Rodorio

La première chose qui sortit Ntikuma de sa torpeur fut une faible odeur de cannelle et de vanille, puis la chaleur qui l'enveloppait comme un cocon alors qu'il recommençait à bouger sans savoir où il se trouvait. Dès que ses yeux s'entrouvrirent sous son masque, des milliers de questions commencèrent à se former dans son esprit, mais sans jamais se solidifier, et ce n'est qu'en tentant de se redresser qu'il remarqua l'épaisse couverture qui entravait ses mouvements. Quelqu'un l'avait installé sur un canapé, dans une maison qu'il ne reconnaissait pas, il ignorait combien de temps il avait été inconscient, mais toutes ces constatations entraient par une oreille et ressortaient par l'autre ; le petit être restait parfaitement immobile, à fixer le mur devant lui, ne tournant la tête que lorsqu'une femme pénétra dans le petit salon avec un plateau dans les mains, sans même s'inquiéter que ce ne soit pas Gianna, ou même en remarquant le fusil de chasse à son épaule. Elle prononça quelques mots que l'Araignée ne comprit pas, et c'est lorsque sa bienfaitrice s'approcha pour vérifier son pouls et claquer des doigts devant ses yeux que le muet remarqua pour la première fois son mal de tête, et aussi le fait que son épaule, gravement blessée lors de l'évasion de Reagan, ne lui causait aucune douleur. En fait, à part pour son mal de tête, il se sentait très, très léger.

-Ah, sacrament... Excusez-moi, chuis vraiment désolée, c'est la première fois que j'dois traiter un éveillé comme ça, mon mari m'a dit que vous avez une résistance aux médicaments pis j'ai essayé d'adapter la dose, c'était pas supposé vous assommer comme ça. J'vous laisserais ben dormir un peu plus longtemps, mais on a vraiment pas beaucoup de temps, vous êtes censé être parti. Gianna va expliquer c'qui s'est passé, vous serez plus en sécurité si vous retournez chez vous, si quelqu'un a besoin de vous parler on saura où vous trouver.

Inutile de lui expliquer comment son épaule avait été stabilisée, mais qu'il aurait besoin de soins plus intensifs pour assurer une bonne récupération, ou même de lui assurer que son masque n'avait pas été retiré et ses vêtements à peine touchés pendant le traitement, le pauvre petit n'allais sans doute rien pigé. La marche pour quitter Rodorio, couplée à un peu de nourriture, devraient suffire à lui faire reprendre des forces et recouvrer ses esprits, et après s'être assurée que ses enfants étaient toujours au sous-sol avec leurs grands-parents, la femme retourna à la cuisine préparer un plat et laissa Ntikuma s'appuyer contre elle et le guida avec patience jusqu'à la sortie. Le trajet fut très long, mais comme prévu le forgeron se réveilla après quelques minutes et se mit à gesticuler avec panique, ne se calmant que lorsque sa bienfaitrice lui offrit de la nourriture. Une fois sortie de Rodorio, l'encapé la remercia d'un mouvement de tête, puis se mit en marche, mâchant lentement une brioche, avec rien d'autre à faire mais penser à comment il allait rentrer chez lui.

...

Death Queen Island

-Qui va... Ntikuma?! C'EST NTIKUMA! IL EST VIVANT!

Un sombre tourbillon jaillit de l'entrée de la grotte et une fraction de seconde plus tard, Ntikuma était soulevé de terre et écrasé par l'étreinte de Dakota, sans même avoir la force de se débattre. "Vivant" était un bien gros mot, à son avis : une fois sa surdose d'antidouleurs complètement évaporée, la douleur dans son épaule était devenue insupportable et il n'avait pas eu beaucoup de chance au moment de trouver d'autres voyageurs capables de partager la route avec lui, ce qui avait rendu le voyage beaucoup plus loin. Il était épuisé, vidé de toute énergie, mais au moins il était chez lui, et tout le monde avait l'air d'aller bien. En voyant sa faiblesse, Dakota réagit au quart de tour et le prit dans ses bras pour le transporter à l'intérieur, où tous les alchimistes s'étaient rassemblés en entendant le cri de leur collègue.

-Oh bon sang, Ntikuma, qu'est-ce qui s'est passé? Me dit pas que c'est Reagan qui t'as fait ça?

Le retour dans un lieu si familier et chaleureux donnait simplement envie au petit être de s'endormir et de ne pas se réveiller pour plusieurs jours, mais il porta son attention vers Lou et hocha mollement la tête pour lui confirmer que c'était bel et bien ce qui était arrivé. Des murmures indignés s'élevèrent dans le Laboratoire, mais il était évident que personne n'aurait plus d'explications pour le moment, leur petit chef avait besoin de récupérer avant tout. Malgré tous les malheurs qu'il pouvait endurer, le boulot n'allait pas attendre pour très longtemps.

De retour à Death Queen Island, Zhihao avait pris congé du Poisson Noir pour se diriger droit vers la taverne la plus proche : qu’importent ses tentatives de rationaliser ce qu’il s’était passé à Tokyo, elle restait énervée d’avoir échoué à remplir une mission aussi facile et elle avait besoin de décompresser.

Le jour suivant vit une Boussole à l’humeur un peu meilleure quitter Misery pour faire route vers le Laboratoire des Alchimistes. En dépit des efforts des assistants du Seigneur Noir, il était hautement probable que d’autres chevaliers décideraient de s’intéresser de plus près à ces renégats qui persistaient à faire parler d’eux même après l’avertissement que constituait la défaite de Reagan. Si de surcroît Myra avait dit la vérité et que des agents de la Discorde rôdaient dans les parages, alors il était plus que temps pour l’électrokinésiste de penser davantage à sa sécurité. Elle aurait fait améliorer son équipement dès l’obtention de son armure si elle l’avait pu, sauf que le chaos dans lequel les forgerons s’étaient retrouvés embarqués et l’absence de leur chef l’avaient forcée à remettre ses projets à plus tard. Avec un peu de chance, ce dernier serait enfin rentré de ses pérégrinations…

En arrivant en vue du Laboratoire, l’asiatique constata que les lieux avaient déjà meilleure mine : les traces du siège mené par les punks avaient été en grande partie nettoyées, la porte et les fenêtres n’étaient plus barricadées, la cheminée fumait… Pour finir, ses sens augmentés l’informèrent de la présence de plusieurs personnes à l’intérieur du bâtiment, dans lequel ses propriétaires avaient manifestement remis de l’ordre. Des signes plutôt encourageants, donc.

Elle s’avança, avisa la clochette surmontant la porte, reliée à une chaînette courant le long du mur, et tira un bon coup sur la seconde pour faire sonner la première. Puis, au cas où certains auraient encore l’arbalète chatouilleuse, elle prit la parole pour annoncer plus clairement son identité : « Bonjour, il y a quelqu’un ? C’est Zhihao, j’aurais un service à vous demander ! »

Le jour suivant le retour de Ntikuma fut un des plus tendus de toutes l'histoire des alchimistes: En ayant qu'une vague idée de ce qui s'était passé à Rodorio, ils vaquaient à leur occupation quotidienne dans le plus grand des silences, car leur petit chef n'était pas sorti de sa chambre depuis son retour et personne ne souhaitait le déranger après les mésaventures qu'il devait avoir vécu. Seule Dakota allait le voir, une fois de temps en temps, pour lui apporter de la nourriture et s'assurer que son épaule récupérait bien. Contrairement à ce que plusieurs avaient espéré, le forgeron n'avait pas ramené avec lui la chaleur et la sérénité devenue typique du Laboratoire... Le calme de l'endroit était tel que, lorsque Zhihao se présenta en sonnant la clochette, tout le monde bondit sur ses pieds en retenant un hurlement de peur, et ceux qui ne l'avaient jamais rencontré se contentèrent de la fixer avec appréhension. Heureusement, Jerry, Dakota et Lou la reconnurent bien assez vite et s'empressèrent de l'accueillir avec toute la joie dont ils étaient capables.

-Zhihao, enfin, on t'attendait plus! Entre, entre... Matsuda, Arthur, voici Zhihao, Chevalier Noir de la Boussole. Zhihao, Matsuda et Arthur.

Jerry en particulier était le plus heureux de revoir la Chinoise, il la tenait en bien haute estime après son sauvetage, apportant chaises et coussins pour l'inviter à prendre place, alors que les deux autres se contentèrent de la saluer de loin sans cacher leur amusement. Les politesses échangées restèrent courtes, ils savaient tous pourquoi elle était là, et après un léger hochement de tête en guise de salut Matsuda disparut derrière un rideau.

-Il va aller le chercher. Je ne vais pas te mentir, Ntikuma ne va pas très bien ces temps-ci, alors ce ne sera peut-être pas pour aujourd'hui.

Mais il va essayer, elle pensa avec amertume. Si Zhihao jouait bien ses cartes et réussissait à retenir l'attention de l'Araignée, même si ça le blessait, il allait essayer. Le cœur de la géante se serra quand son collègue japonais réapparut en compagnie de leur petit chef, tenant son bras pour le soutenir. Ce dernier avait troqué son manteau et sa capuche habituelle pour un pyjama de coton et une large robe de chambre rouge à la capuche rabattue sur sa tête. Nullement gêné en apercevant leur visiteur, l'artisan se dépêcha plutôt de la saluer en s'inclinant, puis prit place sur un immense coussin coloré placé là par Jerry à même le sol, juste devant la Boussole. Guettant ses réactions avec un demi sourire, Matsuda se posta derrière elle, là où il pourrait voir les réactions de son patron sans distraire les deux éveillés, et conclut les présentations.

-Voici Ntikuma, Chevalier Noir de l'Araignée, forgeron de l'Ordre Noir. Alors, Zhihao, que pouvons-nous faire pour vous?

Acceptant l’invitation de la costaude, Zhihao se retrouva en présence de têtes connues et d’autres qui ne l’étaient pas. L’enthousiasme de Jerry la surprit quelque peu, elle ne s’attendait pas à une telle reconnaissance ; par contraste, les dénommés Matsuda et Arthur réagirent avec une prudence plus raisonnable.

« Heureuse de faire votre connaissance, et désolée de passer à l’improviste. » répondit la chinoise, qui avait perçu le sursaut provoqué par son arrivée, en s’inclinant légèrement. Elle prit place sur l’une des chaises offertes par Jerry, le remerciant de cette attention, et écouta Dakota lui avouer que son patron n’était pas exactement au meilleur de sa forme. Regrettable, mais elle n’allait pas forcer le forgeron en chef à travailler pour elle s’il était souffrant, ce serait contre-productif à plus d’un égard.

« Ah, j’arrive au mauvais moment ? Tant pis, je repasserai plus tard alors, quand il ira mieux... »

Elle allait se lever et s’excuser de les avoir dérangés pour rien lorsque le maître des lieux fit son entrée, assisté par le japonais. Son apparence atypique lui rappelait l’un de ces petits êtres bizarres dans ce film américain, comment s’appelaient-ils… Jawas ? Oui, c’était bien ça, et pour rajouter à l’incongruité de la scène, la silhouette masquée et encapuchonnée en robe de chambre portait l’écharpe la plus extraordinaire qu’elle ait jamais vu. À première vue la pièce d’étoffe avait été tissée à partir de fil d’or, mais il ne s’agissait-là que de la surface : l’objet distordait les champs électromagnétiques qui le traversaient d’une façon qu’elle aurait cru impossible et lorsqu’elle étendit ses sens dans sa direction, elle fut submergée par un flot d’informations contradictoires et dénuées de sens. Elle sentait qu’elle allait être malade si elle s’obstinait à vouloir l’analyser, aussi mit-elle promptement fin à l’examen, permettant à son mal de tête naissant de se résorber.

