est pas le vieux du Lab des intellos! Ça faisait longtemps qu’on t’avait pas vu.

-Ouais, ouais… qu’est-ce que vous voulez?

-On a entendu des vilaines rumeurs sur vous… Comme quoi vous avez aidé une mioche à s’échapper de l’Île alors que l’patron a interdit à tout le monde de l’aider.

-Peut-être? Qu’est-ce que votre patron vous a dit de faire si ça arrivait?

Le punk vert sourit de plus belle et voulut répondre, mais le vieillard fut plus rapide en lui délivrant une autre information choc :

-Parce que pendant ce temps-là, mon patron est en train de secourir ton patron et votre pote bleu. Ça me semble pas très futé de s’attaquer à nous alors que vous nous en devez une.

-Personne en a rien à foutre et tu le sais.

-Pas moi. Je sais pas ce que tu t’imagine mais Ntikuma ne travaille pas gratuitement, alors dégage si tu veux pas perdre la seule raison que t’as encore une vie sur cette île.

…

-Dakota, c’est qui elle? Où est Hugo?

-Euh… Encore à Johannesburg. À l’hôpital, sans doute.

-Alors il a… Tu as vraiment du culot de te pointer ici avec elle, si c’est le cas!

Le gang était déjà prêt à en venir aux mains pour exprimer son mécontentement et Dakota voulu s’interposer pour calmer le jeu, mais se ravisa à la dernière seconde. Elle n’était pas là pour couver Zhihao, seulement pour la guider alors qu’elle se devait de faire ses preuves. Et quoi de mieux pour y arriver que de fermer le clapet à tout le monde, ici et maintenant?

-Zhihao ici présente a battu votre ami pour récupérer une armure noire, comme lui, et c’est elle qui a gagné. Ça vous plait pas? C’est maintenant ou jamais qu’il faut le dire, parce qu’après vous allez être pris à lui obéir pour un bon bout de temps.

Quelques uns des voyous se dévisagèrent avec incertitudes, puis les plus vieux s’avancèrent pour encercler les deux femmes, couteaux et autres armes improvisées en main. Pas qu’ils s’intéressaient à la femme forgeron : leur ami et possible bienfaiteur s’il devait monter en grade était peut-être KO pour l’instant, mais ils n’avaient aucun intérêt à bosser pour cette rivale qu’ils ne connaissaient même pas. Sécuriser leur meilleur scénario était peut-être impossible, mais si c’était ce que ça prenait pour se faire entendre, soit.

« À peine descendus du bateau et nous voilà déjà encerclés et divisés, ça promet. » observa l’électrokinésiste. Elle espérait que Lou savait ce qu’il faisait, parce que cette bande de punks semblait tout sauf raisonnable et qu’elle aurait du mal à voler au secours du vieillard, occupée qu’elle était de son côté. Ses propres lascars – beaucoup trop près et trop nombreux à son goût, et si bruyants qu’ils l’empêchaient d’entendre la conversation du forgeron et du géant vert – confirmaient ses craintes : il s’agissait bel et bien d’associés de son adversaire malheureux. Et les paroles de Dakota ne faisaient rien pour les apaiser : il était clair qu’ils ne se contenteraient pas de cris et d’injures pour exprimer leur insatisfaction comme elle les y encourageait.

Était-ce un nouveau test ? Probablement, mais si c’était le cas l’alchimiste risquait d’être déçue : à Johannesburg, Zhihao avait commis l’erreur de dévoiler une partie de son arsenal face à des ennemis qui pourraient revenir lui causer des ennuis plus tard. Elle ne comptait pas en révéler davantage, même si ces types avaient grand besoin d’un vigoureux ajustement d’attitude. Sans blague, ils lui reprochaient de se pointer devant eux alors qu’ils étaient venus accueillir leur camarade ? Et par où était-elle censée passer alors ? Le port n’était-il pas le seul point d’entrée de l’Île ?

Enfin, se concentrer là-dessus ne servait à rien ; il y avait plus urgent, comme par exemple le reste des propos de Dakota. La chinoise se demanda si elle avait bien entendu : prendre ces gens sous ses ordres, et puis quoi encore ? Elle ne savait pas si c’était la coutume ici pour un vainqueur de se mettre à commander un vaincu et ses subalternes, mais elle n’était pas venue à Death Queen Island pour prendre la tête d’une quelconque clique, ou du moins pas dans l’immédiat. Quand bien même ce serait le cas, elle ne choisirait certainement pas de s’embarrasser de sbires à la loyauté plus que douteuse, encore moins quand elle ignorait également si leurs capacités et leurs personnalités valaient la peine de chercher à gagner ladite loyauté. Mieux valait être seule que mal entourée.

