Rentrée de Cuba la jeune femme se prélassait sur son canapé… Elle l’avait orienté de telle manière à pouvoir profiter d’une brise rafraichissante lors des fortes chaleurs méditerranéennes. Pour l’heure elle n’avait toujours pas rédigé son rapport sur les évènements de La Havane, ni même prêté attention aux demandes des autorités états-uniennes quant aux lingots d’or qu’elle utilisait pour payer ses dettes.

Non, aujourd’hui Eurydice profitait d’une journée de repos bien méritée en dégustant un jus de fruit frais dans lequel elle avait versé un trait de rhum blanc agricole (une fois n’est pas coutume). Elle profitait également de l’instant pour faire un point sur ses premiers mois en tant que chevalier d’or et, si son image avait été grandement modifiée, elle appréciait d’apparaître comme une guerrière implacable. Dans un univers ou la présence féminine est parfois sujette aux quolibets, Eurydice s’était imposée de la meilleure des manières. Dorénavant aucun chevalier masculin n’osera mettre en doute sa suprématie martiale. L’honneur des Gémeaux est sauf.

Alors qu’elle portait une nouvelle fois le verre à ses lèvres, une ombre noire, immense, fondit sur elle. Surprise, Eurydice poussa un cri d’effroi et renversa son verre sur sa jolie tunique blanche. Se jetant à terre la guerrière saisit un oreiller et frappa l’ombre de toutes ses forces. C’est à ce moment qu’elle constata que l’ombre était le corbeau qu’utilisait Skärn pour transmettre ses messages. Loin de se laisser abattre par cette saloperie géante, Eurydice empoigna son oreiller et s’élança en direction de l’oiseau de malheur, ce dernier en fit de même. Une fraction de seconde avant l’inévitable contact, Eurydice disparut dans une autre dimension pour réapparaitre au-dessus du corbeau qu’elle plaqua au sol. La bête, bien plus large qu’elle, poussait des croassements stridents en essayant de se libérer de l’étreinte d’Eurydice, laquelle l’assomma d’un coup bien senti sur le bec.

-« Ils connaissent pas les sms ? Putain de nordiques ! »

La jeune guerrière poussa un profond soupir en jetant un coup d’œil à sa tenue, une magnifique tunique Hermès fichue… Avant de quitter les lieux pour rapporter l’oiseau à son propriétaire, la jeune femme enfila un jean gris et un débardeur noir.

Une demi-heure plus tard Eurydice parvint à Rodorio, persuadée que Skärn (auquel elle avait donné rendez-vous) prenait du bon temps au pub du coin. Il devait vider bière sur bière en pensant à l’oiseau de malheur qu’il avait envoyé à la jolie guerrière. Une fois à l’intérieur du pub, Eurydice trouva Skärn rapidement et se porta à sa hauteur, déposant l’oiseau assommé sur la table.

-« La prochaine fois utilise un téléphone. Ne t’inquiète pas pour ton oiseau il est juste endormi. »

Eurydice tira une chaise et se plaça face à son hôte en écartant légèrement le corbeau assommé. La jeune femme tira du néant un feuille de papier et un stylo et griffonna son numéro de téléphone qu’elle tendit à l’espion.

« Tiens, autant éviter un drame futur. » lui lança-t-elle avant d’avaler une gorgée du jus de fruit. « Merci, c’est délicieux. » La jeune femme observa Skärn réveiller son corbeau et lui tendre baies et viandes. Par contre, il comptait réellement le laisser manger à table comme ça ? En Grèce au moins les animaux mangeaient par terre (quand ils n’étaient pas dans l’assiette).

« Une mèche de cheveux ? Sérieusement ? Remarque il y a quelques temps des fabricants de jouets m’ont contacté pour créer une figurine à mon effigie… Ils voulaient des photographies détaillées de mon armure pour créer une collection appelée Myth Cloth. Non mais tu imagines le ridicule ? Quel genre de tarés iraient payer pour un truc pareil ? » Eurydice saisit la mèche entre ses doigts… « C’est même pas la bonne couleur… » dit-elle avant d’y mettre le feu.

Elle avala une nouvelle gorgée et, prenant en considération la remarque du nordique, elle se pencha en direction de Skärn pour évoquer son problème à voix basse.

« Mon prédécesseur et Maître, Gareth des Gémeaux, est décédé dans des circonstances étranges… De ce que j’en sais, peu avant sa disparition il avait pris la direction de Jamir… » Le mot était lâché, elle savait qu’elle violait une bonne partie des règles internes du Sanctuaire en évoquant ce lieu à un éveillé d’une autre faction, fusse-t-elle alliée. « Il s’agit d’un lieu regroupant des chevaliers particuliers… Le Sanctuaire fait appel à leurs services lorsque nous avons besoin d’une certaine… discrétion. »

Skärn saurait exactement quel genre de discrétion évoquait Eurydice. La jolie guerrière avala une nouvelle gorgée et jeta un regard noir aux différents clients qui osaient s’aventurer à écouter ce qu’elle avait à dire.

-« Le Sanctuaire n’enquêtera pas sur la disparition de Gareth et je ne peux pas mobiliser nos ressources internes pour une telle enquête sans fournir un minimum de détails… J’ai besoin de comprendre ce qu’il s’est passé. Ton aide me serait précieuse, j’ai déjà travaillé avec toi, tu es à l’aise pour évoluer dans l’ombre. De plus, si Gareth a été tué cela pourrait devenir dangereux, j’ai donc besoin d’une personne de confiance pour protéger mes arrières. »

Elle savait qu’elle en demandait beaucoup, mais elle espérait que le nordique accepterait.