« C’était quoi ça ? » se demanda-t-elle ; ce fut la voix de Matsuda qui la ramena à la réalité quand celui-ci se chargea de la deuxième séance de présentations de la journée. Maintenant qu’elle n’était plus distraite par l’étrange écharpe de l’Araignée Noire – à laquelle elle se garderait bien de repenser –, elle pouvait voir l’épuisement et la douleur évidents dans la posture de son interlocuteur. Mais puisque les forgerons insistaient pour connaître sa requête…

« Pardon d’interrompre votre repos, mais j’aurais besoin de votre expertise. » commença l’électrokinésiste. Elle indiqua quelques-unes des vulnérabilités les plus criantes de son armure, toutes ces ouvertures au niveau des articulations, les artères et organes vitaux exposés et ne parlons même pas de ce qui lui tenait lieu de casque… Elle avait beau avoir choisi la cuirasse offrant la plus grande protection parmi le lot que Dakota lui avait proposé, elle ne restait au final propriétaire que d’une réplique d’armure de Bronze. De plus et malgré l’indéniable supériorité des matériaux dont elles étaient constituées, ces reliques plurimillénaires souffraient de nombreux défauts de conception quand on les comparait à de l’équipement plus récent, créé pour s’adapter aux progrès de l’armement au fil des âges.

« J’aimerais savoir s’il serait possible de me fabriquer un habit de maille avec capuche, quelque chose qui couvrirait les points faibles de l’armure sans trop entraver ma mobilité et que je pourrais porter sous mes vêtements pour ne pas être sans défense quand je dois rester en civil. »

Il faudrait également mettre en place des points d’attache pour ladite cotte de maille sur la face interne de ses pièces d’armure : le problème avec une carapace formée de pièces disjointes c’était que si un adversaire possédant une force physique suffisante attrapait un membre avant de tirer un grand coup, il pouvait l’arracher sans que la résistance du métal – aussi impressionnante soit-elle – entre en ligne de compte. Elle n’allait toutefois pas expliquer ce raisonnement à voix haute, elle n’avait pas envie qu’ils lui demandent comment elle savait ça.

« Il me faudrait également un masque renforcé et une arme, je risque d’en avoir besoin dans un futur proche. » conclut-elle. Autant informer les forgerons du risque qu’encourrait Death Queen Island, s’ils n’étaient pas déjà au courant.

La mercenaire était polie et réservée, mais peu longtemps après son introduction l’écharpe autour du cou de Ntikuma s’illumina et se mit à bouger lentement, comme si quelque chose l’avait tiré d’un long sommeil. Le petit être baissa les yeux et l’examina quelques secondes, cherchant à comprendre ce qui l’avait dérangé comme ça, mais comme il ne détectait rien de son côté, ça ne devait rien être de dangereux. Cela fait, il pouvait accorder toute son attention à Zhihao, qui lui expliqua ce dont elle avait besoin pour améliorer son armure. Rien de ce qu’elle disait n’était nouveau ou surprenant, Reagan avait à peu près eu le même discours quand il était venu pour la première fois, mais il n’avait pas été aussi éloquent. Les copies des armures de bronze étaient ce qu’elles étaient, mais les circonstances empêchaient les alchimistes de recommencer l’exploit pour l’armure de la Boussole. Le reste des accessoires que la Chinoise demandait, par contre…

L’Ashanti hocha doucement la tête, en tentant déjà d’imaginer ce qu’il pourrait créer pour sa nouvelle cliente, mais il lui manquait encore trop de détail pour être bien inspiré. Après quelques signes de son patron, Matsuda se mit à traduire.

-La cote de maille est facile, on peut commencer à travailler sur des croquis pour les renforcements de l’armure en attendant, ça vous sauvera du temps. Le reste va demander un peu plus de travail, par contre…

De l’inspiration, plutôt, mais Zhihao allait sûrement lui en donner suffisamment bientôt. Et autre chose, aussi… Alors que le japonais transmettait son message, Ntikuma commençait déjà à matérialiser discrètement quelques esquisses entre les deux éveillés, sans parvenir à leur donner encore de forme précise, mais il était au moins assez intéressé pour y réfléchir. Pendant ce temps, les autres forgerons rassemblaient tous les livres et plans qu’ils pouvaient trouver et qui pourraient aider leur petit chef à forger l’arme idéale pour sa cliente. Les gesticulations du petit être se firent plus lentes et réfléchies, donnant à Matsuda le temps de déchiffrer correctement ce qu’il disait.

-En échange il aurait besoin d’information. Une délégation de Chevaliers Noirs a tenté de négocier avec le Sanctuaire pour récupérer Reagan, mais nous avons des raisons de croire que… attendez quoi?! Des raisons de croire qu’ils travaillaient pour la déesse Eris?! Mais qui vous a dit une chose pareille? OK, OK, pardon… il ne peut pas le confirmer encore, mais parmi la délégation se trouvait une femme aux cheveux verts avec une armure noire représentant un lézard. Si vous pouvez nous aider à la retrouver, nous travaillerons sur votre armure.

On l’avait prévenue à maintes reprises que les Chevaliers Noirs avaient de nombreuses excentricités, ce dont elle avait abondamment reçu la preuve après avoir vu les images de Reagan, rencontré ses laquais et fait la connaissance du Caméléon et du Poisson Noirs. Et elle n’était clairement pas arrivée au bout de ses peines, parce que Nitkuma faisait passer les occultistes du département de recherches thaumaturgiques pour des parangons de normalité avec sa tenue, ses pantomimes aussi animées qu’incompréhensibles – béni soit Matsuda, sans qui elle n’aurait pas entravé un traître mot des propos du petit être rouge – et les brouillons lumineux qu’il tirait du néant pour modeler son travail à venir. C’était cette dernière action qui provoquait le plus grand inconfort chez l’électrokinésiste ; pas autant que lorsqu’elle avait essayé de percer le mystère de son écharpe, mais le feedback qu’elle recevait de ses sens surnuméraires lui donnait la nausée, la forçant à y laisser délibérément un angle mort.

Enfin, la bonne nouvelle c’était que le forgeron jugeait sa commande réalisable. Il y aurait un délai bien sûr mais ça n’avait rien d’étonnant.

« Merci beaucoup et ne vous en faites pas, je comprend parfaitement. J’attendrai le temps qu’il faudra. »

Ne restait plus que la question du prix : Zhihao avait de l’argent et pouvait aisément s’en procurer davantage si nécessaire, mais elle ne pensait pas que c’était ce qui motivait son inter… gesticulateur ? Bref, il était plus probable qu’il demande une ou plusieurs faveurs en guise de monnaie d’échange. Aucun problème pour elle, et effectivement c’était la direction vers laquelle la transaction semblait se diriger. Puis l’interprète lui en annonça la teneur précise, et la chinoise se figea l’espace d’un instant. Elle avait suffisamment de sang-froid pour ne pas réagir de façon aussi extrême que le japonais mais ce n’était pas l’envie qui manquait car avec cette dernière révélation, la possibilité que Myra ait menti devenait quasi-nulle.

« En voilà une coïncidence. » répondit-elle sans chercher à masquer l’irritation que lui inspirait la simple évocation du Caméléon Noir. Elle regrettait de plus en plus de ne pas avoir pu la capturer en vie pour lui faire cracher tout ce qu’elle savait. « Figurez-vous que j’ai croisé cette petite idiote pas plus tard qu’hier. Elle nous a raconté qu’Éris faisait son marché à Death Queen Island et qu’elle avait essayé de provoquer un conflit avec le Sanctuaire en envoyant ses sous-fifres déguisés en Chevaliers Noirs tuer Reagan dans sa prison, sauf qu’apparemment les Saints s’en seraient déjà chargés eux-mêmes. »

Quelques arcs électriques passèrent d’une paume à l’autre alors que l’aura de l’asiatique s’intensifiait sous l’effet d’une colère à moitié feinte. Anticipant la question suivante, elle poursuivit : « Si vous voulez plus d’informations ça risque d’être difficile, à moins que vous ne sachiez faire parler les morts. Allez savoir pourquoi mais apparemment elle pensait que c’était une bonne idée de faire du chantage à un Seigneur Noir pour lui prendre son armure... Quand il lui a dit où elle pouvait se mettre ses exigences, elle a eu tellement la trouille qu’elle en a perdu le contrôle de son cosmos. Ou elle s’est suicidée, l’un ou l’autre. »

La Boussole laissa le flux d’énergie se tarir dans un soupir de lassitude. Il fallait voir le côté positif de cette discussion, au moins elle aurait eu l’occasion d’avertir les forgerons comme elle comptait le faire au départ.

« C’est pour ça que je suis là, en fait. Myra s’est faite exploser en plein milieu du port de Tokyo et comme on sait tous qu’un malheur ne vient jamais seul, j’aimerais être prête pour le moment où un chevalier se pointera inévitablement ici en exigeant des explications. »

Quelque part, les alchimistes espéraient de tout leur cœur que cette histoire ne se confirme pas et que tout ça ne soit qu’un malentendu, que l’Ordre ait vraiment tenté de récupérer Reagan, sans aucune autre influence externe. Évidemment ce ne serait pas non plus sans repos pour eux —il faudrait prendre la défense du Saint qui avait eu l’idée de faire passer Reagan pour mort— mais mieux valait ça qu’un conflit entre les camps… Surtout que la source du dit conflit était de nouveau en cavale et qui sait ce qui allait se passer, Ntikuma avait beau espérer que l’Oiseau de Paradis disparaitrait dans la nature, avoir à se remémorer tous les événements éveillaient ses plus grandes craintes et il grimaça en se massant l’épaule. Et la raideur de son membre blessée se changea en douleur, quand ses muscles se crispèrent en entendant la réponse de Zhihao.

Alors c’était vrai. Et les raisons derrière cet horrible scénario étaient parmi les pires : retourner le Sanctuaire contre les Chevaliers Noirs, sans doute en les blâmant pour la mort de Reagan. Un silence de mort s’instilla dans le Laboratoire, alors que le reste des forgerons tentait de comprendre tout ce qui se passait. Un flash anima l’écharpe de l’Ashanti, qui retint son souffle en apprenant la nouvelle de la mort de la dénommée Myra. Ils étaient si près…! Et pendant que la Chinoise tentait de réprimer sa colère, le petit être se massait les tempes pour chasser une migraine, et tous deux se donnèrent un peu de temps pour se remettre de leurs émotions avant de poursuivre la conversation. En se mordant la lèvre, Matsuda reprit la traduction.

-Ce n’est pas une possibilité, non. Et nous avons un plus gros problème encore : Reagan est encore en vie, les Saints ont menti pour chasser la délégation, mais il… oh, Ntikuma, non… il s’est échappé.

Sans dire un mot, Lou s’approcha de son petit chef avec un livre ouvert et lui montra son contenu. L’artisan observa les croquis pendant de longues secondes, puis leva la tête pour observer Zhihao, et finit par secouer la tête à la négative. Cela allait être extrêmement difficile, leur cliente était une personne très simple et sans artifice, et il lui fallait un équipement qui reflétait qui elle était… et cela laissa à Matsuda la tâche d’occuper la Boussole et de continuer de la faire parler pour tenter de fournir à l’Araignée suffisamment de « matériel ».

-Vous avez bien fait de venir. Nous allons faire ce que nous pouvons, mais on va avoir besoin de votre aide. Les pouvoirs de Ntikuma ont besoin d’inspiration pour fonctionner, et puisqu’il créé quelque chose pour vous il doit s’inspirer de… eh bien, vous.

Le petit forgeron hocha la tête pour confirmer les dires de son employé, puis leva brusquement les mains pour demander à la Chinoise de ne pas bouger. Une faible lumière dorée entoura la tête de cette dernière, alors que le petit être utilisait son cosmos pour former une copie de son visage qui pourrait être utilisé pour construire le masque. Avec un petit rire, il fit apparaître un masque de carnaval d’un rouge criard sur le double, puis le fit disparaître pour poursuivre son travail.

-Très drôle, très drôle. Bon, maintenant que tu sais, qu’est-ce que tu dirais de nous parler un peu plus de toi, Zhihao?

