Après avoir passé un tour entier de l’horloge au lit, le cavalier sans tête se sentait de nouveau à peu près d’attaque, ou en tout cas moins exténué et perclus de douleur qu’à la fin de cette purge nocturne impromptue. Les messages en attente sur son portable l’informèrent qu’un contingent de Squelettes était arrivé à Sydney pendant son sommeil et était d’ores et déjà à pied d’œuvre pour assurer une transition aussi fluide que possible. Excellent, sauf que du coup il ne savait plus quoi faire… et c’était également le cas pour Drow, qui n’avait pas non plus prévu de se retrouver si soudainement embringué dans un complot politico-économico-éveillé suivi d’une opération barbouzarde. Les deux Étoiles Maléfiques se mirent rapidement d’accord sur un point : il valait mieux qu’ils prennent leurs distances pour le moment, le temps que les choses se calment.

Cherchant un endroit où ils pourraient se changer les idées, Rogos suggéra de se rendre à Beijing ; la capitale chinoise était relativement proche – pour des éveillés – et elle permettrait à l’australien de découvrir l’un des territoires secondaires des Spectres. Un territoire avec lequel le Dullahan était déjà en train de se familiariser lorsqu’il avait été d’abord pris à parti par Beldur, puis réquisitionné pour venir prêter main-forte au Béhémoth ; puisqu’il devait de toute façon reprendre là où il s’était arrêté, autant que son supérieur en profite également.

Acceptant son raisonnement, Drow donna son accord et tout deux partirent peu de temps après pour l’Empire du Milieu, Rogos se chargeant de les guider lors du voyage. Le raccourci à travers les plans d’existence les déposa… à proximité de la place Tian’anmen, apparemment.

« Curieux, c’est la deuxième fois que j’atterris dans ces parages. Je n’essayais pas de me retrouver au même endroit qu’hier, pourtant. » songea-t-il à voix haute. « Un Squelette m’a dit que cette place était massivement hantée jusqu’à ce qu’Andréa exorcise les lieux il y a quelques mois, je me demande si c’est dû à ça. »

Se pourrait-il que l’acte de sa collègue ait rendu plus perméable la membrane séparant le monde des vivants de celui des morts à cet endroit, créant un chemin de moindre résistance ? Une hypothèse intéressante que son esprit scientifique ranimé par les événements de l’année écoulée brûlait de tester, sauf qu’ils n’étaient pas là pour discuter de phénomènes paranormaux. Et il lui semblait oublier quelque chose… Il leva les yeux au ciel, essayant de se rappeler ce que ça pouvait bien être, et fut frappé d’une illumination en voyant la couleur peu ragoûtante dudit ciel. Le français se mit à fouiller dans sa poche, là où il était sûr d’avoir laissé l’objet hier et… trouvé !

« La qualité de l’air n’est pas géniale, ici. Je vous conseille de mettre ça. » dit-il en tendant son masque respiratoire à l’Étoile Céleste. Il pourrait toujours en trouver un autre. « Si ce n’est pas une preuve que les gens ont grandement besoin d’être menés à la baguette par une puissance supérieure, je ne vois pas ce que c’est. »

Il faudrait que l’Étoile Terrestre demande à Drow dans quelles circonstances il avait rencontré la Liche, parce que le ton pris pour délivrer cette remarque avait le don de l’intriguer. L’Étoile Céleste se saisit de son masque avec circonspection mais finit par l’enfiler, et les deux Spectres purent se mettre en route sans crainte de se ruiner la santé. Une préoccupation qui pourrait paraître ridicule de la part de quelqu’un qui pouvait revenir à la vie en cas de décès, sauf que Sa Majesté Hadès ne leur avait pas conféré cette bénédiction pour qu’ils en abusent – et l’expérience de la résurrection restait très désagréable, aussi valait-il mieux éviter d’y avoir recours trop souvent.

L’australien insista ensuite pour que le Dullahan se montre moins formel, ce qu’il était par nature réticent à faire. Tutoyer Oblivion était une chose, elle était plus jeune que lui, il était celui qui l’avait convaincue de rejoindre les rangs des infernaux et ils étaient même allés au restaurant avec Andréa et Xing Huo, mais faire preuve d’une telle familiarité envers un supérieur qu’il connaissait à peine…

« Vous pouvez me tutoyer si vous voulez mais je risque d’avoir du mal à vous rendre la pareille. » prévint le cavalier sans tête. La discussion ne s’attarda cependant pas sur ce sujet inconfortable, car Drow était semble-t-il plus intéressé par la philosophie des Spectres et leur relation à l’humanité. Compréhensible de la part d’un nouveau venu en train de prendre ses marques.