« Bon, on se calme. » fit-elle lorsque les autochtones les plus audacieux commencèrent à avancer en brandissant leurs armes. Sa posture ne dégageait aucune agressivité superflue, mais elle n’était nullement intimidée. « Je n’ai aucune intention de remplacer votre ami, et il pourra toujours retenter sa chance plus tard. Avec sa force, je suis sûre qu’il y arrivera la prochaine fois ; si vous savez quelle armure il convoite, dites-le moi et je m’assurerai d’en prendre une autre. Maintenant laissez-nous tranquilles et nous en ferons de même. Si vous voulez venger votre chef, rappelez-vous que c’est moi qui l’ai battu et demandez-vous si c’est vraiment une bonne idée. »

Il y avait mieux en matière de diplomatie, mais elle ne pouvait pas se montrer beaucoup plus conciliante. Des excuses sonneraient faux et pourraient être perçues comme une marque de faiblesse, tout comme le serait une offre d’aider Hugo pour se faire pardonner. La faute au système mis en place par les mercenaires, qui faisait que la réussite des uns ne pouvait s’accomplir qu’en brisant les rêves des autres... mais était-ce vraiment une fatalité ? Non, elle se devait d'au moins essayer de leur tendre une branche d'olivier. Autrement son différend avec ces gens ne serait en rien réglé, et elle n'avait pas les moyens de les forcer à lui ficher la paix, eux et tous leurs alliés potentiels. Même si cela échouait, on ne pourrait pas l'accuser de ne pas avoir tenté d'apaiser les tensions.

« Écoutez, » fit-elle dans un soupir, « je suis désolée que ça se soit passé comme ça. Vous avez raison, c'est pas correct qu'une étrangère arrive de nulle part et prenne sous votre nez une récompense pour laquelle vous avez longtemps travaillé. Je ne vais pas abandonner l'armure, parce que ce n'est pas comme ça que ça marche et que ce serait insulter vos efforts, mais si je peux faire quelque chose pour vous en échange, dites-le. »

Qu'elle les ait réellement spoliés ou non au regard des règles de Death Queen Island n'avait au final qu'une importance secondaire. S'ils pensaient qu'elle avait une dette envers eux, elle se comporterait en conséquence... dans la mesure du raisonnable. Parce qu'il allait falloir y vivre, sur cette satanée Île, et peut-être même compter sur ses habitants ; la moindre des choses était de leur témoigner un peu de respect. Elle n'avait pas réfléchi assez loin. Maintenant, c'était le moment de commencer à bâtir sa réputation... et surtout de choisir quelle réputation ce serait.

Les punks étaient toujours là ; quelques-uns se désintéressèrent même de l'échange entre Lou et leurs confrères pour venir voir comment les choses allaient tourner du côté de la petite nouvelle. Elle n'était pas sûre d'apprécier ce qu'elle voyait dans leur regard.

C’est déjà mieux. La géante ne put contenir son soulagement en voyant les membres du gang baisser leurs armes, convaincus par les explications de Zhihao et surtout la menace qu’elle représentait : ils connaissaient peut-être leur « champion » assez pour penser avoir une chance contre lui —ils l’avaient entraîné!— mais cette nouvelle arrivante avait l’avantage de l’inconnu, et entretenir une rivalité avec elle n’était pas bon pour leur survie. Ce qui ne voulait pas dire qu’ils ne tenteraient pas de la cerner un peu mieux…

-Bordel… On voit que tu vises pas pour être Seigneur Noir, toi. Même, si t’es pas là pour une armure en particulier ou juste pour chercher la bagarre, je suis même pas sûre qu’est-ce que tu fous là.

Dakota haussa un sourcil, curieuse de voir ce que la Chinoise allait répondre. Elle n’était là que pour le boulot, ça se faisait, mais le gain pouvait ne pas toujours sembler très satisfaisant pour un mercenaire habitué au monde extérieur. Les Chevaliers Noirs s’engageaient par nécessité, la plupart du temps, et trop rarement par idéologie. Qui sait, peut-être que bientôt ils auraient la réputation nécessaire pour bien vendre leurs services…

Ils furent cependant interrompus par un sifflement de la part d’un des punks colorés, suivis d’une vague de ricanement de ses cousins. Ils n’étaient plus intéressés par Lou, et regardaient plutôt l’aspirante Black Knight avec de bien drôles de regards…

-Héééé, c’est qui votre nana? Pas une autre intello pour votre planque quand même!

-Zhihao. Future Chevalier Noir, alors surveillez-vous.

-Zhi… Zhi… putain vous aviez pas assez d’un Chinois? Bof, c’est votre truc…

Le vieillard resta de marbre, et adressa la parole aux deux femmes sans même se retourner.

