Après toutes ces années, je reviens enfin à la maison.

Enfin, non, pas vraiment.  Je suis à Buckingham et non à Montréal, et techniquement je rentre chez nous pour le temps des fêtes à tous les ans.  Mais je suis quand même au Canada, et je peux le dire dramatiquement si je veux merde.  Pour être parfaitement honnête, je ne voulais même pas venir, mais j’ai finalement cédé à ma mère.  Voyez-vous, ça fait un bout de temps que ma Maman me texte presque tout le temps sur le drama de Buckingham : il y a des voyous qui ont pris du goût à mettre le feu à des voitures (c’est arrivé deux fois).  Ne vous détrompez pas, je suis vraiment heureuse que mes parents pensent à moi sous une lumière positive et qu’ils s’investissent à ce que je fais au lieu de me décourager.  Le topo est qu’ils me contactent – et par ils je veux dire elle – pour absolument tout qui n’est pas légal.  Ma mère m’a déjà demandé une fois si j’avais des contacts dans la police locale et si je pouvais les encourager à regarder davantage dans le dossier ouvert par sa voisine d’en face.

Mais bon, j’étais officiellement écœurée de me faire parler de Buckingham et j’y suis allée pour lui faire plaisir.  Après de m’être assurée auprès d’Amphion qu’il n’y avait aucune mission pour moi, j’ai pris l’avion à contre-cœur. Me voici donc sur la rue principale de Buckhingham, sur le seuil du magasin de bonbons exotiques qui était finalement bien décevant.  Mais, de la bouffe c’est de la bouffe.  Je couvre mon surplis de chips au porc grillé, de chocolat, de jujubes, de Pocky et oui, de sucettes (ça va me suivre et avec raison) avant de refermer l’urne et de la replacer sur mon dos.  

Au moins les locaux sont plus sympas qu’à New York, ce qui est normal quand je n’ouvre pas la bouche.  Ce qui est un peu embêtant quand je m’efforce à questionner un peu les locaux, qui collaborent parfois un peu méfiant, davantage quand j’explique que je suis en train d’investiguer l’histoire des voitures en feu qui s’est terminée il y a deux semaines déjà.  À part la madame du début qui était quand même sympa, qui était le profil de la tante cool qui a une moto et qui en plus me posait des questions sur mon boulot parce qu’elle me trouvait une « charmante jeune Éveillée », tout le monde préfère garder leurs distances.  J’ai quand même trouvé une soi-disante piste : quelqu’un m’a refilé le numéro d’une femme qui a trouvé une des voitures.  Le truc est que je suis terrifiée d’appeler n’importe qui.  Texter ça va mais appeler?  Après avoir parcouru de Buckingham trois fois au moins pour repousser l’inévitable, je finis par composer le numéro.  J’en reviens pas que je vais appeler un étranger pour un truc qui est probablement déjà terminé et qui n’implique probablement d’Éveillés…

Mon portable collée à mon oreille, je prends un tournant pour m’écarter de l’avenue en espérant de trouver un coin plus tranquille pour discuter.  Mais de l’autre côté du coin, je tombe nez à nez avec un ado masqué et couvert jusqu’à la tête au pied.  Si son masque intimidant et son style vestimentaire idéal pour aller voler une banque ne m’alertent pas déjà, ce qui est accroché à son dos s’en occupe.

-Oui allô?, une voix fait à mon oreille après le son d'un clic.

-…Ben putain de sa mère…, que je lâche finalement à la grande confusion de la dame à l’autre bout du fil et à qui je raccroche au nez de toutes façons.

Une armure noire était accrochée à son dos.

Personne ne l'avait vu arriver sur la côté québécoise, tout comme personne ne l'avait vu repartir. Pendant les jours qui suivirent, des voyageurs incrédules juraient avoir vu sur les routes un petit être tout de rouge vêtu qu'ils avaient accepté de mener à sa prochaine destination. Mais lorsque venait le temps de s'arrêter pour se dégourdir les jambes, ou de faire le plein d'essence, ou dormir un peu, il ne restait plus rien de son passage. Enfin, presque rien. Les plus chanceux avaient trouvé quelques babioles d'or dans leur véhicule, seule preuve qu'ils n'avaient pas imaginé leur passager, et même ceux-là se retrouvaient à douter de ce qui était réellement arrivé. Ces lumières le long de la route? La façon dont le ciel avait pris vie? Les histoires qu'ils avaient entendu, même si personne ne semblait se souvenir de la voix de leur petit invité?
Un fantôme, les plus méfiants déclarèrent.

Si seulement, les Seigneurs Noirs auraient rétorqué si Ntikuma n'avait pas survécu plus longtemps qu'eux. Libre de ses fonctions qui lui avaient été assignées de force par l'Ordre Noir, l'Araignée avait délaissé sa forge et s'était contenté de errer dans le monde sans destination, sans but, sans réelle raison. Bientôt, il deviendrait nouvelle courante qu'il avait survécu à la révolte mais juste avant ça, il y avait cette minuscule fenêtre de temps où personne dans le monde ne savait qu'il existait. Personne ne s'attendait à le voir, personne ne pensait à lui depuis un bon moment, déjà. Bientôt, le forgeron retournait sur l'Île de la Reine Morte et continuerait de travailler avec son peuple, il n'avait pas fait tout ce grabuge pour les abandonner au premier inconvénient. Il avait juste besoin d'un peu de temps.

Son voyage avait commencé tout au nord du Saint-Laurent et depuis des jours, Ntikuma se dirigeait lentement et sûrement vers le sud, explorant tous les petits villages pittoresques qu'il aperçut, même s'il n'allait jamais se souvenir de tous les saints selon lesquels ils étaient nommés! C'était soit ça, soit les noms anglais. Comme Buckingham, qui n'avait absolument rien à voir avec son équivalent d'Angleterre. Rendu si loin dans la province, il y avait bien moins de petits patelins et plus de banlieues cherchant à se développer de plus en plus dans l'ombre d'un autre ville plus grande. Malgré cela, la rue principale avait son charme : beaucoup de bâtisses très anciennes qui servaient maintenant de boutique. En passant devant une galerie d'art, une dame laissa même le petit être flatter son chien. Un pont menait aux quartiers résidentiels à un petit sentier piétonnier bien caché derrière un parc. L'occasion idéale d'admirer un peu la nature...

Il n'y avait pas de couleur comme ça, sur Death Queen Island. Les bruits du vent et de l'eau étaient presque les mêmes, mais le vert des feuilles ne seraient jamais aussi sain. La chaleur du soleil ne serait jamais aussi réconfortante qu'ailleurs dans le monde. L'air ne serait jamais aussi pur. Malgré lui, le petit être se mit à penser au travail qui l'attendait à la maison et surtout comment il allait y parvenir seul. C'était là le plus gros désavantage d'avoir détruit une organisation tyrannique : les vainqueurs étaient maintenant laissés seuls à eux-même et avaient perdu beaucoup de leurs ressources dans le monde.

Mais ils étaient libres.

Donc voilà, je tombe nez-à-nez avec un Chevalier Noir, dans un sentier perdu pas loin du barrage de Buckingham…c’est tellement absurde et spécifique, c’est comme si l’endroit avait été pensé et recherché à l’avance.  De tous les endroits du Québec, c’est là que ça se passe apparemment.  Aurais-je trouvé le nouveau hotspot des Chevaliers Noirs?

Sans déconner, j’ai mon petit moment Hamilton personnel, c’est-à-dire que j’ai un énorme monologue de cinq minutes dans ma tête, même si qu’en réalité, il n’y a que trois secondes de silence.  Parce que sur le coup, je m’attendais pas à voir un Black Knight, et honnêtement je sais pas quoi faire.  C’est une étrange coïncidence tout de même qu’il fréquente un endroit plus ou moins connu pour ces deux voitures en feu.  Est-ce que je suis en présence de la version stagiaire d’un Reagan?  Est-ce que je devrais attaquer?  La pensée elle-même me donne un étrange malaise : je déteste me battre, je suis nulle et c’est habituellement moi qui se ramasse le plus gros bout du bâton dans la figure, d’où la raison pourquoi je préfère envoyer les gens se faire foutre et me cacher après (oh non je viens de résumer l’utilisation de l'Internet).  Donc à moins qu’il ou elle se jette sur moi en premier, j’ai pas de raisons vraiment d’attaquer à part panique et stupidité.  

Et puis merde! Zhihao est sympa et c’est une Black Knight elle aussi!  Peut-être qu’il…qu’elle…elle faisait quoi encore Zhihao à New York?  Rah, je m’écarte du sujet! Prends Oblivion et Griffin tiens! Difficile à oublier ces deux-là! Ils m’ont bien appris que tu ne suis pas n’importe quel étranger, même s’ils se jettent en bas du deuxième étage et ont besoin de soin.  Dans n’importe quel autre contexte, ça sonnerait extrêmement incorrect mais si vous savez, vous savez.  Est-ce que cet Éveillé aussi, il a élaboré un scénario juste pour qu’on soit les deux ensemble loin de tout témoin?  Et puis, il faut que je me remette de l’incident de Los Angeles, ça va faire cinq ans merde! Ça sonne fou à dire, mais moi aussi j’ai eu du développement de personnage : j’habite en colocation, j’ai acheté une table à manger et j’ai rejoint un culte!

Peut-être que les moments Hamilton ne sont pas fait pour moi, parce que je sens mon cerveau me sortir par les oreilles.  Alors que je commence à penser que la meilleure solution serait de lui lancer une sucette et me jeter dans les buissons en espérant d’être bien cachée, je remarque un détail important sur son armure qui change tout :

-Woah, t’es Ntikuma!!

Soudainement, le déclic se fait dans ma tête et je pense à toutes fois que j’ai vu son visage passé sur Youtube il y a des années de cela.  Il a passé à l'émission de Jimmy Fallon et tout!  Il a même été un invité sur Sesame Street!  Bon sang, quel drôle d’hasard, ce qui me fait soudainement douter.  Ça fait tellement longtemps qu’il n’a pas fait d’apparition, ça pourrait être tout aussi bien un imposteur.  Vous imaginez, si les gens commenceraient à se faire prendre pour des Éveillés connus?  Ça va brasser la merde, je parie.