« Je ne suis même pas sûr que le libre-arbitre existe en premier lieu ; je suppose que tout dépend de la manière dont on le définit. En admettant que ce soit le cas, tout le monde n’est de toute façon pas en position de l’exercer. » se justifia le français. « Quoi qu’il en soit, l’humanité a eu tout loisir d’exercer le sien depuis qu’Athéna a reçu la Terre des mains de Zeus et on a vu ce que ça donne. Sa Majesté Hadès a voulu rectifier ça de façon indirecte en se concentrant sur les individus mais ça n’a pas suffi. Peut-être qu’une intervention plus directe, une punition collective sera plus efficace. »

Prise dans son ensemble, l’humanité s’était montrée indigne de confiance sur les questions importantes, et il fallait bien qu’elle en affronte les conséquences. C’était comme quand un enfant faisait n’importe quoi avec son jouet : on lui confisquait jusqu’à ce qu’il apprenne sa leçon. Même si les Spectres étaient devenus un chouïa moins dogmatiques sous la houlette de Thanatos, cette thèse fondamentale n’avait pas changé. Les divergences d’opinions entre Étoiles Maléfiques, elles, portaient surtout sur la forme et l’utilité d’une telle action corrective...

« Ce n’est pas que nous détestons forcément l’humanité, c’est que nous n’aimons pas la voir gâcher ainsi son potentiel. » résuma-t-il. « Certains d’entre nous pensent qu’on peut encore redresser la barre, d’autres non et chacun a sa propre idée concernant la marche à suivre, même si au final c’est Sa Seigneurie qui décide. »

Rogos laissait ses pas le porter au hasard au gré de la discussion mais il lui faudrait bientôt décider d’une destination plus précise, à moins que Drow ne voie pas de problème à continuer de jouer les touristes. Il fallait croire que c’était son estomac qui avait pris le pas sur son cerveau, car il revenait vers le quartier où il était trouvé tous ces vendeurs de nourriture le jour précédent.

« Au fait, je suis curieux : quels collègues avez-vous déjà rencontrés ? Andréa, Xing, Oblivion, Wolgorn, Ephemer ? »

« Raison de plus pour les rappeler à l’ordre ; peut-être qu’ils apprendront à ne plus galvauder le don qu’Athéna leur a fait dans sa trop grande mansuétude. » rétorqua le Dullahan lorsque Drow se fit l’avocat du diable. « Mais vous avez raison sur ce point, cette situation n’est pas uniquement de la faute de l’humanité : c’est aussi celle du laxisme d’Athéna et par extension celle de Zeus, puisque c’est lui qui lui a laissé les rênes de la Terre. »

On pouvait en effet considérer les humains comme les enfants de la Déesse de la Sagesse, et les parents n’étaient-ils pas en partie responsables des bêtises de leur progéniture lorsqu’ils échouaient à l’éduquer correctement ?

L’australien semblait cependant préférer parler de sujets plus légers, et le français ne manqua pas l’intérêt croissant avec lequel son regard s’attardait sur les étals des vendeurs de nourriture. L’Étoile Terrestre savait ce que ça faisait, il avait eu la même réaction lors de sa propre visite. Il n’était toutefois pas certain que son supérieur partagerait le goût qu’il s’était découvert pour les brochettes d’insectes. Il garda un œil sur ce que proposaient les marchands tandis que l’Étoile Céleste lui rapportait ses rencontres avec plusieurs de leurs collègues.

« Vous dites qu’Andréa a affronté le Cancer ? » releva-t-il, surpris par ce détail qui n’en était pas un. « J’imagine qu’elle a gagné, sinon vous ne m’auriez pas annoncé la nouvelle de cette manière. Vous me mettez face à un dilemme, là, je ne sais pas ce que je dois en penser… D’un côté je ne peux qu’être heureux d’apprendre qu’un Saint a perdu aux mains d’une Spectre mais de l’autre je sens qu’elle va être insupportable, maintenant... »

Il accompagna cette dernière réplique d’une mine déprimée exagérée pour indiquer qu’il plaisantait… à moitié.

« Xing Huo, Andréa et Ephemer donc, mais pas de Wolgorn ou d’Oblivion pour le moment. » récapitula-t-il. « C’est sans doute pour le mieux, le premier contact avec le Bourreau peut se révéler pour le moins... intense et il vaut mieux s’y préparer avant d’en faire l’expérience. Pour ce qui est de la Mante, à votre place j’attendrais peut-être un peu, j’ai cru comprendre que la fin de la dernière mission a été difficile. »

Le Béhémoth lui annonça ensuite qu’il n’en pouvait plus et qu’il lui fallait se sustenter d’urgence, ce à quoi Rogos ne put réagir qu’en lui opposant une expression de profonde incrédulité. Des jours sans manger ? Mais… pourquoi ? Comment ? N’aurait-il pas pu acheter quelque chose vite fait à Sydney, ou profiter de la fin de leur enquête pour relâcher la pression et tout simplement prendre un petit-déjeuner à l’hôtel ?

« Euh… allez-y, faites. » répondit le cavalier sans tête, un peu stupidement. Il attendit que son supérieur affamé achète sa nourriture, se composa sa propre petite sélection – et insista pour payer sa part lui-même – et ne se remit à parler qu’une fois que les deux Spectres eurent trouvé un endroit où s’asseoir en mangeant.