Zhihao observa les mouvements de l’écharpe de Ntikuma avec la vigilance que l’on réservait d’ordinaire à un serpent prêt à mordre tandis que Matsuda lui rapportait la tromperie des Saints puis l’évasion du psychopathe culturiste. L’interprète avait raison de paniquer, c’était un désastre : si la nouvelle de l’exécution de l’Oiseau de Paradis alors que le Sanctuaire avait juré de le garder en vie aurait pu ternir la réputation des guerriers d’Athéna, ce n’était rien comparé à ce qui les attendait si cette dernière information venait à s’ébruiter. Et s'ils adoptaient la même stratégie qu’Adam en allant chercher des boucs émissaires ailleurs…

« Je vois que nous sommes dans une merde noire. » résuma-t-elle avec éloquence. « Une bonne raison de plus pour mettre tous les avantages de mon côté au cas où je devrais participer à la défense de l’Île. »

Les forgerons étaient du même avis, sauf qu’il y avait un hic : apparemment les pouvoirs de leur petit chef carburaient littéralement à l’inspiration et il comptait sur elle pour la lui fournir. Évidemment, elle ne pouvait pas tomber sur un artisan travaillant normalement, cela aurait été trop facile…

L’asiatique fixa l’artisan en question, qui était en train de se bidonner après avoir fait apparaître l’une de ses projections directement sur son visage – ne pas vomir, ne pas vomir, ne pas vomir... –, ayant sans nul doute tenté de détendre cette atmosphère morose en intégrant quelque détail hilarant à sa création. Détail qu’elle ne pouvait bien sûr pas voir puisqu’elle était du mauvais côté du masque.

« Si on pouvait éviter d’en faire un comme celui que les femmes chevaliers utilisent habituellement ce serait pas mal, j’aimerais avoir la place de mettre une ou deux choses dessous. » demanda-t-elle d’un ton le plus digne possible. Elle installerait un filtre sur la face interne pour en faire un masque à gaz : pourquoi se limiter à un seul type de protection ?

Le moment passa et ses interlocuteurs redevinrent sérieux. Elle n’y couperait pas, elle allait devoir leur parler d’elle. En temps normal cela ne lui aurait pas posé de problème, sauf que là il s’agissait de donner de la matière première à Ntikuma et qu’elle ne savait pas comment les facultés de l’encapuchonné réagiraient à un éventuel mensonge. Y avait-il un quelconque élément mystique capable de détecter qu’elle travestissait la vérité ou qui livrerait un produit fini qui ne lui conviendrait pas parce qu’elle n’avait pas donné les bonnes informations ? Il était hors de question qu’elle crache le morceau ; tant pis, elle n’avait d’autre choix que de jouer son va-tout en espérant qu’elle n’était pas en train de faire une énorme bêtise…

« Que je vous parle de moi, hein ? Bon, si vous êtes sûr que c’est ce qu’il vous faut, mais je ne sais pas si ce sera très intéressant. » fit-elle en s’affalant contre le dossier de sa chaise. Que dire, que dire… mieux valait ne pas mentir si elle pouvait s’en passer. Elle n’allait donc pas leur raconter « sa » biographie complète pour le moment ; peut-être plus tard, si Ntikuma n’avait pas assez de matière première.

« Je m’appelle Meng Zhihao. J’ai 29 ans, je suis née à Chengdu en Chine, j’ai été dans l’armée de terre. Ma couleur préférée c’est… soit rouge, soit noir, soit camouflage et oui je sais que la dernière n’est pas une vraie couleur. J’ai voyagé un peu partout, mes passe-temps sont l’entraînement, le bricolage et l’apprentissage des langues… mais on m’a souvent fait remarquer que je n’avais pas de vie en-dehors du boulot, alors il faudrait sans doute que j’en trouve au moins un qui n’a rien à voir avec. Peut-être que je prendrai le temps de goûter la cuisine, ce coup-ci. J'ai du respect pour les gens loyaux, compétents et disciplinés et réciproquement je supporte mal les idiots et ceux qui ne savent pas se contrôler. Mon objectif c’est de voir jusqu’où je peux développer mes pouvoirs. Oh, et moi aussi je peux faire des tours de magie. »

Sur ces mots, elle leva une main en direction d’une des armoires dans lesquelles les forgerons rangeaient leurs outils et matériaux. L’un des tiroirs s’ouvrit, poussé par une nuée de copeaux de métal que l’électrokinésiste attira à elle. Les fragments tourbillonnèrent au-dessus de sa paume, adoptant brièvement l’aspect d’un dragon chinois miniature – autant cabotiner un peu, puisqu’elle avait affaire à un artiste – avant d’être réarrangés pour la deuxième fois sous la forme d’une arme blanche et collés les uns aux autres par magnétisme. Zhihao venait de produire une réplique de la lame qu’elle utilisait avant de partir pour Death Queen Island, une sorte de couteau de combat à double-tranchant si grand qu’on pourrait presque le qualifier d’épée courte.

« Je me rend compte que j’avais oublié de préciser quel type d’arme j’avais en tête. » s’excusa-t-elle. « Il faudra sans doute ajuster un peu les dimensions pour l’équilibre, vu la différence entre les matériaux utilisés. »

La requête de Zhihao comprenait plusieurs défis, et le manque d'inspiration n'en était qu'un qui, de toute façon, elle faisait déjà de son mieux pour surmonter. Mais plus ils parvenaient à cerner sa personnalité en écoutant son histoire, plus les alchimistes se devaient d'admettre silencieusement qu'ils n'avaient que peu de connaissances sur l'équipement moderne. Au moins, ils n'auraient pas à apprendre à Ntikuma comment créer une arme à feu —aujourd'hui ; après une première démonstration de pouvoir de la Chinoise, cette dernière usa de ses pouvoirs pour recréer une sorte d'épée courte comme ils n'en avaient jamais vu auparavant. Laissant son émerveillement face à la démonstration de côté, le petit être entreprit de se remettre sur pieds pour s'approcher de la lame flottante et l'examiner sous tous ses angles, résistant à l'envie d'y toucher en sentant l'électricité qui la tenait en place. Rien qui n'empêchait son cosmos d'interagir avec pour en créer un double lumineux, qui à son tour pourrait être manipulé et modifié comme il le souhaitait. Alors que le petit être poursuivait son travail, il fit quelques signes distraits que Matsuda s'empressa de traduire avec un ton plus humble.

-Vous deviez prendre votre devoir à cœur. Pourquoi l'avoir quitté?

Son devoir, pas son boulot comme Dakota et sans doute Zhihao elle-même l'aurait appelé. À part pour son autre emploi qui avait servi de pont entre son service militaire et son introduction dans l'Ordre Noir, la Boussole ne mentionnait rien d'autre de son passé, et le peu que les employés du Labo avaient vu d'elle les poussaient à croire que ses autres passe-temps ne s'en éloignaient pas beaucoup. Jerry approcha de son chef avec un ordinateur portable dans les mains et lui montra l'image à l'écran, et l'encapé hocha la tête pour signifier qu'il comprenait, et sa version de l'épée se mit à fluctuer et s'embrouiller, disputant l'attention de son créateur avec cette autre idée qui germait dans sa tête. En s'excusant, Jerry s'éloigna et le laissa finir cette première partie de son travail, et l'Ashanti se mit solennellement à genoux en reportant son attention sur l'épée de lumière.

Le cosmos de l'Araignée augmenta en puissance, un étrange sentiment de fébrilité fit battre le cœur des spectateurs plus rapidement, et la projection brilla avec encore plus de force. Mais la lumière ne dérangeait pas Ntikuma, qui tirait des composantes du néant sans se soucier des regards posés sur lui et les sculptaient comme si elles n'étaient faites que d'argile, passait sa main sur le fil de la lame pour tester son tranchant comme si elle était vraiment là, résista à l'envie d'y ajouter plus de décoration et se tourna plutôt vers sa garde; après tout, une arme n'était que ça, et c'était la main qui la maniait qui lui donnait son identité. Se considérer comme l'arme elle-même était plus du ressort des éveillés servant des dieux, de toute façon.

En serrant les dents, le petit être se releva, leva les mains et attrapa l'épée. La lumière disparut d'un seul coup, le révélant avec l'arme noire comme la nuit qu'il attrapa prudemment par la lame pour la présenter à Zhihao. La garde était aussi sombre que la lame, mais l'éclat des lanternes du Laboratoire en révéla les détails : de minces lignes accompagnées de caractères et simples cercles, représentant ce qui ressemblait à une carte du ciel. Avec une fierté non feinte, il lui montra ensuite le bout du pommeau, où se trouvait une véritable boussole. Ou du moins, il était plutôt certain qu'elle fonctionnait vraiment... Une fois l'épée hors de ses mains, il poursuivit ses explications avec l'enthousiasme d'un enfant qui venait de présenter un bricolage à ses parents.

-Joli. Une lame pour ceux qui savent où ils vont. C'est sa blague, pas la mienne. Elle ne survivra pas à beaucoup de combats, par contre. Vous l'aimez?

Ayant apparemment obtenu ce dont il avait besoin, Ntikuma se mit au travail après avoir examiné sous toutes les coutures la réplique créée par l’asiatique. Mais sa curiosité n’en était pas étanchée pour autant, puisque Matsuda ne tarda pas à se faire l’écho d’une nouvelle question. Et de toute celles qu’il aurait pu poser il fallait que ce soit celle-là, celle dont la réponse donnerait lieu à la plus grande contre-vérité. Heureusement qu’elle s’y était préparée à l’avance…

« Pour la faire courte, on va dire que j’ai fait ma crise d’adolescence sur le tard. Mon père était militaire, comme tout le monde dans ma famille, et il voulait un garçon pour continuer la tradition ; l’ennui c’est qu’il m’a eu moi. Qu’à cela ne tienne, il a décidé que je deviendrai soldate quand même, sans me demander mon avis bien sûr… ou plutôt si, mais comme la seule alternative avec lui c’était de me marier et de passer le restant de mes jours à jouer les épouses dévouées… Bref, j’ai été entraînée à la dure depuis que je suis toute petite mais malgré tous mes efforts, rien de ce que je faisais ne trouvait jamais grâce à ses yeux. Sans doute parce qu’au début il n’attendait rien de sa fille et qu’il s’est mis à surcompenser ensuite. Et ça a continué même une fois que je me suis retrouvée sous les drapeaux. Ajoutez à ça certains de mes « camarades » qui, en apprenant que j’étais la fille d’un gradé, se sont mis à répandre des rumeurs prétendant que j’étais pistonnée ou pire encore et j’ai fini par en avoir assez. Oh, et la désillusion quand je me suis rendue compte de la corruption de certains de mes supérieurs – que mon paternel m’avait vendu comme des parangons de droiture et de noblesse – n’a pas aidé. »

Ironiquement, sa biographie factice avait été construite en s’inspirant de toutes ces questions que les psys de l’Agence persistaient à lui poser concernant ses relations avec sa famille et l’autorité en général, et auxquelles elle répondait toujours par la négative. Non, elle n’en avait rien à faire que son père ne lui ait pas laissé le choix de sa carrière ; non, elle ne lui en voulait pas non plus de ne pas avoir eu d’enfance. Et non docteur, sa détermination à monter en grade le plus vite possible n’était ni le résultat du syndrome de la fifille à son papa, ni l’expression de tendances rebelles latentes qui la poussaient à vouloir surpasser son géniteur pour pouvoir lui rendre la pareille, merci beaucoup !

« Pour simplifier, j’étais jeune, j’étais stupide – je le suis toujours je suppose – et donc je suis partie. Rétrospectivement ce n’était pas la meilleure chose à faire mais il n’en reste pas moins que le devoir, ça doit marcher dans les deux sens. »

Zhihao termina d’étaler son pseudo-pathos freudien juste à temps pour le feu d’artifice. Et comme elle allait de surprise en surprise ces jours-ci, il s’avérait que les œuvres lumineuses de l’encapuchonné n’étaient pas que de bêtes outils pour l’aider à se représenter ses futures créations matérielles, oh ça non !

