Les visiteurs étaient si rares, ces temps-ci... en entendant les bruits de pas dans la salle principale, Ntikuma avait vite délaissé son travail pour aller voir de qui il s'agissait. En voyant la curieuse Shizuka admirer les armures, cependant, il choisit de rester en retrait, la laissant visiter et regarder sans être dérangée. Ce n'est que lorsqu'elle rejoignit les quartiers personnels que le petit être décida de se présenter.

Appuyé contre le cadre de porte, l'Araignée cogna doucement pour attirer l'attention de la Guêpe. Son apparence n'était peut-être pas des plus impressionnantes, juste une petite silhouette masquée, mais l'armure sur son dos ne mentait pas. Et ces reflets d'or qui dansaient sur ses voiles rouges, était-ce du cosmos ou juste l'imagination de l'assassin? Ntikuma la salua doucement de la main avant de s'avancer pour examiner la lunette d'observation à son tour. Il savait comment s'en servir, en soit ce n'était pas bien compliqué, mais il ne savait pas où la pointer exactement pour voir une étoile ou une autre, tant que la vue était jolie. Ce n'était pas non plus une partie gagnée, surtout comparé à d'autres endroits dans le monde...

L'Ashanti leva un doigt devant ses yeux en concentrant son cosmos, surtout pour montrer à Shizuka qu'il n'était pas hostile, avant de pointer vers la table. Des lettres d'or flottaient juste au dessus du bois.

"Il y avait une Guêpe. Elle fait maintenant partie du Bélier."

Les formes dessinées dans le ciel étaient peut-être des figures emblématiques de la mythologie et un symbole de l'influence d'Athéna sur la Terre mais parfois, elles n'étaient que ça, des dessins imaginaires. C'était, d'une certaine façon, un peu représentatif des Chevaliers Noirs.
Les lettres se métamorphosèrent pour créer de nouvelles phrases. Le petit être aurait aimé divaguer un peu plus longtemps, mais quand un Chevalier Noir prenait le temps de visiter son laboratoire, c'était toujours pour une raison précise.

"Je suis Ntikuma. As-tu besoin que je répare ton armure?"

La jeune femme s'empressa de s'excuser de son intrusion et salua le petit être en s'inclinant. Ce dernier le lui rendit, son masque ne laissait pas paraître grand-chose de son humeur mais sa posture un peu plus théâtrale laissait paraître que la situation l'amusait. Ntikuma avait toujours été un artiste et un acteur, son arrivée sur Death Queen Island avait fait de lui un créateur et un protecteur mais avant tout ça, il était d'abord et avant tout un conteur. Forcément, ça lui faisait plaisir d'avoir quelqu'un à qui parler, à sa façon, même si les histoires que l'Araignée avait à conter n'étaient peut-être pas ce que Shizuka souhaitait entendre.

Les doigts du petit être pianotait dans le vide, commandant à son cosmos de tracer de nouvelles lettres là où il pouvait trouver de la place. Quand il devait illustrer tant de mots sortis tout droit de son imagination, il devait essayer de le faire plus petit et plus ordonné, pour rendre le tout plus lisible.

"Juste la proximité. Ce sont les humains qui ont créé la constellation, comme avec le Caméléon et le Phénix. Les Saints l'ont juste récupéré, si on veut, et maintenant elle fait partie de leur histoire. La constellation elle-même n'était qu'un dessin dans le ciel pour aider les mortels à naviguer."

Pas exactement une information inspirante et donc Ntikuma continuait de farfouiller sa mémoire à la recherche d'histoires avec la guêpe comme personnage... quelques fables, peut-être, mais rien de plus. Le seul encouragement qu'il pouvait lui offrir était dans un haussement d'épaule indifférent et une nouvelle écriture lumineuse.

"Le monde a changé depuis les débuts de l'Ordre Noir. Nous ne sommes pas des Saints, nos armures ont le droit d'avoir leur propre histoire."

De moins en moins de Chevaliers Noirs venaient sur l'île en tant que guerriers déchus d'Athéna, combattre les dieux n'était même plus toujours la cause principale. C'était quelque chose que l'Araignée avait toujours tenté d'encourager dans ses créations, les copies d'armures avaient tendance à vite perdre leur ressemblance avec l'originale pour devenir quelque chose de nouveau, qui refléterait mieux son porteur.