« Nos nouveaux associés, hein. Que voulez-vous savoir ? Je vous préviens néanmoins que mes connaissances sont très incomplètes ; ils compartimentent l’information pour se prémunir des fuites, vous comprenez. »

Le français se retrouva momentanément sans voix en recevant les précisions de son supérieur. Il lui aurait paru plus plausible d’entendre qu’Andréa était parvenue à vaincre deux chevaliers d’Or à elle seule, c’est dire !

« Un Saint qui reconnaît ses torts face à une Spectre ? C’est… inattendu, ils ne sont pas aussi accommodants d’habitude. Et ça a dû faire encore plus enfler son ego. » réussit-il finalement à répliquer. Y avait-il anguille sous roche ou la Liche était-elle tout simplement tombée sur le seul athénien raisonnable du lot ? Au risque de faire dans l’excès d’optimisme, se pourrait-il qu’ils aient sérieusement réfléchi à l’avertissement de Thanatos ?

Pensif, le cavalier sans tête s’attaqua à sa propre nourriture – à commencer par une brochette de ce qui ressemblait à des cigales frites – pendant que Drow justifiait sa malnutrition. Tant que celui-ci ne se mettait pas à parler de faire une cure de détox…

« Je ne vous connaissais pas ce penchant ascétique. » fit diplomatiquement l’Étoile Terrestre entre deux bouchées. Ce qui ne voulait pas dire grand-chose puisqu’ils ne s’étaient rencontrés qu’hier soir, et de toute façon ce n’étaient pas ses oignons : l’alimentation du Béhémoth ne regardait que lui.

Rogos profita également du temps passé à manger pour composer sa réponse aux interrogations de l’australien. Il lui fallait aller à l’essentiel tout en se montrant le plus exhaustif possible, ce qui risquait d’être compliqué dans la mesure où il n’avait que très peu participé aux opérations de combat lors de son infiltration ; Wolgorn ou Oblivion seraient plus à même d’éclairer la lanterne de l’Étoile Céleste sur ce point-là. Il vérifia derechef que personne ne se trouvait à proximité pour entendre leur conversation. Ils avaient beau ne pas communiquer en mandarin, il ne serait guère surprenant à l’heure de la mondialisation qu’une oreille indiscrète soit capable de les comprendre.

« Comme je vous l’ai déjà dit, ce sont des organisations gouvernementales secrètes accueillant militaires, espions et scientifiques afin de surveiller, d’étudier et si nécessaire combattre les éveillés et autres anomalies. Pour le moment, leur ambition est de se développer jusqu’à pouvoir servir de plan B crédible en cas de chute du Sanctuaire – du moins c’est ce qu’on m’a dit lors de mon recrutement. Mais ils en sont encore loin, ce pourquoi ils se concentrent surtout sur la traque des indépendants : ceux qui ne sont alignés ni avec l’une des factions divines, ni avec les Chevaliers Noirs, comme ceux que nous avons vu à Sydney. » expliqua le Spectre en jouant distraitement avec le pic qui était tout ce qu’il restait de sa première brochette.

Dit comme ça ce n’était pas très engageant, cependant il fallait bien reconnaître que face à certains groupes aux méthodes plus proches de celles d’un mouvement terroriste moderne que d’un ordre de chevaliers, les Agences avaient leur utilité. Le Dullahan ne voyait pas comment les Saints pourraient se débrouiller face à une pandémie d’origine bio-terroriste par exemple ; ce n’était pas comme si la situation allait s’arranger comme par magie une fois le leader de l’organisation responsable réduit à l’état de poussière astrale.

« Leur alliance regroupe sept pays : États-Unis, Russie, Chine, Japon, Royaume-Uni, France et Iran. » continua-t-il. « Ils recrutent aussi des agents d’autres nationalités mais sans que les gouvernements de ces pays soient impliqués – pas à ma connaissance en tout cas. Chacune de ces Agences constitutives a bien évidemment ses spécialités et sa façon de faire les choses mais elles ont pour point commun de s’appuyer sur leur technologie et leurs tactiques pour compenser le faible nombre et le manque de puissance de leurs éveillés. Elles sont extrêmement paranoïaques, cela va sans dire, prennent des mesures radicales pour se prémunir des trahisons et n’y vont pas de main morte lorsqu’il s’agit de neutraliser une cible. »

Parce que quand on n'était qu’une fourmi dans un monde de géants, la survie était à ce prix. Rogos s’attaqua ensuite à un assortiment de beignets, laissant le temps à Drow d’absorber ce qu’il venait de lui raconter. Il aurait pu en dire davantage mais se serait fatalement montré moins concis en conséquence.