Elle avait fini par prendre le coup, aussi parvint-elle in extremis à ne pas sombrer dans l’inconscience lorsque le conteur, dans un déchaînement d’énergie sans précédent, viola allègrement les lois de la physique pour extirper du néant l’arme qu’elle lui avait demandé de concevoir. La chinoise frissonna, et ce n’était pas seulement à cause de la sensation : elle était face à un putain de démiurge, l’une des pires catégories d’éveillés qui soient, dont la puissance n’avait souvent d’égale que la folie ! À moins bien sûr qu’il ne s’agisse « que » d’un pouvoir akashique particulièrement avancé, auquel cas la situation était un chouïa moins grave… un chouïa seulement.

Tout cela devrait cependant attendre ; il lui fallait se ressaisir, ne surtout pas montrer sa peur et prendre livraison de sa commande. Cela fut moins difficile qu’elle ne l’aurait cru, car quand elle toucha cette nouvelle incarnation de sa fidèle lame, elle ne put retenir une pointe d’émerveillement. Le sens esthétique de l’électrokinésiste était ce qu’il était – c’est à dire sous-développé – mais l’élégance fonctionnelle de l’arme était indéniable. Parfaitement équilibrée et proportionnée, et les constellations gravées dans la garde ajoutaient une touche discrète à ce qui sans cela n’aurait été qu’un instrument froid et impersonnel.

« De la belle ouvrage. » reconnut Zhihao, qui maniait l’arme lentement mais d'une main experte pour se familiariser avec son poids. « Comment avez-vous fait ? »

Testant prudemment son tranchant contre l’épée assemblée par ses propres pouvoirs qui avait servi de modèle, elle vit que sa nouvelle acquisition découpait le fer sans le moindre problème. Impressionnant.

« Merci beaucoup. Pour la boussole aussi, même si je ne suis pas sûre de savoir où je vais. » finit-elle sur le ton de la plaisanterie.

Ntikuma était encore plus content que Zhihao une fois l'arme entre les mains de sa cliente. La façon dont elle testait la lame, la maniait pour vérifier son poids, laissait paraître sa satisfaction et le petit être ne faisait rien pour cacher sa fierté devant sa propre réussite. Il fut encore plus enchanté quand elle lui demanda comment il avait fait et se pressa de lui faire une autre démonstration pour expliquer : en pinçant ses doigts contre ses tempes, il concentra son cosmos et "tira" une simple plume bleue hors de son crâne, puis la fit flotter vers la Chinoise pour qu'elle puisse y toucher, ou du moins essayer. Ce n'était qu'une projection, un jeu de lumière, présent mais intangible... Mais il l'invita à placer ses mains sous la plume et, toujours en maintenant ses doigts contre ses tempes, augmenta un peu son énergie. Soudainement, l'éclat qui animait la projection disparut, la gravité s'en empara et la forca à retomber tout doucement dans les mains de la mercenaire, car il s'agissait maintenant d'un objet bien réel. Puis, enfin, il accepta de mettre des mots —ou plutôt des signes— sur le processus.

-Il suffit d'imaginer, et de visualiser le passage à la réalité.

Ça sonnait si simple... mais Ntikuma ne semblait pas prêt à partager avec plus de détails comment son pouvoir fonctionnait, ou peut-être qu'il n'avait pas tout le vocabulaire pour l'expliquer, ou peut-être qu'il aimait simplement maintenir le mystère. De ce que les alchimistes en savaient, il était au courant de ce qui se passait quand il ne visualisait pas, quand son subconscient se manifestait grâce au cosmos, mais ce n'était pas pertinent à la conversation. À la blague de la Boussole, l'encapé ricana, et répliqua à son tour.

-Au moins, maintenant c'est vous qui décidez.

Ne manquait plus que le masque et la cote de maille, qui maintenant que la commande avait commencé ne semblait plus être le mot idéal pour décrire ce qui irait le mieux à l'armure... les autres alchimistes présentèrent leur croquis à l'Ashanti et il les examina avec beaucoup d'intérêt, puis demanda à Zhihao de se lever pour qu'il puisse observer son armure plus facilement. Ceux qui avaient remarqué l'inconfort de la Chinoise face au cosmos de leur patron l'avertit de ce qui allait se passer, et elle fut entourée de projections qui prenaient ses mesures et aidait le forgeron à décider de l'apparence qu'il souhaitait donner au reste de sa commande. Elle avait demandé un habit de maille, soit, mais l'image que Ntikuma en avait ne lui allait pas du tout, il fallait quelque chose de plus discret, moderne, qui pourrait se porter avec et sans armure sans pour autant restreindre ses mouvements.
Un petit test, pour commencer. D'un petit mouvement de main, l'artisan matérialisa un fil blanc, aussi mince qu'un cheveu, qui s'un claquement de doigt se changea en métal noir qu'il manipula pendant quelques secondes pour vérifier sa souplesse. Ça irait. Un autre geste et le fil devint une mince corde tressée, puis deux, qui commencèrent à se tordre pour former une première maille. Toujours aussi souple, du moins pour le matériau utilisé et le produit final envisagé. L'avantage d'utiliser l'imagination comme outil de production. Satisfait, Ntikuma pu enfin se mettre à créer.

Sa tête se renversa vers l'arrière et sa conscience le quitta, une fraction de seconde, pendant que des milliers de filaments quittaient ses doigts pour tisser ce qui ressemblait à une veste de sport des plus ordinaires, d'un rouge très foncé, mais quand le petit être se ressaisit et la rattrapa une fois la transformation en objet matériel complète, il fut surpris de son poids : elle était plus légère qu'il ne l'aurait cru. Il pouvait sentir un picotement douloureux sous ses ongles, et son épaule se faisait raide, mais ce fut gonflé d'orgueil qu'il présenta son chef-d'oeuvre à Zhihao, en lui montrant tout de suite où se trouvait la véritable cotte de maille : entre le tissu et la doublure. À moins que quelqu'un ne le touche, le vêtement avait l'air on ne peut plus ordinaire.

Les maux du petit chef n'échappa pas aux alchimistes, qui s'en enquirent tout de suite, mais ils n'insistèrent pas quand il assura qu'il allait bien. Il avait fait beaucoup de progrès, depuis son arrivée, il avait juste besoin de reprendre son souffle... et puis, même si ce n'était pas le cas, il n'y avait pas grand moyen de l'arrêter.

Plutôt que de lui expliquer comment fonctionnait son don, Ntikuma préféra lui en refaire la démonstration. Ce fut en luttant contre son appréhension qu’elle suivit ses instructions et toucha la plume – cela restait très désagréable même si elle commençait à s’y habituer et elle n’était pas masochiste. La chose intelligente à faire aurait été de désactiver purement et simplement ses capacités extrasensorielles mais elle avait vu trop d’éveillés succomber à une attaque-surprise parce qu’ils comptaient uniquement sur leurs six sens pour commettre une telle imprudence. Elle se résigna donc à ce que ses propres pouvoirs lui retournent derechef le cerveau en tentant vainement d’analyser celui du forgeron. Elle ne fut pas déçue : c’était encore pire quand elle touchait directement l’un de ces trucs. Et ça n’allait pas tarder à s’intensifier, parce que l’hurluberlu en rouge s’apprêtait à matérialiser la plume pour de vrai…

« Je crois que ça ira. » fit-elle lorsque la dernière aberration thermodynamique en date enfouit ses méninges sous les messages d’erreur, faute de meilleure analogie pour décrire le phénomène. « Imaginer et visualiser, hein… plus facile à dire qu’à faire. »

Hélas, le supplice était loin d’être terminé. Échouant cette fois à contrôler sa réaction – il était déjà miraculeux qu’elle ait pu tenir aussi longtemps –, Zhihao pâlit visiblement quand le conteur la recouvrit de ses projections. Trop nombreuses, trop grandes, trop près… heureusement qu’il travaillait vite et que la « captivité » de l’asiatique fut de courte durée.

Quant au résultat final de son labeur… Elle n’avait rien à redire concernant la qualité de la cotte de mailles – ou plutôt de la broigne –, la résistance et la souplesse de la protection étaient exemplaires ; nul doute que les Agences auraient offert un pont d’or au petit être masqué pour qu’il accepte de les rejoindre. Mais il n’aurait pas dû se donner autant de mal pour créer le reste du vêtement parce qu’elle n’allait certainement pas le porter, ou du moins pas tel quel et pas tout le temps, alors qu’elle comptait garder cette deuxième couche d’armure sur elle en permanence ou peu s’en faut. Elle se demanda si c’était sa punition pour avoir menti alors qu’il essayait d’apprendre à la connaître.

Elle n’avait pas le cœur de le lui dire cela dit : il s’était montré si accommodant, si plein de bonne volonté avec une parfaite inconnue et il avait l’air si fier de lui, sans parler de l’état dans lequel il s’était mis pour satisfaire ses requêtes... Non, elle avait déjà suffisamment abusé de sa générosité. Il ne tenait même plus debout, elle attendrait qu’il se soit rétabli pour demander à compléter son équipement ; le masque et les autres sections de l’habit de maille pouvaient attendre que Ntikuma se refasse une santé.

« Et bien, je n’avais jamais vu ça ; cette île a de la chance de vous avoir. » fit-elle dans un sifflement appréciateur – merci l’entraînement d’agent secret, elle n’avait pas envie de lui faire de la peine. « Mais vous êtes sûr que ça va ? On peut s’arrêter là, vous en avez déjà bien assez fait… Et je ne sais pas comment vous remercier. Il n’y a rien d’autre que je puisse faire pour vous ? Les informations sur Myra ne me semblent pas être un juste prix. »

En se laissant tomber sur son coussin, Ntikuma plia ses doigts pour retrouver sa flexibilité, puis hocha doucement la tête pour rassurer la Boussole qui s’inquiétait de son état. Ses employés avaient sans doute déjà leurs propres plans pour réparer son armure, mais ce ne serait pas pour aujourd’hui, il s’occuperait de son masque et ensuite il retournerait se reposer… Mais la Boussole était prête à payer plus pour les services de création, et après quelques secondes de réflexion le petit être hocha la tête à l’affirmative. Ce n’était peut-être pas la chose la plus éthique à demander, mais après tout ce qui s’était passé, c’était peut-être un mal nécessaire.

-Il a besoin des noms des autres Chevaliers Noirs en activité présentement, les derniers endroits où ils ont été vus, aussi, si c’est possible, et s’ils ont un lien avec… une mercenaire qui travaille pour Eris, elle s’appelle Yasuha. Reagan l’a cherchait depuis longtemps, et c’est notre meilleure piste pour déjouer la Discorde maintenant que Myra est morte. Pouvez-vous le faire?

Après tout, c’était une tâche énorme pour une seule éveillée, ancienne militaire ou non, et ce n’était pas exactement juste de lui mettre ce poids sur ses épaules, mais c’était ce que l’Araignée demandait, et il était prêt à négocier s’il y avait quelque chose qu’elle ne voulait pas faire. Mais la Discorde avait abusé de leurs faiblesses assez longtemps, et s’ils ne pouvaient pas contre-attaquer, ils pouvaient au moins s’en défendre et s’assurer que ça ne se reproduise plus, puisque les Seigneurs Noirs ne sentaient toujours pas le besoin d’intervenir…

Le cosmos du petit être se matérialisa à nouveau, en rouge cette fois, et il se désintéressa de la Chinoise pour se concentrer sur le masque. Les alchimistes pouvaient voir à la façon dont il travaillait qu’il était agacé, voir même fâché : ses mouvements étaient plus secs et brusques, les traits du masque à gaz qu’il tirait du néant était angulaires et agressifs, la visière offrait un jeu d’ombre qui cachait les yeux du porteur, lui donnant un air menaçant… Il y avait toujours de la passion dans son travail, il n’aurait pas pu créer ainsi si ça n’avait pas été le cas. Mais maintenant elle semblait mal placée…
Le cosmos de l’Araignée attint son paroxysme alors qu’elle concentrait sa puissance à l’intérieur du masque, y plaçant un peu de son pouvoir en plus de l’invoquer dans le monde matériel. Des reflets cuivrés couraient sur la surface de la protection et la visière ambrée pouvait être remontée pour ne pas trop obstruer la vue, mais ce n’était pas ça le plus important. En tendant le masque à Zhihao, le petit être l’invita à l’enfiler, et elle pourrait sentir une barrière protectrice parcourir sa peau.