Le petit être hocha doucement la tête pour répondre à la prochaine question de Shizkua, puis se retourna pour la laisser admirer l'armure accrochée dans son dos. Même si la Guêpe ne connaissait pas grand-chose sur la version "originale" de l'armure de l'Araignée appartenant aux Saints, elle remarquerait bien vite que celle portée par Ntikuma ne lui ressemblait pas du tout. Celle-ci était plus abstraite, moins menaçante, plus belle de bien des façons... et le mince nuage de cosmos qui l'entourait donner l'impression qu'elle respirait en même temps que son porteur.

Sa dernière question était un peu plus terre-à-terre. En lui faisant face à nouveau, le forgeron inclina doucement la tête et prit quelques secondes avant de lui répondre. La nouvelle venue avait-elle déjà des idées de grandeur?

"Elles sont cachées. Il existe plusieurs copies des armures de Bronze et d'Argent mais les copies des armures d'Or sont uniques, elles sont donc gardées très précieusement. Nos armures elles-mêmes ne sont pas vivantes, n'importe qui peut les porter, mais elles restent un symbole très puissant à ne pas prendre à la légère."

Vraiment, juste le fait de porter une armure noire, peu importe laquelle, pouvait vite monter à la tête des gens, surtout ceux venant de Death Queen Island qui passaient leur vie sous la botte de quelqu'un d'autre. Si n'importe qui pouvait enfiler l'équivalent d'une armure d'or et parader librement avec...
Le muet secoua doucement la tête pour chasser ses sombres pensées et les effluves de cosmos qui l'entouraient disparurent soudainement comme si elles n'avaient jamais été là. À la place, ce fut plutôt le passage derrière lui qui s'illumina d'une lumière dorée, invitant les deux mercenaires à se rendre encore plus loin dans le laboratoire. Ntikuma avait ses propres méthodes pour travailler, mais la forge avait été extrêmement bien conservée depuis plusieurs années. Il y avait encore quelques pièces à visiter et il aurait peut-être quelques questions à poser à son tour...

La jeune Shizuka écoutait avec attention les propos du forgeron. Ou plutôt elle lisait… cela lui demandait un peu de concentration par rapport à une conversation normale mais celle ci n’en était pas moins très intéressante. Elle apprit donc que l’utilité première des constellations fut de servir de guides aux navigateurs. Aucun rapport avec de quelconques religions donc. Simplement des « panneaux indicateurs » pour s’orienter en mer. C’était un peu décevant comme histoire, mais la Nippone se garderait bien d’émettre un quelconque jugement à l’encontre de celle ci. Après tout la réalité était très souvent bien loin de tout ce qu’on l’on pouvait imaginer et généralement plus cruelle. Elle était bien placée elle même pour le savoir. La suite de la petite histoire raviva cependant son intérêt. Écrire la propre histoire de son armure… quelle serait la sienne… le début avait été écrit par son oncle de ce qu’elle en savait. Le dernier chapitre d’ailleurs, ne devait pas être ce à quoi il s’attendait. Car il n’était pas encore écrit tout simplement. Elle avait survécue à ce terrible crash… et finalement ce qui devait clore le chapitre avec une fin tragique pour sa famille, ne fut que le commencement d’une nouvelle histoire… d’un nouveau récit…mais quelle conte pouvait bien se cacher derrière ces armures portées par tous les Black Knight? Quelle histoire renfermait celle que portait son homologue? Ce mystérieux être masqué?

 « -Je vais donc commencer à écrire l’histoire de la Guêpe… »

Sourit elle.