« Bien sûr, tout ce que je dis est à prendre avec des pincettes : il faudrait parler aux autres pour des informations plus complètes et même comme ça les Agences mentent et dissimulent beaucoup de choses à leur propre personnel. » rappela-t-il. « En tout cas je pense avoir couvert les généralités ; si vous voulez en savoir plus il faudra être plus spécifique. »

« Sa Seigneurie m’avait chargé d’infiltrer la division scientifique afin d’évaluer leurs capacités sous un autre angle. » fit Rogos entre deux bouchées. « Les autres ont eu plus de chance, ils ont rejoint les équipes de terrain éveillées et ont pu continuer à se servir de leur cosmos, même s’ils devaient le brider. Moi j’ai passé un an à faire attention à ne pas en laisser filtrer la moindre étincelle. »

Ce long séjour s’était révélé fascinant mais il avait néanmoins accueilli la fin de sa mission avec un immense soulagement. C’était éprouvant de devoir contrôler chacune de ses réactions en permanence et cela lui avait fait perdre une bonne partie de ses réflexes de combattant par-dessus le marché, des réflexes qu’il avait dû retrouver dans la douleur.

L’Étoile Terrestre écouta Drow remarquer qu’une opération d’une telle envergure devait exiger des moyens considérables, et hocha la tête pour confirmer l’exactitude de cette supposition. Il ne pouvait cependant rien affirmer quant au leadership des Agences puisque l’identité de leurs chefs était logiquement gardée secrète et que les organisations s’ingéniaient à disséminer quantité de fausses pistes pour égarer les fouineurs. Il faillit éclater de rire lorsque son supérieur loua l’efficacité de cette coopération internationale et manqua de s’étouffer – ça lui apprendrait à vouloir manger et participer à une conversation en même temps.

« Je ne sais pas pour les dirigeants, je n’ai aucune idée de qui ils sont. Quant à l’alliance elle-même, sa formation a été quelque peu dictée par les événements : quand une divinité terrorise la planète entière et ridiculise les armées des grandes puissances, puis que la capitale d’une des nations les plus riches au monde est dévastée deux fois d’affilée sous l’œil des caméras, forcément, les priorités changent. Et ne vous y trompez pas, ça ne s’est pas fait sans frictions. »

Les organisations secrètes avaient passé trois décennies à se mettre des bâtons dans les roues ; ce n’était pas le genre de passif qui disparaissait miraculeusement du jour au lendemain. Le Dullahan avait toutefois constaté une évolution des attitudes au cours de ces longs mois passés sous leur férule, des groupes et des individus qui au début ne collaboraient que parce qu’ils y étaient obligés avaient fini par se trouver des points communs et même par s’apprécier. Feuerbach était évidemment une exception : personne n’aimait l’allemand, pas même les membres de sa propre Agence.

« C’est dommage que l’humanité ne serre les rangs que face à la menace. Si les gens et les pays pouvaient s’entraider sans ça, nous n’aurions pas besoin de faire ce que nous faisons. » nota amèrement le Spectre. Et encore, des menaces il y en avait bien d’autres, mais la plupart des gens avaient tendance à les ignorer tant qu’elles ne les affectaient pas personnellement. Des problèmes comme le changement climatique ou une guerre à l’autre bout du monde, c’était trop abstrait pour eux.

Le cavalier sans tête accepta la pâtisserie que lui tendait le Béhémoth ; le goût en était plaisant, même s’il n’arrivait pas à l’identifier. Le nouveau sujet qu’amena l’australien était moins plaisant, par contre, et l’amena à vérifier pour la énième fois qu’il n’y avait personne à proximité pour les entendre.

« C’est elle qui m’a fait ça, lors d’un combat d’entraînement. » répondit-il en retroussant sa manche pour exhiber son bras couvert de bandages, puis en faisant un geste de la main pour désigner le reste de ses blessures. D’accord, c’était lui qui avait accepté l’offre de « remise en forme » et il n’en était pas à son premier entraînement extrême, mais la créature y était allée un peu fort. Une bonne partie de la mauvaise humeur que lui inspirait sa présence était cependant due au fait qu’elle lui rappelait à quel point ses capacités s’étaient dégradées. « Comment vous décrire ça… comme je vous l’ai déjà dit, c’est une sorte de projection cosmique. Le truc c’est qu’elle est générée et contrôlée par une machine et non par une personne. Une machine avec des composants d’origine humaine, certes, mais une machine quand même. C'était censé être un outil de recherche scientifique à la base sauf que ses créateurs, les américains, se concentrent de plus en plus sur les applications militaires du projet. »

Les dirigeants n'était pas connus. Drow n'en fut pas surpris. La suite des explications de Rogos par contre le fit sursauter. Un Dieu avait attaqué l'humanité et ce n'était même pas Hades. Il faudra au Béhémot beaucoup de temps pour s'informer des trente dernières années passées.

En ce qui concernait numero 11 :
« Un outil de recherche aussi efficace ne pouvait que devenir une arme dangereuse, surtout aux mains des Américains. »

Des composants d’origine humaines ?

Le Béhémot n'était pas certain d'avoir bien compris ce qu'était cette jeune fille mais les blessures infligés au Dullahan lui indiquèrent qu'elle serait une adversaire redoutable.

Pensif, il en avait oublié son gâteau, cherchant à assimiler les explications de Rogos.

