Le Seigneur Noir pousse doucement son verre du bout de l'index, observant de son regard neutre le mouvement du contenant, vide de tout liquide. Son visage, appuyé sur la paume ouverte de son autre main, semble figé dans cette contemplation. L'équilibre est précaire. Il ne faudrait pas grand chose pour que ce verre ne vienne se fracasser au sol. L'Ordre est-elle dans la même situation actuellement ? Peut-être pas. Car les choses ont été gérées, correctement. Le plus efficacement possible. Tokyo se souviendra d'avoir, encore, été la victime d'un phénomène éveillé. Mais l'Ordre reste présente. Et veille.
Malgré tout, la disparition de Takeya laisse un vide de pouvoir bien plus dérangeant que l'Assassin ne le présageait. La jeune Myra et son discours perdu, brisé, l'ont tous deux bien prouvé. Le Seigneur du Lion d'Obsidienne a marqué l'organisation par l'omniprésence de son entreprise. Et son absence ne permet pas une gestion efficace de ce qui a pu être fait.

Qu'importe ce que cette Myra a vécu. Si cela concernait les possessions du Lion Noir … Non. Il est inutile de ressassé cette histoire. Des décisions vont devoir être rapidement prises. Et des actes réalisés. Pour éviter qu'un problème comme celui-ci ne se reproduise. Avec des conséquences bien plus perturbantes. Mais un autre problème persiste. Bien plus important.

Glissant une main dans la poche de son pantalon – le Seigneur portant, finalement, une tenue assez sobre –, ses doigts viennent attraper un morceau de papier. Ayant lâché des yeux – et du doigt – le verre, son regard se concentre maintenant sur les informations géographiques. Ubar. La Discorde elle-même se trouverait en ces lieux. Une divinité qui s'intéresse de trop près aux différentes factions. Pour les pousser dans un conflit. Selon la traîtresse.

Y voir plus clair. C'est la chose la plus importante à faire, maintenant. Et c'est cette raison qui le pousse à attendre, ici. Attendre la venue d'une des rares personnes qui peut éclaircir convenablement cette situation.
Et il semble que la personne en question ne tarde pas. Car son téléphone vibre. Un message. L'Araignée est là. Il hausse un sourcil, alors qu'un léger sourire se pose sur ses lèvres. Son doigt vient pianoter sur quelques lettres. Qu'il vienne. C'est une méthode qui a fait ses preuves. Garder une certaine attention sur les allers et venues des personnes qu'il doit rencontrer. Principalement un moyen de garder une certaine attention …

Manque de confiance ? Il est rare que la murène ait une confiance particulière en l'être humain. N'est-il pas un exemple de ceci ? Mais il n'a pas confiance, surtout, en cette société – tout en l'appréciant, ne vous méprenez pas. Les duels chevaleresques n'existent plus. L'heure est à la prudence, aux mouvements attentifs et cachés. Sinueux. L'heure est à l'exploration des faiblesses. Et à l'utilisation d'armes plus précises que l'honneur, le courage, la peur du plus fort ou tout simplement le carnage – bien que cette dernière ait toujours une certaine efficacité, Reagan l'ayant prouvé par ses … grotesques mais imprévisibles prestations.

La porte s'ouvre, alors que le papier est de nouveau dans sa poche. Les jambes croisées, Noah observe Ntikuma entrer. Le Forgeron. L'Incroyable Forgeron. Un véritable tisseur. Qui mérite l'Araignée. Qui mérite peut-être plus ? Son regard intéressé posé sur lui, il montre alors d'un mouvement de main la chaise. « Je t'en prie, installe-toi. Merci pour ta rapidité … » Merci pour ta présence ? Il est rare qu'un Seigneur Noir ne rencontre pas la personne qu'il souhaite voir. Mais l'efficacité se souligne. Et le Forgeron a été rapide pour réagir à cette invitation. « Nous devons échanger, toi et moi … Et je pense que tu sais de quoi. Mais nous avons tout notre temps. » Les politesses. Les ronds de jambe. Il faut apprendre à faire cela dans son métier. Ne pas toujours aller directement ... to the point. Pas toujours facile, mais il maîtrise. « Souhaites-tu commander quelque chose ? »

Cela devait bien arriver un jour.