Je sors mon téléphone et je le brandis devant lui.

-C’est bien toi?, je demande en montrant la vignette d’une vidéo Youtube intitulée "Ntikuma being Ntikuma for 3 minutes " avec une image de lui jouant du Sax-O-Boom avec Jack Black.

-Uh, je pensais pas que ma journée d’investigation me mènerait à rencontrer une genre de célébrité.  Mais hey puisqu’on est là je peux te poser deux questions?  D’abord, j’ai jamais saisi c’est quoi tes pronoms?  Ça me serait utile pour mon prochain post…hum ouais et ma deuxième question c’est est-ce que t’as vraiment gardé la signature de James Gorden sur ton armure ou tu l’as effacé?  Moi je l’effacerais.

La question est sans jugement : je n’ai rien contre James Gorden, à part qu’il ne devrait plus paraître dans aucun film musical.

En entendant son nom, Ntikuma sursauta et se retourna rapidement en levant les mains pour montrer qu'il n'était pas hostile. Peut-être que ce n'avait été qu'une question de temps avant que quelqu'un ne le reconnaisse mais après tout ce temps, il avait commencé à se demander si le monde ne l'avait pas déjà oublié. Être reconnu ne voulait pas dire qu'il était le bienvenue, cependant. Un Black Knight reste un Black Knight. Tant qu'il restait poli, tout irait bien...
La jeune fille qui l'avait interpellé ne semblait pas avoir peur, au contraire. Elle était même excitée de lui montrer son téléphone pour confirmer que c'était bien lui et en voyant la photo, l'Ashanti glapit de surprise. Elle avait vu ses talk-shows! Le petit être avait connu une certaine popularité en 2019 dans une stratégie de propagande qui s'était vite retournée contre l'Ordre Noir. Ses pitreries n'étaient pas aussi innocentes que la Sainte devait croire... car il s'agissait bien d'une Sainte, la boîte sur son dos et son cosmos ne mentaient pas. Et pourtant, en se remémorant ce temps juste avant que sa vie ne prenne un autre tournant inattendu, le forgeron ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine nostalgie. Malgré tout, il s'était bien amusé.

Le petit être hocha la tête avec enthousiasme pour confirmer son identité, pris un peu de temps pour réfléchir, puis haussa les épaules avec indifférence quand elle lui demanda de clarifier ses pronoms. Ne restait que la question de l'autographe... il se retourna pour lui montrer l'armure dans son dos, pour qu'elle puisse voir par elle-même que l'araignée métallique était en parfaite condition. Aucune tache ni égratignure... et surtout aucun autographe d'un acteur qu'il ne connaissait même pas et qui ne lui avait pas demandé avant de vandaliser son bien le plus précieux.

La partie plaisante des présentations était maintenant terminée. Si ça n'avait été qu'une civile, une jeune femme comme il y en a mille, Ntikuma aurait continué de discuter un peu, à sa manière, avant de disparaître mystérieusement, mais cette fille n'était pas une civile. Sa relation avec les Saints n'était pas exactement cordiale, peut-être qu'ils lui en voulaient encore pour le rôle qu'il avait joué dans l'affaire Reagan... ce n'était cependant pas le genre du Black Knight de laisser ce genre de souvenir influencer ses décisions.

Un reflet de cosmos iridescent courut le long de son manteau rouge alors que Ntikuma levait le doigt pour pointer la box sur le dos de la jeune femme. Des lettres lumineuses apparurent ensuite entre ses mains pour écrire une simple phrase.

"C'est le Sanctuaire qui t'envoie?"

Bonne nouvelle tout le monde : ce n’est pas un imposteur. Quoique, hocher la tête c’est pas une preuve vraiment, mais écrire avec son cosmos, ça me paraît pas mal authentique. Il est super sympa, ce Kuma. Et pour clarifier ses pronoms, il m’a appris un nouveau néo-pronom qui peut juste être dit en non-verbal. Du coup je suis mal prise, alors il/lui ce sera. Il me montre aussi son armure impeccable, et j’hoche la tête en approbation : je voudrais pas que quelqu’un signe mon surplis non plus, peu importe qui. J’ai un minimum de professionnalité, et la seule personne que j’autoriserais à gribouiller sur mon surplis, ça serait moi (si vous voulez savoir, je citerais mes livres préférés). Mais à part des vieux porte-clés de Winnie l’Ourson accrochés à ma Pandora Box, je ne personnalise pas vraiment.

Lorsqu’il écrit des lettres lumineuses dans l’air, je ne peux m’empêcher de trouver ça magnifique. Y a certaines petites choses dans la vie qui apporte de l’enchantement et du plaisir dans la vie, même si ces choses sont tout à fait banales. Que voulez-vous, l’écriture magique qui fait de la lumière, je trouve ça chouette. La question cependant me fait gratter la tête, cherchant au départ à cacher le fait que c’est Maman qui m’envoie pour ne pas être embarrassée, mais après je décide d’être franche : j’ai tellement attendu longtemps pour avoir une quelconque marque de validation de sa part, je vais pas la cacher maintenant pour paraître cool.

-Eh…non, en fait je rends service à ma mère. Elle voulait absolument que je regarde sur place cette histoire de voitures en feu…je sais pas exactement pourquoi t’es ici, alors je sais pas si tu as entendu parlé? Ça fait déjà un bout que c’est arrivé, les gens ont déjà sauté sur d’autres potins, mais je voulais faire plaisir. Même si bon, on s’entend que deux voitures en feu pis après plus rien, on s’entend que ce sont juste des voyous qui sont allés trop loin.

Au moins, le Sanctuaire sait où je suis. Après cinq ans, ils n’ont pas oublié mon escapade à New York et ma conquête ratée : ils insistent encore pour connaître ma location en tout temps. C’est seulement maintenant que je m’inquiète légèrement si le Sanctuaire va arrêter de nouveau de m’envoyer en mission. Après la secte, ils ne m’ont pratiquement plus envoyée en mission pendant vachement longtemps.

-Non mais vraiment, si c’est pas trop indiscret de demander, pourquoi t’es à Buckingham? De tous les endroits possibles du Canada?

Cependant, alors que je suis en train de lire sa réponse, ma lecture est interrompue par un cri inhumain et terrifiant provenant de plus loin dans le sentier. Je regarde Ntikuma, cherchant à voir s’il l’a aussi entendu, puis sans rien dire de plus je me lance vers la direction du bruit. Les palpitations de mon cœur augmentent, appréhendant ce qui m’attends. Avec un bruit aussi strident que je n’ai jamais entendu avant, je suis mieux d’être prête à tout et à mettre mon armure à tout moment. Je finis par m’arrêter à un endroit précis, car je sens soudainement une odeur de brûlé, et c’est là que je le vois :

-NOOON!!! Fuck pas encore!!

Juste là, sur le côté du sentier, un écureuil s’est fait griller. Littéralement. L’image est vraiment pas belle, alors cette fois-ci je vais être gentille avec vous et je vais pas vous donner des détails de l’horreur. Ça sera à votre imagination. Il ne crie plus et je voie littéralement la vie le quitter avec son dernier long et lent mouvement, dans le désespoir de s’échapper de cette torture. Je contemple très bientôt qu’un petit cadavre en feu. J’arrive presque à étouffer toutes les flammes avec mon pied, il n’en reste que des petites qui commencent déjà à mourir d’elles-mêmes.

Mon regard finit enfin par se détacher du petit corps pour trouver l’Araignée Noire qui est à mes côtés. Cherchant les mots qui arriveront à dénouer le nœud dans ma gorge, je finis par les trouver :

-Ça…ça arrive vraiment pas souvent au Canada. Je sais qu’il y a des gens qui trouvent que les écureuils sont des pestes, mais personne ne les fout en feu pour s’en débarrasser.

Le sentier est drôlement silencieux, on n’entend que le bruit de l’eau pas loin de nous. Je râcle ma gorge, et j’ai l’impression de briser un moment de silence sacré.

-Dis…ça te dérange qu’on lui fasse une petite cérémonie et qu’on l’enterre? Je me sentirais mal si on le laisse juste comme ça. Je prends une grande inspiration qui me permet de ressaisir, et j’ai un regard endurci par de la détermination. Pis après, on pourra aller trouver l’enfoiré qui a fait ça.

La Sainte n'était donc pas là pour intercepter Ntikuma dans son voyage, elle était même surprise de le voir là. En connaissant la raison de sa venue, c'était plutôt réciproque, même si elle admirait son dévouement la silhouette rouge trouvait étrange qu'une guerrière d'Athéna fasse tout ce chemin pour une affaire civile. Le forgeron secoua la tête à la négative pour lui répondre qu'il n'avait rien vu de tout ça, mais ça sonnait inquiétant, tout de même. Ce devait être de sacré feu, et puis les voitures, ça pouvait exploser, non? Il l'avait vu dans un film.

Alors qu'il préparait une réponse pour expliquer sa présence, un grand cri au loin le fit sursauter et les images cosmiques disparurent le temps d'un sursaut. La Sainte est déjà partie, hurlant son désespoir alors que son ennemi s'échappe, et Ntikuma se dépêcha de la suivre d'aussi prêt que possible. Peut-être que tout cela n'était qu'un malentendu, qu'elle aurait besoin d'un peu de soutien pour désamorcer la situation avant que ça ne finisse au combat... mais en voyant l'écureuil calciné, l'Araignée sentit sa gorge se serrer à son tour. Peu importe qui avait fait ça et quelles étaient ses raisons... c'était cruel. Si cruel. L'Ashanti s'approcha doucement de Colombe et lui posa une main sur son épaule pour la consoler, mais il était surtout occuper à regarder autour de lui à la recherche d'indice. Le méfait était encore récent, le voyou ne pouvait pas être bien loin et plus important, il n'y avait qu'une direction où aller, et c'était plus loin sur le sentier.

