Plus je m’éloigne, moins je fais d’efforts pour garder mon calme. Bibelots jetés au sol, papier peint déchiré, et même des trous dans le mur lorsque j’aperçois la sortie, la colère me donne assez de force pour placer quelques bons coups de pieds. Assez de force… le fait que je ne peux faire que ça m’enrage, mais savoir que je suis la seule à blâmer pour cette faiblesse est le pire. Même maintenant, l’étourdissement revient pendant quelques secondes avant de disparaître, et c’est en titubant que je traverse la porte et retourne enfin à l’extérieur.

C’est comme être frappée par la foudre. En une seconde, mon cosmos s’enflamme et redonne à mon corps toute sa vitalité. Plus de nausée, plus de fatigue, plus de faiblesse… Et ma rage, qui prend le dessus sur n’importe quelle autre émotion. Toute l’urgence de la situation a disparu, Anubis et la menace en Égypte ne sont qu’une distraction qui peut attendre encore un peu. J’ai besoin de m’occuper d’autre chose avant…
En serrant les poings, je me tourne vers le manoir.

La rousse, Gorislava, en sort en trombe juste après moi. Tant mieux, ça fera une survivante de plus. C’est à peine si je pense à ceux qui sont encore à l’intérieur… Même la gamine. Même Zhihao. Rien ne m’empêchera de rayer cet endroit de la carte, et d’enfin montrer à cette vieille prétentieuse à qui elle a affaire.
Rigolote, hein?

-Bouge.

Les aiguilles jaillissent du sol en détruisant le béton de la rue, et d’un simple effort de concentration je les dirige tel un sombre tsunami vers le manoir, mais avant que la première épine ne puisse atteindre la façade, tout disparaît et je me retrouve soudainement dans une pièce sombre. Avant même que je puisse réaliser ce qui se passe, il y a un grand bruit d’explosion et un nuage de poussière remplit l’étroit sous-sol où je viens d’apparaître. Les aiguilles qui m’ont suivi dans cette téléportation ont été suffisante pour exploser un des murs, alors cette pièce ne tiendra pas très longtemps. Pas que j’y accorde une grande importance.

-NON !

Comment a-t-elle su?! Mon regard croise celui de la rousse, qui a aussi été transportée, comme pour la défier de dire quelque chose, mais toute cette colère se dissipe bien vite quand je remarque que Zhihao, qui était pourtant dans le manoir, est aussi là avec nous. C’est rapidement la culpabilité qui reprend le dessus… Comment leur expliquer ce que j’étais prête à faire, en sachant très bien qu’elle était encore à l’intérieur?
Comment expliquer que même après avoir regretté de tels accès de colère par le passé, j’étais prête à recommencer?

-… On ne devrait pas rester ici.

Ne pas s’expliquer est encore une façon de faire… D’un pas vif, je quitte le sous-sol et traverse prudemment la maison dans laquelle nous nous trouvons, mais c’est évident qu’il n’y a personne ici. En fait, il n’y a personne en ville du tout. Tout est en ruines. Et je crois savoir pourquoi.

En tremblant, j’invoque une Fée.

-Dis à Andréa que je suis en Égypte. C’est… Quelque chose là-bas vole les âmes des Enfers. Je peux m’en occuper, si elle peut trouver un moyen de sécuriser les âmes restantes. Je n’ai pas besoin d’aide.

Je ne peux pas dire que le responsable est Anubis, ce serait un miracle si Thanatos lui-même ne venait pas pour mettre fin à tout ça. Ce qui n’aiderait pas exactement ma cause… Et je me vois mal donner ces instructions à quelqu’un d’autre que la Liche, de tous mes collègues elle est probablement la plus discrète. Il y a toujours Ephemer, mais… je réprime un frisson en essayant de ne pas trop y penser.

Commençons par trouver cette pyramide. Ça ne devrait pas être bien difficile.

Quand Gorislava retrouva la clocharde au beau milieu de la rue, en dehors du périmètre du champ de force émis par Madame Z, elle se rendit immédiatement compte que quelque chose clochait. Non seulement le vestibule du manoir avait été complètement vandalisé, mais la seconde était en train d'enflammer son cosmos ténébreux. Ce dernier chargeait l'air en émotions négatives, tant et si bien que leur concentration paraissait quasiment palpable. La rouquine avait l'impression que son vis-à-vis était passablement en colère, même si le masque que portait celui-ci ne permettait guère de le deviner via son expression faciale. Sans aucune forme de discrimination, la fureur ardente qui consumait la marginale menaçait de tout détruire sur son sillage. Seraient-ce les moqueries de mauvais aloi de la sexagénaire qui l'avaient énervée à ce point ? De nombreuses questions se bousculaient dans la tête du Fourneau, qui avait à peine digéré les récentes révélations au sujet de sa nouvelle camarade. Surpris par cette soudaine éruption de rage pure, le premier ne put que bafouiller lorsque la mendiante lui ordonna de dégager de son chemin :

"A-Attends une minute, kess tu fous ?! Ca-Calm yer tits mate !"

Le terrain bétonné s'effrita autour de la Spectre de manière inquiétante, avant d'exploser brutalement et de libérer des entrailles du sol un véritable raz-de-marée d'aiguilles. Sans attendre que la somptueuse propriété soit évacuée, la vague gigantesque s'abattit sauvagement sur elle afin de la raser jusqu'à la dernière brique. Malheureusement, Gorislava était incapable d'empêcher un tel désastre de se produire, ses facultés cosmiques étant toujours scellées par la barrière occulte de Madame Z. Elle devait pourtant réagir au plus vite, car l'archéologue et les autres résidents du manoir étaient encore à l'intérieur, y compris Zhihao ! Si la rouquine ne trouvait pas de solution à temps pour les sauver, ils risquaient de se faire engloutir par cette déferlante meurtrière en un clignement de paupière ! Hélas, la seule chose qui lui venait à l'esprit était de sprinter désespérément vers la clocharde afin de la tacler comme un rugbyman puis l'assommer avec son sac de sport. Réfléchir calmement en situation de crise n'était pas son fort, aussi le Fourneau avait-il fait le choix de la réponse instinctive. Songer à prier pour que son geste suffise à éviter la catastrophe ne faisait pas non plus partie de ses priorités : tout ce qui importait pour le moment était de foncer dans le tas.

"ORAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !"

Avant que la collision fatidique ne puisse se produire, la trame de l'espace-temps autour de Gorislava et de sa compagne de fortune se distordit soudainement. Les deux femmes se retrouvèrent ensuite transportées en un éclair dans une salle désaffectée et plongée dans la pénombre. Manifestement, il s'agissait d'une sorte de cave ou d'une quelconque pièce située dans le sous-sol d'un immeuble. Téléportation ou non, ce voyage instantané avait sévèrement désorienté la rouquine, en plus d'avoir réussi à lui retourner l'estomac. Accablée par la nausée, elle avait trébuché par terre et s'efforçait au maximum de ne pas dégobiller le goûter qu'elle venait de manger chez le comte britannique. Dans son éminente confusion, elle parvint tout de même à s'apercevoir que la Boussole était présente à leurs côtés, alors qu'elle avait préféré demeurer en retrait. Le responsable de cette mascarade avait rassemblé le trio pour une quelconque raison, mais il n’avait guère jugé pertinent de réunir le Fourneau avec sa moto. Évidemment, de tous les ennuis qui pouvaient lui tomber sur le coin de la figure, c'était selon lui le pire d'entre tous. Privé de son véhicule, il se sentait comme séparé d'un fragment de lui-même, au point de ne prêter aucune attention au mur qui s'était effondré juste à proximité.

"Raaaaaah bordel..." gémit faiblement Gorislava, secouée par cette nouvelle expérience. "Gonna chunder mah bikkies... ET MA HONDA PUTAIN DE MEEEEEEEEEEEEEEEEEEERDE ! ELLE EST OÙ MA BÉCANE ?! ELLE EST OÙ M- ?!"

La seconde d'après, elle vomit finalement tout ce qu'elle venait d'engloutir quelques minutes plus tôt, capitulant ainsi sous l'effet du stress accumulé. Le contenu de son estomac vidé, elle commença ensuite à se lamenter d'une voix inintelligible et à pleurer à chaudes larmes, de la morve s'écoulant de son nez. De ce qui pouvait être reconstitué de ses propos incohérents, elle craignait que sa sœur aînée la trucide si jamais elle venait à apprendre que la rouquine avait égaré sa moto. Effectivement, cette dernière avait été achetée avec l'argent de Mileva, qui avait très clairement signifié à sa cadette qu'elle avait intérêt à en prendre soin. Le cas échéant, celle-ci était bonne pour subir une correction conjointe de la part de sa frangine et de son mentor, une punition qu'elle ne souhaitait à personne. La peur panique qu'une pareille perspective évoquait chez le Fourneau était telle que son envie d'en découdre avait été complètement douchée. Frappé d'une terreur presque religieuse, il en avait carrément oublié sa mission et le péril immense auquel été confronté la planète.

« J’espère pour eux qu’ils ne sont pas aussi stupides. Prendre des parts de marché à Hadès et sa clique c’est une chose, mais vouloir leur voler leurs servants c’en est une autre. » répliqua la militaire en acceptant le parchemin de la magicienne. Cette dernière ne prit cependant pas la peine de lui répondre, plongée qu’elle était dans une de ses incantations dont les effets devinrent apparents quelques instants plus tard.

La scène changea aussi brusquement que si quelqu’un avait appuyé sur un interrupteur, et la Boussole se retrouva soudain dans un endroit inconnu en compagnie du Fourneau et de la Mante… laquelle se trouvait à la source d’une déferlante d’aiguilles qui venaient de défoncer l’un des murs, menaçant l’intégrité structurelle du bâtiment où elles avaient été transportées, et se sauva immédiatement en voyant les conséquences de son acte. Quant à Gorislava, ses récriminations adressées à celle qui les avait téléportées sans cérémonie – et sans sa précieuse moto – s’interrompirent quand elle perdit la bataille contre son estomac. Voilà qui lui apprendrait à ne pas s’empiffrer comme un goret.

« Pathétique. » pensa l’asiatique en voyant l’état de sa coéquipière. Entre le spectacle désolant qu’offrait la rouquine perdue dans ses jérémiades incohérentes et la quasi-certitude que l’attaque de la Spectre avait été initiée avant la téléportation – alors que Zhihao se trouvait toujours dans le manoir, donc –, le peu de respect que l’électrokinésiste ressentait encore pour les deux autres éveillées était en passe de disparaître complètement. Elle se saisit de la tête brûlée par la peau du cou, attrapa les sacs contenant leurs armures respectives avec son autre main et la traîna sans ménagement jusqu’à la surface, se servant au passage de ses pouvoirs pour décomposer les taches de morve et de vomissures constellant le visage et les habits de la mercenaire afin de la rendre à peu près présentable. Il vaudrait mieux pour elle que cela ait suffi à lui faire reprendre ses esprits, autrement Zhihao se ferait un plaisir de lui remettre les idées en place à grand renfort de taloches.

La chinoise savait déjà qu’elles se trouvaient à El Balyana, ayant également récupéré sa capacité à capter les communications électroniques locales. Elle ne fut donc surprise ni par la dévastation environnante, ni par le nombre de drones et d’hélicoptères quadrillant le ciel lorsqu’elle émergea aux côtés de l’infernale, toujours chargée de son fardeau. Juste à temps pour voir la mort-vivante ordonner à un papillon de l’Au-delà d’aller trouver ses collègues afin de leur dire qu’elle avait la situation bien en main et qu’ils n’avaient pas besoin de venir déchaîner l’apocalypse tout de suite. Bon, au moins elle semblait s’être calmée.

« Essayez de ne plus perdre les pédales comme ça, je vous prie. Je vous en serais très reconnaissante. » grinça Zhihao en lâchant la rousse, sans se soucier de savoir si elle pouvait tenir sur ses jambes ou si elle s’étalerait lamentablement par terre. Sa requête s’adressait autant à Oblivion qu’à Gorislava, mais ce fut vers la première qu’elle dirigea ses paroles suivantes : « Vous avez raison d’être en colère, je le serais aussi à votre place, mais rendez-vous compte que malgré tous ses beaux discours et ses airs supérieurs c’est nous qu’elle envoie régler le problème, au lieu de s’en charger elle-même. Et elle s’y connaît peut-être mieux que nous en matière de magie, mais je doute qu’elle sache mieux que vous ce dont un chevalier est capable. »

Il fallait espérer que cela suffirait à ramener l'adolescente à un semblant de stabilité. L’asiatique aurait préféré ne pas avoir à poursuivre cette mission en sa compagnie, toutefois elle ne pouvait prendre le risque que l’Étoile Maléfique se retrouve sous le joug d’un séide d’Anubis. Divinité chthonienne ou non, elle doutait qu’il soit si facile d’asservir une guerrière de Thanatos, néanmoins il valait mieux prendre l’avertissement au sérieux et faire preuve d’un excès de prudence que le contraire.