Le téléphone de Ntikuma ne sonnait pas souvent, et il était encore plus rare qu'il l'ait sur sa personne pour y répondre, ce qui forçait ses employés à prendre les messages à sa place et jouer les messagers. Ils pouvaient tous parier qu'il le faisait exprès, car les demandes et ordres que le petit être recevaient de ses supérieurs étaient toujours resté sans réponse de sa part, mais il n'y aurait aucun échappatoire cette fois. Les forgerons vaquaient tous à leurs occupations tranquilles, essayant d'oublier le trouble qu'avaient été les dernier jours, quand l'Araignée reçu le message. Ses yeux parcoururent les quelques mots à plusieurs reprises, testant sa mémoire, et l'emmenant doucement à réaliser que son temps de repos était terminé. Ses services étaient demandés à nouveau, et pas question de refuser cette fois.
Il connaissait ce nom. Plus que tout, il reconnaissait le rang qui y était attaché. Comme prévu, les nouvelles voyageaient vite.

Pas de grand voyage cette fois-ci. Pas de rencontres ni d'explorations. Un jet l'attendait, exactement au même endroit où il avait atterri à Death Queen Island pour la première fois, pour l’emmener à New York voir le Seigneur Noir des Poissons. Zhihao avait dû l’approcher, ou peut-être que l’information avait atterri dans les mauvaises oreilles trop tôt… un des alchimistes avait-il trop parlé? Les rumeurs suite à la disparition de Reagan avaient-elles suffisamment grandi pour être prise au sérieux par une des têtes pensantes de l’Ordre? Et surtout, que pensait la dite tête de l’implication du petit forgeron dans toute cette histoire?

Il n’y avait pas de quoi avoir peur. Nerveux était le meilleur mot.

Le voyage fut tranquille, Ntikuma passa la majorité du trajet à observer les nuages et la course accélérée du soleil, profitant de la solitude pour réfléchir et se préparer à sa prochaine rencontre. À l’arrivé, pour son plus grand bonheur, quelqu’un l’attendait avec une voiture pour le mener au point de rendez-vous, et il se glissa sur le siège arrière sans discuter et se laissa porter dans les rues de New York. Après sa dernière escapade en ville, la dernière chose qu’il voulait était de se retrouver seul parmi ces gens… Le Seigneur des Poissons se sentait-il à l’aise dans une telle métropole? Était-il comme Xing Huo, capable de se défendre contre tous les dangers? Il le fallait bien, pour survivre dans un endroit comme celui-ci…

Ou peut-être s’en tenait-il simplement aux bons endroits.

Le restaurant était des plus élégants, à la devanture surmontée seulement de son nom en grosses lumières rouges et à l’intérieur richement décoré. Pas trop bondé à ce moment de la journée, seuls quelques hommes et femmes en tenue d’affaire étaient assis au bar et le dévisagèrent avec curiosité quand il poussa la porte. Peut-être était-ce encore le temps de se faire passer pour un prince une nouvelle, avant qu’ils ne remarquent l’armure noire dans son dos… réprimant un fou rire, la silhouette rouge remarqua enfin la jeune femme qui s’approchait de lui, calepin en main, sourcils froncés.

-Vous devez être… Nti… Ntikuma? Veuillez me suivre, s’il vous plait.

Sage comme une image, l’Ashanti obéit et laissa l’hôtesse le guider vers le deuxième étage, où se trouvaient d’autres tables pour les plus gros groupes et, plus important, quelques salons séparés où des réunions plus discrètes pouvaient avoir lieu. La femme désigna une porte et prit congé, laissant à Ntikuma l’honneur de cogner et d’ouvrir doucement la porte, incapable d’annoncer sa présence autrement.

À l’intérieur l’attendait Noah des Poissons.

Installé au bout de la table comme un roi sur son trône, il le regardait comme s’il avait prédit l’heure exacte de son arrivé. Ce qui attirait le plus l’attention était sa chevelure, rose comme l’aube, mais ni cela ni ses traits plutôt paisibles ne pouvaient distraire de la puissance tranquille qui émanait de lui. Le petit être voulut le saluer, s’incliner, n’importe quoi, mais ses membres ne répondaient pas; tout ce qu’il pouvait faire, c’était fixer ce supérieur et ne pas savoir quoi faire. S’il y avait un prince dans cette pièce, ce n’était certainement pas lui.