Mais avant de se mettre en marche, il fallait s'occuper de l'écureuil. Le pauvre n'était qu'une innocente victime qui n'avait rien demandé, le moins qu'ils puissent faire était de lui accorder quelques derniers rites. Le forgeron ferma les yeux et s'imagina mille et un contes où un rongeur pourrait être le héros et puisa dans ces inspirations pour invoquer son cosmos et tisser un linceul blanc où était brodé un écureuil, à l'image des anciens dessins médiévaux, armé d'une épée et d'un petit casque. C'était la moindre des choses, après ce qu'il avait enduré. Le forgeron enveloppa prudemment le corps de la petite créature, puis après avoir lancé un autre coup d’œil à la Sainte, concentra son énergie à nouveau pour créer une petite flûte. Il ne pouvait peut-être pas prononcer de dernières paroles à sa place mais s'il pouvait l'assister dans ces funérailles improvisées, il le ferait.

Nous commencons à préparer la cérémonie sans plus tarder.  Alors que Ntikuma créé à partir de l’air un magnifique linceuil personnalisé, je commence à creuser un trou et je ramasse quelques glands de chêne.  Nous y déposons sombrement le petit corps maintenant délicatement enveloppé.  Nous nous tenons les deux devant la tombe, prêts pour la prochaine étape.  Alors que je suis toujours prête à faire jouer de la musique pour donner de l’ambiance dans n’importe quelle situation, pour une fois je n’ai pas besoin de le faire : l’Araignée Noire y pense aussi et matérialise une flûte.  Je le regarde avec un peu d’émoi.  Je sens son soutien et je l’apprécie vraiment.  Je regarde de nouveau la tombe en me râclant la gorge afin de présenter un petit discours improvisé.

-Nous sommes réunis aujourd’hui pour honorer la mémoire de…de…cet écureuil.  Nous ne le connaissions pas personnellement, comme nous ne connaissons aucun écureuil.  Pour nous, c’est peut-être juste hum, un John Cassidy, mais en réalité c’était quelqu’un avec une vie, une identité, peut-être même une famille.  

Je prends une pause pour écouter les douces notes de la flûte.  Derrière nous, une joggeuse passe et nous regarde de travers, mais nous l’ignorons avec classe.

-La vie de John Cassidy s’est terminée rapidement et surtout injustement.  Mais Dieu sait qu’il a mené sa vie à fonds.  Il a travaillé dur pour embêter les jardiniers locaux, pour faire ses réserves de glands injustement volées pour l’hiver, et surtout manger comme un gros porc avec une adorable queue.  Mais surtout, John Cassidy l’écureuil l’a mené discrètement : personne n’a pas pensé à lui, à comment il se sentait et quel était son impact dans le monde.  Peut-être qu’il ne le savait pas lui-même.  Maintenant, nous le savons : c’était une victime, et maintenant un symbole pour les générations futures.  Ah oui et il a contribué à la forestation.

Je distribue les glands de chêne équitablement entre Ntikuma et moi et je jette les miennes dans le trou, puis j’y lance une petite poignée de terre.  Le Chevalier Noir fait de même, et j’entreprend de finir de remplir la tombe, chantant à voix basse Las Golondrias.  

Les funérailles officiellement terminées, nous laissons derrière nous la tombe et avançons plus loin dans le sentier.  J’essaye de détecter le cosmos de l’ennemi, mais je ne sens rien.  Il doit être vraiment loin, ou il se cache de nous.  C’est pour cette raison je tente d’abord de l’attirer en dehors de sa cachette en disant à voix haute qu’oh non, ils ont découvert notre plus grande faiblesse et que nous sommes très vulnérables en ce moment, il ne faudrait surtout pas qu’on se fasse attaquer là.   Hélas, l’ennemi ne viens pas à nous, alors nous n’avons pas le choix de poursuivre notre chemin et aller à lui.

Sur une note anodine, le sentier est vraiment sympa, on se croirait dans une forêt magique par bout.  À la fourche, nous explorons les deux côtés.  Le premier même à un poste pour regarder le barrage électrique, qui n’est pas ouvert encore.  L’ennemi n’est clairement pas devant à se promener sur le lit séché, donc on part explorer l’autre côté sans demander notre reste.  Il y a déjà quelque chose de plus intéressant là.  Nous sommes plus à la hauteur et nous pouvons voir le barrage de plus près.  Plus intriguant encore est cette maison abandonnée juste à côté de la rivière.  Mon regard alterne entre la maison et le chemin qui continue encore.  Honnêtement, j’ai pas vraiment le goût de m’aventurer là.  Ça ressemble littéralement à une maison hantée, et ça me fait un peu flipper pour être franche.  Mais ça je ne l’avoue pas à Ntikuma!  À voix haute, je penche sur le pour et le contre de pourquoi le coupable ne se cache pas là.

-Tu sais, ça serait trop beau pour être vrai si le pyromane se cache là-dedans.  Je pense pas qu’il serait aussi stupide de faire cette maison probablement habitée par des fantômes mangeur de cerveaux située en plein dans un sentier public sa planque officielle.  Peut-être qu’il faudrait aller voir plus loin s’il y aurait pas de meilleure cachette.  Et puis regarde! C’est barricadé partout et…oh.

La porte principale, cachée derrière la clôture rouillée, est ornementée d’un cadenas.  Ouvert.  Je prends une grande inspiration pour me donner du courage.  De pas avoir l’air lâche, ne pas avoir l’air lâche... J’ai déjà vu des zombies en Égypte et j’ai vu plein d’animaux mourir devant moi.  J’ai vu tellement d’insectes que je devrais avoir deux entomophobies au lieu d’une.  Je peux explorer une vieille maison crasse.  

Je fais à signe à Ntikuma de me suivre et après s’être assurée qu’il n’y a personne en vue, je commence à grimper la clôture.  C’est drôle, pendant mon entraînement, j’ai grimpé beaucoup d’arbres et de parois rocheuses.  Une petite clôture minable devrait être un jeu d’enfant n’est-ce pas? Non : la seconde que je passe ma deuxième jambe par-dessus, je perds l’équilibre et je me plante la face contre la grille, tête en bas, avec la jambe de mon pantalon accrochée aux tiges métalliques.  En silence, j’agite mes poings vers le ciel, demandant sans bruit à peu importe qui là-haut qui peut m’entendre « Whyyyyy! ».  Comme si quelqu’un m’aurait vraiment entendu, ma jambe est libérée et je tombe lourdement la tête première au sol.  En me relevant, je remarque Ntikuma encore de l’autre côté.  Avec bonne volonté, je place ma Pandora Box au pied de la grille, comme un petit banc, au cas que ça lui dit pas de sauter aussi haut.  Pour lui, ça se passe…pas vraiment mieux que moi.  Une fois qu’il est de l’autre côté sur ses deux jambes, je commente à voix basse sur un ton entendu :

-Moi j’ai rien vu si tu m’as pas vu grimper.  On s’est téléporté.

Lui lançant un dernier regard, je saisis la poignée et j’ouvre lentement la porte.

Une nouvelle fureur habitait les deux éveillés, maintenant qu'ils s'étaient téléporté de l'autre côté de la clôture sans même avoir eu besoin de grimper, non non. La porte de la vieille bâtisse était entrouverte, presque comme pour les inviter à entrer et faire face à leur ennemi mais Ntikuma hésitait. Il fallait l'admettre, ça ne prenait pas beaucoup de puissance pour tuer un écureuil ou brûler une voiture... ce qu'il fallait, c'était de la méchanceté pure. Le petit être ne pouvait pas se battre, la seule chose qu'il pouvait faire pour aider était de tenter de désamorcer la situation mais que pourrait-il faire contre des délinquants d'une telle cruauté?

Il fallait continuer de croire que tous avait droit à une chance de se reprendre en main. Et puis, Colombe était une Sainte, elle n'aurait certainement pas accepté une mission de ce genre si elle ne se pensait pas capable de l'accomplir seule! Le forgeron posa une main qui se voulait rassurante sur l'épaule de la jeune femme, pointa vers la porte et hocha la tête pour lui communiquer qu'il entrerait en premier. Si les voyous l'avaient déjà aperçue, ils seraient hostiles en la voyant, peut-être que s'ils devaient d'abord voir le petit Chevalier Noir, ils seraient au moins assez intrigués pour ne pas attaquer. Il ajusta son armure sur son dos, prit une grande inspiration puis poussa la porte.

Si l'édifice avait des allures de vieille maison de l'extérieure, l'intérieur était encore moins excitant. Il n'y avait qu'une seule vaste pièce, le plancher était sale et tout était sombre, à l'exception d'une petite flamme qui éclairait le fond de la maisonnette. Trois hommes étaient rassemblé autour de la faible lumière et ils sursautèrent en voyant le Black Knight entrer timidement.

-C'est qui lui?! Pourquoi la porte est pas barrée! Ryan a oublié de barrer la porte! Calisse Ryan!

-C'est pas vrai c'est même pas moi!!!

Son apparition avait l'effet désiré, les voyous étaient trop surpris pour être hostiles et le voir comme une menace... mais à les voir collés ensemble et se disputer, quelque chose lui disait qu'ils n'auraient pas été très dangereux même sans cette petite entrée plus extravagante. Ntikuma les salua doucement de la main, puis concentra son cosmos pour créer une sphère de lumière qui illumina toute la pièce, révélant les murs ternes, le plafond pas fini et le vieux carrelage de plancher enseveli sous la poussière. Il n'avait cependant pas imaginé ce qui révélerait d'autre à la petite équipe...

-OH SHIT! Il est avec la Sainte!

Une boule de feu vola juste au dessus de la tête du forgeron et explosa contre le mur, menaçant d'arracher la porte et de mettre le feu à toute la cabane. Pendant que les autres amis engueulaient le dénommé Ryan, Ntikuma décida de se reculer un peu, au moins pour avoir la chance d'esquiver si une autre attaque devait arriver dans sa direction.

Alors que je suis encore en train d’assembler mon courage et de penser à un plan que je pourrais expliquer bravement à mon partenaire de crime, Ntikuma décide de prendre les devants.  Avant que je puisse chuchoter avec détresse « Attends! », il se glisse à l’intérieur.  C’est pas juste que j’ai peur de ce qu’il va lui arriver : s’il rentre là, ça veut dire que mon temps pour me préparer mentalement est écoulé.  J’entends tout de suite des éclats de voix retentissent dans le pénombre.  Timidement, j’étire mon cou pour regarder du cadre de porte, le reste de mon corps figé sous la tension.  