« Bien, maintenant que nous sommes ici, que voulez-vous faire ? » reprit-elle en faisant de nouveau face aux deux éveillées.

« Nous pouvons nous diriger immédiatement vers la pyramide, aller parler aux forces armées qui ont établi un périmètre autour de la zone ou au chevalier d’Or qui est déjà censé se trouver sur place. Il se pourrait que nous n’ayons pas vraiment le choix pour les deux dernières possibilités : tous ces appareils volants ne tarderont pas à nous repérer, et il se peut que votre cosmos ait déjà alerté le Saint. » poursuivit-elle en fixant la Spectre. « Devons-nous nous attendre à un combat si vous vous retrouvez en sa présence ? »

Zhihao reste étonnamment polie dans ses remontrances, mais je peux bien entendre dans sa voix qu’elle est en colère elle aussi. Gorislava, de son côté, a de plus gros problèmes qui l’empêche de trop ce concentrer sur mon attaque ; la téléportation ne lui a pas rendu service… Mais devant la patience et la discipline de la Chinoise qui prend quand même le temps de la nettoyer un peu et l’aider à sortir de la maison en ruines, malgré tout le fiasco qu’a été notre arrivée à El-Balyana, la culpabilité me rattrape enfin et je baisse la tête. Pour bien moins que ce qu’elle doit endurer, j’étais prête à démolir tout un manoir…

-Désolée… Vous avez raison.

Cette Zlatanna n’est pas bien impressionnante lorsque qu’elle est présentée ainsi, et il est réconfortant de savoir que quelqu’un d’autre partage mon opinion à son sujet… avec un peu plus de maturité. Je prends plusieurs grandes respirations pour finir de me calmer, mais mon Surplis rend les choses un peu plus difficiles, surtout après la mention du Chevalier d’Or qui doit encore rôder dans les parages. Je n’arrive même pas à deviner si c’est une question sarcastique ou pas… elle a bien dû entendre parler de ma confrontation avec Théo?
Je n’ai pas le temps de lui répondre. À la place, une démonstration fera l’affaire.

En ressentant l’éclair de cosmos familier qui fonce vers nous, mon Surplis me recouvre immédiatement et une barrière d’aiguilles jaillit du sol entre le Saint et notre trio, le défiant de s’approcher encore plus. Un goût de sang se répand déjà dans ma bouche, mais en reconnaissant qui porte l’armure, je soupire de découragement et fais disparaître les aiguilles.

-Oh. C’est toi.

Azir, il me semble. Chevalier d’Or du Lion, sans grande surprise. Vu avec qui il se tenait à Goa, je me doutais déjà qu’il était un éveillé, mais je ne le pensais pas si haut gradé. Et maintenant que j’ai plus d’information sur ce qui se passe, je ne peux que deviner ce qui l’a amené ici… Mais alors que je roule des yeux en le regardant faire son petit numéro de preux chevalier, une horrible idée me traverse l’esprit : Et si on avait besoin de plus d’aide contre Anubis? Il s’agit tout de même d’un dieu…
Par pitié, non. Plutôt mourir mille fois.

-Tu n’as vraiment rien de mieux à faire?! On est venues s’occuper de la pyramide, on devrait être capables de se sortir d’une ville en ruines sans aide.

J’ai beau faire un effort pour rester calme devant les deux éveillées, je suis déjà à deux doigts de sauter à la gorge du blond. Dans une tentative de me distraire un peu de la situation, je regarde un peu autour de nous pour voir s’il est accompagné.

-L’autre Sainte n’est pas avec toi?

Exaspérée par son attitude pleurnicharde, Zhihao se contenta de traîner sa consœur en larmes jusqu'à la surface, suivie par la Spectre. Une fois parvenu à sortir de l'immeuble dans lequel il était enterré, le trio put faire le point sur la situation et le comportement inadmissible de ses membres. Avant de réprimander ses partenaires, la Chinoise lâcha Gorislava comme un sac à patates, qui se laissa retomber mollement par terre. Au moins, la deuxième avait cessé de sangloter le temps du voyage, même si elle était passée au stade de l'apathie après celui des jérémiades. Quand la Boussole eût terminé de sermonner ses coéquipières pour leurs crises de nerfs respectives, la rouquine ne put lui répondre que d'un grognement étouffé, le visage baignant dans le sable. De toute façon, la grande majorité des reproches était adressée à la mendiante, aussi avait-elle choisi de ne pas trop s'en préoccuper. Se soucier du châtiment qu'allait lui administrer sa frangine et son mentor était selon elle prioritaire, même si le Fourneau commençait à se rappeler de la mission en cours. Pour l'instant, il allait rester confortablement allongé par terre et en profiter pour rassembler ses esprits. Néanmoins, Zhihao ne lui accorda guère ce luxe et demanda à ses camarades ce qu'elles comptaient faire maintenant qu'elles étaient à proximité de la pyramide. Elle leur suggéra une première piste d'action, celle-ci consistant à se présenter auprès des garnisons militaires déployées afin de sécuriser le secteur. Cette proposition n'arracha qu'un grommellement sans conviction de la part de Gorislava, qui semblait vaguement exprimer son approbation.

La Chinoise évoqua ensuite la possibilité que le Chevalier d'Or qui se trouvait dans la région vienne intercepter le trio, en raison du raffut provoqué par leur arrivée. Effectivement, la précédente démonstration de force cosmique de la mendiante avait dû alerter tout le voisinage, si on pouvait encore le qualifier ainsi. Cette information attisa finalement l'intérêt de la rouquine, qui commença en conséquence à sortir lentement de sa torpeur. Soudain, une voix masculine se fit entendre au loin, ponctuée par des bruits de pas et des cliquetis similaires à ceux d'une armure. Manifestement, un zigoto quelconque avait repéré les trois donzelles et cherchait obligeamment à leur prêter assistance. Il parut toutefois interloqué par la présence d'une des membres du groupe, à savoir celle de la Spectre. Guère heureuse de le croiser de nouveau, cette dernière s'empressa de le rembarrer violemment et affirma qu'elle n'avait pas besoin de son aide. Les récriminations lancées par la marginale indiquèrent ensuite que l'inconnu serait en réalité un Saint, étant donné qu’elle avait mentionné la compagnie d'un autre Chevalier Sacré. Si le Fourneau en croyait également les paroles du laquais d’Athéna, la clocharde porterait de son côté le doux nom de Leticia. En dépit de certaines révélations inutiles, les choses semblaient avancer progressivement au milieu de toute cette confusion, c’était toujours cela de gagné...

Gorislava, qui était toujours piteusement étalée par terre jusque-là, entendit subitement la voix du mystérieux Saint l'interpeller. Elle tourna alors légèrement le visage vers son interlocuteur et s'aperçut que celui-ci était en train de lui tendre la main. Comme il fallait bien se relever un jour ou l'autre, la rouquine se décida finalement à accepter ce signe de sollicitude puis à se hisser sur ses jambes. Quant à sa bécane, elle s'en occupera lorsqu'elle en aura terminé avec la menace d'Anubis, en espérant qu'elle n'aura pas été volée ou expédiée à la fourrière d'ici là. Le cas échéant, elle était bonne pour éviter de fréquenter Mileva jusqu'à ce qu'elle finisse par trouver une solution, histoire de ne pas subir son courroux.

"Thanks mate..." maugréa le Fourneau.

Après s'être redressé, il se passa la main sur la figure afin de se débarrasser du sable qui s'était collé dessus et mieux observer le Chevalier Sacré qui lui faisait face. Sa vision éclaircie, Gorislava se rendit alors compte que le Saint qui se tenait devant elle n'était pas un simple soldat de bas étage, mais bien un Chevalier d'Or. Si elle se référait à la précédente discussion avec Madame Z, il s'agissait probablement de celui dont avait parlé Zhihao au manoir. Réalisant à qui elle avait affaire, la rouquine raffermit brusquement sa poigne et dut se retenir de ne pas écraser la main de l'émissaire athénien. Son regard brillait désormais d'un éclat enflammé et son visage affichait une expression plus sérieuse qu'à l'accoutumée.

"Guess yer one of those gold-plated blokes, Ah reckon ?" s'enquit-elle d'un ton corrosif. "Tu tombes ben, j'voulais te causer."

Le cosmos du Fourneau, qui s'était enfin déverrouillé après le départ de Winchester, brûla de plus belle en réponse à l'hostilité qu'il éprouvait à l'encontre du paladin doré. Que l'armée débarque dans le périmètre lui importait peu : s'il devait flanquer à ce frimeur une rouste monumentale devant tout le monde, il le ferait sans hésiter. Néanmoins, Gorislava avait conscience qu'elle avait déjà une sombre machination à déjouer sur le feu, aussi allait-elle s'efforcer de repousser la correction à plus tard... sauf si elle pétait une durite avant d'avoir pu atteindre la fameuse pyramide où le dieu chacal ourdissait ses sinistres desseins.

Elle détestait avoir raison, des fois… souvent, même.

Comme si ses mots l’avaient invoqué, le chevalier d’Or fit son apparition quelques instants à peine après que la militaire se soit tue. D’après ses premières paroles, le nouvel arrivant pensait sans doute que le cosmos qu’il avait ressenti signifiait que quelqu’un avait besoin d’aide, mais il adopta immédiatement une attitude plus méfiante en reconnaissant la Spectre. Il y avait de quoi, puisque la réaction initiale de l’infernale avait été d’appeler son Surplis et de l’empêcher d’approcher davantage à l’aide d’un mur d’aiguilles. Cela aurait cependant pu être bien pire : si le langage de la Mante restait inamical, voire hostile, elle fit tout de même disparaître ses épines d’énergie solidifiée et relaxa sa posture de combat. Un net progrès comparé à la furie meurtrière dont elle avait fait preuve lors de cet incident avec Bilodeau-Tanguay et le reste de son équipe.

Quant à Gorislava… Zhihao pouvait s’estimer heureuse que sa coéquipière n’ait pas déjà cédé à son impulsivité. Elle ignorait ce que la rouquine reprochait aux guerriers d’Athéna mais ce n’était pas le moment de chercher la bagarre, aussi l’attrapa-t-elle par le col et la ramena-t-elle en arrière dans le but de la forcer à lâcher prise.

« Je ne sais pas ce que vous avez contre le Sanctuaire mais cela peut attendre. » déclara-t-elle d’un ton légèrement agacé avant de poursuivre à voix plus basse, de sorte que seule sa partenaire puisse l’entendre : « Vous aurez tout loisir de vous prendre le bec une fois que nous nous serons occupées de cette pyramide mais pour l’instant je ne veux pas d’esclandre, autrement je n’hésiterai pas à faire part de votre comportement à Obermayer. Suis-je claire ? »

La Boussole relâcha le Fourneau et recentra son attention sur les deux autres individus présents. Elle aurait aimé pouvoir réprimander la Spectre de la même façon mais hélas, elle n’avait aucune autorité sur cette dernière ; il faudrait donc trouver un autre moyen de la persuader de ne pas faire passer l’inimitié ancestrale entre l’Au-delà et le Sanctuaire avant la réussite de la mission.

Une fois de plus, c’était à l’asiatique qu’il incombait de jouer la carte de l’apaisement.

« Je vois que vous vous connaissez déjà. Azir du Lion, je présume ? » interrogea-t-elle, même si la confirmation était superflue. En effet, les images du gardien du Cinquième Temple avaient fait le tour de la planète après son voyage au Caire et à Alexandrie, comme à chaque apparition publique d’un chevalier. Zhihao se souvenait qu’en le voyant, nombre de ses collègues s’étaient demandé si les Saints avaient l’habitude de recruter dans les boys bands ou les agences de mannequins... « Ravie de vous rencontrer ; je suis Zhihao, et voici Gorislava – veuillez excuser ses manières. Nous venons de Death Queen Island et, comme l’a dit Leticia, nous sommes ici à cause de la pyramide, pas pour vous mettre des bâtons dans les roues. Nous avons des informations qui vous seront certainement utiles et nos trois factions sont concernées par ce qu’il se passe ici, alors je propose que nous mettions de côté nos rancunes respectives, dans l’intérêt de tous. »

Certes, l’enjeu n’était pas aussi important pour les mercenaires de la Confrérie Noire : pour elles tout cela n’était qu’une histoire d’argent, d’influence et de réputation alors que pour les deux autres chevaliers, arrêter Anubis et ses laquais relevait des missions les plus fondamentales de leurs ordres – veiller sur les âmes des défunts pour l’une, protéger l’humanité pour l’autre. Mais ce n’était pas en prenant ses distances avec l’affaire qu’elle allait les convaincre de faire leur travail avant tout et de coopérer.