Enfin, Noah l’invita à s’assoir et il s’empressa d’obéir, choisissant une chaise à distance raisonnable sur laquelle grimper. Ses pieds ne touchaient pas le sol, laissant au Seigneur Noir la chance de s’apercevoir que malgré la tenue un peu plus somptueuse tissée pour l’occasion, le forgeron était pieds nus. Il n’y avait rien à craindre, il semblait plutôt gentil… Ntikuma se découvrait-il un côté timide? Quand le Black Knight aux cheveux roses lui demanda s’il savait pourquoi il était là, il hocha doucement la tête, puis reporta tout de suite son attention sur le menu. Beaucoup de mots qu’il ne connaissait pas, et il écarquilla les yeux en voyant les prix. Vu ce que les restaurants de ce genre avait l’habitude de servir, comment pouvaient-ils coûter si cher?! Avec un sursaut mal contrôlé, il posa le menu sur la table en secouant la tête. Mieux valait ne pas tourner autour du pot trop longtemps et s’en tenir à l’essentiel.
Une faible lumière dorée illumina la table juste devant Noah, et des lettres calligraphiés se formèrent lentement juste sous ses yeux, jusqu’à former une simple question.

« Qui vous a parlé de moi? »

Un léger rire vient s'extraire des lèvres de Noah, alors qu'il observe certaines réactions : les plus évidentes, celles de sa silhouette. « Je vais en conclure que ce n'est pas le moment. » Il laisse tomber le menu dans son assiette. Il a pris l'habitude à ce que ce genre de choses arrivent : il voit souvent ces lieux comme des environnements de rencontre plus que de repas.
Ce qui le pousse à ne pas être dérangé par la nudité des pieds de l'artiste. Il aurait pu venir dans la tenue la plus pratique possible, cela ne l'aurait guère choqué. Les lieux que préfère Noah sont le plus souvent bien moins propre. Bien plus enclin à l'activité. À l'action. À la mise en place. Il sait se poser, certes. C'est ce qui lui permet de s'adapter. Mais les habitudes ont la vie dure.

Observer les lettres de lumière danser devant ses yeux, composer cette interrogation, arrache un sourire au Seigneur Noir. Il est parfois agréable de se pencher sur des capacités que peuvent développer certains éveillés. La création, de la plus complexe chose … à la plus simple. L'écriture est un concept qui a mis tant de temps à se développer. Qui continue d'évoluer. Et lui – ou elle … bien qu'il semble plus proche du conte que de la réalité –, d'un simple mouvement de son énergie fait naître ces lettres. Oh ! Certes. Il ne sait pas – et il se le demande – combien de temps cela a pu prendre à l'être vêtu de rouge. Mais il maîtrise son sujet. Avec une délicatesse particulière. De quoi donner des complexes à certains qui tendent encore à penser que l'Ordre n'est composé que de malandrins sans élégance.

« Cela te surprend réellement … ? » Il attrape une bouteille en verre, remplie d'eau. Certes, le masque est présent, mais il vient verser le liquide transparent dans le verre face au Forgeron. Avant de faire de même pour lui. Très peu d'alcool. Quasiment jamais. Cela ne fait jamais de bonnes choses. Les idées doivent être claires. Constamment. Un temps est réservé à l'ivresse. Et ce n'est pas celui-ci.
Peut-être devrait-il prendre le temps de se présenter ? Non. Le petit – qui est de nouveau au cœur de toute son attention – n'est pas stupide. Sa voix, calme, résonne alors de nouveau. « Death Queen Island est un cœur. Il est habituel de se tourner vers lui pour connaître son état. Et je le fais, autant que faire se peut. » Ses doigts récupèrent son verre, alors qu'il vient boire une gorgée, déviant ses yeux.

Un instant, un court instant. Car sa voix résonne à nouveau et qu'il a l'habitude de parler à ses interlocuteurs en les observant. « Alors j'entends des choses. Et je les assimile.. » Il ouvre légèrement sa main, dans un léger geste, pour accompagner la suite de ses mots. Pas de fausse identité cette fois : même Zhihao elle-même a fini par connaître son nom. Durant le voyage. « C'est ainsi que j'ai entendu plusieurs choses, à ton sujet. Car cela me semble important d'apprendre. Et de veiller. Sur l'île. » Sur son île. Plus que tout. Plus que celle des autres.

Il y est né.
Il y a vécu.
Il y est mort. Plusieurs fois. Métaphoriquement.