L’Araignée est clairement une personne avec du style et une pincée d’extravagance.  En temps normal, je respecte complètement ce style de vie et cette confidence qui est nécessaire pour paraître extra (sérieux, que quelqu’un lui compose sa musique d’intro).  Mais en fournissant sa propre lumière pour faire un effet spotlight, il illumine absolument TOUT.  Moi, mes yeux soudainement aveuglés et mon triple menton inclus.

Détectée, je n’ai plus de choix autre que prétendre d’être compétente.  Je gonfle un peu ma poitrine et j’entre d’un bond dans la pièce sale, pratiquement T-posing pour avoir l’air plus intimidante.

-Vous avez bien vu, connards! Pis on – woah!

Il m’en manque de peu avant de recevoir une boule de feu dans la gueule, que j’évite de justesse.  Les hommes engueulent aussitôt le coupable pour son geste stupide qui a failli démarrer un incendie, un certain dénommé R-…

Non…

Ma respiration devient sifflante, immédiatement enchaînée par un éclat de rire incontrôlable.  Lentement, tous les regards sont braqués sur moi qui essaie sans grand succès de reprendre mon sérieux.  Personne ne voit ce qui a d’aussi drôle, surtout Ryan.  En fait, si Ryan pouvait me lancer des couteaux au lieu de boules de feu, il l’aurait fait avec son regard noir.  

-C’est d’moi que tu ris de même?  Tu nous trouves drôle?

Je ne le remarque pas tout de suite, mais Ryan avance vers moi avec un regard menaçant.  Normalement, je crois que ses copains lui aurait dit de se calmer, surtout après la connerie d’il y a quelques secondes seulement, mais au contraire, ils l’encouragent  :

-Vas-y Ryan!

-Ouin Ryan, dis-y à la bitch!

Excité par cette positivité, il a l’air d’avoir des idées dans la tête, particulièrement celle qu’il peut me battre.  J’ai aucune envie de vérifier si c’est une plausibilité, alors j’essaie de m’expliquer mais en vain…

-Non non c’est pas ça, je parviens à souffler entre deux rires, c’est juste que…c’est comme un running gag depuis le début.  

Il regarde Ntikuma avec un regard incrédule, cherchant à confirmer si l’Araignée connait la blague ou pas.  J’essaye de le corriger encore plus, mais plus je poursuis, plus je réalise que je suis extrêmement incohérente.

-Non non pas entre nous deux…c’est juste que c’est dans le titre et tout et…oh et oublie ça! Ryan, on est venu te chercher pis ta gang pour venger John Cassidy!  Vous êtes vraiment des monstres d’avoir fait ça!

-…qui?

-John Cassidy! L’écureuil que t’as fumé tout à l’heure! Tellement typique, tu prends des vies mais tu ne prends même pas de te souvenir de leur nom!

-T’as grillé un écureuil?

-Calisse Ryan, t’étais supposé la tuer elle, pas un animal!  D’abord les voitures, maintenant ça? Criss!

-C’était pas de ma faute!

-ASSEZ!

Nos têtes se tournent toutes dans la même direction et ma gorge se serre : un homme aux cheveux grisonnant, avec un regard dur, le chef sans doute, presse un couteau contre la gorge de Ntikuma.

-Vous auriez pas du venir icitte…toi tu aurais dû rester en Grèce pis garder tes conneries pour toi, asti d'folle.  Pis toi…il tape la pointe du couteau contre le masque de l’Araignée, t’aurais dû rester sur ton île et continuer de faire le mort.  On est en train de se bâtir une réputation dans la business et on commence tout juste à gagner de plus en plus de respect dans la province…mais il faillait que vous vous mettez le nez là où ça vous regarde pas.

Je ne ris plus du tout et je le regarde droit dans les yeux.  Je n'aurais jamais deviné que ce serait la direction que prendrait cette aventure - Ryan DID start the fire -, mais voir le petit Chevalier Noir en otage comme ça me fait serrer les dents.  Je l'ai entrainé là-dedans, c'est ma responsabilité de le sortir de ce pétrin dont je nous suis mis.

-C’est toi le boss hein?  Pourquoi tu laisses pas mon pote tranquille et que tu viens m’affronter comme un homme?  Tu serais pas le premier chef de gang que je tapes dessus, je lui demande, bien que ma voix trahie ma nervosité.  En plus techniquement c’est même pas vrai, j’ai jamais battu le chef des Hells Angels.  C’est maintenant à son tour de rire, mais dans son cas, c’est dépourvu de chaleur, ce qui me rassure encore moins.  

-Ah, les Éveillés! Vous voulez toujours tout arranger en vous battant hein?  Heureusement pour toi, on a Ryan icitte, un bon p’tit jeune, qui travaille pour nous.  C’t’un Éveillé lui aussi, je l’ai pris sous mon aile.  Y peut nous éliminer n'importe qui au Québec, enfin quand il aurait tout ses pouvoirs...'tout cas, il va s’occuper de vous remettre à votre place pour nous.  Vu votre introduction…, il nous lance un rapide regard dédaigneux, ça devrait être facile. Ryan!

Ce dernier se raidit en entendant son nom.  Son boss lui jette un regard entendu.

-Manque pas ton coup cette fois-ci.

Mon attention revient avec alerte vers Ryan.  Je l’avertis autant que je le supplie :

-Fais-le pas mec.  On veut pas se rendre là.

-Farme ta gueule, me répond-t-il sèchement en chargeant son cosmos dans son poing.  Je bondis vers l’arrière et j’invoque à contrecœur mon armure.  Un autre éclat de lumière, cette fois-ci doré, illumine la cabane.  C’est presque beau à regarder, mais aussitôt que l’armure s’attache à mon corps, je ressens un drôle d’inconfort.  Quand la lumière disparait, je comprends aussitôt pourquoi et je rougis d’embarrassement.  Partout sur le sol, des chocolats, des chips, des bonbons et mêmes des céréales sont éparpillées.  J’essaie de tasser discrètement du pied la bouffe qui est à mes pieds, et en écartant ma jambe je remarque qu’un emballage dépasse de ma jambière.  Je signale un time-out avant de me pencher pour tirer dessus et le jeter plus loin.  Noooon mais c’est pas vrai, il y a de la bouffe dans mon armure partout!  J’essaie de me dépêcher de tout enlever parce que je vois bien que tout le monde attend après moi.  C’est quand que je vire mon casque de bord pour le vider de ces bonbons.  Pour m’excuser de le faire attendre, j’offre de bonne foi une sucette à Ryan.  

Je regrette aussitôt mon choix : le cosmos qu’il charge depuis tout à l’heure se colle et brûle contre ma poitrine, avant que cette boule de feu explose et me fait projeter au travers du mur à l’autre bout de la pièce.  Tout le monde sait maintenant que quand j’arrive avec mes histoires de sucette, y a un mauvais présage.

L'histoire était si farfelue que même s'il en avait été un participant depuis le début, Ntikuma avait de la misère à suivre le discours passionné de la Sainte. Avait-il été distrait à un moment ou bien...? Ce n'était rien comparé au petit groupe de Ryan, par contre, eux ne comprenaient absolument rien à ce que la Petite Ourse leur reprochait. S'ils devait s'attendre à être intercepté par une représentante du Sanctuaire, ça n'aurait pas été pour avoir brûlé un écureuil... aussi barbare cela soit-il. Malgré cela, Ntikuma pouffa de rire devant leur confusion et la discorde du groupe après leur plan raté.
Il rit beaucoup moins quand le plus vieux du groupe, silencieux jusque-là, pressa un couteau contre sa gorge et rappela tout le monde à l'ordre.

Le comportement de Colombe changea en le voyant ainsi, elle tenta tout de suite de négocier pour sortir le forgeron de là et l'éloigner du danger. Honorable, évidemment, mais inutile, personne n'en vient à décider de partir un gang en faisant les choses à la loyale. Elle n'avait rien à offrir à part un duel ou les laisser tranquille, ce qui n'allait jamais arriver. Non, le dénommé Ryan allait se charger d'elle et l'occuper pendant que les autres auraient plein d'occasions de l'attaquer par derrière pendant qu'elle était distraite. Quant à l'Araignée, le chef l'avait reconnu et était assez familier pour savoir qu'elle pouvait être appréhendée et immobilisée facilement et sans danger. Un faux mouvement et tout pourrait très mal se finir.

Il avait vu pire.

Le petit être hocha doucement la tête pour rassurer la jeune femme et une fraction de seconde plus tard, le combat commençait. Colombe invoqua son armure dans un grand éclat de lumière... et... et de... de friandises? Elle avait caché des collations dans la boîte de son armure?! Et... et dans l'armure aussi?! Bon sang, c'était comme si une machine distributrice avait explosée au milieu de la pièce! Toute cette malbouffe expliquait aussi l'état de l'armure de bronze de la Petite Ourse... même à une certaine distance,  le forgeron pouvait voir les taches et traces de doigts laissés par le sucre et le gras. Un peu trop innocemment, il voulut se pencher pour examiner un sac de Doritos qui était tombé près de ses pieds mais le chef de gang le tira très vite loin de l'action.

-Toi tu bouges pas! Tout l'monde sait que tu peux pas t'battre alors si toi ou la Sainte vous essayez de quoi, j'te tranche la gorge! Toute façon, elle est trop occupée pour te sauver, cette fois y aura pas de niaisage.

Bien compris. Il allait falloir le travailler un peu de son côté, donc. Du bout des doigts, Ntikuma attira l'attention de l'homme qui le retenait en otage et traça quelques mots... mais pas pour négocier, pas exactement.

"Il faut être plus gentil avec Ryan. Il est un peu distrait mais -"

Le chef tira brutalement sur sa capuche pour le retourner et le regarder dans les yeux, à la fois incrédule et furieux. C'était un peu extrême comme réaction mais l'idée était là, il était distrait et ne faisait plus attention au combat d'éveillé. Était-ce le bon temps pour récupérer un bonbon par terre?

-Gentil? GENTIL?! Coudonc tu t'prends pour qui à me dire comment être le boss de ma propre gang! Tu connais rien là-dedans, t'es juste un influenceur qui fait de l'art plastique. Ici, c'est la vraie vie pis dans la vraie vie, les forts c'est ceux qui règnent par la peur.