-Allez chercher l’armure. J’ai quelques problèmes à régler.

Dakota saisit tout de suite ce que son collègue voulait vraiment dire, aller chercher Jerry en même temps que l’armure. La mine sombre, la géante saisit la Chinoise par le bras et l’aider à se frayer un chemin au travers de la foule, les gens s’écartant rapidement en les voyant approcher. Lou pouvait se débrouiller ; si elles voulaient l’aider, elles auraient besoin de plus que de la puissance cosmique.

Comme quoi la parlotte avait du bon, parfois : les compagnons d’Hugo s’étaient à peu près calmés, leur colère atténuée par un mélange de circonspection et d’incompréhension. Le comportement de la chinoise était-il vraiment si surprenant ? Ils se méprenaient cependant sur ses raisons, sa volonté de s’épargner un combat de plus n’avait rien à voir avec un quelconque manque d’ambition. Brutaliser une poignée de gangsters dont elle n’entendrait plus jamais parler en guise de prélude à l’annihilation de leur organisation était une chose ; se faire des ennemis parmi ses futurs « collègues », une erreur qui pourrait lui coller aux basques pendant des années, en était une autre. Elle ne réitérerait pas une telle négligence.

Le porte-parole des autochtones ne s’était pas trompé sur le fait que le titre de Seigneur Noir n’avait aucun attrait pour elle, par contre. Elle était bien consciente de ne pas avoir les capacités pour y prétendre, tenter le coup ne ferait qu’attirer l’attention et même dans l’éventualité hautement improbable où elle y parviendrait – ce qui nécessiterait d’abord d’éliminer le précédent occupant du poste, tout sauf une mince affaire – ses ennuis ne feraient que commencer… Parce qu’en supposant qu’elle y arrive, il lui faudrait alors faire de la politique. L’horreur absolue.

« Je suis là parce que j’ai envie de me mettre à mon compte… ou à défaut, de changer d’employeur. » expliqua-t-elle finalement, récitant l’histoire qu’elle avait passé des semaines à mémoriser. « J’ai la chance d’avoir un pouvoir que d’autres n’ont pas, je veux voir jusqu’où je peux aller avec, et ça ne risquait pas d’arriver en restant au service d’un groupe de contrebandiers à la petite semaine. Ça ne veut pas dire pour autant que je vais foncer tête baissée dans les problèmes, je ne suis pas suicidaire. »

Les deux femmes n’eurent hélas pas le temps d’entendre ce que leurs interlocuteurs pensaient de l’exposé de ses prétendus motifs, car les laquais de Reagan se faisaient plus insistants. L’allusion que l’un d’entre eux fit à la présence d’un compatriote de l’électrokinésiste parmi les forgerons piqua vaguement son intérêt mais elle n’eut pas le temps d’en apprendre plus, puisque Lou leur enjoignait de partir immédiatement. L’asiatique n’aimait pas le laisser derrière, cependant Dakota prit aussitôt et une fois de plus les devants sans lui laisser le temps de protester.

La bande à Hugo s’écarta pour les laisser passer puis resserra les rangs. Incapables de contourner rapidement la masse humaine bloquant le quai, les punks les plus entreprenants ne purent que les gratifier d’un concert de sifflets et de provocations avant de se retourner vers le vieillard.

« Il a des tripes votre collègue, on peut pas dire le contraire. Vous êtes sûre que ça va aller pour lui ? » interrogea Zhihao tandis qu’elles émergeaient du quartier portuaire, s’éloignaient des commerces et des habitations – ou ce qui passait pour tels sur Death Queen Island – pour s’engager dans un paysage de roche noire dénudée. Si la géante ressentait le moindre doute, elle n’en laissait rien transparaître.

« Ces crétins oseront pas le toucher. Sans leur maître pour les protéger, ils ont que de la gueule. Ça passerait peut-être s’ils s’en prenaient à un civil ordinaire, mais un alchimiste ? » répliqua la dure à cuire, non sans une note d’amertume dans la voix lorsqu’elle prononça la dernière phrase.

Effectivement, s’ils savaient ce qui était bon pour eux, ils battraient en retraite. C’était d’autant plus vrai que ceux qui n’appréciaient pas l’attention que l’Oiseau de Paradis avait attiré sur l’Ordre Noir ne devaient attendre qu’un prétexte pour faire disparaître ses suivants ; loin de leur garantir l’impunité, leur association avec le culturiste était devenue une malédiction. N’empêche…

« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » fit la chinoise. Mais elle ne convaincrait pas la géante, mieux valait changer de sujet. « On va où comme ça, sinon ? »

« À la Caserne, c’est là qu’on garde les armures. Plus vite on y sera, plus vite on pourra remettre ces idiots à leur place. »