« Ta mission était d’évaluer leurs capacités. Sont-ils une réelle menace, de puissants alliés ou bien de simple péons sans importance ? »

Ne sachant pas ou se situait la politique de sa Seigneurie, l'Etoile Céleste tentait de comprendre où se positionnait les Spectres dans toute ces histoires. Mais il devait bien avouer que les Agences l'avaient fortement impressionné, surtout si elles possédaient réellement un sérum de régénération.

Drow termina enfin dans son dessert, appréciant le fait que son collègue est accepté le sien. Il avala sa bouchée et enchaina :

« Les autres Spectres en mission étaient sur le terrain. J'ai hâte de connaitre leurs impressions surtout si eux aussi ont rencontré cette gamine. »

Le Béhémot avait sentit une certaine rancœur lorsque le Dullahan avait évoqué ses collègues .

« Tu as dû brider ton cosmos pendant un an, pas une étincelle. Alors qu'eux oui. Ton combat d'entraînement, c'était pour te remettre en selle, n'est-ce pas ? Tes forces et la maitrise de tes pouvoirs ont-ils été impacté ?»

L'Australien ayant lui-même quelques difficultés avec son cosmos et encore plus pour en parler, pouvait totalement comprendre que Rogos ne veuille pas aborder le sujet . Ils se connaissaient à peine.

Rogos s’étonna de la surprise avec laquelle Drow réagit à son évocation des agissements de Poséidon. Dans quel trou avait-il passé les deux dernières années, pour ne pas être au courant d’un événement d’une telle envergure ? Personne aux Enfers n’avait-il pris la peine de lui faire un topo ? Enfin, ça pouvait toujours attendre, l’australien ne lui ayant pas demandé d’élaborer sur ce point.

« Ne vous concentrez pas que sur la Wunderwaffe non plus, ce n’est pas le seul outil dans leur arsenal. » avertit le Dullahan en terminant sa pâtisserie, ce qui lui donnerait quelques secondes pour réfléchir à la façon dont il présenterait ses conclusions à son supérieur. « Pour ce que j’en sais c’est leur seule combattante – si on peut appeler ça comme ça – à pouvoir affronter un chevalier d’Or ou équivalent sur un pied d’égalité ; s'ils en avaient davantage, ils les auraient déployés à Goma plutôt que de laisser les choses dégénérer comme elles l'ont fait. Le reste du temps ils se reposent sur les embuscades, les tactiques de groupe et autres stratagèmes visant à affaiblir, déstabiliser et éliminer l’ennemi sans lui laisser l’occasion de riposter. C’est très efficace quand ils ont toutes les cartes en main mais beaucoup moins quand ils manquent d’informations sur leurs cibles, n’ont pas le temps de préparer leur piège ou ne peuvent compter sur l’effet de surprise. »

Le français reprit une friandise – de son propre stock, ce coup-ci – et en proposa une au Béhémoth histoire de lui rendre la pareille. L’Étoile Céleste n’était seule à regretter de ne pas avoir eu l’opportunité d’échanger avec les deux autres espions du Faucheur ; si le cavalier sans tête avait pu le faire, son rapport aurait été moins parcellaire et plus solide.

« Ils n’ont pas les moyens de combattre les factions divines à la loyale et je pense que ce serait encore pire si nous choisissions d’employer des tactiques de guerre asymétrique : nous sommes dans l’angle mort de leur dispositif de surveillance, nous pouvons apparaître n’importe où dans le monde, frapper un grand coup et disparaître aussitôt, bien avant qu’un de leurs agents ne puisse arriver sur place. Le secret dans lequel ils sont forcés d’opérer limite également leurs possibilités d’action de manière considérable. Ceci dit, même s’ils n’ont pas notre puissance et les avantages que Sa Seigneurie confère à Ses soldats, il ne faut pas sous-estimer leur talent pour le subterfuge, leur ingéniosité et leur détermination. Ils nous sont peut-être inférieurs pour le moment, mais qui sait ce qu’il en sera d’ici quelques décennies, à supposer qu’ils survivent jusque-là ? »

C’était-là toute l’histoire de l’humanité qui, née sans griffes ni crocs ni venin ni fourrure dans un monde hostile fait de prédateurs plus grands, plus forts et plus rapides, de maladies, d’environnements extrêmes et de catastrophes naturelles, s’était élevée au-dessus de sa condition de simple ramassis de primates pour devenir l’espèce dominante à la surface de cette planète. Tout ça grâce aux pouvoirs de l’intelligence, de l’endurance et du collectif. En comparaison, il fallait bien admettre que les Spectres avaient stagné, voire régressé par endroits au fil des millénaires… et que leur renouveau s’était amorcé à partir du moment où ils avaient commencé à adopter des comportements plus humains – encore une observation qu’il vaudrait mieux ne pas faire en présence du Bourreau.

