A peine le téléphone du manoir raccroché, en un et un seul claquement de doigt la guerrière de l’Ordre noir, ainsi que son compère d’or du Lion, furent instantanément téléportés auprès de la bien nommée Zlatanna.

Les deux éveillés se retrouvèrent dans une ambiance des mille et une nuits, un salon aux murs ornementés de draperies colorées, une pièce richement décorée parmi laquelle trônaient de nombreuses tables basses entourées de coussins en soie aux couleurs vives et variées. Sur les tables étaient positionnés des narguilés, pour certains fumants, dont les vapeurs fruitées et acidulées entremêlées emplissaient l’atmosphère. Une douce mélopée orientale berçait les lieux sans que son origine ne puisse être clairement identifiée. Madame Z. était assise à l’une des tables du fond en compagnie de la petite Angelika, alors que le fidèle majordome s’afférait à servir un thé sucré à la menthe dont raffolait la sexagénaire. La petite bande était vêtue de circonstance, en mode Jasmine pour les filles, avec un homme d’intérieur en costume de lin noir, une chemise blanche en coton, et un fez en guise de coiffe.

- « Ah, mes petits choux ! Vous tombez à point nommé : c’est l’heure du thé ! », s’exclama la mystique en affichant un large sourire.

Quatre tasses étaient disposées sur la table, chacune à un des points cardinaux. Thé pour tout le monde, sauf pour la petite fille qui avait le droit un délicieux chocolat chaud. Le tout était accompagné de succulentes pâtisseries orientales. En y regardant de plus près, il était possible de remarquer que la théière était posée sur un objet en pierre gravée de symboles aussi antiques qu’indéchiffrables, un objet en pierre qui ressemblait à s’y méprendre à un morceau d’une certaine tablette réclamée par un certain Our, tout droit sorti d’une certaine pyramide, très certainement égyptienne, il y a un certain temps à peine…

Comme elle pouvait s’y attendre, les deux invités n’étaient aussi ravis qu’elle de cette ambiance orientale pourtant fort sympathique (selon ses propres critères). En vérité, ce que pensaient les deux énergumènes d’éveillés lui importait peu car ils avaient besoin d’elle et en ce lieu, c’est bien elle qui fixait les règles et non l’inverse.

- « Mes choux, je ne vous veux aucun mal et la première de la classe le sait bien. Par contre, après la petite crise de la furie je me vois dans l’obligation de prendre quelques précautions pour ma propre sécurité, et surtout la vôtre. », annonça la thaumaturge sur un ton qui ne souffrait aucune équivoque sur ce qu’il pourrait advenir du premier qui se montrerait hostile.

Le majordome acquiesça de la tête, tout en fixant ce qu’il considérait comme deux cafards à exterminer. Malheureusement, il savait que sa maîtresse ne lui donnerait jamais l’ordre de passer à l’acte, pas avec ses deux-là en tout cas…

- « Donc, je suis la providence même qui vous apporte une solution à vos problèmes sur un plateau d’argent, ou de pierre égyptienne en l’occurrence. En échange, je vous demande juste de prendre le thé avec une vieille dame et sa petite fille chérie : ce n’est pas cher payé au regard des enjeux n’est-ce pas ? », enchaina-t-elle en faisant ses yeux de chat supplicateur.

En examinant plus avant l’asiatique, elle avait presque peine pour elle à la vue de toutes les cicatrices ornementant son corps athlétique. Elle prit cette dernière en pitié et exauça son vœu d’un claquement de doigt, en partie tout du moins. Zhihao se retrouva vêtue du même costume que le Saint ; avec son petit fez en prime ; elle avait un air de choupinette qui aurait bien mérité un petit selfie sur les réseaux sociaux.

- « C’est mieux ! Vous récupèrerez vos apparences normales au sortir de cette pièce. Et arrête de stresser mon petit chaton, on ne va pas te la voler ton armure bling bling ! Viens plutôt prendre le goûter ! », déclama avec autorité la sexagénaire.

