La menace semblait passée aussi vite qu'elle était apparue. Hruodland, encore une fois, en était la source, amenant sur le visage du Lion une expression de désapprobation. Lorsqu'il signala la fin de son étrange malaise, Azir adressa simplement un signe de tête vers les gardes en alerte un peu plus loin, puis ne tergiversa pas plus pour déguerpir de là en direction du point de rendez-vous convenu avec Oblivion. Il lui faudrait parler aux apprentis après ce qu'il venait de se passer. Et cela aurait été l'occasion de pratiquer l'exercice d'évacuation mis en place par ses soins dans le protocole de sécurité de la Palestre.

Une poignée de minutes après, ils se retrouvaient de nouveau transportés, désorientés un moment puis réassemblés dans un pays bien différent. Si le Lion d'or avait entendu parler des conditions climatiques extrêmes d'Asgard, le courant d'air glacial qui secoua ses cheveux et s'infiltra dans ses membres lui fit prendre la mesure de la différence réellement énorme avec la température grecque. Par réflexe, aussitôt, il intensifia son cosmos de manière à palier la brusque baisse dont son corps n'avait pas l'habitude.

Ici le guerrier divin se trouvait sur son territoire, il fallait la jouer fine si Zhihao et lui voulaient le contenir -ne fût-ce que pour leur propre sécurité, probablement aussi pour celle des Asgardiens s'il y en avait proches.

"Asgard est donc l'un des neuf royaumes de Nordheim ? J'avoue que je ne suis pas très informé sur la géographie et la géopolitique dans cette région..."

Le regard balayant le décor de façon curieuse, Azir pensa tout de même à incliner la tête à l'attention des gardes, puis observa avec une certaine humilité l'immense mur de glace qui délimitait la frontière. Un édifice qui avait dû être pénible à édifier, et nécessiter beaucoup de main-d’œuvre... à moins qu'un dieu ou une déesse s'en fût mêlé.

"Hum... Les deux morceaux ne pointent pas dans la même direction. Mais celui-ci semble attiré plus fort. Vers... cette montagne là-bas."

Il désigna du menton le volcan a priori endormi qu'on voyait à l'horizon.

"Je suppose que cela signifie que ce morceau est plus près que l'autre, donc autant commencer par là. Mais euh... Sommes-nous libres de circuler Zhihao et moi ? La personne que vous avez appelée tout à l'heure se suffit de nos noms et notre armure ? Cela me convient tout à fait si nous gagnons du temps hein, bien sûr."

Il guetta la réaction de la Chinoise.

Le choc thermique provoqué par le rapide passage d’un environnement méditerranéen ensoleillé aux étendues polaires de l’extrême nord de la Scandinavie fut particulièrement brutal, mais Zhihao s’efforça de voir le bon côté des choses : au moins elle avait une excuse pour se servir de son cosmos. Sauf que là où le Lion d’Or se servait seulement du sien pour se réchauffer, la militaire en profita pour infiltrer son énergie dans le permafrost afin d’en extraire et d’en assimiler les éléments minéraux dont elle aurait grand besoin si elle ne voulait pas souffrir d’une carence potentiellement fatale dans les prochaines heures. Car en effet, les nanomachines que la scientifique lui avait injectées avaient besoin de beaucoup de ressources pour s’auto-répliquer et n’étaient pas assez évoluées pour mettre fin au processus au cas où cela nuirait à l’organisme-hôte. Pas étonnant que tant de gens soient morts après avoir reçu l’injection… sans blague, à quoi pensait-elle, à se servir aussi imprudemment d’une technologie expérimentale ?!

La Boussole mit fin à ses récriminations intérieures et suivit le reste du groupe en direction de l’imposant rempart délimitant le domaine des divinités nordiques. Ce faisant, elle ne put qu’approuver les propos d’Azir : il était toujours difficile de trouver des informations au sujet des factions d’éveillés, mais c’était encore plus vrai dans le cas des Neuf Royaumes. Entre leur éloignement, leur isolationnisme, leur faible recours à la technologie et le fait que la majeure partie de leur territoire ne pouvait même pas être observée depuis l’espace, elle en savait très peu à leur sujet.