« J’étais rouillé. Je n’ai jamais été le meilleur guerrier, et ça n’a pas aidé. » admit l’Étoile Terrestre lorsque son supérieur l’interrogea sur les conséquences de sa longue inactivité cosmique. « Mais j’en ai tout de même retiré quelques bénéfices : j’ai été exposé à un autre point de vue, une autre façon de faire ; j’ai élargi mes connaissances scientifiques ainsi que ma compréhension du cosmos et je devrais pouvoir m’en servir pour améliorer mes techniques. »

Il faudrait d’ailleurs voir s’il ne pouvait pas faire la même chose avec ses collègues ; Andréa et lui avaient déjà beaucoup appris l’un de l’autre et collaboré afin de repousser leurs limites respectives après tout. Il n’y avait pas de raison qu’il soit le seul à profiter des résultats de cette mission riche en enseignements.

« Et vous au fait, quels sont vos projets ? Il me semble que vous avez bien pris le coup cette nuit. »

Le cavalier sans tête acquiesça au commentaire du Béhémoth ; nul doute que les Agences étaient du même avis et que leurs leaders étaient heureux de pouvoir garder un œil sur les Spectres – quand bien même les deux côtés de ce pacte ne pouvaient surveiller qu’une infime part des activités de leur vis-à-vis – et d’avoir affaire à une divinité qui acceptait de s’asseoir à la même table qu’eux et de discuter comme quelqu’un de civilisé au lieu d’imposer unilatéralement sa volonté à coups de déluges et de séismes comme certains.

Ayant terminé de se sustenter, le Dullahan s’étira puis se leva et fit quelques pas pour se dégourdir les jambes tout en observant les passants. Où pourraient-ils se rendre ensuite pour poursuivre leur visite ? Valait-il mieux se rendre auprès des autorités locales qui leur obéissaient afin de faire connaissance ou adopter un itinéraire plus touristique, puisqu’ils n’étaient chargés d’aucune mission pour l’instant et qu’ils avaient intérêt à en profiter vu la rareté de tels moments de calme ?

« Vous n’êtes pas le premier à avoir des difficultés, croyez-moi. » rassura-t-il lorsque son supérieur lui fit part de ses menus problèmes de contrôle. « J’irai même jusqu’à dire que notre génération d’Étoiles Maléfiques dans son ensemble est une anomalie, même si ça ne se manifeste pas forcément de la même façon d’un individu à l’autre. Moi j’avais l’ennui inverse : au lieu de ce genre de débordements involontaires, je n’arrivais pas à invoquer mon pouvoir du tout. Il n’y a pas de secret, il faut pratiquer ; je suis sûr que nos camarades se feront une joie de vous assister. »

En fait on pouvait même y voir une sorte d’opportunité, celle de faire table rase du passé pour repartir sur des bases plus saines, celle d’enfin s’approprier ce sens de l’effort qui avait souvent fait défaut aux infernaux au cours de leur histoire et qui était sans doute l’un des plus grands atouts des Saints. Là où les techniques des serviteurs d’Hadès restaient les mêmes d’une incarnation à l’autre, chaque nouveau porteur d’une des armures athéniennes apportait sa touche personnelle aux arcanes de ses prédécesseurs, avant que ceux-ci ne soient mis à l’épreuve lors d’affrontements incessants contre tous ceux qui prétendaient détrôner leur Déesse, un processus darwinien qui éliminait impitoyablement les faibles, les paresseux et les imbéciles pour ne laisser que des survivants endurcis.

« Si vous y mettez du vôtre, ce ne sera plus un coup de chance ; vous ne pouvez que vous améliorer. » encouragea le français. Un détail des paroles de l’australien avait toutefois attiré son attention, et il chercha donc un éclaircissement : « Quand vous dites que vous êtes resté inactif trop longtemps, vous parlez de combien de temps ? »

Rogos avait beau tenter de remonter le moral de son supérieur – ironique dans la mesure où en général c’était plutôt le Dullahan qui jouait le rôle du pessimiste de service –, ce dernier restait dubitatif. C’était une bonne chose que l’australien n’ait pas encore fait la rencontre de Wolgorn : le Bourreau avait déjà assez de mal à supporter la présence d’une « lavette défaitiste », alors une deuxième… Mais avec un peu de chance, ils devraient pouvoir régler le problème avant que le russe ne croise la route de la nouvelle Étoile Céleste.

« Je crois que vous sous-estimez votre propre force mentale. » répondit le français alors qu’ils se remettaient à divaguer dans les rues, observant au passage l’architecture de la Cité Interdite tout en évitant de trop s’approcher des touristes. Drow n’avait peut-être guère donné de détails, mais le peu qu’il avait pu déduire en reliant les points suffisait, et il n’allait pas pousser son interlocuteur si celui-ci n’avait pas envie d’en parler davantage. « Ce n’est pas tout le monde qui peut se targuer d’être à l’aise en étant un pensionnaire de la Forêt des Suicidés ; c’est un endroit fait pour punir les défunts après tout. Après, il y a quelque chose d’irrégulier dans le fait d’être choisi par une Étoile Maléfique plusieurs décennies après votre mort alors-même que votre âge aurait dû vous rendre éligible à servir de réceptacle lors de la Guerre Sainte de 1986… Peut-être que vos ennuis viennent de là, ce ne serait pas la chose la plus bizarre vu la génération de Spectres actuelle. »

Et il ne serait pas non plus tout à fait le premier à être dans ce cas, Xing Huo étant également un guerrier de l’Au-delà déjà en âge de combattre à l’époque. Il ne serait pas étonnant que leurs Surplis respectifs se soient liés à une âme plus compatible lors du précédent conflit et que leur éveil dans celui-ci représente la réactivation d’un plan B.