Ntikuma semble préférer le chemin le plus direct, le plus efficace. Soit, cela l'empêchait de prendre des virages détournés, de prendre des pincettes pour la situations assez chaotique dans laquelle un des leurs a entraîné l'ordre. L'Oiseau Fabuleux et ses prouesses. « L'Ordre a été bien trop mis en avant à mon goût. Publiquement, déjà … » Voilà une chose qu'il déteste. Il possède un certain amour du secret. Ou des ombres. Pas celles d'Eris. Du moins, il aurait pu les apprécier … si la Discorde ne venait pas agripper les ressources de l'Ordre. « Mais surtout par rapport aux différentes nations d'éveillés. Reagan n'a pas su maîtriser sa soif de sang, sa rage bestiale. Mais je veux connaître toute l'histoire. Car le Sanctuaire n'est pas la seule donnée préoccupante. »

Sa voix se fait plus terne. Profonde. La colère n'est guère présente. Plutôt une attention particulière. Aux détails. Dont Ntikuma fait partie.

Il le fixe. Le Forgeron. « La situation est une débâcle, Ntikuma. Si Reagan avait cru bon de faire sa prestation médiocre dans un coin, cela n'aurait guère touché l'Ordre. Mais maintenant … Je veux que tu me dises … tout. Tout ce que tu sais sur l'implication de la Discorde. Des mouvements du Sanctuaire, si tu en sais quelque chose. Des motivations de Reagan. Je veux le tableau complet de ce pitoyable désastre. » Ubar. Le Sanctuaire. Reagan.

S'il a pu gérer les éléments laissés par le troisième – des imbéciles à éliminer, ce n'est pas le plus compliqué –, il ne peut guère faire sans informations. « Conte moi cette histoire, Ntikuma. »

Non, il n’était pas surpris. L’Ordre Noir était peut-être un lourd poids sur le reste du monde, mais quand son origine —son cœur, comme le disait si bien le Seigneur Noir— était si petite, il fallait s’attendre à ce que tout le monde puisse entendre ses battements. Mais quelle conclusion en était tirée… voilà un tout autre sujet. Qu’est-ce que l’oreille experte du Poisson Noir avait entendu, pour en venir à chercher sa version des faits?
Agitant distraitement les pieds, Ntikuma mima quelque chose sous la table, une simple phrase qu’il ne pouvait pas traduire. Il était son propre conte, aucune histoire à son sujet n’était la même, ceux qui le rencontraient avaient tous leur propre définition de sa personne. Un étrange petit bonhomme. Ça, c’était normal. Il aimait être ce mystère à leurs yeux.

Mais ce qui était arrivé? Ce n’était pas un conte. Et il ne voulait pas que ça en devienne un.

Veiller sur l’île. Les yeux rivés sur son verre, le petit forgeron devait se faire violence pour ne pas réagir et confronter son hôte. Si c’était vraiment le cas, pourquoi avait-il dû contrôler cette situation et s’y sentir aussi seul? Des familles avaient été brisées, quelqu’un était mort dans son Laboratoire. Le monde les craignait et la raison de cette peur était revenue à lui sans aucun problème, prête à tout détruire sur son passage. Et il avait été seul. Leurs soi-disant protecteurs avaient-ils choisi de détourner le regard?
Ces protecteurs invisibles. Il y a bien des raisons de ne pas les aimer.

Mais maintenant, ce conflit est plus que visible. Les conséquences pour l’Île pourraient être désastreuses, et si elle aurait préférée en avoir plus tôt, au moins l’Araignée pouvait maintenant compter sur quelques alliés pour tenter de tout réparer. Sa plus grosse erreur serait de faire la fine bouche par fierté…

Après quelques secondes de réflexion, il hocha la tête. Très bien. Il allait lui conter tout ce qu’il savait.

D’un mouvement souple, l’Ashanti se leva et se dirigea vers l’interrupteur, et éteignit toutes les lumières. Ce serait mieux ainsi : il n’avait pas exactement envie de revivre tout ça, et il doutait que Noah soit venu avec suffisamment de papier pour tout écrire. Il fallait donc être créatif.