Le petit être hocha doucement la tête, faisant de son mieux pour montrer de l'empathie malgré l'insultant attaque sur sa réputation. Sur ça, le chef s'entendait avec la plupart des autres éveillés qui avaient tenté de s'en prendre à Ntikuma : tous avaient compté sur leur force pour écraser ceux qui voulaient s'opposer à eux. Aucun n'avait réalisé à temps l'angle mort qu'une telle approche créait dans leurs ambitions. Peut-être qu'il fallait commencer à négocier avec quelqu'un d'autre... Comme pour confirmer ses pensées, les deux autres spectateurs quittèrent le combat des yeux pour fixer leur chef avec une drôle d'expression.

-Euh... Mike, j'pense qu'il a été dans une révolution.

-Ta yeule Kevin.

L'Ashanti acquiesca, puis écrivit encore pour préciser et surtout pour terminer sa pensée initiale.

"La révolution contre l'Ordre Noir. Je sais que ça semble être la seule solution mais la peur n'est pas ta seule ressource. S'il ne se sent pas respecté il ira voir ailleurs. Surtout s'il est forcé de se battre quand il ne peut pas gagner."

Mike sembla hésiter un instant et même Toby avait l'air de se poser des questions. L'intéressé en question, Ryan, était trop occupé pour se rendre compte de la discussion. Malgré toute la bonne foi dont Ntikuma voulait faire preuve, la réalité était bien déprimante pour ces voyous : contre un seul Chevalier de Bronze, ils n'avaient aucune chance. Si seulement ils pouvaient s'en rendre compte...

-Il va gagner! Il va gagner sinon il va vraiment, vraiment être dans marde! Pis là tu vas t'calmer avec tes menaces, hein, tu nous fais pas peur... BIATCH!

Le silence tomba, laissant le terrible mot résonner en écho partout dans la bâtisse... Alors là, Ntikuma était plus que muet, il était complètement sous le choc. Au point où même Mike regrettait ses paroles, plus par embarras que par réelle culpabilité.

-... S'cuse, s'cuse... c'est juste de même qu'on parle en prison. Tu vois c'que je dois faire pour jouer les toughs? J'ai vécu des choses qui changent ta vie, dude. R'garde, fais juste t'assoir là pis bouge pas. Kevin, surveille-le. Oscar, si Ryan se plante encore, prends un shotgun et tues la Sainte.

Malgré ses ordres qui se voulaient inquiétants, le forgeron hocha la tête et s'installa docilement sans tenter autre chose. Il ne pouvait peut-être pas intervenir directement mais il était déjà bien moins surveillé, il pourrait avertir Colombe du moindre danger. Et en plus, maintenant qu'il était tranquille, il pouvait enfin récupérer une collation... bon sang, est-ce que c'était des Doritos au chili? Perplexe, il les montra à son nouveau capteur.

-Ah oui, ceux-là. Ils goûtent même pas le chili, j'ai une recette qui est meilleure.

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Nous sommes tous les deux à l’extérieur sur la falaise bordant la rivière du Lièvre. Nous semblons si près du barrage, maintenant que nous ignorons tous les panneaux nous avertissant de déguerpir.  La brûlure est si intense que je crois qu’il m’a glissé un pétard sous mon plastron, mais non : j’avais manqué quelques emballages.  Le feu de son cosmos était suffisamment fort pour que le maïs soufflé éclate sur ma poitrine, ce qui fait vachement mal.  Je suis déjà au sol après avoir défoncé le mur et renversé la clôture, me voilà maintenant en train de me rouler à terre en cherchant à refroidir mon armure qui poursuit l’éclat des grains.  Je suis à quatre pattes, secouant du mieux le popcorn en dehors de mon plastron et dos à mon adversaire.  Merde que c’est gênant…

Ryan charge son cosmos du plus fort qu’il peut, si fort que je le détecte immédiatement derrière moi.  S’il voulait faire une attaque surprise, c’est raté, mais pour rire – même dans une situation pareille – , je décide de lui faire croire qu’il s’est fait pas prendre et qu’il m’a vraiment frappé fort…enfin oui son attaque était vraiment douloureuse, mais me faire mal c’est pas un exploit on s’entend.

-Oh mais je me suis fait eu!...euh non je veux dire « Ayoye donc asti d’tabarnak! »…

Je ne vois pas son visage, mais j’aime imaginer qu’il m’a cru et qu’il était vraiment fier de lui.  À la dernière seconde, avant que son poing s’écrase entre mes deux omoplates dans l’espoir de me casser de quoi, un meme shield apparaît, lui disant littéralement : nah je déconne.  Je prends le reste de l’impact, mais tout de suite après je me roule plus loin, laissant une trainée de maïs soufflé écrasé au passage.  Le visage déjà sale de terre, la moitié de mes cheveux collés à ma face d’une manière peu flatteuse, mon armure tâché de terre, de gras et de sucre avec une odeur de beurre et de brûlé, je me remets sur mes deux pieds avec énergie et je mets mes deux poings sur mes hanches, comme si je gère complètement.

-Allez Ryan!  Si tu veux être le gars cool mais qui lèche toujours les bottes de son boss dans l’espoir d’une promotion qui viendra jamais, fais mieux merde!

Sa face tourne rouge, il semble que j’ai touché un point sensible.  Il me fixe haineusement, mais à mon étonnement, il n’attaque pas.  Je fronce les sourcils.

-Si tu veux qu’on arrête là, ça me dérange pas, mais tu peux juste me le dire.  T’as pas à essayer de me faire peur.

Il ne répond à ma petite provocation.  J’incline légèrement la tête sur le côté, me demandant ce qu’il fabrique.  Un petit moment de réalisation finit par me saisir.  Il a bien essayé de me tuer à distance, peut-être que c’est exactement ça qu’il essaie de faire maintenant.  La sueur qui perle de son front me le confirme, et je ne perds pas une minute.  Si je l’empêche de se concentrer, il va manquer son coup.  Je cours dans sa direction et je le pousse de toutes mes forces.  Mon idée de génie, comme vous pouvez l’imaginer, n’était pas très développé : un, je le fait tomber à terre, et après quoi?  Deux, s’il ne tombe pas et qu’il titube seulement, j’ai l’air stupide.

Trois, je n’ai pas pensé que je le pousserai assez fort pour le faire tituber et trébucher, alors que la rivière était juste derrière lui, plusieurs mètres bas.  Je le regarde avec horreur tomber de la falaise.  Il ne crie même pas, trop stupéfait lui aussi que je l'ai poussé à sa mort.  Je ne suis pas assez brave pour regarder l'impact, mais j'entends un splat peu rassurant.  Je m'approche du bord et voit d'ici son corps immobile face contre terre.  Le barrage est fermé, il s'est gravement écrasé contre le lit rocheux de la rivière.  Je suis à une seconde de m'écrouler au sol en me maudissant d'avoir tué quelqu'un aussi stupidement quand j'entends faiblement:

-...ayoye...

Un grand poids s'enlève de mes épaules: il est pas mort.  Il est pas mort.  Du moins...pas encore.  On est peut-être fait plus fort, mais à sa place je serais pas dans ma plus grosse forme et je pleurerais pour de l'aide.  Je m'élance à toute vitesse dans la direction opposée du vide.  Je contourne le bâtiment dans lequel Ntikuma se trouve encore - dans une minute mon pote, je viens t'aider aussitôt que je m'assure que Ryan va survivre - et je m'approche de la clôture posée également sous le sentier de bois.  Je concentre mon cosmos en des pattes d'ours qui déchire un trou dans la grille.  Ça aurait été une scène vraiment cool pour montrer mes talents de Saint, mais disons que j'ai pas la tête à ça présentement. Je vous jure, mon intention était pas de le blesser gravement.  Il veut peut-être me tuer, mais moi je veux juste qu’il se calme les nerfs.

J’arrive à mon tour au lit de la rivière.  Immédiatement, je panique : Ryan ne bouge toujours pas.  Est-il inconscient?  Seigneur je veux pas envoyer un jeune à l’hôpital pour un assassinat d’écureuil et une tentative d’homicide…je m’approche et je l’appelle , mais je ne reçois aucune réponse.  Shit…je m’accroupis et je le secoue, mais sans aucune réaction de sa part.  Ça y est, j’ai pas réalisé ma force après toutes ces années à servir Athéna et j’ai possiblement tuer un gamin.  Désespérée de le ramener à la vie, je le roule sur le dos afin de lui appliquer les premiers soins.  C’est à ce moment exact qu’il ouvre les yeux, me tient par le collet et m’envoie une décharge de cosmos enflammée à la figure.  Je suis tellement surprise et soulagée que je ne pense même pas de me défendre, alors je sens tout le dommage.  Je titube vers l’arrière et je sens le sang me couler du nez comme un robinet.  En position de combat, nous nous distançons tous les deux, prêts pour la prochaine ronde, mais je veux rien savoir de ça.  Pas après m’avoir fait croire qu’il était mort ou quelque chose du genre.  Le regardant droit dans les yeux, je renifle bruyamment et je le pointe lentement du doigt, déclarant sombrement :

-Non toi.

Mon visage pincé l’a peut-être énervé, car il charge dans ma direction en hurlant, agitant son poing plein de cosmo-énergie.  Avant qu’il ne l’abatte sur moi encore une fois, je m’écarte sur le côté, juste assez pour qu’il frappe dans le vide.  Il ne s’attendait peut-être pas à ça, mais ce qui le prends vraiment par surprise est que les flammes n’explosent pas de sa main.  Il réessaye avec un autre crochet droit, que je bloque avec un meme shield qui ne brise pas sous l'attaque physique.  Frusté par le doigt d'honneur présenté, il essaye encore, et je m'écarte exactement de la même façon.  Il retombe à terre pathétiquement, regardant sa main avec hébètement, et je le prends en pitié.

-What the fuck kossé qu't'as fait?!

-J’ai bloqué la seule technique que tu veux faire, si tu sais ce qui est mieux pour toi, j’abandonnerais, que je lui explique, omettant que ça va revenir bientôt.  R’garde Ryan, j’te mentais pas : j’ai jamais voulu me battre contre toi.  Et je refuse de croire que c’est ça que tu veux.