« Je crains de ne pouvoir être d’une grande aide en matière de philosophie et d’introspection, je vous conseillerais plutôt de vous adresser à Ephemer pour ça. Ou peut-être Andréa s’il n’est pas disponible, c’est l’une des moins dérangées du lot. » répliqua-t-il à la seconde confession du Béhémoth. L’Exécuteur aurait également pu être un bon choix si le problème venait d’un simple manque de motivation, avec ses dons d’orateur, sauf que cela n’avait pas l’air d’être le cas et que quand le russe désapprouvait la conduite d’un supérieur, il n’y allait pas de main morte.

Les deux infernaux étaient en train de gravir un escalier monumental menant à l’un des palais quand Drow exprima le souhait d’en apprendre davantage sur son subordonné, ce qui arracha une grimace à l’intéressé. Il s’efforçait de ne pas y repenser, l’histoire étant assez embarrassante…

« Je suis mort à cause d’un vol qui a mal tourné. Des types ont voulu me prendre mon argent, j’ai essayé de leur échapper, on était au bord d’une rivière et j’ai fini noyé. Accident bête. Pas très excitant, hein ? »

Si seulement la poisse s’était arrêtée là… mais non, il avait eu les plus grandes difficultés à apprendre à maîtriser ses pouvoirs et restait aujourd’hui encore l’un des Spectres les plus faibles de leur confrérie, en dépit d’une expérience des affrontements entre chevaliers rivalisant presque avec celles de Wolgorn ou d’Oblivion. Ce n’était pas faute d’avoir tenté d’y remédier, pourtant.

« Je suis sûr que vous trouverez votre place et les réponses que vous cherchez. » poursuivit le cavalier sans tête, mettant fin à cette séance d’auto-dépréciation. « La première étape c’est d’avoir une cause qui vous anime, et si je ne me trompe pas vous en aviez une à Sydney. C’est déjà ça. »

Le cavalier sans tête resta silencieux un moment face à la remarque du Béhémoth concernant la cause de son trépas. Que pouvait-il bien répondre à ça ?

« Heureusement que nous ne sommes pas dans une histoire, » énonça-t-il finalement, « parce que dans la plupart d’entre elles ce sont les gentils qui gagnent à la fin. Et j’ai l’impression que du point de vue de la majorité des auteurs nous serions les méchants, qu’importe la pureté de nos intentions. Dans le monde réel, au moins, nous avons une chance de triompher. »

Un argument qui pourrait aisément se retourner contre lui dans la mesure où, selon la même logique, c’était bien parce que les « méchants » étaient si rarement châtiés comme il se doit dans la vraie vie que l’existence des Spectres était une – tragique – nécessité. Et en parlant de ce qui poussait les infernaux à agir, Drow était sur la bonne voie mais sa vision était encore trop limitée.

« Il est louable de ne pas vouloir s’impliquer dans les querelles de l’humanité, » concéda le français, « cependant elles ont vite tendance à s’envenimer et à affecter des innocents qui n’avaient rien demandé si l’on n’y met pas le hola le plus tôt possible. Si un comportement répréhensible n’est pas puni à la première occasion, qu’est-ce qui empêche son auteur de recommencer en poussant la chose encore plus loin ? Et en plus il n’y a pas que l’humanité qui pâtit des conséquences directes ou indirectes, volontaires ou involontaires de ces errements : il y a également tout ce qui vit sur Terre. Vous devrez garder cela à l’esprit si vous souhaitez réellement faire partie des nôtres. »

Le cosmos de l’australien avait recommencé à faire des siennes lorsqu’il avait mentionné les événements de Sydney, et le phénomène ne fit qu’empirer à mesure que la conversation se poursuivait. Rogos espérait que son supérieur saurait reprendre la main tout seul mais se tenait tout de même prêt à intervenir au cas où il n’y arriverait pas ; il faillit le faire quand l’énergie de l’Étoile Céleste lui échappa complètement, mais se ravisa au dernier instant en voyant qu’il ne s’agissait que d’une « fuite » mineure. Il observa la réaction en chaîne engendrée par cette perte de contrôle momentanée ; avec un peu de chance, Drow en tirerait une leçon ainsi qu’une motivation supplémentaire.