D’ailleurs, en parlant de coopération, Marchesi ne venait-elle pas de mentionner que le Lion était censé avoir une compagne ? Zhihao repensa aux défenses entourant le manoir du Comte Karlyle, ainsi qu’aux pouvoirs de Madame Z et à ses avertissements...

« Êtes-vous déjà allé voir à l’intérieur de la nécropole ? Si non, vous devriez prévenir votre collègue de ne pas s'y rendre seule, elle pourrait avoir une mauvaise surprise. »

Encore un accueil chaleureux, empli de bienveillance, dans un paysage idyllique des fleurs, des papillons et deux foutues pestes incapables d'accepter qu'on puisse vouloir leur donner juste un petit coup de pouce de façon désintéressée. Le Fauve d'or commençait déjà à montrer des signes d'agacement, sachant comment ce genre de situation se finissait en général. Regard étréci, mâchoire serrée, il était prêt à laisser retomber la jeune femme à qui il venait de tendre la main, quand la dernière du trio prit la parole et -ô miracle !- répondit à sa question sans détour, donnant même quelques indications supplémentaires mais essentielles à la compréhension globale de la scène.

"C'est bien moi."

Death Queen Island. Maudit, bien maudit, foutrement maudit. Un instant il hésita à ressortir le bracelet qu'avait façonné Ntikuma à son attention, et dont il préférait ne pas se séparer depuis -juste au cas où. Mais devant la Spectre ? Voyant la bonne volonté de la dénommée Zhihao, il s'abstint, gardant cet atout pour plus tard si nécessaire.

"Des Chevaliers noirs, je suppose. De quelle seigneurie ? J'ai cru comprendre qu'il fallait préciser cela aussi, par chez vous."

Pénéloppe, Takeya Oni... Au fond cela lui importait peu, il ne connaissait ni l'un ni l'autre. En revanche il saurait si ces deux-là côtoyaient les " " "diplomates" " " venues au Sanctuaire ou non. Et donc s'il pouvait déverser ses humeurs négatives tout de suite ou leur laisser une chance de prouver qu'elles avaient plus dans la tête que leurs congénères.

Il se tourna vers la rouquine face à lui. Souffla un instant par les narines. Son ton lui déplaisait fortement, mais effectivement il y avait plus urgent pour l'instant. Alors il croisa les bras, mécontent.

"Personne ne peut entrer à l'intérieur. Sinon..."

Il désigna les ruines d'un mouvement de la tête.

"... nous serons rasés. Elle le sait aussi bien que moi. Il y a une sorte d'immense champ de force autour. Mais je ne comprends pas bien l'intérêt que pourraient avoir les Spectres et les Chevaliers noirs à détruire, ou du moins empêcher de nuire, cette pyramide. Anéantir les vivants et causer du tort aux autres, c'est ce que vous faites d'ordinaire, non ?"

La voix aussi neutre que possible, Azir pouvait étayer ses propos. Reagan était l'exemple récent le plus frappant. Quant à Hadès et les dieux jumeaux, y avait-il vraiment besoin de développer davantage.

Il se tourna de trois quarts et désigna la direction des campements installés par les différentes organisations.

"Je veux bien vous écouter, mais comme je vous le disais, le terrain est instable depuis la tempête qui a détruit El Balyana. Eloignons-nous d'ici."

Personne n'apprécie l'arrivé de ce Chevalier d'Or, et c'est sans doute la chose la plus réconfortante qui aurait pu se produire. Gorislava, comme moi, ne tente même pas d'être polie et se met tout de suite en tête de le confronter, mais Zhihao calme le jeu tout de suite en se présentant et en expliquant les raisons derrières notre présence. Je ne me laisse pas tromper, je sais qui elle est et ce qu'elle pense vraiment des gens comme lui -comme nous- et pour une fois je ne ressens ni honte ni agacement car pour un instant, ce simple instant où ce nouveau venu est encore un possible ennemi, ce qu’elle pense de moi n’importe pas ; l’important est que je ne suis pas seule. Pas de débats, pas de “bons côtés”. Il est un Saint et il est notre ennemi, c’est aussi simple que ça. Ça ne m’empêche pas de grogner de mécontentement à l’idée que l’on ait vraiment à mettre nos différents de côté pour travailler avec lui.

-Drôle de choix de mots... pour un Saint.

Il y a plus que de la haine dans ma voix, dans la façon dont je m’approche subtilement du blond. Les souvenirs affluent alors que j’observe les ruines d’El-Balyana d’un regard absent, mais je ne vois pas la ville. Je vois le sable et la poussière soulevés par le vent, je sens le soleil de plomb contre ma peau, l’air qui me brûle le nez... et je sens le vide. Le silence et la peur. C’est si facile de disparaître, dans un tel endroit.

Et si elle est vraiment ici...

-Anubis est dans cette pyramide. Il vole les âmes des Enfers pour retrouver sa puissance.

Finalement on devrait peut-être s’éloigner, cet endroit me donne la chair de poule. Je ferme les yeux pour quelques instants, dans une tentative de ressentir quelque chose, n’importe quoi, mais il n’y a rien... à part la pyramide. Comment y entrer sans être repoussés et causer encore plus de destruction? Éparpillés comme nous sommes, je doute que nous puissions trouver une solution.

-Très bien. Allons chercher ta... “collègue” avant qu’elle ne se fasse tuer.

Après quelques secondes d’hésitation, je fais disparaître mon Surplis, qui s’efface parmi les ombres, puis retire mon masque pour l’accrocher à ma taille. Pour la première fois depuis très longtemps, une désagréable sensation de brûlure me parcoure le visage et je passe une main nerveuse sur mes cicatrices. Pour cette fois, ça ira, je vais sans doute passer pour une survivante, mais je ne pense pas rester à visage découvert trop longtemps.

Le Gold Saint confirma son statut auprès de Gorislava, dont l'animosité fut douchée par un avertissement ferme de la part de Zhihao. Redoutant la menace d'un recours à son mentor pour corriger sa mauvaise humeur, la rouquine afficha une grimace contrariée et ravala instamment son hostilité. Non sans rechigner intérieurement, elle lâcha ainsi la main de son vis-à-vis et croisa à son tour les bras, une mine bougonne sur son visage. La Chinoise se chargea alors des présentations et de clarifier les raisons derrière la présence du trio en Égypte. De son côté, son interlocuteur se nommerait Azir et porterait l'Armure du Lion, celle du gardien de la Cinquième Maison du Sanctuaire. La Boussole proposa même au Chevalier Sacré de collaborer avec lui, une suggestion qui déplut fortement à son impétueuse consœur. Leticia n'était guère non plus disposée à coopérer avec ce paladin d'opérette, mais elle sembla se résigner à cette idée malgré sa nature de Spectre. Mine de rien, un tel compromis relevait de l'exploit et de la générosité, compte tenu du passif entre les armées d'Athéna et d'Hadès. Quand Azir interrogea les mercenaires sur leur allégeance, le Fourneau se chargea de lui rétorquer sèchement :

"Pas de ça chez moi, blondinet ! Chuis le Chevalier Noir du Fourneau, point barre."

Connaissant le tempérament incendiaire de Gorislava, il était peu probable qu’un pauvre diable se manifeste un jour afin de la choisir comme subalterne. Même avec Mathilde et Mileva pour veiller au grain, rien ne garantissait qu’il puisse survivre à une expérience aussi éprouvante sur le long terme. En résumé, il fallait être soit particulièrement confiant en ses capacités, soit complètement fou pour entreprendre une pareille aventure.

Histoire de compliquer l'affaire en cours, le Lion expliqua qu'une mystérieuse barrière empêchait à quiconque de pénétrer dans la pyramide. Peut-être s'agissait-il d'une protection magique, comme en avait précédemment parlé Madame Z ? Quoi qu'il en soit, cela n'arrangeait pas les Black Knights, qui allaient devoir se remuer les méninges afin de trouver une solution à ce problème. Dans l’intention évidente d’asticoter les trois donzelles, le Gold Saint s'étonna ensuite de leur motivation à contrecarrer les funestes desseins du terrible Anubis. Emplie de condescendance, cette remarque irrita passablement la rouquine, qui sentait une hypocrisie presque palpable dans ces propos. Puisque Zhihao ne comprenait pas pourquoi elle nourrissait une telle défiance à l’égard des Chevaliers Sacrés, elle allait lui donner un premier indice.

"Parce qu’y a une différence ent' vous et nous, maintenant ?" s’interrogea faussement le Fourneau. "Chais pas, mais on dirait qu'vous avez beaucoup de choses à cacher et à vous reprocher... quitte à tricher."

Il n'allait pas chercher à démentir la réputation qui collait à Death Queen Island, car il était parfaitement conscient de la nature de la faction dans laquelle il s'était engagé. Une belle bande de renégats, de soudards et de criminels sans foi ni loi : voilà ce qu'était la Confrérie Noire. Des anarchistes et des combattants de la liberté se baladaient dans le tas, mais leur existence ne changeait guère le caractère chaotique de cette société de parias. Les mercenaires avaient un mérite : celui de représenter tout ce que l'humanité avait à offrir et de l'assumer, qu'il s'agisse du meilleur ou du pire. Contrairement aux Saints qui obéissaient à une déesse, l'absence d'autorité supérieure pour les encadrer ne faisait que souligner la pureté de leur fidélité envers le genre humain. La justice et la paix n'étaient certes pas leur priorité, sauf pour certains individus, mais leurs considérations matérielles étaient de loin les plus normales. Pourvu qu'il détienne la force nécessaire afin de concrétiser sa volonté, chacun était libre de se battre pour ce en quoi il croyait. Hélas, cela signifiait également que les grosses brutes avaient la voie libre pour s'accaparer le pouvoir et sévir en toute impunité, à l'image de Reagan. Face à cette dure réalité, la seule consolation était que l'hypocrisie ne faisait pas partie du vocabulaire des renégats, du moins dans leur ensemble.

Ceci étant, Gorislava avait la fâcheuse impression d'avoir entendu parler d'Azir quelque part, mais sa mémoire lui faisait défaut... Tout ce dont elle pouvait se rappeler était qu'il avait été mentionné lors d'un programme télévisé, bien avant que ne survienne la tempête d'El-Balyana. Tant pis, la rouquine s'en souviendra plus tard et de toute manière, ce n'était pas comme si elle était pressée sur ce front. Se préparer pour la bataille imminente contre Anubis était plus urgent, aussi allait-elle s'en charger immédiatement. Peu intéressée par les discussions techniques autour de la façon dont la fine équipe comptait s'infiltrer dans la pyramide, elle préférait enfiler tranquillement sa cuirasse de son côté. Elle avertit donc ses compagnons qu'elle allait s'éclipser pendant un bref moment, le temps qu'elle s'apprête au combat :

"Avancez-vous, moi je vous rejoins plus tard. Faut que je mette mon Armure Noire pendant ce temps. Profitez-en aussi pour réfléchir à un plan, sinon je fonce dans le tas !"

Le Fourneau abandonna ainsi temporairement ses camarades et se dirigea vers un immeuble qui ne paraissait guère trop endommagé. Une fois à l'intérieur, il déballa le contenu de son sac de sport puis se dépêcha de revêtir sa protection. Avant cela, il se débarrassa de son pantalon et de sa veste en cuir, qui étaient selon lui inutiles. Gorislava les remplaça ensuite par une combinaison moulante rouge, spécialement conçue pour contraster avec la couleur de son armure et résister à ses activités professionnelles. Effectivement, abîmer sa garde-robe habituelle était hors de question pour elle, aussi avait-elle prévu un accoutrement adéquat pour son travail. Le conflit qui se profilait à l'horizon s'annonçait particulièrement violent : dans ces circonstances, prendre de telles précautions était un luxe rare...

Aucun des trois autres éveillés n’était enthousiaste à l’idée de faire front commun face à la menace que représentait Anubis mais tant que les frictions se limitaient à des échanges de commentaires désobligeants, la Boussole considérerait cela comme un succès. Elle laissa Oblivion et Gorislava déverser leur bile avant de prendre la parole pour répondre à la question du Lion, de façon plus diplomatique et plus informative que le Fourneau.

« Nous ne servons aucun Seigneur Noir en particulier, comme nombre de nos semblables. » fit la militaire. Elle avait certes accepté de travailler pour l’un d’eux il y a quelques temps, mais il ne s’agissait-là que d’un contrat ponctuel et non d’un engagement de longue durée.

