Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Trop de fois, je considère faire demi-tour et tout abandonner, tenter de m'expliquer... mais à chaque fois, le visage de Thanatos me revient à l'esprit et c'est suffisant pour me permettre de continuer. Ce que je risque à faire ce qu'il me demande... ce n'est rien comparé à ce qui pourrait arriver si j'échoue, alors si je refuse catégoriquement de le faire...
Je dois me forcer à prendre de grandes inspirations plusieurs fois, pour chasser la torsion au niveau de mon ventre. Me convaincre que tout ira bien me donnerait presque envie de rire, si mes ordres inquiétants pouvaient cesser de se répéter en écho dans ma tête. Non, ça n'ira pas; la pression sur mes épaules et avoir conscience de l'ampleur de ma mission, ça ne s'ignore pas.
Alors je tente de penser à autre chose, mon seul véritable succès. Si le Faucheur est satisfait de mon travail, si j'arrive à lui prouver que je lui suis loyale, qu'il n'a pas fait d'erreur en me gardant à ses côtés, c'est un autre danger tout aussi important qui disparait. Celui de ne pas être à la hauteur de qui que ce soit, de n'être qu'une potentielle traîtresse à éliminer. Vu les plus récents événements, ce serait presque justifié de croire ça... mais je dois prouver le contraire. Après ce qu'a fait Sargas, ce ne sera que plus difficile.

J'ai pourtant fait ma brave, quand le Faucheur m'a demandé cette simple tâche. J'ai conservé un visage de marbre malgré ma hâte de pouvoir enfin me mettre à son service... mais trop rapidement ma façade a dû cacher autre chose. Ma confusion, ma peur. Pourquoi maintenant, et pas avant, face à un ennemi semblable? Je ne sais pas... peut-être à cause de cette autre responsabilité qui a été placée entre mes mains : l'arme du crime. Il ne m'a pas laissé la voir, me l'a remise dans un coffret marqué d’un sceau, avant de me laisser partir. Je ne peux pas l’ouvrir, je n’en ai pas du tout l’envie, mais je sens le pouvoir de l’objet à l’intérieur me chatouiller le bout des doigts, m’invitant à la curiosité, aux pires sentiments inimaginables…
Mais au milieu de toutes ces promesses, des relents d’horreur qui m’incitent à résister.

-Majesté Perséphone ?

C’est là où se trouvait anciennement l’arbre Sapindus que je la trouve, fixant le ruisseau de sang d’un air pensif. La fatigue de ses traits me laisse surprise, car malgré toute sa prestance et sa beauté, j’ignorais qu’un dieu pouvait laisser paraître ce genre de défaut…
Elle m’a déjà convoqué, plusieurs fois même, avant que tout le monde ne parte pour le Sanctuaire. Du moins, c’est ce que dit Wolgorn. Rien de tout ça ne m’est parvenu, et quand la déesse se retourne pour me regarder, l’air désapprobateur sur son visage est suffisant pour me faire comprendre qu’elle ne le tolérera pas plus que le Bourreau. Je m’avance, les mains tremblantes, baissant la tête en guise de salut.

-J’ai ordre de vous remettre ceci…

N’osant toujours pas la regarder dans les yeux, je lui présente le coffret, peinant à le garder parfaitement immobile. Lui dire qui m’envoie pourrait tout faire échouer, si nous en sommes là c’est parce qu’il y a rivalité entre elle et le Faucheur, mais si elle pose des questions, je n’aurai rien à lui répondre. Malgré le temps passé ici et l’enseignement de Rogos et Lachès, je n’en sais toujours pas assez. D’une certaine façon, c’est sans doute mieux ainsi, sinon j'en aurais trop à poser.
La Dame des Enfers ne bouge pas, fixe la boîte sans dire quoi que ce soit. J’avance de quelques pas, peut-être qu’elle réagira à ça, et comme de fait elle lève la tête pour me toiser. Nous ne nous sommes jamais rencontré avant aujourd’hui, et pourtant nous nous détestons déjà… Elle s’est mise en travers du chemin de mon Dieu et je lui ai tenu tête, même involontairement. Et il n’y aura aucun pardon.
Elle plisse les yeux, pince les lèvres, garde ses mains figées à quelques centimètres du coffret. Une vague de panique me saisit et une soudaine vague d’adrénaline me traverse le corps. Elle sait que quelque chose ne va pas. Je dois agir maintenant, si je ne veux pas échouer au-delà de toute récupération.

Dans un mouvement affolé et hors de contrôle, je m’avance encore et lui lance presque le petit coffre dans les mains, avant qu’elle n’ait le temps de dire ou de faire quoi que ce soit. En reculant, j’attrape le couvercle pour l’ouvrir et je vois l’expression de la déesse passer de la curiosité à la surprise… puis à la colère. Mais à mesure que la lumière dorée émanant du coffret gagne en force, je vois ses muscles se détendre, son regard devenir de plus en plus absent et son énergie faiblir jusqu’à devenir moindre. Figée sur place, le cœur battant la chamade, j’observe la scène en ignorant quoi faire maintenant, ne pouvant pas envisager autre chose que de rester là, immobile, à regarder Perséphone disparaître juste sous mes yeux.

Finalement, après ce qui semble être une éternité, la lumière s’estompe et le corps redevenu mortel s’effondrer au sol, les ficelles qui le retenaient coupées pour de bon. Le coffret tombe à son tour, mais juste avant qu’il ne se referme de lui-même, j’aperçois une pomme complètement dorée à l’intérieur. Plus aucune trace de quelque énergie divine que ce soit dans les parages. Celle qui émane de l’ancienne hôte de Perséphone est très faible, mais elle vit. Enfin… dur de déterminer ce qui est vraiment vivant ici.

C’est fini. J’ai réussi. Tout ce temps, je n’ai pas arrêté de trembler, et alors que je m’avance timidement pour récupérer ce qui fait maintenant office de prison pour la Dame des Enfers, je m’arrête brusquement. Juste à côté du coffret, près du corps, se trouve une petite poupée faite de plantes et de tissus que je ne reconnais pas. Au lieu de visage, elle porte un masque…
Mon masque.
Lentement, je la prends dans ma main gauche, coinçant le coffret sous mon bras libre. C’est… c’est elle qui l’a créée ? Pourquoi ? Les seuls scénarios que j’arrive à former ne sont pas pour me rassurer et je reporte mon attention sur la femme toujours évanouie, serrant les dents sous le coup de la colère. Quels autres tourments m’étaient encore réservés, pour avoir « ignoré » un ordre ?

J’aurai des réponses. Je n’arrêterai pas avant d’en avoir. Après m’être accordée quelques grandes inspirations pour chasser la peur et la fatigue qui s’est installée une fois l’adrénaline retombée, je m’approche du corps et le soulève pour le charger sur mes épaules, puis me dirige vers la Cité de Dité. Les Squelettes là-bas pourront la surveiller, vu l’absence des autres Spectres il n’y aura aucun danger. J’ignore ce qu’il adviendra d’elle… mais ça m’est bien égale. Ma mission accomplie, malgré la menace qui planera toujours au-dessus de ma tête, la promesse d’une véritable place aux Enfers m’arrache un sourire de soulagement et me fait pendant un temps oublier mes regrets. J’ai fait mes preuves. Je suis venue en aide à mon dieu, et maintenant je sais qu’il ne le regrettera pas.