-Hey tu te prends pour qui pour me demander ça?  Check ben ça, j’vais finir chef d’ma propre gang pis tu voudras pu jamais mettre pied au Québec!

-Non j’veux dire…pourquoi tu veux être dans un gang point?  Y a pas d’autres choses que tu voulais faire dans la vie?

Je vois que j’ai touché un point sensible.  Son regard s’adoucit et devient nostalgique un peu.

-Je…je voulais être un entrepreneur avant…

Je bronche mais je me reprends tout de suite.  Si c’est légal, je suppose que c’est plus respectable?  Avant que je n’aie le temps de le rassurer que c’est correct, certains rêves sont mieux enterrés, il poursuit :

-Mais c’tait stupide ok! Tu peux pas être un Éveillé pis juste partir ta propre entreprise! Tu peux juste te battre, on est juste bon pour ça!  Tout le monde me dit que je pourrai rien faire d'autres anyway.  C'est ma destinée, je suis fait pour ça!!

Une vague de tristesse s’empare de moi.  Ça fait plusieurs fois que j’entends ce discours, et à chaque fois il me semble un peu plus injuste.

-Ryan…je soupire, me laissant tomber sur mes fesses pour être à sa hauteur.  C’est pas parce que tu as des habilités avec ton cosmos que tu dois les utiliser pour faire du mal.   De ce que j’ai vu, tu as encore de la misère non?  Je peux te montrer comment contrôler ton cosmos, tu n’aurais qu’à –

-Non! Je veux pas rentrer dans une armée et servir un dieu calisse!!  

-Mais putain laisse-moi finir! J’essaye pas de te convaincre de joindre, je veux juste te montrer les bases pour que tu ne fasses pas de conneries et finir blessé.  Pis après ça tu pourrais quitter la vie criminelle et devenir un…ugh…un entrepreneur ou whatever.  Tes pouvoirs ne déterminent pas ton avenir.  Si tu veux pas être un Saint, c’est ben correct.  Si tu veux pas te battre en général, tant mieux pour toi, y a plein d’autres choses que tu peux faire.  Fais juste pas ruiner ta vie en pensant que la seule option que tu as, c'est de te battre et d'utiliser ton cosmos. As-tu au moins à un plan B si jamais tu réalises que tu es misérable avec ta gang de chums? Si tu te fais arrêté et qu'ils te foutent dans une prison spécialement pour des Éveillés?

Je n’ai pas de talent particulier pour les discours, j’ai une réputation pour dire des trucs tellement stupide qu'ils font halluciner, mais je sais que je l’ai fait réfléchir.  Peut-être que le combat va réellement se terminer là, à mon plus grand soulagement.

Attendez…vous entendez ça?

Bon, d'accord, Ntikuma n'avait jamais eu l'intention de rester assis tranquille.

Il n'avait eu besoin que d'attendre une petite minute avant que Mike ne perde intérêt et s'éloigne pour observer le combat. Il ne restait que Kevin pour le surveiller et ce dernier avait plus envie de discuter tranquillement que de le garder en otage, il parlait beaucoup même si le petit être ne lui disait rien en retour. Et ce n'était pas juste à cause de son mutisme, il était plutôt occupé à garder un œil sur Oscar, celui avec le fusil qui avait ordre de tirer sur Colombe si elle risquait de gagner le combat. Et de ce qu'il pouvait voir, elle s'en sortait si bien que c'était ce qui allait vraiment se passer.

Il n'avait pas besoin d'en faire beaucoup, juste le distraire pour quelques secondes pour permettre à la Sainte de mettre Ryan hors d'état de nuire. Sans l'éveillé comme distraction, ils ne pourraient rien contre elle. L'encapé attendit que Kevin se retourne pour attraper son téléphone, sans doute pour lui montrer sa recette de chili, puis bondit sur ses pieds et courut en gesticulant vers Oscar. Le troufion aperçut un flash rouge sur sa droit et sursauta en voyant Ntikuma qui fonçait vers lui sans aucune peur. Il n'était pas supposé être un non-combattant?! À le voir se jeter sur lui comme ça, il y avait de quoi douter... l'homme sentit la panique l'envahir et tenta d'appuyer sur la gâchette mais ses doigts tremblaient trop. Son instinct prit le dessus et il brandit l'arme devant lui, il y eut un "wack" sourd et une seconde plus tard, Ntikuma était affalé par terre, une main sous sa capuche à se frotter le crâne.

-OSCAR KESS TU FAIS??! T'AS FRAPPÉ LE FAIBLE?!

-Y... Il allait m'attaquer... j'te jure... il... il allait m'attaquer?

Ntikuma, toujours par terre, secoua la tête.  La figure d'Oscar vira au rouge vif et après avoir piétiné sur place pour quelques secondes, il attrapa le petit être par les épaules pour l'aider à se relever.

-S'cuse, j'ai cru que t'allais m'attaquer...  mais pourquoi t'as fait ça hein? C'était ben imbécile!

-OH MY GOD RYAN!!!

L'atmosphère qui était presque à la blague retomba soudainement dans une lourdeur presque sordide. Les trois spectateurs observèrent en silence la silhouette affaiblie de Ryan, tout au fond du barrage, qui peinait à se relever, et Colombe qui sautait par dessus la clôture pour le rejoindre. Kevin, qui avait déjà perdu son calme, sembla enfin perdre la raison pour de bon.

-ELLE VA LE TUER! OSCAR TUES LA BITCH! MIKE, OH MY GOD IL EST OÙ MIKE???

En effet, Mike avait senti le vent tourner et avait choisi d'abandonner son équipe pour battre en retraite et éviter de se faire attraper par les deux éveillés. Ce qui laissait au forgeron tout le temps du monde pour se concentrer sur le combat qui, malgré un coup qui aurait pu être dévastateur, se poursuivait tant bien que mal.

-OK... OK... À trois, je tire sur la fille, je vais la tenir occupée, tu descends chercher Ryan et on décalisse. Pis toi...

Son regard se voulait sévère mais ses mains tremblaient encore un peu.

-C'est la dernière fois que je t'avertis. Bouge plus. On t'a laissé faire parce que tu te bats pas mais là, tu m'niaise encore pis j'te jure que je... je...

BGM - https://www.youtube.com/watch?v=CSwx6zev1tE

Beaucoup de mots qui avaient été utilisés depuis des années pour le décrire. Faible. Pacifique. Non-combattant. Inutile, parce qu'il n'avait jamais osé lever la main sur qui que ce soit et ne pouvait pas se battre directement. Était-ce vraiment si simple de le mettre dans cette petite catégorie et de s'attendre à ce qu'il ne fasse rien, s'il n'était pas dans son Laboratoire à fabriquer des armures et donner cette petite aide aux guerriers plus belliqueux, rien de plus?

Debout au bord du barrage, à observer le lit asséché de la rivière, Ntikuma sentit qu'il avait quelque chose à prouver. Depuis si longtemps, son pouvoir lui était venu de ses mots et de son esprit, quelques années dans l'oubli avait-elles vraiment suffi pour que le monde ne se souvienne pas de ses prouesses cosmiques? Partout où il allait, des traces de son passage subsistaient comme un mirage dans les souvenirs de tout ceux qui avaient la chance de le croiser... mais celui-là, tout le monde allait le voir. Tout le monde allait se souvenir de qui il était et ce dont il était capable.

Le ciel s'illumina de bleu et d'argent alors que des dizaines de branches lumineuses quittaient les mains de l'Araignée pour remplir l'air autour du petit groupe, son cosmos brûlant avec tant d'intensité que même ses vêtements passaient du rouge, au bleu, au gris, au doré... Les vrilles immatérielles se faufilaient dans les crevasses des murs, l'espace entre les planches de bois tapissant la petite promenade mais le plus important... entre les lourdes portes qui gardaient le barrage fermé.

-Non...

La vague d'énergie qui traversa l'espace fut suffisamment puissante pour étourdir même les deux non-éveillés, pour un petit instant, alors que les projections lumineuses se transformait lentement en métal noir comme la nuit. Mais plutôt que de se briser, c'était plutôt le bois des planches, le mince métal des clôtures et le béton des fortes structures qui se fissuraient et éclataient en morceaux face à cette nouvelle résistance. Un mince filet d'eau commença à s'échapper du barrage, arrosant les deux combattants.

Oscar tint sa promesse, peu importe ce que c'était. Ntikuma sentit une violente poussée dans son dos et il chuta à son tour au fond du barrage.

Par chance, Ryan était là pour amortir la chute, même si ce n'était pas volontaire. Le petit être tomba directement sur le voyou et put se relever sans être trop amoché mais avant qu'il n'ait pu intervenir à son tour, un grondement sourd lui fit reporter son attention directement sur le barrage.
Il avait eu un plan, quelque part dans sa tête, quand il avait invoqué son cosmos pour ouvrir une petite partie du barrage. Mais quand Oscar l'avait poussé, il avait commis la terrible erreur d'interrompre un éveillé en plein processus de création... et il n'y avait définitivement pas assez de métal en ce moment pour retenir tout un barrage.

Le vrai miracle fut que Ntikuma fut assez rapide pour réagir. Toute la structure explosa en une fraction de seconde et déversa des trombes d'eau assez puissantes pour tuer un homme sur le trio d'éveillés. Même Colombe, sans doute la plus résistante d'eux tous, ne serait pas capable de s'en sortir. L'Ashanti, cependant, avait plus d'un tour dans son sac. Se retournant prestement vers les deux bourrins, il plaça ses mains sur leur torse et laissa son cosmos exploser à nouveau. Son esprit se remplit d'idées et de souvenirs récupérés ici et là, dans un film qu'il avait vu, ou un plan laissé derrière par un de ses anciens collègues, ou même un dessin d'enfant aux proportions un peu ratées... en une seconde à peine, les trois éveillés étaient chacun emprisonné dans une énorme combinaison de plongée en métal noir, puis le torrent les frappa.