-Au pire, l’information sur Yasuha suffira contre le masque. Ça vous convient?

Ntikuma considéra puis accepta sa proposition, demandant à l’asiatique de trouver davantage d’informations sur la confrérie et surtout sur les manigances de la Discorde en échange du cadeau princier qu’il lui faisait. Les résidents de Death Queen Island devraient être contents que quelqu’un d’aussi altruiste cherche à les préserver de l’influence d’Ubar.

« Je verrai ce que je peux trouver. » affirma la Boussole. « Je viens à peine d’arriver donc je n’ai qu’un seul nom à vous donner pour l’instant : Noah, Seigneur Noir des Poissons. J’étais avec lui à Tokyo et nous sommes revenus ensemble mais je ne sais pas s’il est toujours sur l’île. Nous avons surtout parlé boulot, je ne suis donc au courant d’aucun lien avec cette Yasuha. Il ne m’a pas semblé particulièrement bien disposé à l’égard d’Éris mais encore une fois, je ne le connais pas suffisamment pour émettre une opinion définitive ou savoir si prendre contact avec lui serait une bonne idée. »

Et c’était là la limite de la contribution qu’elle pouvait offrir pour le moment : Ntikuma en savait plus qu’elle sur le cas Reagan et personne ne savait où était passé Takeya. Pour le reste, elle ouvrirait l’œil, laisserait traîner ses oreilles et irait peut-être faire un tour dans les systèmes informatiques de l’Ordre Noir une fois sûre et certaine que ceux-ci n’étaient pas protégés contre les incursions technopathiques.

« Je vous ferai un rapport si j’apprends autre chose plus tard ; il nous faudra convenir d’un moyen de communication sécurisé. Évitez de répéter ce que je vous raconte à n’importe qui, on ne sait jamais. Si quelqu’un découvre que je travaille pour vous et m’interroge... je pourrais toujours leur dire que je fais de la prospection, que je vous renseigne sur votre potentielle clientèle. »

Malhonnête mais c’était pour une bonne cause… plus ou moins. Les Chevaliers Noirs n’étaient pas des enfants de chœur, certes, cependant ils ne représentaient qu’un moindre mal comparés à la Discorde – elle n’oublierait jamais l’expression sur le visage de ses supérieurs quand ceux-ci étaient venus informer leurs subordonnés de sa réémergence. Et puis le mensonge était crédible : après l’affaire Reagan, qui ne comprendrait pas que le forgeron veuille s’assurer que ses futurs clients soient à peu près sains d’esprit ?

En parlant du maître des lieux, le voilà qui se remettait à la tâche avec hargne. Zhihao se demanda ce qui avait provoqué cette réaction, répercutée sur l’aspect du masque qu’il était en train de confectionner. Fonctionnel et intimidant à souhait, elle n’aurait pu rêver mieux ! Obéissant à l’injonction muette de l’artisan, elle le plaça sur son visage, l’ajusta et fut surprise de sentir une fine pellicule d’énergie envelopper son corps.

« Vous ne faites pas les choses à moitié. » remarqua-t-elle, vérifiant du même coup qu’elle pouvait parler et respirer sans difficulté. Sa voix était quelque peu déformée, ce qui pouvait toujours être utile. Impeccable, elle n’aurait plus qu’à préparer quelques filtres à connecter aux valves une fois sortie du labo. « C’est parfait, merci. Je vais essayer de trouver des informations sur Yasuha ; vous avez un point de départ à me suggérer ? Vous dites que c’est une mercenaire, j’en déduis qu’elle a fait partie de l’Ordre ? »

-De ce qu’on sait, oui. On ne sait pas quelle armure elle portait, par contre. Elle a participé à une mission avec Reagan, pour la Discorde, mais ça s’est mal terminé et ce serait pour ça qu’il l’a pourchassait. Il l’haïssait tellement, il a refusé une faveur d’Eris parce que ça voulait dire abandonner sa vengeance… Du moins c’est ce que Blueman a dit.

Ntikuma sursauta à la mention du voyou, puis ajouta quelque chose pour compléter son idée. Matsuda hocha la tête.

-Ouaip, les punks. Ils ont participé aux recherches et à… autre chose, peut-être qu’ils en sauront un peu plus. Sinon… leur dernière mission était en Alaska, si ça vous aide. C’est tout ce qu’on a.

Dakota s’approcha du petit être et posa une main sur son épaule autant pour le calmer que pour le rassurer, il était tendu mais il ne réagit pas au contact. Combien de temps cet épisode allait encore devoir le hanter, combien de dommage allait encore devoir être fait? Ça se voyait dans la façon dont il travaillait, il doutait de ses capacités et recommençait à perdre espoir… Ça s’était reflété dans son travail, mais se sentait-il mieux maintenant qu’il s’était défoulé? Probablement pas ; la colère n’était pas son fort, il finissait toujours par le regretter.

-Avez-vous besoin d’autre chose? Si ça ne vous dérange pas, Ntikuma a besoin de repos…

Lentement, l’Araignée s’éloigna et disparut derrière le rideau qui séparait sa chambre du Laboratoire. Il ne pensait même pas récupérer ; le monde serait encore en détresse à son réveil, mais ses employés avaient raison, il en avait bien besoin. Mais avant que la Boussole ne prenne congé à son tour, Lou la suivit et lui attrapa le bras pour l’arrêter.

-Le p’tit va pas vous le dire, il est pas très bon à ce genre de chose, mais si vous devez tomber sur Reagan, sortez-vous de là. Ne l’approchez pas. Même si vous pensez avoir l’avantage, même si vous avez des bonnes intentions, même si vous pensez qu’il sera pas assez fou pour vous attaquer. Ce connard s’en est pris à Ntikuma. Vous n’aurez pas de chance contre lui.

Une mission pour le compte de la fille de la Discorde ? Décidément, les renégats de l’île avaient de ces fréquentations… Et si elle se mettait à suivre la piste de l’agente d’Éris, elle risquait fort de se retrouver sur la route d’un Reagan furieux au point de refuser une faveur divine – bon, une faveur venant de la Discorde, mais tout de même. De mieux en mieux. Il serait sans doute moins dangereux d’aller d’abord se renseigner auprès de ces fameux punks : elle pourrait toujours en profiter pour faire un peu de nettoyage s’ils refusaient de coopérer. Cela lui donnerait également l’occasion de vérifier s’ils explosaient aussi bien dans la réalité que dans ce dessin animé que les soldats nippons de l’alliance l’avaient forcée à regarder.

« C’est grand l’Alaska, mais c’est un début. Je verrai ce que les sous-fifres du culturiste ont à me dire. » confirma l’électrokinésiste. « Et si ça ne donne rien, peut-être que j’approcherai Noah – sans mentionner votre implication, évidemment – en me servant de l’avertissement de Myra comme prétexte. Il doit en savoir plus que moi, ça ne m’étonnerait pas qu’il ait déjà commencé sa propre enquête de son côté. »

Maintenant qu’elle avait reçu son ordre de mission, il n’y avait plus de raison d’empêcher Ntikuma d’aller prendre un repos amplement mérité et dont il avait grand besoin. Elle répondit donc par la négative à la question de Dakota : « Pas aujourd’hui ; j’étais venue demander une protection intégrale mais j’attendrai qu’il se sente mieux, le temps qu’il faudra. Ça me fera une motivation supplémentaire pour bien faire mon travail. »

Cela dit, elle s’inclina pour communiquer toute sa gratitude au petit être rouge accablé et saluer son départ. Elle s’apprêtait elle aussi à quitter les lieux quand l’aîné des alchimistes lui agrippa le bras pour lui faire passer un ultime message.

« Ne vous en faites pas, je ne suis pas suicidaire, je n’ai aucune intention d’affronter ce malade si je peux m’en passer. » le rassura-t-elle. Pas de mensonge ce coup-ci, sa mission – sa réelle mission – était beaucoup trop importante pour qu’elle se sacrifie à la légère. Et comme le disait le vétéran, elle n’avait aucune chance face à quelqu’un qui pouvait triompher d’un chevalier d’Or. « Mais il a vraiment attaqué Ntikuma ? Après que votre patron soit allé intercéder en sa faveur ?! »

Pure spéculation de sa part, sauf qu’elle ne voyait pas comment le conteur aurait pu être au courant de la nouvelle de son évasion – et afficher une telle consternation à chaque fois que l’Oiseau de Paradis était mentionné – à moins de s’être rendu au Sanctuaire pour plaider la cause de son ingrat de compatriote et en appeler à la clémence des Saints.

Le regard que lui adressa Lou fut toute la réponse dont elle avait besoin. Secouant la tête et se demandant pour la mille et unième fois dans quoi elle avait mis les pieds, Zhihao se remit en marche et franchit enfin la porte, laissant le Laboratoire derrière elle.

Suite à leur évasion de la Palestre, Reagan et Blueman s'étaient planqués temporairement en Sicile, dans une vieille taverne anciennement occupée par la mafia. Là-bas, ils en avaient profité pour récupérer de leurs blessures et se nourrir correctement. Le punk s'était également chargé de prendre contact avec ses camarades de Death Queen Island afin de les prévenir que lui et son patron étaient toujours en vie. Comme l'Oiseau de Paradis prévoyait de bientôt rejoindre l'île pour y chercher de l'équipement, il leur avait aussi demandé de faire profil bas le temps qu'ils arrivent. Une expédition ambitieuse était en cours d'élaboration et les soudards devaient fourbir consciencieusement leurs armes en prévision. Comme ils devaient s'en douter, les meurtriers de leur espèce n'étaient plus en odeur de sainteté au sein de la Confrérie Noire, ce qui les obligeait à trouver un nouvel endroit où s'installer. Fort heureusement, Reagan avait apparemment trouvé l'emplacement idéal pour leur future entreprise. Quant à savoir comment il avait fait pour le dénicher dans son état de démence mentale, cela demeurait un mystère.

Blueman et ses compères criminels rassemblèrent ainsi tout un arsenal digne d'un groupe paramilitaire ou d'un cartel de la drogue. Mitrailleuses, fusils d'assaut, bazookas, lames diverses et variées, grenades, armes contondantes et perçantes... Tout était bon pour augmenter leur puissance de feu. Les barbares hirsutes de Death Queen Island avaient beau être nombreux, ils avaient besoin de compenser leur niveau inférieur à celui d'un Chevalier de Bronze. Cependant, cet effort collectif avait épuisé leurs finances, en particulier celles de l'Oiseau de Paradis, qui était le contributeur principal de l'opération. Il était même allé jusqu'à vendre sa propriété de San Francisco et à vider son compte en banque pour se fournir en matériel. Quant à la WWE, il avait officiellement coupé les ponts avec eux, sans pour autant se préoccuper de leur extorquer une quelconque prime de départ. Ces affaires étant réglées, il était prêt à tirer un trait définitif sur la vie qu'il avait menée jusqu'ici.