 « -Mais veux tu bien me conter celle de la personne qui me fait face et qui me parait si singulière? Cette armure a quelque chose de… différent semble t’il. »

Car en effet il lui avait été difficile de rater les éclats de cosmos et cette espèce de brume l’entourant… cela en devenait même intriguant. Soit cette personne cachait une puissance prodigieuse, soit elle avait su y mettre quelque chose de particulier qui rendait son armure unique en son genre. Comme une petite touche artistique qui attirait l’œil autant qu’elle encourageait à se méfier. Peut être était ce tout simplement les deux? Se demandait elle. Elle put ensuite apprendre que les armures d’or noires étaient cachées car elles étaient uniques. Une chose qu’elle ne comprenait pas vraiment. Car son armure elle l’avait gagné en se battant pour l’avoir et pensait que quelque soit l’armure, il en allait de même. Étrange… la symbolique des armures d’or bien sûr elle la comprenait. Après tout chez les Saints cela était réservé aux êtres uniques. Mais chez les Black Knight… existait il aussi des êtres uniques?

 « -J’avoue ne pas comprendre… j’ai gagné mon armure en me battant pour l’obtenir. Est ce différent pour les armures d’or? »

Demanda t’elle en penchant légèrement la tête sur le côté faisant tomber sa longue tresse noire de jais de son épaule. Donc non. Pour elle, n’importe qui ne pouvait pas les porter ces fameuses armures. Elle avait dû s’entraîner durement, se battre et risquer sa vie pour l’obtenir. Et tout en écoutant la réponse, elle put voir comme un chemin doré s’ouvrir derrière Ntikuma. Shizuka fronça les sourcils perplexe. Mais la curiosité était forte. Elle était avide d’en apprendre plus et son interlocuteur ne semblait pas avare d’histoires et de renseignements. Alors elle allait la suivre bien entendu. Peut être que d’autres réponses à ses questions se trouveraient plus loin dans l’antre des forgerons…peut être même qu’elle pourrait voir un travail en cours, ou bien encore la forge?

La petite silhouette rouge s'immobilisa soudainement, comme si elle avait été changée en statue en une seconde à peine. Son cosmos, par contre, continuait de s'intensifier, formant des images aux proportions déformées et aux couleurs improbables, possiblement sans queue ni tête mais qui, si Shizuka parvenait à les observer assez vite, pourraient avoir l'air de souvenirs. Les fragments les plus tangibles ne devaient pas paraître bien hors de l'ordinaire, pour un éveillé: beaucoup de combats. Beaucoup de violence. Mais aussi beaucoup de sourires tristes et d'yeux émerveillés. Et plus loin encore...

Ntikuma agita rapidement la main et les projections disparurent aussi vite qu'elles étaient arrivées. C'était ça de vivre seul aussi, à défaut de pouvoir se parler à lui-même son cosmos avait tendance à s'emporter et à projeter tout ce qui lui passait par la tête. Son passé n'avait cependant plus grand-chose à voir avec son histoire, aussi contradictoire que cela pouvait paraître. Il préférait nettement se concentrer sur ce qu'il était maintenant.

Le couloir illuminé mena les deux mercenaires à la salle de travail principale, là où les forgerons et alchimistes de Death Queen Island avaient travaillé et perfectionné leur art pendant des siècles. De véritables antiquités se mélangeaient aux outils plus industriels sur des étagères de bois, pierre, métal, tout ce qui avait pu tomber sous la main des artisans au fil des années et qui avaient pu les aider dans leurs tâches. Il n'y avait pas une trace de poussière dans ces lieux, mais tous les outils qui auraient pu servir étaient rangés bien hors du chemin dans un arrangement qui semblait esthétique plutôt que pratique. Une lourde table en bois trônait au centre de la pièce, couverte de vieilles taches et de brûlures mais propre. Un faible feu brûlait dans la fournaise et une ouverture dans la paroi rocheuse laissait passer la lumière de l'extérieur. Toute la pièce avait plus des allures de musée que d'un atelier ayant vu naître les premières armures noires, entretenue avec soin mais peu utilisée, sauf pour un petit coin à l'autre extrémité... un grand miroir était adossé contre le mur, couvert de croquis et de portraits et juste devant, une petite pile de pièces d'armures noires. De nouvelles lettres d'or apparurent sur la table.

"Cette forge a vu les débuts des chevaliers noirs et verra peut-être leur fin, un jour. Mon rôle est de préserver ses histoires et aider ceux qui n'ont pas fini d'écrire la leur. J'ai été recruté par les Seigneurs Noirs pour mes capacités car contrairement aux alchimistes avant moi, je n'ai pas besoin de la forge pour créer. Une grande partie de mon travail consiste à réparer les armures mais surtout d'en créer des nouvelles."