« Vous avez raison, elle aurait facilement pu se casser quelque chose. » fit-il quand le Béhémoth réagit à la scène. Il enfonçait sans doute un peu trop le clou, mais il suffisait de si peu pour que quelqu’un se brise la nuque, et vu les effets pour le moins destructeurs du cosmos de son supérieur, apprendre à le maîtriser était d’une importance capitale afin de le transformer de problème potentiel en atout certain sur le champ de bataille. « Pour ce qui est de vous exercer, je vous conseille à nouveau de vous adresser à Andréa, ses talents ressemblent aux vôtres. Et si vous voulez travailler sur la discipline en général… je sais que j’ai dit que ce serait mieux de ne pas le rencontrer de suite, mais je pense que Wolgorn pourrait vous aider. Il n’y a pas de meilleur sergent instructeur… sauf peut-être le type qui entraîne Andréa et Oblivion, comment a-t-elle dit qu’il s’appelait déjà… Lachès ? Oui, je crois que c’est ça. »

Quant aux fameux tenants et aboutissants de la politique infernale et bien, s’il insistait pour être mis au parfum, ils étaient au bon endroit. Ou en tout cas à proximité du bon endroit.

« Ça vous dirait d’aller rencontrer nos hommes dans cette ville, si vous voulez savoir comment tout cela fonctionne ? »

Le Béhémoth écouta attentivement les conseils de son subordonné mais ne prit pas tout de suite sa décision, préférant d’abord demander des éclaircissements concernant le caractère de l’Exécuteur. Une curiosité tout ce qu’il y a de plus légitime compte tenu du fait que le cavalier sans tête avait par deux fois fait référence au russe et à sa personnalité pour le moins abrasive, sans pour autant développer davantage son propos. Il prit donc quelques secondes pour réfléchir à comment répondre à cette question, choisissant soigneusement ses mots de façon à livrer le portrait le plus juste possible de son collègue, de ses qualités comme de ses défauts, même si tout était une question de point de vue pour ces derniers – d’aucuns pourraient dire que ses soi-disant « défauts » étaient en fait ses plus grandes qualités, ou liés de façon inextricable aux aspects positifs de sa personnalité.

« Wolgorn est sans doute notre meilleur élément, notre plus puissant combattant et un exemple pour tous les Spectres, au point que le Seigneur Thanatos Lui-même l’a jugé digne de recevoir Sa bénédiction, de se voir temporairement confier les pouvoirs d’un Dieu. » commença-t-il afin de bien mettre les choses en perspectives. « Mais ces mêmes qualités qui le rendent si efficace font également de lui quelqu’un de très difficile à vivre, tout simplement parce qu’il est difficile d’égaler ses standards. C’est quelqu’un d’extrêmement exigeant, pour lui-même comme pour les autres, de très à cheval sur la discipline, la loyauté, l’obéissance, le sens de l’effort, et de très attaché à l’honneur et à l’image des Enfers. Et il n’a pas peur de critiquer, de réprimander ou même de punir ceux qui pour lui ne sont pas à la hauteur, même si ceux-ci sont ses supérieurs ; à titre d’exemple, il a personnellement exécuté une Juge pour trahison et passé à tabac une Étoile Céleste pour insubordination. »

Certains auraient pu traiter le Bourreau d’hypocrite, lui qui prônait le respect de l’autorité hiérarchique mais n’hésitait pas à lever la main sur ses supérieurs quand il le jugeait nécessaire, mais Rogos pouvait comprendre le raisonnement de son collègue Terrestre : le pouvoir d’un gradé était contrebalancé par ses responsabilités et ses devoirs, et un Spectre de haut rang qui se montrait indigne de sa position en désobéissant aux ordres de leurs Dieux perdait par la même occasion le droit de se faire obéir de ses subalternes. D’autres l’avaient comparé à un prêcheur fanatique, à un inquisiteur, à un commissaire politique ou, comme l’avait fait le Dullahan, à un sergent instructeur, et ces comparaisons étaient sans doute plus proches de la réalité ; il espérait que ses paroles avaient réussi à faire passer le message à l’australien.

« Voilà pourquoi j’ai des réserves ; maintenant que vous savez, c’est à vous de voir. Et pour rendre visite à nos hommes, c’est par là. » conclut-il en pointant la direction du quartier où se concentraient les plus grandes administrations et où se situait fatalement le centre névralgique de leurs opérations à Beijing. Les infernaux se mirent en marche, mais furent interceptés au bout de quelques minutes par une Fée qui se matérialisa devant eux et les força à se réfugier dans une ruelle hors de portée des regards pour y prendre connaissance d’une nouvelle inattendue. Une nouvelle qui remettait en cause tous leurs projets.

« C’est un message du Château… Le Seigneur Hypnos vient tout juste de Se réincarner, et Il requiert notre présence à Tel-Aviv. »

Et par « requiert » il fallait comprendre « exige », car les désirs des Jumeaux étaient des ordres. Cette information aurait dû l’emplir de joie, mais Rogos ne put s’empêcher de frissonner en se rappelant la dernière – et très brève – réincarnation du Sommeil, et ce même s’il lui devait la poursuite de son existence. Il n’y avait pas besoin d’être fin psychologue pour se rendre compte que tout ne tournait pas rond dans la tête de l’entité qui s’était manifestée à la fin de l’invasion des Enfers ; il fallait espérer que celle-ci serait plus stable.

« Que faisons-nous ? Est-ce que nous nous y rendons tout de suite ? »