Une fois fournis en armement, le mercenaire aveugle et sa bande de vandales retournèrent finalement au bercail. Ils débarquèrent sur les côtes de l'île volcanique à bord d'un chalutier industriel subtilisé à des pêcheurs sud-africains. Leur arrivée fut accueillie par moult cris de terreur et injures proférées par des pauvres hères désespérés de les voir partir. Nombreux furent les villageois qui se lamentèrent de voir Reagan en liberté en dépit de toutes les atrocités qu'il avait commises, surtout à l'encontre d'une famille innocente. Néanmoins, l'intéressé n'avait aucun intérêt pour la populace et il dissuada ses acolytes de se défouler sur les paysans. Effectivement, la horde scélérate était pressée et n'avait pas de temps à gaspiller avec des exactions futiles. Elle se dirigea donc vers le laboratoire des alchimistes, le lieu où elle trouverait des cuirasses en abondance, comparé au stock limité de la caserne.

Armée jusqu'aux dents, une sinistre légion de punks bariolés et de sadomasochistes en cuir parvint ainsi aux forges. Blueman, équipé d'une kalachnikov et bardé de munitions, se détacha du reste du groupe et s'avança en éclaireur. Il écouta alors à la porte de la bâtisse et s'aperçut qu'elle était occupée par les alchimistes. Ceux-ci étaient manifestement en pleine conversation et les zigotos discutaient de Reagan, notamment du fait qu'une certaine personne devait absolument éviter de le croiser. Une nana s'indignait aussi qu'il ait osé s'attaquer à Ntikuma, ce qui faisait sourire le bandit peinturluré. Ce dernier vit ensuite la serrure de la porte se tourner et s'apprêta donc à saluer celui qui se trouvait derrière avec le bout de son canon.

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=l1VErvWJthk -BGM

L'accès s'ouvrit enfin et révéla un olibrius en Armure Noire intégrale, autant dire un faciès guère identifiable. Le truand tatoué braqua immédiatement l'inconnu à l'aide de son fusil, un ricanement de hyène s'échappant de sa gorge. Non content de se balader avec un arsenal dangereux, il fumait également un joint de cannabis dosé spécialement pour l'excitation. La combinaison hasardeuse de ces deux facteurs, appliquée à une trentaine de brutes enragées, pouvait logiquement conduire à une situation pour la moins explosive.

"Salut mon gars, ça gaze ?" s'enquit Blueman d'un ton faussement aimable. "Désolé si j'ai l'air grossier, mais moi et mes copains on a prévu de piller le labo une ch'tite minute... Ça vous dérange pas j'espère ?"

Question rhétorique bien évidemment, une réponse négative se soldant automatiquement par une rafale de plomb dans la gueule. Les brigands qui patientaient dehors rigolèrent comme des baleines et laissèrent passer l'Oiseau de Paradis, qui s'approcha à son tour. Ce dernier était vêtu d'un jogging gris et d'un long manteau assorti sans manches, des bandages recouvrant la majeure partie de son corps. En plus d'être toujours aveugle et de marcher pieds nus, ses cheveux avaient blanchi à cause de sa santé physique et psychique défaillante. Comme à son habitude, son écharpe à plumes reposait sur ses épaules et était aussi pâle que sa chevelure. Il afficha une moue gênée en détectant le cosmos de Ntikuma, sauf qu'il se sentait obligé de tracer sa route et s'endurcit en conséquence. Le catcheur déchu fit ainsi signe à ses troupes d'encercler l'édifice puis se présenta à son seuil.

"Écouter Blueman." déclara-t-il d'une voix neutre. "Pas compliquer histoire. Si pas obéir, utiliser force."

Il ne savait pas qui était l'énergumène qui visitait actuellement les forgerons, mais il s'en contrefichait complètement. Si cet inconnu s'autorisait à lui barrer le chemin, il était résolu à le réduire en pulpe sanguinolente. Reagan pouvait facilement redevenir instable à la moindre provocation et il désirait éviter d'en arriver là. Accumuler les cadavres n'était pas son objectif, mais sa nature profonde ne pouvait l'empêcher d'étriper tous ceux qui s'opposaient à lui. Ses hommes, en revanche, n'auraient pas les mêmes réserves que lui à ce sujet... Problème supplémentaire : l'Oiseau de Paradis les avait aussi généreusement ravitaillés en drogues afin de servir son projet, sans réellement se soucier des retombées pour les innocents.

Elle venait à peine d’ouvrir la porte et voilà qu’elle se retrouvait nez-à-nez avec le canon d’un AK-47 et l’abruti à crête bleue qui se tenait derrière, sans oublier un escadron de ses semblables. Néanmoins, la question de savoir s’ils étaient venus se venger de la défiance des alchimistes lui importait moins que la réaction de ses supérieurs s’ils apprenaient un jour qu’elle s’était retrouvée dans cette situation. C’était la faute de Ntikuma, même si le forgeron ne l’avait pas fait exprès : sa dernière création avait été la matérialisation de trop, conduisant l’électrokinésiste à se priver inconsciemment de ses facultés de perception les moins conventionnelles. Sans ça, jamais elle n’aurait été prise au dépourvu par l’arrivée de ce tas de soudards.

Maudissant intérieurement cette île où l’on ne pouvait pas relâcher sa vigilance une minute sans tomber immédiatement dans une embuscade, Zhihao réactiva son sens électromagnétique pour se faire une idée des forces en présence. Résultat : précisément 34 loubards armés jusqu’aux dents encerclant le Laboratoire, en comptant celui qui la menaçait de sa kalachnikov – et la prenait apparemment pour un homme. Et à en croire l’activité cérébrale pour le moins erratique de ce dernier, ce n’était certainement pas du tabac qu’il fumait.

« C’est pas à moi qu’il faut demander ça mais à ceux qui bossent ici. Sinon ça gaze, et vous ? » répondit l’asiatique, qui se préparait à rendre l’expression on ne peut plus littérale pendant que la galerie de punks multicolores et de moustachus en cuir clouté se bidonnait comme si leur leader venait de sortir la blague du siècle. Sauf que l’andouille de tête n’était pas leur chef, elle s’en rendait compte maintenant qu’elle sentait approcher le seul d’entre eux à ne pas s’être encombré d’une arme. Elle n’avait vraiment pas de chance : s’il n’y avait plus trace de sa flamboyance passée dans la décrépitude physique de cet individu, les traits de l’Oiseau de Paradis restaient reconnaissables. Dire qu’elle venait tout juste de promettre de ne pas chercher les ennuis…

Elle se retrouvait face à un dilemme. Ou plutôt un trilemme, sauf qu’abandonner Ntikuma à son sort n’était pas une option. Les deux possibilités restantes étaient soit de laisser entrer Reagan dans l’espoir de régler ça comme des êtres civilisés, soit de rester dehors, là où elle avait l’avantage de pouvoir retourner l’attirail de ses laquais contre lui. Elle n’aurait aucun mal à prendre le contrôle de leur arsenal avec ses pouvoirs – c’était déjà fait d’ailleurs, ils pouvaient appuyer sur la gâchette autant qu’ils voulaient, leurs pétoires ne tireraient qu’avec son autorisation – et le temps que le son des premiers coups de feu parvienne à ses oreilles, il se serait déjà pris plusieurs dizaines de balles et une ou deux roquettes antichar dans le buffet, ce qui devrait rééquilibrer partiellement les choses.

Sauf que voilà, elle ne pensait pas que ce serait assez pour combler l’écart. Malgré l’absence d’armure du culturiste déchu, malgré sa cécité, ses blessures et la perte manifeste d’un certain nombre de points de QI, il suffisait d’un regard à Zhihao pour voir qu’elle était complètement surclassée. L’idée de laisser ce monstre entrer à l’intérieur – où même si elle s’interposait les forgerons risquaient de finir en dommages collatéraux si leur invité indésirable s’énervait – lui déplaisait au plus haut point mais elle n’aurait sans doute pas le choix. Autant laisser les principaux intéressés en décider.

« Les gars ? C’est Reagan et sa clique. » avertit-elle les occupants de la forge. « Ils disent qu’ils sont venus piller le Labo. Je fais quoi, je les laisse entrer ou pas ? »

Silence pendant une poignée de secondes, mais la chinoise n’avait pas besoin de tourner la tête pour s’apercevoir que les alchimistes se concertaient par signes. Après un bref mais vif débat, ce fut Dakota qui prit la parole dans un râle de résignation.

« C’est pas vrai… Reagan, Blueman, vous pouvez rentrer et on verra si on peut pas trouver un arrangement. Les autres restent dehors, y’a pas la place dedans. »

La Boussole répéta ces instructions à l’intention des péons qui auraient des problèmes d’audition, puis se poussa sur le côté pour laisser passer les deux affreux. Cela fait, elle referma la porte avant de suivre les nouveaux venus dans la pièce principale.

Ntikuma se demandait ce qui arriverait s'il tombait dans le coma.

Il n'avait pas vu beaucoup de ce genre de victime durant ses voyages, mais il savait que quelqu'un pouvait passer des mois, des années, sans jamais se réveiller et ne pas le savoir. Il se demandait s'il finirait par trouver le temps long. Il se demandait s'il finirait par vouloir se réveiller, incapable de rester aveugle plus longtemps sans se sentir accablé de regret. Il se demandait si quelqu'un resterait à son chevet pour lui parler.
Il se demandait comment serait le monde à son réveil.

Dur, dur de savoir s'il avait plus de bien que de mal en intervenant à son tour dans le monde des éveillés, si l'aide qu'il avait pu apporter à ceux dans le besoin balançait les actes horribles dans lesquelles il avait été impliqué... en faisant trop, ou trop peu, ou en n'accomplissant rien. Combien de fois s'était-il retrouvé à tenter de raisonner Reagan, de l'arrêter ou de négocier avec lui? Ça n'avait jamais rien fait. Alors pourquoi s'évertuer à intervenir à nouveau, pendant que la bande de voyous encerclait son domaine, si c'était pour ne rien accomplir à nouveau? Il fermerait les yeux et à son réveil, ils seraient partis. Qui sait combien d'autres le seraient. Il ne pouvait rien y faire.
L'Araignée sentit la présence de Matsuda à ses côtés, venu le prévenir, mais ne réagit pas. Le Japonais lui parlait doucement pour le motiver à se lever, il sentait bien la détresse de son petit chef mais ils avaient besoin d'aide, et malgré la violence dont Reagan pouvait faire preuve même contre lui, si n'importe qui d'autre lui tenait tête ce serait la mort assurée. L'alchimiste s'approcha le plus possible, son front frôlant le masque de Ntikuma et lui murmura:

-Vous avez raison. On vaut mieux que ça, et on a pas besoin d'être comme eux pour parvenir à nos fins. Mais ce Labo est notre maison, et c'est votre élément. S'il y a un endroit où vous pouvez lui résister, c'est ici, et s'il faut qu'il nous massacre, c'est toute la place qui partira avec nous.

Un soupir. Matsuda s'éloigna et choisit prudemment ses prochains mots. Cela sonnait presque stupide, et pourtant...

-Je sais pourquoi vous portez le masque, vous savez. Ce n'est pas pour vous, je crois pas que vous ayez quelque chose à cacher. C'est pour les autres, c'est comme... comme un reflet, et nous tout ce qu'on a à faire c'est combler les trous, pour voir ce qu'on a envie de voir. Et Reagan s'attend probablement de voir son reflet, quelqu'un de brisé qui s'en fiche des conséquences, mais il n'est pas obligé de voir ça... Il a juste besoin de voir Ntikuma.

L'Araignée hocha la tête et entreprit de se redresser, pendant que Matsuda lui communiquait par signes cette fois ses plans pour la suite, qu'elle approuva. Lui aussi avait raison, cet endroit était le leur, et si Reagan était ici à menacer plutôt qu'à accomplir ses sordides desseins, c'est qu'il avait besoin de quelque chose d'important qui l'empêchait d'avancer. Pas besoin d'être un génie pour deviner de quoi il s'agissait. Mais s'il pensait être en contrôle de la situation, il se trompait. Passant devant son employé, Ntikuma concentra son cosmos, et son écharpe s'illumina d'une lumière aveuglante alors qu'il traversa le rideau.