Le silence s'abattit autour de Ntikuma, suivit d'un douloureux sifflements dans ses oreilles et un fort vertige. Il se sentait bouger, oh qu'il se sentait bouger, mais il n'aurait su dire où était le haut et le bas tant l'eau le secouait dans tous les sens. Son armure improvisée ne lui permettait pas de respirer, loin de là, mais ce n'était pas ce qu'il avait en tête quand il les avait créé. Tout ce qu'il avait à faire, c'était ne pas paniquer, endurer pour quelques secondes la sensation de brûlure dans son nez et dans ses poumons, le temps que son énorme flotteur géant n'arrive à le ramener à la surface.
C'était tout ce que ça prenait, quelques secondes. Ça ne les empêchait pas de durer une éternité. Mais éventuellement, le mouvement se calma et Ntikuma sentit la chaleur du soleil dans son dos, lui confirma qu'il avait encore une fois survécu à une situation où il n'aurait pas dû aussi bien s'en sortir.

Il avait maintenant un autre problème. Flottant sur le ventre, ses bras emprisonné dans sa combinaison flottante n'arrivaient pu à rejoindre l'eau et il voguait maintenant à la dérive sans moyen de se sortir de l'eau. Oups.

Vous entendez pas ça? Ignorez pour une seconde Billy Joel qui chante en arrière-plan et écoutez bien...

...non mais pourquoi j'entends une version symphonique de Race to the Sea??

La réponse à ma question me tombe sur le nez.  Enfin non, pas tout à fait: la réponse, sous l'apparence d'un Ntikuma, tombe soudainement sur Ryan sans aucun avertissement.  Ryan n'a pas besoin de s'exlamer "Trahison!", parce que pour une brève seconde je le vois dans ses yeux.  Je vois le sentiment de trahison, le choc, la douleur et surtout la colère.  Donc ouais, c'est un regard qui dit tout.  De toutes façons, ce qu'il allait me jeter avec tout le venin qu'un jeune aspirant entrepreneur peut avoir (plus que vous le croyez), est englouti par le son brutal des vagues qui nous frappent sans pitié.  L'eau nous claque à la piscine tellement fort qu'elle pourrait nous écraser avec puissance sur le lit rocheux.  Rien ne nous prépare à la puissance claque dans la gueule qu'on reçoit, pas même mentalement, bien que j'ai le temps de penser "PUTAIN DE MERDE ON VA CREVER" afin de me préparer au choc.  Il n'y a que Ntikuma, que je soupçonne être le responsable du barrage boustillé, qui a le réflexe rapide d'utiliser son cosmos pour nous sauver la peau.  Un bref contact physique et boum, on porte tous des combinaisons flottantes noires trop classe que je suis sûre que Zhihao à au fonds de sa garde-robe (ça fait un peu combinaison espionnage).

Le seul petit hic est que nos combinaisons sont...trop efficaces.  C'est littéralement la combinaison parfait d'un ensemble de plongeur professionnel et d'un costume d'Halloween gonflable.  Quand j'arrive enfin à la surface, après avoir supporté l'eau qui me rentre dans le nez et me faire tournoyer dans tous les sens possibles, je flotte sur le dos en formant la parfaite étoile de mer.  Je crache un peu d'eau en dehors de mes poumons et quand je me crois assez calme pour demander si tout le monde est là, je reçois un coup si fort dans le ventre que je me retrouve encore sous l'eau pendant un instant. Je coule si soudainement et si loin que je sens une pierre cogner contre mon dos avant que je remonte vers la surface.  J'ai juste une seconde pour comprendre ce qui se passe.

Ryan a décidé que c'était le moment parfait pour qu'on recommence à se taper dessus et se gêne vraiment pas pour me tabasser malgré la combinaison flottante qui l'emprisonne.  J'aurai normalement du respect si je ne serais qu'une spectatrice, après tout c'est impressionnant qu'il peut bouger ainsi alors que moi je figure encore la technique de l'ange de neige, mais non: déjà c'est moi qui se fait abîmer le portrait, et puis moi je m'inquiétais pour la sécurité de tout le monde.  Mais je vois bien que nous sommes absolument pas dans la même longueur d'onde, ce qui me fait un petit peu chier.  Et puis du coup, parce que je veux pas mourir de la main d'un entrepreneur fâché dans une rivière déchaînée, je commence à me défendre un peu.  À chaque fois qu'il me frappe jusqu'au fond de l'eau, je profite de ma remontée rapide grâce à la combinaison pour avoir un élan pour riposter à mon tour.  Certes, mes coups sont vraiment faible et me font plus mal à moi qu'à lui, mais on fait avec ce qu'on a.  

Quoi?  Utiliser mes techniques cosmiques contre les siennes, qu'il peut refaire de nouveau maintenant qu'il n'est plus paralysé?  Vous pensez vraiment que je suis capable de me battre avec ma cosmo-énergie pendant de telles circonstances?  J'apprécie que vous assumez qu'avec le lapse dans le temps, j'ai eu assez de développement pour être plus compétente au combat et pour être plus difficilement confuse.  Je veux pas vous décevoir, mais honnêtement la seule technique qui me vient en tête pour oublier la sensation de brûlure à chaque fois que le poing de Ryan connecte à ma figure, c'est chanter Pleure dans la Pluie de Mario Pelchat pendant que je me fais noyer alors que je me fais rosser.  Mais vous inquiétez pas, si vous pensez que c'est mauvais, Ryan est d'accord avec vous parce qu'il a réussi à me balancer Ntikuma à la tête, donc mon heure de meme a été court.

Comment ça se fait qu'un Éveillé spécialisé en pyrotechnique peut être encore meilleur dans le combat dans l'eau.  Je pensais que j'allais réussir, et voilà que j'ai parlé trop vite.  Sachant au fond que je ne vais pas gagner, je finis par rester en étoile mer, résignée, en espérant qu'il va s'épuiser vite et que je vais survivre jusque là.  Désolé Ntikuma, si jamais toi tu t'en sors, je veux que ce soit toi qui crée ma pierre tombale.  Mets des écureuils dessus si tu veux pour commérer notre court moment ensemble, ou mieux encore, grave un meme qui représente le mieux ce que je ressens en ce moment: guess I'll die.

Mais peut-être qu'il y a encore de l'espoir: Ryan me frappe cette fois-ci si fort contre la jambe que j'en suis tournoyée.  Avec la parfaite synchronisation des vagues furieuses, j'arrive accidentellement à porter un crochet solide sous le menton de Ryan, qui semble finalement lui faire du dommage.  Ça et la roche qu'il a heurté avec sa tête immédiatement après, mais surtout mon crochet.  Alors que je continue de tourner dans le courant, les bras et les jambes écartés et à peine capable de tourner la tête pour regarder ce qui s'est passé, je demande tout en crachant un peu d'eau encore:

-Est-ce que je l'ai eu?

Qu'est-ce qui pourrait les sortir du torrent?

Tant de choses. Une main titanesque qui les soulèverait hors des flots, une voile sur leur combinaison qui les pousserait vers la berge, un filet qui les ralentirait pour leur permettre de nager, pourquoi pas un barrage? Pourquoi pas une combinaison encore plus grosse qui leur permettrait de survivre aux chutes et rapides qui pouvaient encore leur ouvrir le crâne s'ils étaient malchanceux? Tout ça était facile, s'il pouvait l'imaginer, Ntikuma pouvait le faire apparaître à partir de rien, comme si ce n'était qu'une autre de ses merveilles. Presque aussi facile que d'ouvrir un barrage... la plupart des éveillés aurait juste fait un trou.

Le problème, maintenant, était l'espace. Sa notion de l'espace, plutôt. S'ils n'étaient pas trop occupés à se taper dessus, Colombe et Ryan auraient pu remarquer les mirages cosmiques qui les suivaient dans l'eau, des images qui tentaient de se former avant de se déformer, s'étirer, se tordre et passer au travers des rochers et autres débris avant de disparaître brusquement. L'énergie était bien celle du forgeron mais sans être capable de se repérer, ses idées et donc les projections qui les accompagnaient ne pouvaient rester ancrés dans la réalité. Alors apparaître au bon endroit, quand il ne pouvait plus différencier le haut du bas? Impossible. La seule option était d'attendre un moment plus calme... quand les profondeurs l'engloutiraient ou quand ils finiraient tous en chute libre vers la prochaine rapide. Quelques secondes de silence et de terreur, juste avant que son équipement ne révèle ses limites, où il pourrait reprendre son calme. La mort ne lui faisait plus peur depuis longtemps, même les pires blessures n'avaient plus cette menace qu'elles avaient déjà eu. Le petit être avait appris à apprécier ces moments de silence, peu importe quand ils arrivaient. C'était le meilleur moment pour agir...

... Ou Colombe pouvait parvenir à l'agripper et le lancer sur Ryan. Ces deux-là, malgré la situation, continuaient d'essayer de se battre et avant cette idée de génie, la Sainte ne s'en sortait pas très bien. Grâce à elle, l'Araignée eu une seconde pour voir ses environs et remarquer ce qui pouvait les aider : arbres, roches, branches, équipement... même un panier d'épicerie, à demi enseveli par la boue et le temps. Il y avait plus de déchet que ça mais il ne fallait pas trop s'y attarder. L'inspiration ne lui venait pas souvent de ce genre de fléau délaissé par l'humanité. La nature avait toujours été une bien meilleure source de créativité, il fallait donc faire bien attention de la respecter.

Le corps de Ntikuma retomba mollement dans l'eau mais ne repartit à la dérive que pour une seconde ou deux avant d'être arrêté par un rocher placé juste au bon endroit par une étincelle de cosmos. L'Ashanti se releva miraculeusement, donnant presque l'impression de marcher sur l'eau comme le fameux prophète, et sa combinaison tomba en morceaux, révélant le petit être dont les vêtements et l'armure brillaient d'une lueur turquoise éblouissante. L'eau semblait s'écarter pour le laisser passer, créant de grandes crêtes blanches à ses côtés mais non, la nature n'en avait pas eu assez de le malmener ; tout cela était créé de sa main. Un reflet bleuté parcourut sa peau alors qu'un pont se matérialisait devant lui, massif, angulaire et curieusement industriel, presque victorien, pas exactement son style... mais c'était celui de la ville et donc, c'est ce qui l'inspirait. À chacun de ses pas, la lumière mystique se transformait en pierre sous ses pieds et bien qu'il peinait à garder l'équilibre, il put s'extirper de la rivière sans problème. Si seulement il aurait pu prendre le temps d'apprécier le moment, observer la beauté des lieux du haut de son perchoir, de cet angle que personne avant lui n'avait pu apprécier avant aujourd'hui. Bientôt, sa création serait découverte et deviendrait un miracle local, puis un terrain de jeu pour les plus audacieux, pour enfin disparaître sous le poids du temps. Ce pont, plus précisément la raison pourquoi il existait, ne pourrait être apprécié que pour quelques secondes.