« Impressionnant. » fit-elle lorsqu’ils arrivèrent au pied du titanesque édifice. « Je me demande pourquoi ils ont choisi de bâtir une telle fortification. Ça ne vous semble pas un peu excessif ? »

L’asiatique était curieuse de savoir quelles autres défenses complétaient cette muraille ; cela ne pouvait pas être qu’un énorme tas de glace, autrement cela ne suffirait jamais à faire obstacle à un chevalier digne de ce nom. Hélas, il ne fallait pas s’attendre à ce que les gardes acceptent de révéler ce genre de secrets militaires.

Et en parlant des gardes, l’échange auquel l’un d’eux se livra avec le Guerrier Divin lui arracha une sueur froide. La scène aurait presque pu être comique, sauf qu’elle avait peur que l’irascible Hruodland n’explose – au sens propre comme au figuré – face à cette nouvelle contrariété. Elle fut donc agréablement surprise de voir qu’elle s’était inquiétée pour rien.

« Il m’a fait peur, l’espace d’un instant... » marmonna-t-elle tout en traversant le tunnel foré dans le mur de glace, non sans avoir d’abord salué les sentinelles comme l’avaient fait les deux autres. Une fois de l’autre côté, ils purent admirer un paysage dégagé au premier plan duquel se trouvait un modeste village, sur fond de vastes forêts enneigées et de hautes montagnes dont la silhouette se découpait sur les cieux gris. Et c’était vers l’une de ces montagnes que la tablette semblait vouloir les guider à présent.

« Excellente question. » répliqua l’électrokinésiste à la remarque du Saint. « Nous pourrions couvrir davantage de terrain et récupérer plus vite les derniers fragments en nous séparant, mais au moins l’un de nous se retrouverait seul sans Hruodland pour justifier sa présence. Pensez-vous que vos collègues ont eu le temps d’être prévenus que nous avons nos raisons d’être ici et que nous ne venons pas chercher les ennuis ? »

"Je suis là pour cette raison."

L'écho sorti de nulle trouva son auteure en la personne d'une jeune femme vraisemblablement dissimulée jusque-là, et qui apparut à quelques pas devant, habillée avec la légèreté d'un été du Sud. De longs cheveux blonds qui n'avaient rien à envier à ceux d'Azir encadraient un regard bleu glace et un visage aux lignes pures et gracieuses. Vraisemblablement très à l'aise malgré la température polaire, elle n'émettait pas de cosmos.

"Je suis Uskyld de Delta. J'accompagnerai l'un de vous pendant que l'autre suivra Hruodland. L'objectif étant de ne pas perdre de temps, je vous prierais de faire rapidement vos binômes comme vous l'entendez. Vous avez le droit de passage sur nos terres pour la durée de cette mission et nous assurerons votre protection si un problème devait survenir."

Elle adressa un sourire au Franc. Si elle s'en tenait aux informations qu'elle détenait jusque-là, il n'avait pas créé de vagues malgré son décalage temporel. Mieux encore, il avait parfaitement assimilé l'usage du téléphone, malgré l'impatience qu'il avait montrée lors de leur rencontre. Cela ne coûtait rien de l'encourager à poursuivre de la sorte, même si c'était seulement un signe de tête. Lorsque les paires furent formées, une tablette échouant à Zhihao et l'autre à Azir puisqu'ils avaient tous deux reçu les instructions pour de la part de Zlatanna, la déesse choisit l'équipe de la tablette la plus éloignée, pressentant que ses dons pourraient être utiles si le fragment à retrouver se situait dans une zone difficile d'accès.