Ses vêtements avaient changé. Le petit être portait une simple toge traditionnelle aux motifs géométriques complexes rouges et jaunes, couverte d'une cape rouge sertie d'une large capuche rabattue sur sa tête. Pas de bandages sur ses mains et ses pieds, ni même sur son épaule blessée. Son armure noire était accrochée dans son dos et il la portait sans difficulté. C'était une figure du passé, jamais touchée par le monde: c'était Ntikuma tel qu'il était le jour où lui et Reagan s'étaient rencontrés.

L'Ashanti s'arrêta devant les deux loques humaines et regarda longuement Blueman, sans que sa posture ou son cosmos ne laisse deviner ses intentions, puis s'en désintéressa tout aussi rapidement pour plutôt aller s'assoir sur l'une des tables du Laboratoire. Pendant que Matsuda partait vers l'endroit où ils stockaient quelques armures qui n'avaient pas encore été livrées à la Caserne, la silhouette rouge produisait à l'aide de son cosmos un simple papier aux lettres en relief qui vola jusqu'à la paume du mercenaire déchu.

"Que puis-je faire pour toi, Reagan?"

A la fois irrité et amusé par le ton insolent de l'inconnu masqué, Blueman caqueta et souffla une bouffée de fumée sur son masque. Ce genre d'olibrius, il aimait les égorger comme des porcs puis les griller à la broche ! Le punk aurait bien voulu lui coller une balle de plomb dans la cervelle, mais le fait que Ntikuma l'autorise à entrer avec son chef le coupa dans son élan. Tant pis, même si ses pulsions meurtrières le démangeaient, il aura bientôt maintes autres occasions de se divertir. De toute façon, Reagan n'était guère disposé à laisser à son acolyte la liberté de trucider un collègue. Effectivement, le premier avait été limpide et concis à ce sujet : il voulait juste chercher quelques pièces d'équipement au laboratoire, rien de plus. Le bain de sang pouvait attendre, sachant qu'après cette visite de courtoisie, la horde de barbares se rendra directement à sa fameuse destination. Un oasis où des assassins de leur espèce pourront prospérer, telle était la description qui leur avait été faite de cet endroit tant convoité ! Blueman fit signe à ses comparses qui se trouvaient encore dehors de rester immobiles et d’attendre que lui et son patron en aient terminé avec leur affaire.

Il bloqua ensuite le pas de la porte, sa kalachnikov toujours chargée et parée à tirer une rafale dévastatrice. Afin de se détendre, il se débarrassa de son joint puis sortit de la poche de son pantalon du chewing-gum au café, qu’il commença à mâcher compulsivement. L’alchimiste encapuchonné se présenta ainsi à eux, n’arborant visiblement pas la moindre marque de la mandale fracassante que lui avait administrée l’Oiseau de Paradis. Ce dernier se planta silencieusement devant Ntikuma, qui lui donna l’un de ses habituels morceaux de papier pour communiquer. Le catcheur aveugle s’en saisit aussitôt et le déchiffra laborieusement, avant de le froisser, de le rouler en boule puis de le jeter au feu. Ceci fait, il répondit à la question qui était inscrite sur cette note :

"Besoin armure, maintenant. Pas discuter ni refuser, pas compliqué… Après moi partir. Plus jamais revenir."

"Et ne lui refilez pas de la camelote, ça pourrait le mettre de mauvaise humeur." ajouta le voyou tatoué. "Z’aimeriez pas ça, pas vrai ?"

Celui-ci illustra son propos en faisant gonfler une bulle de gomme et en la faisant éclater bruyamment. Néanmoins, Reagan ne partageait pas son attitude taquine et se contenta de fixer l’Araignée de ses yeux vides. Si les soudards qui l’accompagnaient n’auront aucun remord à piller le laboratoire en cas de résistance des forgerons, le premier était à moitié sincère dans sa préférence d’une issue pacifique. Quant à l’autre moitié, c’est-à-dire sa bestialité maladive refoulée, il souhaitait autant que possible éviter de lui accorder voix au chapitre. Cependant, s’il y avait une chose dont il était entièrement certain, c’était que le voyage qu’il comptait entreprendre avec sa bande de marginaux sera sans retour. Si l’accomplissement de l’intégralité de ses objectifs impliquait des dommages collatéraux, alors soit : il devait se résoudre à ce sacrifice nécessaire. Faire marche arrière n’était plus une option pour l’Oiseau de Paradis, car il était bien trop tard pour qu’il puisse s’offrir ce luxe après toutes les atrocités qu’il avait commises. Il n’y avait plus de rédemption à son horizon depuis des lustres, seulement la perspective d’une purge sanglante.

Le fameux Blueman – âme damnée de l’Oiseau de Paradis et punk parmi les punks – était à la hauteur de sa réputation, si tant est qu’on puisse employer les mots « hauteur » et « réputation » en parlant d’un fier-à-bras dépravé comme lui. Il se croyait sans doute intimidant, à souffler sa fumée au visage des gens – quelle originalité, vraiment... – et à traiter le Laboratoire comme un dépotoir, mais le spectacle aurait été plus pathétique qu’autre chose si Reagan n’avait pas été là pour les surplomber tous de son effrayante stature.

À en juger par la posture de Ntikuma, de retour dans la pièce après avoir opéré sa métamorphose, les forgerons n’étaient pas impressionnés non plus. Agacés et méfiants, oui, mais pas près de céder face à la peur. Zhihao se doutait cependant de la fragilité de la contenance de l’Ashanti. Il vaudrait donc mieux qu’elle n’aille pas jeter de l’huile sur le feu, ce pourquoi elle se plaça sur le côté entre les deux groupes plutôt que dans le dos des indésirables : rester là où ils ne pouvaient pas la voir et se demanderaient si elle ne s’apprêtait pas à les attaquer par derrière avait tendance à rendre les gens nerveux, or elle essayait d’apaiser les tensions. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’elle renonçait à un placement avantageux en cas de conflit, bien au contraire : elle pouvait maintenant passer à l’offensive sans craindre de toucher ses alliés par mégarde, réduisait également les chances de les voir être pris en otages et pour finir, se retrouvait en meilleure position pour s’interposer.

Elle acheva de se rendre la moins menaçante possible en retirant son masque et en laissant ses mains bien en évidence, éloignées de l’arme accrochée à sa ceinture. Le culturiste et son laquais, eux, ne firent aucun effort pour se montrer diplomates ; il fallait néanmoins noter que malgré sa régression au stade de pithécanthrope, Reagan réussissait l’exploit de rester le plus intelligent des deux. Faire du chantage à Ntikuma, quelle idée… Même si ce dernier n’était pas un combattant – tant mieux pour le reste du monde, parce qu’un matérialisateur uniquement limité par son imagination c’était le genre de choses qui donnaient des cauchemars aux Agences –, les personnes en charge du matériel avaient toujours d’autres façons de se venger.

Les paroles de la grande brute révélaient toutefois un autre problème : s’il partait avec ses sous-fifres pour ne plus jamais revenir, ce serait certes un bon débarras mais l’asiatique y perdrait aussi une précieuse source d’informations, le seul Chevalier Noir encore en vie dont elle savait à coup sûr qu’il avait été en contact avec la Discorde. C’était le moment ou jamais pour l’interroger, mais il avait été on ne peut plus clair dans son refus de tergiverser. Peut-être qu’en passant par Blueman, si l’animosité envers la fille de Nyx était plus forte…

« Avant de partir, vous pourriez nous dire si vous connaissez d’autres Chevaliers Noirs qui ont des liens avec Éris ? » demanda-t-elle au punk à crête bleue. « Parce qu’on a essayé de faire parler Myra, une fille aux cheveux verts en armure de Caméléon qui devait se trouver au Sanctuaire, sauf qu’elle nous a claqué entre les pattes avant qu’on puisse en tirer grand-chose. »

Blueman n'avait aucun pouvoir en ce lieu, aucune influence, à peine une présence. Il pouvait tenter de se faire remarquer autant qu'il le voulait, Ntikuma ne le regardait même pas, et les alchimistes étaient de plus en plus confortables à agir comme si le punk n'était même pas là. Il pouvait tenter de mettre des mots dans la bouche de son maître, aussi, mais ce n'était que ça, des mots, auxquels le petit être ne prit pas non plus la peine de répliquer : les deux voyous savaient déjà que la mauvaise humeur n'allait que leur nuire, à ce point, et s'ils n'arrivaient pas à s'en souvenir, ce serait tant pis pour eux. Les mains jointes sur ses genoux, le petit être hocha doucement la tête, puis resta pensif quelques secondes, jusqu'à ce que ce soit Zhihao qui intervienne en demandant au punk bleu s'il pouvait leur donner des informations sur les contacts d'Eris. Excellente idée, même si l'Araignée ne s'abaisserait pas à marchander avec Blueman dans sa propre demeure. Un nouvel éclat de cosmos et ce fut cette fois un bloc de bois qui tomba entre les mains du mercenaire déchu, comme ceux que les enfants pouvaient empiler pour "s'amuser", avec quelques simples caractères répétés sur chaque face...

"Où?"

Il n'avait pas peur de se rebeller, Reagan ne pouvait plus lui donner d'ordre et s'en prendre à lui maintenant pourrait être ce qui attirait enfin l'attention de l'Ordre Noir, même s'il était difficile de savoir si ça le dérangerait ou non. Mais n'était-ce pas la deuxième fois qu'il promettait de disparaître pour ne plus jamais revenir? De toute évidence ce n'était pas si simple... Une simple lettre cette fois vola jusqu'à Reagan, pendant que la silhouette rouge soudainement bien distraite regardait partout dans l'atelier à la recherche de quelque chose de plus intéressant.

"Mon travail a un prix. Réponds à nos questions et tu auras ce que tu veux."

Blueman vit l'inconnu masqué en train d'ôter son casque, dévoilant à son grand étonnement le visage d'une femme asiatique. En parlant de faces de citron, n'était-il justement pas à la recherche d'une d'elles ? Quoi qu'il en soit, cela semblait être dorénavant de l'histoire ancienne. L'esprit du punk était encore embrumé par le cannabis, aussi éprouvait-il des difficultés à s'en rappeler dans l'immédiat. En attendant, la donzelle voulait se renseigner auprès de lui sur les potentiels complices d'une certaine Myra, qui aurait trahi la Confrérie Noire pour la Discorde. Le voyou oublia l'ordre de Reagan, qui ne souhaitait tergiverser sous aucun prétexte, et répondit à son interlocutrice :

"Bah, pas plus que ce qu'on a déjà raconté à Ntikuma hein... On était à la recherche d'une Japonaise il n'y a pas si longtemps, une connasse nommée Yasuha j'crois..."

Ce fut alors que le déclic s'opéra dans son cerveau, lorsqu'il se rappela que lui et son maître étaient justement à la recherche de cette gonzesse. Une femme de type extrême-oriental, comme celle qui se trouvait sous ses yeux ! En voilà une drôle de coïncidence ! Ce n'était sans doute que le fruit du hasard et les deux pintades devaient probablement être des personnes différentes, mais c'était trop cocasse pour ne pas être relevé. Blueman, avec son tact habituel, s'empressa de le faire remarquer à l'assistance :

"Oooooh merde... C'est marrant d'ailleurs, tu pourrais avoir la même tronche qu'la pouffiasse qu'nous cherchions ! Une tête d'asiat', si c'est pas un sacré coup de chance ! Heureusement qu'le patron est incapable de confirmer, ce serait grave le bordel sinon... GYAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !"

Effectivement, le punk ne voyait plus aucun intérêt à pourchasser Yasuha à travers le monde, son objectif principal étant la recherche d'un nouveau havre de prospérité. Il ne savait pas si l'Oiseau de Paradis souhaitait encore la traquer, mais il espérait que cela ne soit plus le cas. Après tout, qui avait envie de se mettre une divinité aussi sournoise et retorse qu’Éris à dos ? Seul un fou furieux serait prêt à entreprendre une aventure confinant à ce point au suicide ! Blueman était persuadé d'être trop intelligent et prudent pour cela, aussi se sentait-il en sécurité. Ce n'était pas comme s'il allait un jour laisser sa soif de sang obscurcir son jugement, c'était tout simplement grotesque ! De mémoire, avait-il déjà commis une telle erreur ? Jamais à sa connaissance...