Avant de se lancer dans quelques explications, la vieille dame savoura deux gorgées de ce sublime thé à la menthe. Ernst savait y faire dès qu’il s’agissait de préparer un petit en-cas. Même la turbulente Angelika devenait sage dès qu’arrivait l’heure du goûter…

- « Bon, maintenant les choses sérieuses. Vous allez sceller Anubis avant qu’il ne vienne foutre la merde dans notre monde pourri. Pour ça, il faut reconstituer le livre des morts, qui est en fait une tablette comme vous le savez sans doute déjà. Sa plus grande source de pouvoir est aussi sa plus grande faiblesse. », dit-elle sans détour.

- « Je vous donne la première partie du livre. Elle était au fond de l’océan atlantique, sans protection, ce qui m’a permis de la téléporter jusqu’à moi sans aucune difficulté. Les quatre garnements ne l’ont pas vraiment volée mais l’ont plutôt mise hors d’atteinte d’un groupuscule mystique peu recommandable qui a bien failli provoquer la destruction de notre réalité. Bref, j’ai réactivé le pouvoir de ce fragment et il vous mènera aux autres. Les trois derniers fragments sont protégés ; par déduction vous devinerez aisément qu’ils sont sur des territoires divins. Cette partie agira comme un aimant lorsque vous serez sur le bon territoire. », expliqua Zlatanna en agrémentant son discours de quelques gestes dans le vide.

- « Une fois reconstituée, la tablette recouvrera son pouvoir originel et vous pourrez vous en servir comme cheval de Troie pour pénétrer dans le périmètre de la pyramide. Our sera obligé de vous laisser entrer pour récupérer le fétiche de son maître. Une fois à l’intérieur de l’enceinte, il ne vous restera plus qu’à faire ce que vous faite de mieux : tout casser. Après, vous placerez la tablette sur le piédestal en face du portail inter-dimensionnel menant au royaume d’Anubis. J’ai pris soin de trafiquer subtilement la magye de la tablette pour qu’un sortilège de ma composition se déclenche le moment opportun et verrouille le portail. Un conseil, ne franchissez pas celui-ci ou c’est bye bye la vie, et la non-vie puisque votre âme serait sans doute dévorée. Donc pour la rigolote et l’idiote du village, je compte sur vous pour les tenir en laisse. », continua la magicienne.

Elle laissa du temps aux deux nigauds pour digérer toutes ces informations, le temps de savourer un petit biscuit sec aux figues confites.

« Des questions ? »

La maîtresse des arts occultes écoutait les récriminations du chevalier d’or tout en buvant son délicieux breuvage à la menthe. Quand le garçon à la chevelure d’or eut fini sa déclamation, elle se leva d’un trait et applaudit avec vigueur.

« Bravo ! C’était magnifique ! Tant de ferveur et de conviction, ça force le respect ! », s’exclama la dame sur un ton railleur.

Le majordome souffla en guise d’impatience. Il exécrait au plus haut point toutes ces niaiseries, attendant patiemment l’instant où sa maîtresse en aurait marre de s’amuser et révèlerait enfin son vrai visage, cet instant si jouissif où il pourrait enfin rabaisser leur caquet, définitivement, à tous ces piaillards. En attendant, il servit une nouvelle tasse de thé à la sexagénaire.

- « Dis Maman, il m’énerve lui : je peux le tuer ? », demanda nonchalamment la petite tête blonde, une moustache de chocolat peinte au-dessus de la bouche.

Zlatanna secoua la tête en jetant un regard noir à la petite fille. Il n’en fallut pas plus pour que cette dernière baisse la tête et retourne à son goûter.

- « Excusez-là, la politesse et elle ça fait deux. Ha, les enfants… Vous savez comment ils sont. », dit-elle tout simplement, comme s’il était normale qu’une enfant de son âge tienne ce genre de propos.