"Je vous propose ceci : quand l'une ou l'autre équipe a retrouvé son fragment, revenons ici directement. Cela évitera des détours inutiles et les premiers pourront prendre le temps de se réchauffer en attendant les autres."

L'arrivée inopinée d'une nouvelle protagoniste coupa court aux questions de circulation qui préoccupaient les deux étrangers en ces terres, sans manquer d'en soulever de nouvelles, comme par exemple : comment se faisait-il qu'Azir n'ait pas ressenti sa présence plus vite ? Ses sens étaient suffisamment aiguisés pour le prémunir de la plupart des mauvaises surprises que réservaient généralement pièges et embuscades, même si les détecter ni signifiait pas toujours les éviter. En revanche cette femme avait échappé à l'un comme à l'autre, remarquablement furtive dans son approche... A moins qu'il ait été témoin d'une téléportation pour la première fois d'un œil extérieur ? Quand même, il aurait dû sentir son cosmos se déporter...

"Si nous avons l'aval d'Odin alors tout va bien je suppose. Enchanté Dame Uskyld, je suis Azir, chevalier d'or du Lion."

Et avant qu'il ait pu en rajouter plus, Hruodland avait déjà choisi de partir vers la montagne enneigée, le choisissant comme coéquipier pour sa vitesse. Mais pourquoi diable sa vitesse serait un atout sur de la glace ? Il risquait surtout de se tordre le cou oui !

"Bon je n'ai visiblement le choix... Je vous laisse entre femmes."

Il tendit le morceau de tablette que Zlatanna lui avait remis pendant leur petit séjour improvisé dans les Mille et une nuits, raffermissant sa prise sur l'autre pour lui éviter de glisser.

"Il suffit de laisser vous tirer sur le bras, ce n'est pas très invasif. A tout à l'heure !"

Avec un peu de retard, il partit donc sur les traces du guerrier divin. Un peu moins d'empressement aussi, car peu habitué à la glace et la neige, il craignait de marquer un faux pas et se blesser inutilement. Quand il parvint environ une petite minute après le Franc en haut de la montagne, il se rendit compte qu'il s'agissait en fait d'un volcan, et de surcroît toujours en activité si l'on en croyait les lacs de lave miniatures visibles au fond. Il se figea un instant, les souvenirs de la mort d'Athena et d'un certain nombre de ses compagnons d'armes refaisant surface. Pas qu'il était particulièrement proche d'eux, c'étaient même plus des étrangers qu'autre chose mais... L'image du Titan enchaîné tant bien que mal était toujours là. Sa visite à la sphinx et à Charon également. Le contrat passé avec ce dernier surtout.

Question température, il était pour lui bien plus supportable de subir l'intense chaleur que le froid mordant du dehors, c'était toujours ça de gagner -et un peu de cosmos épargné si besoin.

"Un instant... Elle se remet à réagir en direction de celle de Zhihao, il faut que je puisse bien distinguer les deux..."

Tendant le morceau de pierre devant lui, il fit quelques pas en avant, puis en cercle lentement. Il y avait bien une source près d'ici, mais comme... floue.

"J'ai l'impression que cela vient d'en bas... Dans la lave ? Cet objet serait assez puissant pour résister à la fusion ?"

Un regard sceptique en direction de Hruodland, il essaya d'anticiper quel plan surréaliste et dangereux celui-ci allait bien pouvoir lui soumettre -ou mettre à exécution sans lui demander.

"Je vous préviens, je ne plonge pas, je ne veux pas finir en barbecue. Et la tablette ne peut probablement pas attirer l'autre comme un aimant. Trop facile. Sinon il faudrait "vider" le volcan, mais à moins d'avoir des équipements adéquats pour faire cela en quelques minutes et un endroit où la stocker qui ne mette pas en danger votre peuple, je ne pense pas que ce soit une option non plus. Par contre si vous me dites que vous connaissez un Moïse pyromancien..."