De son côté, Reagan se retenait de ne pas exploser de rage, autant à l'encontre de son acolyte que de cette consœur suspecte. Il croyait pourtant avoir été clair, mais manifestement personne ne l'écoutait, y compris Ntikuma. Ce dernier questionna l'Oiseau de Paradis sur sa destination et lui indiqua qu'il n'accédera à sa requête que quand il aura obtenu sa réponse. Ces imbéciles avaient donc décidé de se mêler de cette sale histoire avec Éris, quelle inconscience ! Que croyaient pouvoir faire ces avortons, à part énerver toujours plus cette déesse irascible ? Le catcheur déchu pouvait tabasser ces zouaves et leur faire comprendre qu'ils étaient trop faibles pour prétendre s'impliquer dans un conflit qui les dépasse, ce serait tellement aisé... Sauf qu'il choisit de ne pas les mettre violemment face à leur impuissance, car il n'avait guère de leçons à donner dans ce domaine. Autant qu'ils saisissent par eux-même l'étendue de leur erreur, comme Reagan avait pu l'éprouver dans sa chair et son âme.

Avec un soupir agacé et résigné, il se calma et accepta de jouer au petit jeu du forgeron encapuchonné. Les veines qui s'étaient dessinées sur sa peau s'effacèrent et ses muscles se détendirent. L'Oiseau de Paradis s'approcha ainsi de l'alchimiste, l'agrippa fermement par la gorge, le souleva et approcha son visage du sien. Le premier susurra ensuite à l'oreille du second, une colère réprimée dans sa voix :

"Ubar."

Son secret dévoilé, le renégat relâcha brusquement Ntikuma par terre. Il croisa alors les bras, laissant son vis-à-vis digérer cette information et appréhender la raison de son refus d'en parler à quiconque. La fureur abandonna subrepticement la figure bandée de Reagan pour laisser place à du chagrin, avant de s'endurcir de nouveau. Si le forgeron était aussi doué d'empathie que la populace le prétendait, il devrait être capable de comprendre ses intentions. Dans le cas contraire, tant pis : il pouvait largement se débrouiller sans.

"Ma part du marché." gronda le mercenaire aveugle. "La tienne. Surtout gaffe à toi."

La dernière mention ne concernait pas vraiment la dissuasion d'une quelconque arnaque de la part de l'alchimiste en chef. Effectivement, celui-ci avait tendance à se fourrer dans un pétrin inconcevable sans réellement s'en rendre compte et ne devait sa survie qu'à la chance. Il était évident qu'il ne pouvait décemment pas continuer de la sorte, d'autant plus que ses fréquentations n'étaient pas des plus recommandables. L'Oiseau de Paradis avait souvenir d'un épisode où il avait surpris son collègue avec une clientèle extrêmement dangereuse, trop pour un frêle pacifiste de son genre. Il ne se souvenait plus de qui il s'agissait, mais ces personnages requéraient une vigilance toute particulière.

Pour quelqu’un d’aussi affaibli, Ntikuma faisait preuve d’une remarquable force de caractère. Nullement intimidé, il traitait le duo de barbares avec le plus grand désintérêt. Zhihao ne pouvait peut-être pas lire le message qu’il fit passer à Reagan – ce qui, pour être honnête, la faisait se sentir un peu exclue de la conversation – mais elle en devinait aisément le contenu. Par chance, le punk décida de se montrer raisonnable, ou du moins aussi raisonnable que pouvait l’être un individu en plein trip.

Hélas, la seule réponse qu’il fut capable de leur livrer était une nouvelle mention de cette fameuse Yasuha. La Boussole n’attendait pas grand-chose de cette conversation et pourtant elle trouvait quand même le moyen d’être déçue. Tant pis, un coup d’épée dans l’eau ; elle n’aurait qu’à retourner auprès de Noah et lui proposer de l’aider dans son enquête.

« Merci tout de même… » commença-t-elle, mais elle fut interrompue lorsque l’énergumène à crête bleue percuta enfin à qui il avait affaire, son cerveau saturé de drogues ayant apparemment un gros temps de retard sur la réalité, et se mit à s’esclaffer bruyamment. Elle attendit patiemment que le demeuré hilare cesse de lui casser les oreilles, et se consola en se disant qu’il ne serait plus de ce monde pour très longtemps si son maître cherchait toujours à se venger de sa némésis nippone en se rendant à l’endroit auquel elle pensait.

« Oui je sais, les asiatiques se ressemblent tous, les chinois et les japonais c’est pareil, on me l’avait jamais faite celle-là. » rétorqua-t-elle. Elle arrêta ensuite de se préoccuper du bouffon, car l’Oiseau de Paradis semblait sur le point d’exploser devant la défiance du petit être rouge – ou le spectacle de la bêtise de son subordonné, difficile à savoir.

Zhihao dut se retenir de bondir pour intercepter le culturiste lorsque celui-ci traversa la pièce pour empoigner le forgeron par la gorge. Elle raffermit son contrôle sur l’arme de Blueman qui, s’il tirait, verrait toutes ses balles déviées de leur trajectoire pour aboutir dans la colonne vertébrale de la grande brute et se prépara à enchaîner avec son attaque la plus puissante, un champ d’énergie invisible prenant forme au creux de sa paume... Sauf que Reagan libéra aussitôt son captif, avant même qu’elle n’ait eu le temps de lui demander de le relâcher ; l’asiatique referma la main, laissant les forces qu’elle venait de conjurer retourner au néant. Crise évitée de justesse donc, si Ntikuma considérait effectivement qu’il avait rempli sa part du marché.

Et une fois de plus, elle se sentait inutile. Aurait-elle vraiment pu forcer son « confrère » déchu à laisser l’Ashanti tranquille, ou n’aurait-elle fait que participer à l’escalade de la violence ? Sa présence ici faisait-elle seulement la moindre différence ?

Reagan n'était pas enclin à trop parler, et même si Blueman n'avait pas cette volonté, il n'avait pas beaucoup d'information à partager. Ni le punk ni son horrible maître ne semblaient capables de voir plus loin que le bout de leur nez et de réaliser que toute cette histoire avait pris beaucoup, beaucoup d'expansion, comme si tout ce qui s'était passé ne concernait personne d'autre qu'eux, sans aucune conséquence. Voilà que Zhihao leur parlait d'Eris, de traîtres parmi les Chevaliers Noirs, de Myra, et tout ce qu'ils pouvaient répondre était le même nom, encore et encore. Mais quelque part dans cette histoire répétée, y avait-il l'indice qui leur manquait? Ou étaient-ils simplement incapables de s'intéresser au reste de ce fiasco?

Peu importe : les deux mercenaires avaient pris un risque en cherchant un paiement plutôt qu'en se mettant tout de suite au travail, et Reagan n'avait plus de patience. Sa colère écrasait la petite figure de Ntikuma, qui faisait de son mieux pour garder sa contenance mais ne pouvait plus cacher sa peur. Si cela pouvait forcer le Chevalier déchu à réfléchir plus sérieusement à sa prochaine action, en voyant que même l'Araignée le voyait encore comme une menace, il ne devrait pas s'attendre tout de suite à de la compassion. Comme l'enfant en crise qu'il était, il avait besoin de discipline, ou d'au moins comprendre que ses tactiques habituelles n'allaient plus fonctionner. Même après qu'il se soit légèrement calmé, le petit être ne bougea pas, attendant avec un peu plus de curiosité la réaction de son ancien collègue. Mais quand l'Oiseau de Paradis l'attrapa par la gorge, il eut un hoquet de stupeur, et la douleur dans son épaule le frappa comme un coup de tonnerre.

Par réflexe, Ntikuma s'agita et tenta de se libérer de la poigne d'acier de Reagan, même si ce dernier se contentait de le retenir sans couper sa respiration. Un puissant flash de cosmos aveugla tous les participants pendant une fraction de seconde, mais ce n'était pas pour se défendre contre son attaquant déjà aveugle, mais pour donner le signal à Matsuda de détruire les armures du Laboratoire. Il aurait aimé pouvoir lui donner plus tôt, pour lui donner plus de temps, mais il n'y avait pas encore eu de véritables signes d'hostilité avant... Zhihao pourrait peut-être lui donner un peu plus de temps, mais la suite allait se passer très vite... Après plusieurs grandes respirations, l'Ashanti se calma, et laissa l'Oiseau de Paradis le rapprocher de lui sans résister, son regard planté dans le sien... et sursauta en entendant le simple mot murmuré à son oreille.
C'était la dernière pièce qu'il lui manquait. D'un coup, tout tombait parfaitement en place, et la suite semblait parfaitement claire.

Reagan relâcha la silhouette rouge, qui s'écrasa par terre sans parvenir à garder son équilibre. Après ce qui s'était passé à Rodorio, le petit être se doutait déjà que le Chevalier déchu ne pensait pas survivre à sa prochaine quête, mais le lien entre sa vengeance et l'endroit où il pensait maintenant se rendre était impossible à ignorer. Ça ne réglait rien, mais au moins ils seraient prêts le jour où les Ombres viendraient leur demander des comptes. En se massant la gorge, le petit forgeron hocha doucement la tête, puis se plaça en lotus sur le sol, tête baissée, et se concentra.

La masse de cosmos de lumière dans son dos n'était pas aussi lumineuse que d'habitude. Des pièces difformes en émergeaient et fusionnaient mollement, sans la passion de Ntikuma pour les guider ; il regardait Reagan dans les yeux et ce qui se formait derrière lui était ce qu'il y voyait. Il ne restait pas grand-chose de l'Oiseau de Paradis dans cette nouvelle armure, qui ressemblait plus à un rapace tordu sans réelle ressemblance avec un animal existant. Sur le plastron était gravée une petite araignée. Elle n'était ni belle, ni menaçante, mais elle était fonctionnelle ; elle lui irait à merveille.

Une fois la sombre protection complétée, l'artisan laissa le temps à la brute de l'enfiler et en profita pour se relever et reprendre son souffle, et une fois cela fait, se contenta de lui pointer la sortie sans rien faire d'autre. Il avait eu ce qu'il voulait, après toute sa colère et sa tristesse : qu'il prenne ses trente punks armés prêts à piller son Laboratoire et qu'il parte. Ce qui se passait maintenant ne dépendait que de lui. Ce n'est que lorsque l'ancien prisonnier arriva à sa hauteur que l'Araignée matérialisa une feuille de papier, la plia en quatre et la lui glissa, sans pour autant l'encourager à lire le message maintenant.

"Ne te méprends pas sur ce qui se passe. Il n'a jamais été trop tard pour arrêter, et tu es le seul à te convaincre du contraire. Tu as repoussé ceux qui voulaient t'aider, et j'aurais été avec toi jusqu'à la fin si ce n'était pas du mal que tu m'as fait, mais malgré tout je continue d'espérer que les choses se soient déroulées différemment. Tu avais le choix, tu l'as toujours, mais cette fois tu seras vraiment seul. Bonne chance."

Il n'allait pas lui demander de ne jamais revenir ; ils savaient tout deux que ça n'arriverait pas. Ntikuma ressentait malgré tout une certaine tristesse, un lourd regret qui pesait sur ses épaules alors que Reagan s'éloignait et disparaissait de sa vue. Quel gâchis... mais le reste du monde ne partagerait pas ce regret. La suite allait arriver très vite, et il aurait besoin de toutes ses forces. Après un salut fatigué en direction de Zhihao, il l'invita, par le biais de Dakota, à informer Noah de ce qui s'était passé et à se préparer à une visite des guerriers d'Eris. Après tous ces complots et intrigues, il était temps de se rencontrer face à face. Une fois cela fait, il prit congé, et traina les pieds jusqu'à ses quartiers.