« Leur autorité est loin d’être absolue, je crois que vous avez pu vous en rendre compte vous-même. » poursuivit-elle en faisant référence aux actions de Reagan, qu’aucun haut gradé sain d’esprit ne pouvait cautionner.

Elle aurait pu en rester là sur ce sujet et passer à autre chose, cependant quelque chose dans la façon dont le blond avait formulé sa question l’avait interpellée. Cela aurait pu paraître parfaitement anodin en temps normal, mais les rencontres entre Saints et Chevaliers Noirs ne devaient pas avoir lieu tous les quatre matins, et les paroles du Caméléon Noir confirmées plus tard par Ntikuma lui étaient revenues à l’esprit. Il y avait toutefois d’autres réponses à apporter avant de donner voix à ses soupçons. Marchesi se chargea d’expliquer les raisons de sa présence en tant que Spectre et, puisqu’il ne fallait pas compter sur la rouquine pour en faire de même pour leur propre faction, Zhihao prit la suite.

« Nous ne sommes pas des enfants de chœur, certes, mais cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes tous comme Reagan. Tout comme j’imagine que tous les guerriers d’Athéna ne sont pas comme le chevalier des Gémeaux. » répliqua-t-elle en en profitant au passage pour recadrer légèrement sa camarade – si elle avait bien compris ce à quoi elle faisait référence en parlant de tricherie et de choses à cacher. Camarade qui choisit d’ailleurs cet instant-là pour les abandonner en compagnie du blond le temps d’aller se changer, ce dont l’asiatique n’allait pas se plaindre – une tête brûlée en moins à gérer pour les prochaines minutes, ça ne se refusait pas –, du moment qu’elle ne revenait pas de nouveau habillée en Bunnyslava. Si c’était le cas, elle ne pourrait plus être tenue pour responsable de ses actes...

L’électrokinésiste emboîta donc le pas au Lion et à la Mante, qui se dirigeaient vers les amoncellements de tentes, bivouacs et autres installations temporaires visibles au loin, et continua son explication : « Nous sommes ici pour trois raisons. Premièrement, les responsables de toute cette histoire s’en sont pris à l’un de nos associés. Deuxièmement, nous avons tout intérêt à régler le problème avant que les petits camarades de Leticia ne débarquent avec l’artillerie lourde ; il y a peut-être un Dieu endormi dans cette pyramide mais je crois savoir que les Spectres en ont un aussi, et le leur est bien réveillé. Si les choses dégénèrent à ce point, quelle que soit l’issue, je doute que ce soit bon pour nos affaires. Et troisièmement, la magicienne qui nous a dit ce qu’il se passait ici nous a téléportées sans nous demander notre avis ni nous laisser le temps de faire un rapport au reste de l’Ordre Noir. »

Zhihao aurait bien accolé quelques épithètes bien senties au titre de la thaumaturge en question mais vu le nombre de secrets dont elle paraissait avoir connaissance, il lui semblait plus prudent de surveiller ses paroles. On ne savait jamais, peut-être qu’elle leur avait collé un mouchard ou qu’elle les observait en ce moment-même au travers d'un miroir ou d'une boule de cristal, s’amusant de leurs déboires.

« Sinon, excusez-moi de revenir en arrière dans la conversation mais… qui vous a fait "comprendre" qu’il était d’usage pour un Chevalier Noir de se présenter de la sorte ? »

Aussi étonnant que cela pouvait paraître, entre la Spectre et Gorislava, c'était celle qui avait été à deux doigts de l'épingler dans le mur d'une ruelle indienne qui se domina le mieux, même si le Cinquième gardien pouvait entendre de la haine gronder dans sa voix. Tant qu'elle n'était pas ouvertement une menace autre que verbale, il pouvait supporter l'affront, surtout compte tenu du passif entre les Saints et les troupes des Enfers, et plus encore alors à l'idée que d'autres pourraient rappliquer en nombre s'ils ne se chargeaient pas rapidement du problème. Il aurait été dans son intérêt de faire intervenir une force armée, mais le temps manquait, alors si l'égide athénienne pouvait se déployer avant qu'il y eut de nouvelles victimes, il fallait saisir l'occasion. Limiter les victimes...

La rouquine n'eut droit qu'à un regard incendiaire de sa part. Lui non plus n'avait pas bien aimé ce que les médias avaient raconté à propos de l'incident Reagan, mais à la base Azir était allé à l'hôpital pour protéger les apprentis, pas se pavaner devant les caméras en manipulant les dimensions. Au moins, si elle avait cette version-là, Hakon et son équipe de com' avaient dû faire correctement leur travail, quand bien même c'était extrêmement humiliant pour lui.

***T'es pas là pour être une star, mon vieux. Tu as protégé ces gamins, c'est tout ce qui compte. Et Athéna le sait.***

Au moins l'espérait-il.

Encore une fois, les vraies informations utiles vinrent de Zhihao, dans toute sa rigueur militaire, ce qui poussa le Fauve d'or à la ranger un peu plus du côté de Ntikuma que de Reagan. Un bon point pour elle. Il la laissa parler d'une traite, tout en avançant vers le campement, le Fourneau derrière eux dans sa séance vestiaire. Les nouvelles s'annonçaient mauvaises donc.

"C'est bien parce que j'ai eu des exemples diamétralement opposés que je pose la question de votre allégeance plus précisément. Les Reagan sont un danger pour tout le monde. Y compris eux-mêmes."

Il repensa au tas de viande lamentable qu'il avait observé dans les geôles. Cette chose dont il avait défendu la vie, sans comprendre d'où pouvait bien venir toute cette générosité de sa part alors qu'il haïssait l'homme pour ce qu'il avait tenté de faire, et les blessures infligées gratuitement à des enfants.

"Une soi-disant délégation au service d'une certaine Lady Pénélope. Si je veux bien croire qu'une souveraine noire porte bien ce nom, les femmes qui se sont présentées n'avaient rien de diplomates. L'une d'elle a même tenté de frapper ma disciple en ma présence. Cela vous dit-il quelque chose ?"

Comme il soupçonnait déjà le trio de raconter mensonge sur mensonge, jouer la carte de la franchise allait au moins lui permettre d'éprouver le sang-froid, la coopération et peut-être la sincérité de ses vis-à-vis dans la situation présente.

Cependant, il voulait recentrer autant que possible le sujet sur leur problème du moment : cette foutue pyramide et les désastres qu'elle pourrait causer si elle "explosait" de nouveau dans la région. Il avait suffisamment de sang sur les mains pour une bonne décennie... Si seulement il pouvait garantir que le bilan n'allait pas s'alourdir. Une fois les tentes en vue, et pendant qu'ils étaient encore hors de portée de voix des civils, il s'arrêta pour faire face aux deux autres.

"Votre exposé est encore un peu flou pour moi. Selon vous, c'est Anubis qui se trouve dans cette pyramide. Comment pouvez-vous le savoir avec certitude ? Et cette... magicienne dont vous avez parlé ? Si j'extrapole un peu, j'oserais dire que Crest était votre associé, et cette femme l'employée au service de Karlyle, qui l'a trouvé blessé mais pas mort. J'ai bon ? Et elle vous a... téléportées ?"

Il restait sceptique, mais après tout Colombe et sa thèse du monsterverse constituait l'une des alternatives envisagées, alors pourquoi pas ?

"Mettant de côté le surréalisme total de ce que vous venez de dire, vous savez comment pénétrer dans cette pyramide ? Comment passer le champ de force ? Et combien de temps cela va prendre pour qu'Anubis se réveille ? Selon les informations à notre disposition et nos déductions, il y aurait entre 1 à 3 personnes Éveillées là-dedans, au minimum. En train d'utiliser les objets volés dans le monde pour accomplir un rituel. De résurrection d'Anubis donc. Le champ de force semble réagir au cosmos. Tout du moins, malgré la présence de scientifiques et de civils en nombre, le phénomène observé jusque-là semblait stabilisé... et quand nous sommes arrivés, une première explosion a eu lieu sans prévenir."

Son orgueil lui commandait de ne pas dire directement "c'est parce que j'ai touché la surface du champ de force que je ne voyais pas sans faire exprès que ça a explosé", mais la phrase tourna tout de même dans son esprit, ferma ses doigts en un poings aux jointures blanchies, dissimulées par le gantelet de son armure d'or. Ses iris améthystes défièrent quiconque de rajouter de l'huile sur le feu à cet instant précis et il savait qu'il pourrait facilement perdre son calme, mais il devait faire un effort pour tous ces malheureux qu'il avait tués... et ceux qu'il avait pu faire sauver.

"J'imagine qu'aucune de vous ne s'y connaît en champs de force cosmiques ?"

-La magicienne nous l’a dit… pas que j’ai envie de lui donner raison, mais le reste de ses explications concordent avec ce que nous savions déjà.

Le nombre et l’identité des victimes, le vol des objets, et de toute évidence un coupable possédant des moyens surhumains de parvenir à ses fins. Et si elle mentait au sujet des Enfers, j’en aurais déjà eu des nouvelles… Anubis ou pas, si la chose qui se trouve dans cette pyramide est capable d’un tel exploit, il faut la détruire à tout prix. En lançant un regard méprisant au Lion d’Or qui semble bloquer sur l’idée que nous ayons été téléporté, je le laisse avancer ses hypothèses un peu avant d’essayer d’apporter quelques réponses, tout en jetant des coups d’œil derrière nous pour voir si Gorislava compte nous rattraper ou pas. Je ne sais rien de ce Crest, mais Zhihao pourra confirmer ou corriger ses propos si besoin. Quand au seul survivant…

-Sa protectrice, plutôt… sans elle, Karlyle serait mort aussi.

Non seulement il n’aurait pas survécu à l’attaque, il aurait sans doute succombé à ses blessures plus tard si ça n’avait pas été de Zlatanna. Étrange coïncidence, tout de même… où en serions-nous maintenant, si ça n’avait pas tombé sur eux? Le nom d’Anubis ne nous aurait jamais même traversé l’esprit…
Mais le destin a déjà pris d’étranges tournures dans cette enquête. Et nous avons bien d’autres problèmes.

Il nous reste encore la question du champ de force à régler. Ce qui nous attend à l’intérieur ne vaut rien si on ne peut pas y entrer! Mais selon ce que nous dit Azir, cette protection est beaucoup plus sensible qu’elle en a l’air, il ne semble pas avoir fait quoi que ce soit pour la déclencher, elle a donc ressenti sa nature cosmique plutôt que l’utilisation de cosmos et a réagi en conséquent… mais quelles sont les chances que personne d’autre ne l’aie déclenché avant? Ce n’est pas impossible, mais si c’est tout ce que ça prend…

-Mieux vaut parler aux scientifiques avant. Avec un peu de chance, ton petit accident leur aura donné plus de chance de comprendre comment ce champ de force fonctionne. Et sinon… j’ai peut-être une solution, mais ça ne nous aiderait pas pour la suite…

L’assassin a réussi à traversé les défenses de Zlatanna. Si nous devons nous retrouver face à lui, ou ses autres compères, il nous faudra toutes nos forces pour les vaincre, et nous ne pourrons pas nous permettre de sacrifice. En me massant les tempes, je peux enfin apercevoir les campements où les chercheurs et les survivants sont rassemblés, et je me fige sur place quand je reconnais les installations de l’un d’entre eux : la Fondation Kido. Évidemment. Aucun bon souvenir de ce côté-là non plus. Ce qui laisse le second campement, d’apparence plus standard mais tout aussi disciplinée.

-Je vais aller voir par là, je refuse de mettre les pieds dans le salon de manucure des Chevaliers d’Or. Qui veut venir?

Une fois sa tenue de combat endossée, Gorislava sortit du bâtiment dans lequel elle s'était abrité puis rejoignit ses camarades. Le casque de son Armure Noire lui conférait une expression faciale particulièrement agressive, du moins plus qu'à l'accoutumée. Son uniforme dessinait des motifs évoquant des flammes dansantes et comportait un plastron couvrant l'intégralité de sa poitrine, contrairement à la version masculine. Tout comme cette dernière cependant, elle possédait une culotte en métal qui faisait également office de ceinturon, afin de protéger le bas-ventre et l'entrejambe. Histoire de compléter l'ensemble vestimentaire, un ruban assorti à sa cuirasse nouait le bout de sa tresse. Quant à sa panoplie en cuir, elle était soigneusement rangée dans son sac de sport, lui-même suspendu à son épaule droite. La rouquine s'était aussi débarrassée de ses lunettes de soleil, optant à la place pour une visière repliée à l'intérieur de son heaume. Afin de contraster avec la coloration de son armure, de sa combinaison et de sa chevelure, cette pièce d'équipement jouissait d'une teinte rosée. Comme le Fourneau se trouvait pour l'instant à l'ombre, il n'avait pas encore jugé utile de déployer cet accessoire. Le ciel était toujours passablement couvert suite à la tempête et la situation ne paraissait guère prête de s'arranger...