La première de la classe questionnait encore et encore, ça en devenait presque pénible à la fin. Mais quoi de plus naturel pour un être humain : la curiosité était leur essence même, à la fois leur plus grande qualité et leur plus grand défaut.

- « ‘Miss je sais tout’, il y a des choses en ce monde que tu n’as pas envie de savoir et encore moins de voir. Crois-moi sur parole, ta santé mentale ne s’en remettrait pas… Je suis une gardienne à ma manière et mon activité n’était pas censée croiser la vôtre, sauf quand il s’agit des égyptiens, les inventeurs de la maîtrise macro-cosmique. Donc, pour répondre à ta question, vous n’aviez pas à être au courant de ce qu’il s’est passé dans ce tombeau. C’est pour ça que les quatre garçons n’ont rien révélé à personne ; enfin, ce n’est pas comme s’ils avaient eu le choix. Ils savaient que s’ils parlaient, il y aurait toujours un dieu ou un éveillé sans scrupules pour tenter de s’accaparer le pouvoir de la tablette, un pouvoir interdit et bien trop instable pour le laisser tomber entre de mauvaises mains. Ils ont vu de leurs propres yeux ce qu’il adviendrait du monde si le livre des morts était perverti :  ils ont ainsi préféré le secret à la loyauté. », expliqua la thaumaturge sur un ton plus grave que d’ordinaire.

- « Bref, vous avez besoin de moi et j’ai besoin de vous. Avant qu’il ne vous vienne à l’esprit des choses insensées, surtout à l’autre morte-vivante là, je vous préviens déjà qu’après toute cette affaire, je ne serais plus qu’un murmure qui s’estompera, comme si la réalité elle-même niait mon existence. Et personne n’y pourra rien, pas même vos maîtres respectifs : si je veux disparaitre, je disparaitrai et nul ne se souviendra jamais que j’ai un jour existé. », poursuivit-elle avant de boire une nouvelle gorgée de thé.

Elle se saisit ensuite du fragment de tablette. Les symboles gravés sur la pierre réagirent au contact de sa main, se mettant à luire d’une lueur noirâtre plutôt inquiétante. Après tout, il s’agissait du livre des morts, pas d’une comptine pour enfants.

- « Ne vous inquiétez pas, j’ai scellé son pouvoir véritable. Un sortilège vous permettra de retrouver les parties manquantes, un peu comme une boussole cosmique. Une fois sur le territoire des Saints et des Ases, ce morceau de tablette attirera à lui ses semblables s’ils sont accessibles ou vous conduira à ces derniers s’ils sont un peu mieux cachés. Il suffira de vous laisser guider, le livre fera le reste. Attention, les fragments fusionneront une fois rassemblés. Ça ne passera pas inaperçu, alors évitez de faire ça en pleine fête foraine… », décrit Zlatanna.

- « Quant à votre rôle et celui de vos camarades d’infortune, je crois que vous avez déjà deviné en quoi il consistera. Le premier lieutenant d’Anubis ne se laissera pas subjuguer par des petits subterfuges minables ; il y a de fortes chances que la remise se déroule dans la pyramide, là où il sera le plus à son avantage. Et ça tombe bien, car pour sceller le portail vers le monde des morts, c’est bien à l’intérieur de la pyramide qu’il faudra vous trouver… », enchérit-elle.

A l’issue de ses explications, elle tendit la tablette au chevalier d’or, celui qui semblait être le moins sournois ou idiot de la bande ; ou tout du moins celui avec le sens moral le plus affirmé, donc celui qui ferait ce qui s’imposait pour le salut du monde.

- « Allez, au boulot les enfants ! Je croise les doigts pour votre réussite ! », s’exclama la dame en déployant de nouveau ses pouvoirs pour renvoyer ses invités à l’endroit et à l’instant même de leur disparition.

Ils recouvrèrent leur apparence et effets initiaux, comme si la rencontre avec la magicienne n’était qu’un mauvais rêve. Azir du Lion détenait désormais la tablette et une partie du futur dans ses mains…