C'était la coutume chez tous les éveillés servant une divinité et une norme encore très présente chez bien des Blacks Knights : l'armure avait souvent plus d'importance que son porteur. C'était normal, dans un sens, quand un héritage et une identité prenait des siècles et des siècles à se bâtir. Cela n'empêchait pas Ntikuma d'essayer de briser ce cycle en offrant le contraire et même, sans trop se vanter, de bien meilleur qualité. C'était presque une bonne transition vers sa prochaine question. Quand la Guêpe lui demanda si les prétendants aux armures d'or méritaient leur armure d'une différente façon, le petit être secoua la tête à la négative, sans pour autant être très convaincant. Une nouvelle écriture sur la table vint expliquer sa pensée.

"C'est pire. Pour survivre en portant une armure d'or, il faut se battre avec bien plus que ses poings. Il faut de l'influence, de l'autorité et de la ruse ou sinon, assez de puissance pour écraser ses ennemis sans les laisser combattre. L'argent aide beaucoup, aussi. Le prestige de ces armures vient avec une terrible compétition qui ne cesse jamais, ce serait trop risqué de les laisser tomber entre les mauvaises mains. Il faut beaucoup d'ambition pour les trouver."

Même si, vu le passif de l'Ordre Noir et les dirigeants qui s'y étaient tenté, il lui tardait de voir à quoi un bon porteur pourrait avoir l'air... sans avertissement, le forgeron déposa son armure sur la table et grimpa juste à côté d'elle pour s’asseoir, ses pieds ne touchant même pas le sol. Son cosmos s'était calmé un peu, permettant d'observer les détails et la construction du totem de l'Araignée. D'inspiration africaine, ses formes et ses gravures ne ressemblaient à aucune autre armure. Difficile d'imaginer n'importe qui autre que Ntikuma la porter.

"Pourquoi? Tu en veux une?"

La surprise de Shizuka en apprenant comment Ntikuma créait les armures fit trépigner ce dernier d'excitation et il hocha la tête pour confirmer avec joie. Ce n'était pas conventionnel et venait avec, pour la quasi-totalité des éveillés, d'énormes désavantages mais ses pouvoirs étaient ce qui lui permettaient de s'exprimer et de pratiquer son art, il y avait de quoi être fier. De quoi être surpris, surtout ; quand tout ce qu'il y a à voir est un drôle de petit bonhomme muet qui sait dessiner —quelqu'un l'avait qualifié de Jawa, une fois— il était facile d'oublier à quel point créer de la matière à partir de rien était une technique puissante. C'était bien de se sentir apprécié.

Une démonstration semblait de mise, au moins pour lui montrer comment le processus fonctionnait, mais Shizuka surprit le forgeron à son tour en expliquant que non seulement elle pensait un jour convoiter une armure d'or, elle semblait même bien préparée. Les difficultés et conséquences soulevées par Ntikuma ne semblaient pas l'inquiéter, encore moins la décourager. Évidemment, n'importe quel éveillé portant une armure de bronze souhaitait devenir plus puissant mais tous n'avaient pas les mêmes raisons. La Guêpe venait juste de mentionner une entreprise usurpée qui aurait dû lui appartenir... avait-elle élevée pour prendre le rôle de chef de famille un jour? En inclinant la tête, Ntikuma concentra son cosmos dans la paume de sa main pour y matérialiser un crâne, symbole de l'une des plus célèbres pièces de Shakespeare, et mima de lui faire la conversation pour quelques secondes joueuses, puis le pointa vers Shizuka comme pour avoir une confirmation. Même si elle ne connaissait pas les détails de la pièce, les œuvres de l'époque partageaient souvent le même thème : la famille et la vengeance. Il n'avait pas le cœur de lui rappeler comment elles finissaient.

Il y eut un flash et en quelques secondes, l'hologramme lumineux devint un objet de métal noir bien réel. Le petit être le déposa sur la table à côté de son armure et reporta son attention sur la Guêpe. Du bout du doigt, il écrivit sa prochaine question juste devant lui. Une question toute simple, et pourtant...

"Et ensuite?"