De nouveau aux côtés de ses compagnons, Gorislava se rendit compte que ceux-ci n'avaient pas encore réussi à échafauder un plan d'attaque. Préciser les détails concernant la présence des Black Knights et des Spectres en Égypte semblait prendre beaucoup de temps, ce qui était inévitable en raison de la complexité de l'affaire. La rouquine aurait souhaité que cela ne soit guère le cas, mais elle ne pouvait rien changer au fait qu'elle s'était engagée dans un véritable bourbier intellectuel. Après avoir parcouru une certaine distance, les quatre compagnons arrivèrent donc en vue des campements militaires établis aux alentours de la pyramide. Compte tenu de la diversité des installations, plusieurs acteurs paraissaient s'être mobilisés pour sécuriser le périmètre.

Contrariée par la vision d'un des baraquements, Leticia exprima son refus de pénétrer dans celui-ci et déclara qu'elle préférait en privilégier un autre. Apparemment, l'infrastructure en question appartiendrait au Sanctuaire, ce qui expliquerait le profond déplaisir qu'elle ressentait à son encontre. La Spectre proposa ensuite aux mercenaires si elles voulaient la rejoindre, une invitation que le Fourneau ne pouvait qu'accepter. Effectivement, ce dernier ne se pensait guère capable de se tenir sagement au beau milieu des laquais d'Athéna sans leur chercher querelle, aussi allait-il s'abstenir d'entrer dans leur campement. Cela lui permettrait également d'observer ce que pouvaient bien trafiquer les troupes des armées traditionnelles. Gorislava était curieuse de voir ce que les militaires normaux avaient dans le ventre, alors qu'ils devaient pourtant être complètement dépassés par les phénomènes récents.

"Je viens avec toi." répondit-elle froidement. "Au moins, ça m'évitera de fout' le boxon chez les Saints."

La rouquine adressa ainsi une œillade entendue à la Boussole, histoire de s'assurer que cette dernière approuve bien sa décision. Soucieuse de ne pas se traîner une baby-sitter en permanence, la première lui avait même donné une justification pour qu'elle daigne accéder à sa demande. De toute manière, le Fourneau ne pouvait pas s'empêcher de faire des bêtises : autant en commettre lorsque sa gardienne avait le dos tourné. La perte potentielle de sa moto l'inquiétait déjà suffisamment, aussi préférait-il ne pas avoir à se préoccuper du regard inquisiteur de sa collègue. Néanmoins, son entourloupe reposait sur l'assomption que Zhihao et Azir choisissent de se rendre au baraquement de la Fondation Graad... Ceci et la lassitude que la Chinoise devait éventuellement nourrir à l'égard de sa jeune consœur. Tout ce qui intéressait Gorislava actuellement, c'était de savoir si la soldatesque mobilisée dans le secteur avait un plan d'action susceptible d'attirer son attention.

« Y avait-il une jeune femme aux cheveux verts prénommée Myra et portant l’armure du Caméléon Noir dans le tas ? Parce que si c’est le cas, j’ai bien peur que vous ayez eu affaire à des servantes d’Éris se faisant passer pour des envoyées de Death Queen Island afin d’exacerber les tensions entre nos deux factions. » révéla la Boussole, dont l’intuition semblait se confirmer. Elle n’avait cependant aucune preuve pour étayer cette allégation, même si le Seigneur Noir des Poissons, lui, en aurait peut-être. De toute façon, cette information ne suffirait pas à faire oublier les actions de Reagan et ils avaient des problèmes plus immédiats.

« La magicienne n’a pas exactement dit qu’Anubis se trouvait dans la pyramide, mais tout indique qu’il s’agit d’un élément majeur de son retour. » concéda-t-elle en développant les propos de la Spectre. « Il se peut qu’elle se soit trompé ou qu’elle nous ait menti, toutefois nous ne pouvons pas nous permettre de négliger cette piste. Et oui, elle nous a téléportées. »

Même avec cette confirmation et les précisions apportées par Marchesi concernant le rôle de Madame Z, le Lion restait sceptique. Zhihao ne pouvait pas vraiment lui en vouloir : à sa place, elle aussi aurait du mal à croire qu’une personne possédant de tels pouvoirs ait pu échapper aux yeux et aux oreilles du Sanctuaire – et possède de surcroît des connaissances que même leur redoutable réseau de renseignement n’avait pas.

L’asiatique écouta ensuite la proposition de la Mante, et se demanda quelle était sa fameuse solution. Se pourrait-il qu’elle suggère d’attaquer depuis l’extérieur du champ de force, comme elle l’avait fait pour le manoir anglais ? C’était une possibilité, mais cela ne marcherait que si les défenses de la pyramide étaient les mêmes que celles protégeant la demeure du Comte ; or, Azir leur avait dit que le champ de force empêchait les gens d’approcher, ce qui était très différent de la zone sans cosmos mise en place par la thaumaturge allemande. Ou peut-être que l’infernale parlait d’autre chose, qui sait.

« Bonne idée, allons parler aux scientifiques. » approuva la militaire. « Quant au champ de force, non nous ne sommes pas des expertes mais il est probablement d’origine magique et non cosmique ; Madame Z – c’est le nom de la magicienne – s’est fait un plaisir de nous expliquer la différence, de nous dire qu’il s’agit d’une spécialité des Égyptiens et de nous marteler à quel point ces choses-là nous dépassent, pauvres éveillées sans cervelle que nous sommes. »

Zhihao reprit le contrôle après cet accès de sarcasme et tenta de contribuer de façon un peu plus utile : « Bref, pour ce qui est d’entrer à l’intérieur, cela dépend de la forme du champ de force. S’il s’agit d’une sorte de rempart, nous pourrions passer par-dessus ou par en-dessous, mais pas s’il s’agit d’une sphère. Essayer de le traverser par la force n’est pas une bonne idée ; selon Madame Z, un magicien peut compter sur une réserve d’énergie beaucoup plus importante que celle d’un éveillé. Et même si nous le traversons, cela ne veut pas dire que nous serions tirés d’affaire : il se peut qu’il ne s’agisse pas d’un simple mur, mais que ses effets affectent toute la zone à l’intérieur. Enfin il y a les possibles morts-vivants à l’intérieur de la pyramide, puisque le Comte Karlyle aurait été attaqué par une momie. »

Un résumé plutôt pessimiste donc, qui soulignait la nécessité pour les présents de ne pas la jouer solo, de s’informer davantage et de ne pas tenter le coup à l’aveuglette. Hélas, l’animosité entre ordres de chevaliers frappa une fois de plus, la Spectre refusant catégoriquement d’entrer dans le camp de la Fondation Graad. Tout comme Gorislava, à peine revenue revêtue de sa tenue de combat et faisant déjà la difficile, même si la raison qu’elle donnait était bonne – on ne pouvait pas prévoir la réaction des employés de la Fondation à l’approche d’un Chevalier Noir.

Les deux éveillées choisirent donc plutôt de se diriger vers le camp des Agences – surprenant de les voir ici d'ailleurs, si près des serviteurs d'Athéna qu'elles évitaient d'habitude comme la peste, mais les dirigeants de l'alliance devaient avoir leurs raisons –, et l’asiatique n’hésita pas longtemps sur la marche à suivre.

« Désolée. » s’excusa-t-elle une fois de plus auprès du chevalier d’Or. « Je ne peux pas les laisser seules, j’ai peur qu’elles fassent une bêtise sinon. Vous nous accompagnez ? Si vous avez un téléphone, vos collègues devraient pouvoir vous communiquer leurs trouvailles sans avoir à se retrouver en présence de ces deux-là. »

"Aucune d'elles n'a donné son nom, mais la description correspond oui. Et confirme mes soupçons."

Sur ce point, inutile de cacher la vérité. Jouer franc-jeu concernant Éris avec les chevaliers noirs ne pouvait qu'aider à améliorer leurs relations justement, en accord avec Ntikuma et ceux parmi eux qui suivaient son exemple, comme semblait le faire cette Zhihao. Et puis, en déesse de la Discorde qui se respecte, ladite Éris tenterait probablement encore plusieurs fois de les entourlouper les uns et les autres de la sorte, de façon plus ou moins subtile. Au moins, Azir nota le nom de Myra et qu'il eu raison d'en dire le moins possible. Pour ce qui était de leur refuser la vie de Reagan, il hésitait toujours.

Sur ce sujet et celui de la magicienne, le Lion d'or se contenta de hocher la tête pour clore la discussion. Inutile d'extrapoler à outrance sur la vraisemblance de ces événements et les moyens utilisés : le monde des Éveillés avait ceci à la fois incroyable et éreintant de rendre tout ou presque possible, dans le bon comme dans le mauvais.

Le blondinet capta sans peine le ton acerbe de la Chinoise, en déduisit qu'elles aussi avaient dû avoir leur part de maux de tête dans toute cette histoire. Et ils n'avaient pas fini probablement, avec cette histoire de pyramide et de résurrection divine en arrière-plan.

"En surface c'est un dôme. Je n'ai pas vraiment pris le temps de creuser pour vérifier s'il s'agissait d'une sphère, les vies humaines étant ma priorité. Mais puisque les divinités aiment tant nous compliquer la vie, le pari de la sphère est tout à fait concevable."

Un soupir et il vint masser sa nuque raide un instant. Colombe allait être ra-vie. Son monsterverse prenait vie sans qu'on pût l'arrêter.

"Une momie en plein Londres... Je ne suis même plus étonné. Mais il y a tout de même quelque chose qui reste inexplicable, même du point de vue d'un Éveillé, dans le meurtre des époux Sempouri. Ils ont été décapités dans le même coup, tous les deux. Une plaie nette, droite, maîtrisée. Pourtant, aucune trace de lutte, de fuite. Aucune éclaboussure sanglante. Rien qui indique qu'ils aient été déplacés."

Une momie parvenait-elle à réaliser ce genre de prouesse martiale ? Et comment se faisait-il que personne n'ait rien vu, ni les caméras, ni les serviteurs, ni les voisins ?

Bientôt coupé dans ses pensées, le chevalier d'or sentit l'agacement revenir vivement monopoliser son expression. Il tentait de faire bonne figure et collaborer, tant pour le bien des vivants, visiblement, que celui des morts. Des morts Grecs, de chez les Spectres. Et voilà pourtant que la petite peste jetait de l'huile sur le feu, comme si les Douze n'étaient que pédants aristocrates plus préoccupés par leur petite personne que par leur rôle de gardiens de l'humanité. Un comble quand on savait le nombre de jours qu'Azir avait passés à l'infirmerie depuis son accession au Cinquième temple par rapport à ses collègues.

Clairement mécontent, il suivit pourtant Zhihao dans son invitation, sortant son téléphone qui tenait par miracle en un seul morceau malgré les dizaines de fissures qui lui donnaient l'allure d'un miroir brisé.

"Malheureusement pour lui, mon téléphone a subi une "manucure" de chevalier d'or. Mais je fais confiance à mes collègues, et je n'ai pas peur de tremper les pieds dans la boue et de vous suivre, quoi que certaines puissent en dire. Quant au campement des scientifiques, la dernière fois que je l'ai vu il se situait plus près de la pyramide, sans aucune organisation extérieure pour interférer dans leur travail. Que ce soit le Sanctuaire ou une autre. Alors si tu veux bien garder tes mesquineries pour toi Leticia, je peux vous guider."

-C'est le problème quand le cosmos entre en jeu. Les possibilités sont infinies.

Les blessures peuvent avoir été cautérisées sans laisser au sang le temps de couler, l'exécution a pu se faire ailleurs, le sang peut avoir été tout simplement retiré... et c'est sans même prendre en compte cette histoire de macrocosmos, peu importe ce que ça change. Même les bandelettes de la momie, qui selon Zlatanna ont servi d'arme contre Carlyle et ont probablement tué Ethan Crest et les Sempouri, ne sont rien de vraiment atypique. À quoi pouvons-nous nous attendre, dans ce cas? Téléportation, contrôle de la chaleur ou des liquides, soins, combat au corps-à-corps… et de solides défenses. Mais qu’avons-nous pour contre-attaquer?
De la rage. Beaucoup, beaucoup de rage.

-Sinon quoi?

Le Chevalier d'Or commence à perdre patience, pour le plus grand bonheur de mon Surplis qui, au final, ne se lasse jamais de toute cette colère et cette frustration. Et que pourrait-il demander de mieux? L'ironie de la chose me donne envie d'éclater de rire, et je n'ai pas peur de le défier avec un sourire aux lèvres, comme pour l'inviter à aller encore plus loin, devant tout ces gens qu'il veut tant impressionner. J’ai presque hâte de voir ce qu’il prévoit faire… mais pas maintenant. Il y a encore beaucoup de travail à faire.