En regardant Colombe et Ryan flotter sans but dans les rapides, une idée plutôt amusante lui traversa l'esprit. Son cosmos bleu passa au vert feuille et il matérialisa une énorme canne à pêche avec une sorte de griffe comme il en avait vu dans les jeux de carnaval. Il lui fallut quelques essais mais éventuellement, l'Ashanti parvint à attraper Colombe et la tirer vers le pont. Juste quand il arriva à attraper Ryan, un bruissement se fit entendre derrière lui.

-Bro pourquoi tu sauves les deux t'es ben stupide!

Une dame assez âgée faisait de son mieux pour descendre vers la berge de la rivière, accompagnée de Mike qui lui offrait son bras pour l'aider à ne pas trébucher dans les branches ou mettre le pied dans un nid de couleuvres. Il tenait son fusil dans sa main libre mais ce n'était pas ce qui intriguait le forgeron. La femme semblait bien ordinaire, élégante et bien habillée, sauf pour un détail : un tatouage de papillon sur son poignet. Le dessin était juste un peu trop particulier et vu comment il était placé, facile à camoufler. Impossible de voir si Mike en avait un aussi. Sans se laisser intimider, Ntikuma les salua d'une petite révérence.

-Pff, t'es ben téteux. Bon, ça c'est la boss, tu peux l'appeler Jeanette. Tu vas peut-être vouloir rester pour voir ça, une fois qu'on aura réglé le compte de la Sainte on a une proposition pour toi...

-Michael.

La dame n'était pas autoritaire mais son ton était ferme, assez pour fermer le clapet au voyou. Elle regardait la figure rouge avec un regard plutôt sympathique, malgré les circonstances, et c'était suffisant pour le garder intrigué.

Après quelques secondes, j'appelle encore Ntikuma, jusqu'à ce que je me rends compte qu'il ne me répondra pas.  Au lieu de perdre du temps à avaler de l'eau juste pour crier son nom, j'essaie de regarder aux alentours, mais avec le courant agressif, il n'y a vraiment pas moyen de juste prendre le temps de regarder autour, sans compter l'eau froide et dégoûtante qui nous engloutit la tête par vague. Je réussis cependant à repérer Ryan qui se laisse emporter par la dérive, inconscient.  Je réussis à mettre ma main sur lui avant qu'on soit séparé pour demain.  Je ne vois peut-être pas Ntikuma tout de suite, mais Ryan est là et je ne vais pas le négliger non plus.  Même si mon discours de tout à l'heure pour qu'il se rachète a finalement tombé à l'eau...eheheh.  

Soudainement, trois griffes géantes vertes fluo se matérialisent au-dessus de nos têtes.  Beaucoup de confusion et de panique s'ensuit, mais pour les premières secondes, j'étais vraiment confuse sur l'origine des griffes.  Est-ce que c'est moi qui les ai matérialisés??? Le cosmos est vert comme le mien, est-ce que j'ai débloqué des habilités, monté de niveau?  Avant d'avoir le temps de répondre aux cinq questions de base, les griffes se replient lentement sur moi, me saisissant fermement, mais sans me blesser non plus.  Le seul dommage effectué est sur ma combinaison, qui se fait percer.  Maintenant que je n'ai plus à m'inquiéter à propos du courant, je peux enfin repérer l'Araignée, qui est sur un pont de cosmo-énergie bleue.  Mon regard va de lui aux griffes, puis à la canne à pêche qu'il tient dans ses mains, pour finalement à revenir à lui.  Une vague de réalisation s'empare de moi et comme un petit extraterrestre vert qui fait squeak , je réagis:

-Ooooooooh- OH SHIT OH SHIT!

Moi je m'imaginais la scène dans Histoire de Jouets et qu'on serait lentement soulevé, mais j'ai tellement, tellement tort.  On se fait balancer dans les airs, faisant un grand arc vers le ciel et je n'ai même pas le temps de m'excuser mentalement pour tous les poissons qui se sont fait pêcher ainsi, parce que je peine rapidement à retenir Ryan que, je vous rappelle, je tiens par la force de mon poing.  Mon fragile, frêle, faible, blanc tellement que je serre fort, minuscule petit poing qui retient Ryan par sa combinaison gonflable glissante à cause de l'eau qui en ruisselle.  Dans un flash rapide, mon bras se fait étirer douloureusement, tellement que je lâche prise instinctivement malgré moi et Ryan, pauvre Ryan, se fait balancer dans les airs pour aller atterrir quelque part péniblement encore une fois.  Je me fais tirer vers le pont et je tombe sur sa surface lisse le visage au sol. Je crache toute l'eau qui avait réussi à atteindre mes poumons, puis je me remets sur mes genoux en panique, cherchant pour Ryan.  Ntikuma est plus rapide que moi et avant que je puisse le repérer, il jette encore une fois sa canne à pêche à l'eau pour le chercher.  Alors qu'il le ramène, l'épuisement s'en prend à moi comme une immense vague.  La journée ne sait définitivement pas passée comme prévu, c'était supposé être juste une petite visite à Buckingham pour faire plaisir à la famille.  Au lieu de ça, j'ai co-organisé des funérailles pour John Cassidy l'écureuil, nous avons pourchassé un voyou pyromane, on a découvert un nouveau gang et on s'est battu dans une rivière.  Je me laisse donc retomber à pleine figure contre le sol, qui semble se dissiper tranquillement sous nous pour que nous revenions à pied ferme sur la berge.  Je laisse le sable froid m'étamper la joue et me s'infiltrer dans mes cheveux, mon corps veut juste une petite pause physique et mentale.  Une petite minute qui ne demande pas d'effort physique ou de stresser pour quelqu'un qui veut me tuer.  Juste 60 petites secondes de rien pour que...putain.

Un bruissement se fait entendre, et Mike surgit avec de la compagnie.  Je relève la tête pour reconnaître un visage familier que j'avais interrogé ce matin.

-Hé mais je vous reconnais, vous êtes la dame que-

Le clic de revolver m'interrompt et j'aperçois Mike qui pointe son arme vers moi.  Visiblement, mon commentaire n'est pas voulu.  Normalement, je ne me fais pas taire facilement, surtout pour dire des foutaises, mais soudainement je ne veux que rester le plus immobile.  Voyez-vous, au moment même que j'ai été mise en joue, j'ai senti quelque chose glisser contre ma jambe avant de monter lentement dessus.  Je voudrais bien la secouer pour m'en débarrasser, mais je veux pas faire sursauter tout le monde, surtout quand Mike est armé et que l'air est déjà assez tendue comme ça.  Et puis, ce n'est pas comme si j'ai pas déjà eu de la pratique auparavant: des criquets géants, des scorpions...qu'est-ce qu'une couleuvre qui me grimpe dessus?  Je l'ai maintenant ma petite minute à pas bouger, je me tais et tout le monde est relativement content, alors no big deal.  Et alors que j'ai envie de mourir à l'intérieur et de me rejeter à l'eau pour m'en débarrasser?

"Ohh mais va chier petite couleuvre de cul, si tu pourrais gentiment penser bientôt à débarquer et aller te faire enculer, ça serait bien!!"

Alors que je maudis avec tout mon âme la petite peste rampante qui se faufile tranquillement sur moi en direction de ma nuque, Jeannette parle de choses sérieuses avec le Chevalier Noir.

-Je m'excuse personnellement pour toute cette commotion.  Mon employé a...surréagi, dit-elle en jetant un regard noir à Mike, qui la regarde avec adoration sans comprendre le message.  Mais, il faut voir le bon côté des choses: vous avez pu voir au moins une fraction de quoi nous sommes capables.  Notre organisation est encore jeune, et malgré les nouvelles tribulations auxquelles nous faisons face, nous avons de plus en plus de pouvoir et de contrôle.  Buckingham nous appartient et ce n'est qu'un début.  

Elle incline un peu la tête et durant son échange avec Ntikuma, elle ajoute:

-Je crois qu'il serait dans le meilleur de vos intérêts de nous aider avec notre cause et en retour, nous pourrons vous accorder des faveurs dans tout le Québec.  Plus notre empire s'étend dans le pays, plus d'assistance et de ressources pour vous.  C'est la moindre des choses que vous pourriez nous accorder, sachant comment votre révolution a chamboulé nos opérations.

La couleuvre glisse entre mes deux omoplates tandis que Jeannette hausse les épaules, "bien sûr, nous pouvons en discuter davantage après qu'on se débarrasse de la Sainte.  Et si vous nous laissiez l'honneur, qu'on puisse vous montrer que nous sommes de bonne foi? Michael, tue la Sainte.", ordonne-t-elle

Mike ajuste son tir pour pas me manquer et c'est là que je décide d'agir.  Autant que j'haïs mes instincts de survie, je les écoute et je saisis la couleuvre qui était prête à visiter mes cheveux.  Aussitôt que ma main se referme sur elle, je regrette tous mes choix de vie et avec un cri de dégoût je la lance à la figure de la première figure, qui tombe à être celle de Jeannette.  Nos réactions sont un peu similaires, même si ma main me provoque la même répulsion que quand je tire le bouchon de l'évier que mes doigts rentrent en contact avec de la bouffe trempe.  Tout ça pour dire que cet incident devient une petite distraction pour Mike et je saisis ma chance.  Je matérialise un meme shield que je saisis à deux mains pour le fracasser sur sa tête.  Il s'écroule à terre pour joindre Ryan dans Cocoland et je m'empare de l'arme pour la braquer vers Jeannette.

-Et dire que plus tôt je pensais que t'aurais pu être ma tante cool.