Une montagne rouge apparut soudainement sur la table, illuminant la pièce de son inquiétante lueur. La fumée qui s’en extirpait, ainsi que la topologie autour, révéla qu’il s’agissait de Death Queen Island, et d’un mouvement de main la scène se transforma pour montrer un autre endroit tout aussi familier : Misery. Et au milieu du village rouge, trois formes animales : une vipère argentée qui ne semblait émettre aucune lumière, un étrange oiseau débordant de couleurs au bec crochu, et un chat portant à son cou une pomme dorée. S’approchant de la scène, Ntikuma fit apparaître quelques lettres entre ses mains, et nomma les personnages de son histoire un par un : Yasuha, Reagan et Eris. De toute évidence, cette dernière possédait une certaine autorité sur les deux premiers, qui l'écoutaient attentivement. Après avoir réfléchi quelques secondes, le petit être fit apparaître un autre mot pour clarifier la chose.

"Une mission."

La scène changea d'un coup. "Eris" disparut, le village aussi, et les deux mercenaires se retrouvèrent soudainement dans une violente tempête de neige, à avancer péniblement tout en cherchant pour quelque chose, sans trouver, jusqu'à ce que "Yasuha" décide de fuir et de laisser "Reagan" seul, ce dernier prenant quelques secondes à comprendre avant de partir à sa poursuite avec colère, hurlant bien qu'il n'y ait aucun son en plantant ses serres dans tout ce qu'il pouvait trouver, alors que les environs changeaient encore une fois. La neige blanche, au milieu de la tempête. Un lion, sous un ciel bleu. Un corps humain, sous la lueur rouge du village. Un chat, deux fois plus grand que lui, protégeant une vipère arborant maintenant une pomme dorée. Cela aurait dû suffire à le dissuader, mais non. L'oiseau attaquait toujours, s'attirant ainsi les foudres d'une déesse couvant sa nouvelle possession, et qui l'aurait bien pris lui aussi sous son aile... Mais il avait refusé, pour sa vengeance.

Quelques batailles plus tard et l'oiseau finit en cage, avec une petite araignée rouge et un filet de ciel bleu comme seule compagnie. Ses blessures avaient eu raison de lui, il était recroquevillé dans un coin de sa prison et semblait plus misérable que jamais, malgré la présence de l'araignée qui faisait de son mieux pour le réconforter. Et il avait essayé, il avait tellement essayé... L'image se brouilla pendant un instant, alors que Ntikuma devait se forcer à rester concentré. Ne pas trop y penser... avant, il y avait plus important.

Loin de la cage, deux nouvelles figures apparurent : la fameuse vipère, qui portait maintenant une pomme noire, et un caméléon, dont la peau passait allégrement du gris au noir. Elles approchaient lentement de la cage tel des prédateurs, prêtes à frapper, quand un lion doré bondit devant elles et leur bloqua la route, et malgré toutes leurs tentatives elles ne purent passer.

Puis le ciel bleu disparut, et toutes les créatures avec lui, à l'exception de l'oiseau en cage qui, dans un élan de vitalité, s'extirpa de sa prison.
Plusieurs corps succombèrent à ses attaques. Rien ne pouvait l'arrêter, pas même l'araignée qui tenta de lui barrer la route. Une douleur lancinante traversa l'épaule du conteur quand le bec de l'oiseau se planta dans le thorax de l'insecte. "Reagan" n'adressa qu'un bref regard au petit corps recroquevillé, avant de s'envoler à nouveau pour finir sa course dans le désert, où l'attendait la vipère...

Et tout disparut.

Après avoir pris quelques secondes pour se ressaisir, l'Ashanti ralluma les lumières et laissa le Seigneur Noir s'habituer à la nouvelle luminosité avant de reprendre sa place, caressant son écharpe du bout des doigts en essayant d'ignorer la douleur dans son épaule. Il avait essayé, il avait tellement essayé... Du bout des doigts, le forgeron traça quelques mots sur la table, la seule conclusion qu'il pouvait offrir suite à cette terrible histoire. Les mots s'illuminèrent en blanc et il les envoya à Noah d'un revers de la main.

"Il n'a jamais pardonné l'affront. Il est parti à Ubar. Il ne reviendra pas."

Ou du moins, il ne pense pas revenir. Que va-t-il arriver s'il survit à l'affrontement. Malgré tous ses regrets, Ntikuma ne souhaitait aucunement le revoir à nouveau. Ce n'était pas le genre de pensée qu'il aimait avoir, mais la vie sur l'Île était meilleure, depuis que Reagan et sa bande avait disparu.
Là dessus, Noah serait sans doute d'accord.