-Rien de tout ça n’a d’importance si nous ne pouvons pas rejoindre Anubis. Espérons juste que nous aurons le temps…

Juste au moment où j’allais mentionner cette autre menace, la riposte des Enfers si nous n’intervenons pas à temps, un petit Papillon apparait devant moi et se pose sur mon épaule pour livrer un bien étrange message. Je ne pensais pas recevoir une réponse à mes demandes, et même si ça avait été le cas, je me serais attendue à ce que ce soit Andréa, mais…

"Ne me déçois pas, ma chère. Tu as carte blanche. N'oublie pas de ramener un souvenir."

La pure terreur que je ressens en entendant ce message laisse lentement place à la confusion. Pendant un bref instant, j’ai cru qu’il s’agissait du Seigneur Thanatos, mais ça ne peut pas être lui… en fait, je ne reconnais pas cette voix. Alors pourquoi me donne-t-elle cet ordre? Je fixe le petit messager, attendant un autre message, mais rien ne vient… et plutôt que de partir, le papillon reste là, à me regarder. Rien d’autre.

-Que… Qu’est-ce que tu regardes comme ça?

Rien. Dès que je monte le ton, la petite créature s’envole et disparaît, me laissant avec encore plus de désarroi qu’avant. Il n’y aura pas d’interférence, pas de course contre la montre. Je suis libre de m’occuper de cette situation comme je l’entends, et il semblerait que j’aie un mystérieux bienfaiteur capable de s’assurer que les autres ne s’en mêleront pas et de me laisser le champ-libre. Ce serait presque rassurant, si je pouvais au moins savoir de qui il s’agit… Tout arrivera en bon et dû temps, je suppose. Avec un soupir nerveux, je me tourne vers les autres.

-Nous n’avons pas à nous soucier des autres Spectres. Arrêter Anubis vient de devenir ma mission, et je ne compte pas décevoir.

Tandis que la fine équipe se dirigeait vers le campement militaire, Zhihao continuait de parler avec Azir de la Chevalerie Noire et des informations que les mercenaires avaient réussies à amasser au cours de leur mission. Elle cita également le nom de la Discorde durant la conversation, une mention qui interloqua Gorislava, car elle ne comprenait pas ce qu'Éris venait trafiquer dans toute cette histoire. Plutôt que de se préoccuper de cela, la rouquine préféra focaliser son attention vers l'entrée du baraquement, qui était consciencieusement gardée par des soldats armés. Lorsque ces derniers virent les Éveillés s'approcher, ils communiquèrent avec leurs supérieurs via leurs oreillettes avant de prudemment s'écarter pour laisser les visiteurs passer. Cette attitude coopérative et docile laissa le Fourneau songeur, lui qui pensait se heurter à une certaine résistance de la part des gardes. Néanmoins, il n'allait pas s'en plaindre et comptait en profiter pour se balader au beau milieu des installations scientifiques. Malheureusement, Gorislava ne savait guère où commencer afin de se renseigner sur la nature du champ de force qui protégeait la pyramide maudite. Qu'à cela ne tienne, elle pénétra tranquillement dans le campement, sans plus se soucier des regards méfiants que lui adressaient les troufions déployés dans le secteur. Elle tourna donc la tête vers Leticia pour lui demander quelle personne elles devaient consulter afin d'obtenir les données nécessaires à leur travail. Ce fut alors qu'elle s'aperçut que la Chinoise et le blondinet les avaient suivies, à sa grande exaspération et sa profonde déception.

La rouquine vit également un papillon s'envoler depuis la main de la Spectre puis s'évaporer dans les airs, comme s'il n'avait jamais existé. Après avoir poussé un soupir de soulagement, l'Étoile Maléfique signala à ses compagnons que ses confrères n'interviendraient pas pour le moment. Tout reposait ainsi sur les épaules des quatre compagnons de fortune, ce qui n'était pas pour déplaire au Fourneau : moins il y aura d'Éveillés sur le coup, plus il pourra s'amuser ! Quant à la dernière Sainte, il n'avait aucune idée si elle était encore en vie ou non, aussi allait-il partir du principe qu'elle s'était faite allumer comme une débutante. En revanche, la manière dont Leticia parlait de ses collègues intriguait Gorislava, comme si elle tenait absolument à ce qu'ils ne soient pas là. Ce détail attisa la curiosité de la jeune impulsive, qui s'empressa de questionner la guerrière infernale :

"Bah quoi, ça te gave de traîner avec tes copains ? Je connais les Spectres que de réputation, mais y sont si désagréab' que ça ?"

Le terme "désagréable" avait beau être un euphémisme évident de sa part, cela ne l'empêchait pas de sous-estimer la monstruosité dont étaient capables les serviteurs d'Hadès. Avoir enduré la cruauté de Death Queen Island ne l'avait guère débarrassée de sa naïveté sur de nombreux aspects, même si cela l’avait considérablement endurcie. Par ailleurs, son entraînement pour affronter Reagan ne remplaçait pas une véritable expérience au combat, aussi exigeant et douloureux soit ce processus. La rouquine ignorait certes toute l'étendue de ses capacités, désormais supérieures à celles de l'Oiseau de Paradis, sauf qu'elle avait développé malgré cela une fâcheuse tendance à prendre ses adversaires de haut. Ce facteur et sa propension plus générale à se comporter comme la dernière des sauvages risquait de lui causer des problèmes sur le long terme...

Elle s'intéressa ensuite aux dômes et aux hangars qui composaient la majorité des infrastructures de la base militaire, se demandant ce qu'ils pouvaient bien abriter. La Boussole devait probablement savoir ce que ces installations contenaient, mais sa consœur était trop vexée par sa présence persistante pour le lui demander. A la place, le Fourneau choisit de partir librement en vadrouille à travers le baraquement, sous les yeux vigilants des troufions et des scientifiques qui constituaient son personnel. Ceux-ci regardaient également cet intrus avec une certaine perplexité, s'interrogeant sur la pertinence de son attitude insouciante dans de pareilles circonstances et sur ses facultés intellectuelles. Puisque l'agent Meng était retournée au bercail, ne serait-ce que temporairement, ils pouvaient toutefois en profiter pour la questionner au sujet de ce spécimen pour le moins étrange... Effectivement, s'entretenir en priorité avec leur espionne et le Chevalier d'Or était la démarche la plus raisonnable à suivre. Quant à la quatrième membre de l'équipe, mieux ne valait pas trop y penser : son apparence décrépie ne laissait rien présager de très réjouissant.

Le Lion faisait preuve d’un pessimisme de bon aloi quant à leurs chances de réussir à s’introduire à l’intérieur de la pyramide par une méthode aussi simple. Il n’avait aucune certitude – même si les scientifiques pourraient peut-être leur en dire plus sur le champ de force – mais Zhihao partageait son avis : à la place des maîtres de la nécropole, elle aussi aurait pris ses dispositions pour se prémunir d’une vulnérabilité aussi évidente. Elle ne réagit pas aux interrogations d’Azir au sujet du meurtre des époux Sempouri, la réponse de la Spectre étant amplement suffisante ; comparée à ce que pouvaient faire certains éveillés, une double-décapitation invraisemblablement propre n’avait rien de si remarquable.

« Je dois pouvoir réparer ça, si vous voulez. » offrit la Boussole en voyant l’état dans lequel se trouvait le téléphone du chevalier. Hélas, ce fut également le moment que la Mante choisit pour asticoter de nouveau leur interlocuteur. Voilà qui allait devenir pénible à la longue…

« C’est possible d’arrêter de s’envoyer des piques, s’il vous plaît ? Nous avons mieux à faire. » demanda la militaire, même si elle savait qu’il y avait peu de chances que le Fourneau ou l’infernale l’écoutent. Et contrairement à ce que pensait cette dernière, leur attitude avait son importance : ils ne risquaient pas d’interrompre le retour d’Anubis s’ils étaient plus occupés à se crêper le chignon qu’à chercher un moyen de pénétrer dans son sanctuaire.

Heureusement, l’arrivée d’un des papillons messagers de l’Au-delà sembla rappeler ses priorités à l’adolescente, et ce fut une Leticia étrangement secouée qui leur annonça qu’ils n’avaient pas à craindre que ses collègues ne rappliquent à El Balyana pour y déchaîner leur version des Dix Plaies d’Égypte… pour l’instant, en tout cas. Et une fois de plus Gorislava, toujours égale à elle-même, n’avait rien entravé à la situation.

« Je crois plutôt qu’elle n’a pas envie de voir ce qu’il se passerait si ses collègues devaient venir ici pour s’occuper eux-mêmes d’Anubis. Surtout s’ils apprennent qu’il ne se contente pas de voler les âmes, mais qu’il s’en sert comme source d’énergie pour revenir sur Terre. » expliqua patiemment l’asiatique alors que leur groupe arrivait enfin à destination, les sentinelles à l’entrée du camp les laissant passer après un coup d’œil à la resplendissante armure du Lion d’Or et une rapide concertation avec leurs supérieurs. À mesure qu’ils avançaient, certains des soldats qu’ils croisaient se mirent même spontanément au garde-à-vous en voyant le guerrier d’Athéna. « Je ne sais pas comment marchent ces choses-là, s’il les dévore ou s’il les brûle comme du charbon ou autre chose, mais je doute que les âmes en question s’en sortent indemnes – ou s’en sortent tout court. Et ça, ça ne doit pas plaire du tout aux Spectres. »

Après tout, détruire l’âme des défunts ne revenait-il pas à priver les vertueux de leur récompense et à permettre aux pécheurs d’échapper à leur châtiment ? C’était du moins comme ça qu’elle s’imaginait le raisonnement des séides de Thanatos. Et ils ne devaient pas non plus apprécier certains des principes régissant l’après-vie égyptienne.

Le petit groupe n’avait pas cessé de parcourir les allées du camp le temps de cette discussion, sous les regards tour à tour curieux, méfiants et parfois admiratifs – ces derniers étant réservés à Azir – du personnel aux couleurs des Nations Unies qui s’activait autour d’eux. L’électrokinésiste connaissait la procédure, elle savait que ses collègues des Agences ne représentaient qu’une faible minorité de ces hommes et femmes – Casques Bleus, médecins, ingénieurs, scientifiques, agents des services secrets "ordinaires" bien pratiques pour détourner l'attention et plus encore –, ce afin de mieux se fondre dans la masse. Et en parlant de scientifiques…

« Vous voyez cette grande tente là-bas, avec tout l’équipement autour et les gens en civil ? Je crois que c’est par là. » indiqua-t-elle en désignant une structure raccordée à un nombre impressionnant de câbles électriques et d’où dépassait une forêt d’antennes et d’autres machines pointées vers la pyramide. L'endroit était protégé par une équipe de gardes attitrés mais elle avait intercepté une communication leur ordonnant de laisser passer le quatuor d'éveillés – tout en gardant un œil dessus, évidemment –, aussi ne se faisait-elle guère de mouron.

Voyant que Leticia avait décidé de lui mener la vie dure, le Cinquième Gardien se contenta de lever les yeux au ciel avec un soupir. Contrairement à ce qu'elle pouvait croire, il n'y avait pas de "sinon" ou de menace sous-entendue dans son propos, juste la volonté d'éviter de perdre du temps plus que nécessaire. C'était pourtant elle qui avait demandé à hâter le pas pour éviter que ses compagnons Spectres rappliquent et sèment le chaos dans leur sillage, alors quel intérêt au juste avait-elle à l'asticoter comme elle le faisait sinon un pur plaisir sadique ? Et après on essayait de lui faire croire qu'il était injustifié pour la population de les présenter comme les méchants de l'histoire.

L'arrivée d'une sorte de papillon de lumière -non, pas celui-là- sonna à la fois la confirmation et le rappel des pensées d'Azir pour tout le monde : plus ils se chamaillaient et moins ils travaillaient à empêcher Anubis de revenir pour de bon.

La Chinoise, décidément bien plus professionnelle que les autres, ne fit que souligner davantage que la discorde en train de se répandre parmi eux les handicapait plus qu'autre chose. Plutôt que de le prendre comme un sermon, le Lion d'or commençait à éprouver une réelle sympathie pour cette femme. Il regarda son appareil à la limite de la mort subite, un doute dans le regard tout de même. Si le geste était bienvenu, la possibilité qu'elle ait accès à ses données ce faisant ne l'enchantait pas vraiment. Il n'y avait rien de vraiment sensible sur l'appareil en lui-même, hormis certains numéros et adresses de contact à garder secrets.

"C'est gentil, mais je pense que c'est inutile pour le moment. Nous nous apprêtons à nous diriger vers la cause de cet état quasi-hors service, alors autant ne pas gaspiller notre énergie à réparer un objet qui risque d'être pulvérisé une nouvelle fois. Peut-être après ?"

Et tandis que les trois femmes débattaient sur la nature des conséquences que pourraient avoir une invasion spectrale dans cette région, avec un Anubis en pleine régénération non loin, ils approchaient de leur but. Les scientifiques avaient donc déplacé leurs installations un peu plus près des campements gouvernementaux, probablement par peur de ne pas avoir un Azir à proximité si le dôme explosait de nouveau dans leur direction. Ils avaient eu de la chance oui, et il était parfaitement humain de compter plutôt sur la protection des Éveillés que sur une nouvelle et insolente probabilité de s'en sortir indemne par miracle.

Tout en continuant à marcher vers cet endroit et l'avalanche de sermons qu'on allait à coup sûr lui servir -il s'y préparait à l'avance-, l’Égyptien replongea dans ses connaissances du panthéon antique.

"Dans les temps anciens, il était dit que les défunts avoir après emprunté leur barque pour le monde invisible se retrouvaient devant le juge des morts, qui n'était autre qu'Anubis. Sa méthode pour savoir si la personne méritait de poursuivre était assez simple : il plaçait le cœur symbolique sur une balance, en regard de la plume rectrice de Maât, qui servait de référence au poids de la vertu. Si l'équilibre était maintenu, et donc la personne pure, alors le défunt continuait sa route dans le monde invisible afin de connaître une nouvelle existence bienheureuse. Un peu comme Elysion du côté grec. En revanche, si le cœur était trop lourd de ses péchés, la déesse Ammout le dévorait, empêchant ainsi l'âme de subsister. Thot notait alors le résultat.

Si on transpose à notre situation actuelle, et en considérant qu'Anubis est seul dans son ouvrage, il est possible qu'il se passe volontiers de l'étape de la balance et absorbe les âmes directement pour renforcer le poids de son existence dans ce monde plutôt que l'invisible. Ou bien que d'une manière ou d'une autre Ammout soit à ses côtés pour en dévorer le plus possible et lui offrir ainsi l'énergie des âmes mises en pièces. Autant dire deux perspectives aussi réjouissantes l'une que l'autre."

-Oui, oui…

Je tente de paraître plus assurée, ou au moins suffisamment arrogante pour rappeler que je n’ai pas à obéir à qui que ce soit, mais je n’arrive pas à oublier l’étrange papillon et son message encore plus étrange. Une surprise et une nervosité si forte que la colère et la frustration de tous ceux qui m’entourent deviennent secondaires, à la plus grande déception de mon Surplis, mais c’est sans doute mieux comme ça. Ce n’est plus l’heure de jouer. Étrange, que c’est ce que ça prenne pour enfin rendre la situation sérieuse, mais si c’est ce que ça prend…
Car tout ça est très sérieux. Sinon ils ne seraient pas ici.

C’est bien un coup de chance si je les ai reconnu : même après avoir passé un an au sein des Agences, j’ai tant été gardé dans le noir que je ne sais à peu près rien de leurs méthodes lorsqu’ils doivent travailler en public. Et je n’en aurais rien su si ça n’avait pas été de cette terrible coïncidence : un visage trop familier, aux traits fatigués et au crâne chauve, portant une blouse de laboratoire par-dessus sa combinaison militaire, en train de discuter avec un autre scientifique. Il ne m’a pas encore vu, et peut-être que Zhihao ne l’a pas encore repéré non plus, mais si elle m’a reconnu à Winchester, elle n’aura pas de difficulté à reconnaître les membres de mon ancienne équipe, et vice-versa. Mes propres regrets mis à part, les risques de ruiner l’opération sont trop grands si on doit se supporter trop longtemps. Pendant que le Lion nous explique comment Anubis pourrait user de ses pouvoirs pour consommer les âmes volées, j’attrape la Chinoise par le bras et utilise le code utilisé par FIRMAMENT pour lui communiquer le problème. En espérant que je m’en souvienne encore…

« Papanek est ici. Si les autres demandent, suis partie explorer de mon côté. »

Il y a déjà des agents qui regardent de notre côté et murmurent entre eux ; je baisse rapidement la tête pour éviter de croiser leur regard et file vers la sortie, zigzaguant entre les tentes pour ne pas être suivie. Je ne m’attendais pas à ça… qu’est-ce que je peux encore faire, maintenant?
Il reste encore la Sainte. Elle ne nous a toujours pas rejoints, est-ce qu’il s’est passé quelque chose? Mieux vaut aller jeter un coup d’œil, elle ne doit pas être bien difficile à trouver. En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard…

Agacée par l'attitude désobligeante de ses deux camarades féminines, Zhihao leur demanda de se calmer ne serait-ce qu'un tantinet sur les piques acerbes, avant de répondre à l'interrogation de Gorislava. Selon l'ancienne militaire, il valait mieux éviter que les Spectres n'interviennent sur place, sous peine d'assister à un véritable massacre. Même si la rouquine appréciait cette clarification, elle demeurait curieuse de contempler ce dont cette sinistre clique de zombies était réellement capable. Dans l'objectif manifeste d'obtenir une solide expérience personnelle, elle avait la ferme intention de commencer - ou plutôt de poursuivre - son travail d'observation auprès de Leticia. Effectivement, la propension à la destruction aveugle que cette dernière avait laissée précédemment entrevoir constituait déjà un premier point de référence pour le Fourneau. Celui-ci ferma ainsi les yeux, croisa les bras et hocha affirmativement la tête, montrant à sa collègue qu'il avait compris ce qu'elle venait de lui expliquer. Sur un registre plus enthousiaste, Gorislava brandit ensuite son bras droit, gonfla fièrement son biceps puis déclara à ses compagnons :

"Si c'est ben le cas, raison de plus pour donner not' maximum et au-delà ! On va botter les fesses d'Anubis tellement fort qu'y va quitter l'orbite terrestre, j'vous le dis ! Ou on lui fait un second trou de balle, comme ça on pourra l'appeler Anu-"

Elle fut interrompue dans sa blague salace par les vibrations de son smartphone, qui lui indiquaient la réception d'une notification quelconque. Quand elle consulta son portable, elle s'aperçut que sa frangine lui avait envoyé un SMS afin de prendre de ses nouvelles, notamment au sujet de sa mission en cours. Connaissant Mileva, elle devait avoir très certainement deviné que sa cadette était en train de s'occuper de l'apocalypse imminent qui menaçait l'Égypte. En lisant cette communication pourtant innocente, la seconde se mit à suer à grosses gouttes, de crainte que la première ne découvre qu'elle avait paumé sa bécane. L'ex-mercenaire lui avait également transmis une photographie de Jarek en pièce-jointe, qui portait un pyjama avec des gorilles dessus, assorti d'un commentaire comme quoi sa tantine lui manquait beaucoup. Habituée de longue date à ce genre de plaisanterie confidentielle, la rouquine avait parfaitement conscience que son aînée était en train de se moquer d'elle. Cette taquinerie lui arracha une grimace bougonne et un rougissement, avant qu'elle ne se ressaisisse et range promptement son téléphone.

"Sorry mates, t'was just mah big sis' checkin' up on me." résuma-t-elle en substance.

Trop occupé par cet aparté familial pour cela, le Fourneau oublia de terminer son jeu de mot graveleux et continua de se balader à travers le campement comme si de rien n'était. Il se désintéressa de la conversation qu'entretenaient Azir et la Boussole autour d'un objet cassé à réparer, jugeant que cela ne le concernait de toute évidence pas. Si tel avait était le cas, la Chinoise aurait probablement sommé sa partenaire d'y prêter attention, histoire d'éviter qu'elle ne fasse n'importe quoi faute d'avoir été intégrée dans la boucle... A moins qu'elle n'ait complètement abandonné l'idée de solliciter une pareille andouille de compétition, ce qui était tout à fait plausible. Quoi qu'il en soit, Gorislava préférait ne pas s'en soucier, sa préoccupation première résidant dans le contenu de la réponse qu'elle pourrait expédier à sa grande sœur. Malheureusement, son intense réflexion fut brutalement coupée par un cataclysme aussi soudain que phénoménal, mais loin d'être inattendu.

En effet, une éruption cosmique titanesque déchira les cieux puis ébranla la terre sous la forme d'un pilier de lumière spectaculaire. Dans un fracas assourdissant, le rayon lumineux frappa la pointe de la pyramide maudite comme la foudre tomberait contre un paratonnerre. Ce prodigieux événement provoqua un mouvement de panique à travers toutes les installations scientifiques et militaires, les effectifs déployés sur le terrain essayant d'appréhender au mieux la situation. Qu'ils soient soldats, chercheurs ou journalistes, tous se précipitèrent furieusement au turbin afin de ne pas se laisser dépasser par cette nouvelle péripétie. Désireuse de ne pas rester au banc de touche, la rouquine considéra qu'il n'était dorénavant plus l'heure de papoter, mais bien celle de passer enfin à l'action. Elle se tourna ainsi vivement vers ses coéquipiers et les prévint de son départ imminent :

"Z'AVEZ VU ÇA ?! TIME TO SMACK DEM BUTTCHEEKS !"

Ni une ni deux, elle fonça en direction de la pyramide comme une dératée sans attendre que Zhihao ne lui en donne l'autorisation expresse. Du moment qu'il pouvait trouver quelque chose à tabasser devant le gigantesque mausolée royal, c'était tout ce qui importait au Fourneau. Qu'allait-il trouver là-bas d'ailleurs ? Des momies en folie ? Des sphinx nudistes et huilés ? Des crocodiles humanoïdes ninjas ? Ou bien carrément le perfide individu à l'origine de cette machination ô combien géniale et diabolique, le dieu chacal en personne ?! L'anticipation était trop forte et pleine de délicieuses promesses pour que Gorislava puisse y résister, aussi accéléra-t-elle la cadence. Si jamais ses compagnons de fortune ne se dépêchaient pas, elle risquait de les coiffer au poteau avant même qu'ils n'aient eu l'occasion de battre un cil. Rien ne pouvait l'empêcher à ce stade de se vautrer violemment dans une baston sauvage, à l'exception peut-être d'une gifle monumentale en travers de la gueule. Toutefois, l'efficacité de ce remède restait sujette à caution, notamment sous réserve d'administrer un dosage suffisant... En l'occurrence, employer la méthode de la thérapie percussive exigeait une certaine vigueur dans l'application du traitement.

Sans surprise, Gorislava réagit à l’explication par une fanfaronnade et une blague de mauvais goût, heureusement interrompue par un message de sa grande sœur. Puisqu’il ne fallait clairement pas s’attendre à ce qu’un quelconque commentaire constructif arrive de ce côté-là, la militaire écouta attentivement Azir leur récapituler le principal mythe lié à Anubis ainsi que ce que cela pouvait vouloir dire pour leur situation actuelle. Elle connaissait déjà tout cela bien sûr, une solide culture mythologique étant indispensable si l’on voulait se mêler des affaires des divinités et de leurs serviteurs, mais seuls les acteurs de cette mythologie savaient réellement si telle ou telle légende était vraie, incomplète, incorrecte ou une pure invention. Dans le cas présent, elle semblait avoir les mêmes informations que le guerrier d’Athéna, ce qui était bon signe.

Elle dut toutefois détourner son attention du blond lorsque Marchesi lui communiqua soudain un message secret. Un message qui aurait presque pu être drôle – la Mante n’était aucunement intimidée par le chevalier d’Or, les périls inconnus qui se cachaient dans la pyramide ne l’effrayaient pas plus que ça, et pourtant la simple présence d’un de ses anciens équipiers suffisait à la faire fuir – s’il ne la mettait pas de nouveau face à un dilemme. Que faire du parchemin confié par la magicienne ? Elle n’en avait pas parlé à la Spectre de crainte qu’elle ne le prenne mal, une inquiétude légitime vu comment elle avait réagi au discours condescendant de l’allemande, mais elle n’allait pas non plus tourner les talons pour continuer à la suivre.

L’asiatique prit finalement sa décision : elle n’avait pas envie d’avoir un désastre de plus sur la conscience, alors l’Étoile Maléfique allait devoir ravaler sa fierté. Elle la retint donc juste le temps de lui remettre le parchemin, ainsi que l’avertissement qui allait avec : « Prenez ça, c’est Madame Z qui me l’a donné au cas où les sbires d’Anubis essayeraient de vous contrôler. Je sais que ça ne vous plaît pas et je suis bien d’accord, mais mieux vaut prévenir que guérir. Passez-le peut-être à la collègue d’Azir si vous la trouvez, au cas où un hypothétique sort de contrôle ou que sais-je encore agirait trop vite pour vous permettre de l’utiliser vous-même. »

Voilà, elle avait fait son devoir. Zhihao revint vers le reste du groupe, en espérant que pendant que le Fourneau était occupé à répondre à sa sœur, elle se montrerait moins hostile envers le Lion et qu’ils pourraient ainsi avoir une discussion productive avec les scientifiques. Le trio était sur le point d’entrer dans la section du camp réservée aux grosses têtes et de peut-être obtenir enfin des informations utiles lorsque le destin choisit d’exaucer son souhait d’une manière aussi frappante qu’inattendue.

Le spectacle son et lumière d’abord, une colossale démonstration de puissance surnaturelle qui fit redoubler l’activité pourtant déjà frénétique du camp, comme s’il s’agissait d’une ruche dans laquelle quelqu’un venait de donner un coup de pied. Puis quelques instants plus tard, ce fut le tour du grandiloquent héraut d’Anubis, de ses images de sable et de sa voix tonitruante, dont chaque mot imprimait directement sa signification dans son cerveau dans une demi-douzaine de langues différentes avec toute la subtilité d’un coup de massue. Et bien sûr, au lieu de faire preuve de prudence devant la force évidente d’Our et de son divin maître, ou de réfléchir plus d’une seconde à la potentielle échappatoire qui leur était présentée, la rouquine pensait que la meilleure chose à faire était de foncer comme une dératée en direction du danger. Sans même attendre la réponse de sa coéquipière. Il ne manquait plus qu’un grand cri de « Leeroy Jenkins ! ».

« Vous savez quoi ? Ce n’est plus mon problème. Si elle veut tellement se faire tuer, ça la regarde. Si ma hiérarchie vient se plaindre, je leur dirais qu’ils n’avaient qu’à pas insister pour me la coller dans les pattes. » fit la Boussole, qui se retrouvait avec Azir comme seule compagnie – ce qui n’était pas forcément un mal. « Enfin, c’est ce que j’aimerais pouvoir dire, mais j’ai peur qu’elle ne pousse le Nécrosphynx et toutes les armées d’Anubis à attaquer dès maintenant plutôt que dans deux jours si elle arrive à traverser le champ de force. »

Hélas, elle doutait de pouvoir la faire changer d’avis, que ce soit par les mots ou par la force. Par acquis de conscience, elle lui envoya tout de même un message pour lui rappeler de ne pas chercher la confrontation ainsi qu’une consigne d’en faire de même avec Marchesi.

« Bref. L’idée d’obéir aux ordres d’Anubis comme de bons petits larbins ne m’enchante guère ; même si son héraut a raison et que c’est « nous » qui sommes en faute, sa réaction est complètement disproportionnée et affecte des gens qui n’ont rien à voir avec ça. Typique de la plupart des divinités. Mais si nous voulons régler ça avec un minimum de victimes, j’ai l’impression qu’il va falloir s’y résoudre. »

Si ça ne tenait qu’à elle, elle préférerait largement combattre le Dieu Chacal, mais dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Elle tourna la tête vers une tente toute proche, où un écran affichait l’image des effigies conjurées par le Nécrosphynx, capturées par toutes les caméras qui s’étaient braquées sur lui dès son apparition.

« Ce n’est pas l’armure d’Andromède ? Je crois que vos collègues vous doivent une explication – bonne chance pour les retombées médiatiques, d'ailleurs. Et ça c’est un Marina, si je ne m’abuse… ça risque d’être plus compliqué, ça fait des mois que personne ne les a plus vus. »

Voilà que le pseudo-groupe se délitait tout à coup, entre la Spectre partie sans rien dire de son côté, avec un parchemin mystique destiné à l'empêcher d'être possédée par Anubis -attendez, quoi ?- et la consœur visiblement pas la plus futée de Zhihao qui insultait un dieu égyptien avec une blague tout sauf subtile avant de se laisser interrompre par un message de sa sœur... Bien sûr être en mission ne voulait pas dire être coupé du monde extérieur mais le moment était vraiment mal choisi.

C'est alors que l'inattendu se produisit, à travers le ciel, à travers le sable, au sein du champ de force, attirant tous les regards et les oreilles. L'homme, ou la créature, qui se tenait là ne plaisantait pas, elle, et son ultimatum parfaitement clair fit se tendre le Lion d'or quand il reconnut la silhouette du chevalier d'Andromède. Il ne manquait plus que ça. Aucun rapport n'avait mentionné ce "vol" ou une quelconque présence d'Anubis à sa connaissance, ni par le biais d'Hakon ni de qui que ce fût d'autre. Il allait devoir appeler le Sanctuaire d'urgence pour avoir confirmation de cet état de fait, ou dans le cas contraire, des informations sur l'emplacement actuel du morceau de tablette censé être en possession des Saints, ainsi que peut-être ceux des Asgardiens si un contact avec eux était possible. Historiquement, les royaumes du nord et le Sanctuaire entretenaient de bons rapports, alors peut-être qu'un dialogue serait possible, si cela permettait entre autres de sauver les territoires en question et peut-être même la planète toute entière.

"Personnellement les retombées médiatiques ne m'intéressent pas plus que cela. Je laisse le soin à ceux dont c'est le métier de s'en occuper. Par contre la perspective d'innombrables vies humaines balayées pour le vol d'une série de tablettes, fussent-elles sacrées, me plaît beaucoup moins."

Azir détacha son regard du dôme lumineux entourant la pyramide alors que celui-ci se fondait à nouveau lentement dans l'invisible pour le reposer sur son interlocutrice.

"Le problème qu'on va avoir, c'est que le dernier Saint d'Andromède en date est mort... Il va falloir que je vérifie si quelqu'un au Sanctuaire en sait plus au sujet de cette tablette. Et même si nous la possédons encore, comme vous dites les Marinas seront un problème eux aussi. Je n'en sais pas plus pour les Ases."

Le Saint serra les poings. La partie n'était pas perdue d'avance, mais certainement pas aisée pour autant.

"Je m'excuse, mais j'ai des coups de fil urgents à passer. Je vous dis à plus tard, Zhihao. Nul doute que nous nous reverrons rapidement."

Il la salua d'un geste de la tête, bien décidé à se rendre à grandes enjambées vers le campement Saint.

C’était maintenant au tour d’Azir de l’abandonner, sauf que contrairement aux deux autres cette action était motivée par l’appel du devoir. Dommage tout de même, pour une fois qu’il y avait un chevalier dont elle pouvait supporter la compagnie… mais c’était la bonne décision : le temps leur était compté, et il était devenu nécessaire de se répartir les tâches. À lui d’aller récolter des informations auprès de sa faction, à elle de voir ce que les scientifiques n’ayant pas la chance d’être dans le secret des Dieux avaient à leur dire.

S’ils avaient de la chance, peut-être que la fameuse tablette se trouvait dans une chambre forte du Sanctuaire – ou l’équivalent dont ils se servaient pour entreposer leurs prises de guerre – et que toute cette histoire serait promptement réglée avec le retour de l’artefact. Toutefois, elle n’avait jamais été particulièrement chanceuse ; il leur faudrait plus probablement se contenter d’un rapport de mission de feu le porteur d’Andromède. Quant à l’objet lui-même… le rendre à son propriétaire ne devrait pas être trop compliqué s’il avait été ramené à Asgard ; deux des quatre combattants à l’origine de ce fiasco portaient la livrée des guerriers nordiques, c’était donc tout à fait possible. S’il se trouvait dans le domaine de Poséidon par contre, cela serait beaucoup plus difficile. Et bien sûr, il se pourrait également que chacun de ces quatre inconscients ait voulu ramener un bout de trophée chez lui, auquel cas il faudrait fouiller un minimum de trois endroits différents séparés par des milliers de kilomètres en moins de deux jours et prier très fort qu’Anubis ne leur tienne pas rigueur d’avoir brisé sa précieuse tablette. Joie.

Mais avant cela et puisqu’elle avait quelques minutes devant elle, elle avait son propre rapport à faire ; elle trouva donc un recoin du camp où elle ne serait pas dérangée, dégaina son téléphone et s’en servit pour contacter la Confrérie Noire afin de leur faire savoir dans quel pétrin leurs deux envoyées s’étaient fourrées.

Un quart d’heure plus tard, l’électrokinésiste acheva sa téléconférence inopinée avec une assemblée de pontes au bord de la crise de nerfs – mais aucun Seigneur Noir ; jamais là quand on avait besoin d’eux, ceux-là – après que les participants aient réussi à atteindre un semblant de consensus. Tout le monde était d’accord pour dire qu’elles avaient largement dépassé les paramètres de la mission initiale et que tout cela commençait à sentir le sapin. Cependant, ils étaient également d’accord pour dire qu’elles ne pouvaient pas se débiner. Tout d’abord parce que personne n’avait envie de savoir ce qu’il se passerait si elles laissaient tomber une mission confiée par une magicienne. Et ensuite parce que ce n’était plus simplement leur réputation auprès d’une misérable bande de gangsters qui était en jeu, mais leur réputation auprès des autres ordres d’éveillés, voire même du monde entier ! Les Chevaliers Noirs n’étaient pas des héros, certes, mais de quoi auraient-ils l’air s’ils prenaient la poudre d’escampette ?

Les plus audacieux du lot ne s’arrêtèrent pas là, car ils pensaient pouvoir transformer cette crise en opportunité. Si l’Ordre Noir jouait bien son coup, disaient-ils, il pourrait simultanément redorer son blason après la catastrophe Reagan et améliorer son image auprès de ceux qui adhéraient aux idées de ce même Reagan en aidant à réparer les dégâts causés par les actions inconsidérées des factions divines, le tout en faisant la publicité de ses mercenaires !

Zhihao trouvait que ces gens-là allaient un peu vite en besogne, et elle n’était pas la seule. Les réalistes réussirent à calmer les ardeurs de leurs collègues en leur rappelant qu’il ne fallait pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et qu’aucun Seigneur Noir n’avait encore donné son assentiment à ce plan. À défaut de pouvoir lui donner de véritables instructions, les huiles de Death Queen Island l’autorisèrent à continuer de faire ce qu’elle faisait déjà pour le moment ; ils la rappelleraient dans quelques heures, après avoir contacté les Neuf et être parvenus à une décision définitive.

S’étant occupée de ces ennuyeuses formalités, la Boussole se remit en mouvement vers sa destination d’origine. Elle reconnaissait les gardes en faction à l’entrée de la section centrale du camp, elle les avait déjà croisés plusieurs fois lors de séances d’entraînement avant de partir en mission à Death Queen Island – Noureyev et Andronikashvili, si sa mémoire était bonne. Des collègues donc, qui jouèrent néanmoins leur rôle à la perfection en raffermissant calmement leur prise sur leurs armes et en la sommant d’expliquer les raisons de sa présence. Elle s’exécuta immédiatement : « Je suis Zhihao de la Boussole Noire ; je souhaiterais m’entretenir avec vos scientifiques. Un accord a été conclu avec les Saints et les Spectres, nous sommes là pour aider et je suis venue voir si vous aviez des informations utiles. »

L’un des deux hommes leva une main vers son oreillette, eut un court échange avec son supérieur puis répondit par l’affirmative : « Vous pouvez entrer, mais vous devrez laisser tout votre équipement ici. Compris ? »

L’asiatique obtempéra une fois de plus, leur confiant le sac contenant son armure, se délestant de ses armes, de sa cotte de maille et acceptant de se soumettre à une fouille au corps, laquelle servit de prétexte au soldat en charge de l’inspection pour lui signifier, à l’aide du même système de communication tactile dont elle s’était servie à deux reprises avec la Mante, qu’il avait bien reçu son message. À savoir, que le fait qu’elle se soit présentée comme un Chevalier Noir et non comme une agente de l’alliance – même à voix basse alors qu’il n’y avait personne d’autre pour l’entendre, et alors même que Tetragrammaton avait mis l’officier en charge du camp au courant de sa présence à la seconde où elle était sortie du sous-sol où Madame Z l’avait téléportée – voulait dire qu’il était possible que quelqu’un les observe ou les écoute en ce moment-même, qu'ils devaient faire comme s'ils ne la connaissaient pas et qu’aucune référence à sa véritable identité ne devrait être faite lors de ce qui allait suivre. Comme convenu lorsque ces procédures avaient été mises en place avant son départ...

« C’est bon, passez devant. » fit le soldat en terminant son inspection, lui et son collègue prenant place derrière elle en position d’escorte tandis que deux autres vigiles les remplaçaient à leur poste.



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