La militaire ne se rendit compte de la présence d’Uskyld qu’un instant avant que celle-ci ne mette fin à l’artifice qui la dissimulait aux regards pour apporter la réponse à sa question. Une fois de plus, elle fut bien obligée d’admettre qu’il lui restait énormément de progrès à faire pour se montrer à la hauteur des attentes de ses supérieurs. Qui avait besoin d’une espionne qui se laissait si facilement surprendre ?

« Zhihao de la Boussole Noire. Enchantée également. » se présenta-t-elle succinctement à la suite d’Azir. Puisqu’il était prévu que chacun des deux étrangers se retrouve en compagnie d’un Ase, elle s’apprêtait à proposer que le Lion fasse équipe avec Hruodland afin de ne pas se retrouver deux fois de suite seule avec la bombe à retardement. Elle n’eut cependant pas à le faire car la bombe à retardement en question décida d’elle-même de faire du chevalier son binôme – sans lui demander son avis bien sûr – et bondit immédiatement en direction du volcan, soulevant au passage une grande gerbe de neige qui manqua de peu de retomber sur les trois autres éveillés.

« Bon courage et bonne chance, j’ai l’impression que vous en aurez besoin. » fit-elle en acceptant le fragment de tablette des mains du Lion. Effectivement, la force qu’exerçait l’objet était bien moindre que pour celui que le guerrier d’Athéna conservait en sa possession ; cela voulait sans doute dire que le second morceau caché à Asgard devait se trouver plus loin que le premier.

Une seconde et une impulsion cosmique plus tard et l’asiatique se retrouva seule avec la porteuse de Delta. La jeune femme n’était certes pas aussi intimidante que l’ancien Marina, mais Zhihao ne baissa pas sa garde pour autant car loin de la faire paraître inoffensive, sa tenue ne réussissait qu’à la mettre en alerte. Passe encore qu’elle ne porte pas son armure en présence d’une éveillée inconnue, cela pouvait être la marque d’une grande confiance en ses capacités mais pouvait tout aussi bien signifier qu’elle se montrait diplomate. Par contre, même le plus puissant des chevaliers n’était au final qu’un humain fait de chair et de sang, et la résistance au froid d’un être humain avait ses limites ; à moins que ce ne soit de l’antigel qui coule dans ses veines, Uskyld devait être une éveillée particulièrement habile pour pouvoir se protéger de ce climat polaire sans laisser filtrer la plus infime fraction de son aura.

« D’accord, on dirait que c’est par là. Si vous voulez bien me suivre... »

L’électrokinésiste se tourna dans la direction indiquée par la boussole de pierre et accéléra à son tour, de façon toutefois plus mesurée que ne l’avait fait Hruodland. Le paysage autour d’elle se mua en une succession de formes indistinctes alors qu’elle traversait forêts, rivières et reliefs à la vitesse de l’éclair sans qu’aucun obstacle ne parvienne à la ralentir. Elle s’immobilisa lorsqu’elle jugea l’attraction de la tablette suffisamment forte pour indiquer que le prochain fragment se trouvait à proximité soit… quelque part sous terre dans cette toundra battue par les vents à des kilomètres de la civilisation, puisque son « détecteur » semblait pointer vers le bas. Et comme l’ex-Léviathan n’était pas là pour l’entendre, autant joindre l’utile à l’agréable.

« Dame Uskyld, pardonnez-moi, j’ai conscience qu’en tant qu’étrangère je n’ai aucunement le droit de critiquer la façon dont Odin gère ses troupes, mais je dois vous rapporter un problème avec Hruodland. Plusieurs problèmes, même. »

La moindre des choses qu'on pouvait dire était que le guerrier divin, puis le Saint d'Athéna à sa suite, avaient le sang chaud et de l'énergie à revendre pour faire preuve d'un tel empressement tout juste arrivés d’Égypte et en pleine neige. Hel les regarda disparaître rapidement, leurs cosmos toujours perceptibles, puis se tourna vers la Chinoise dont les instructions avaient l'air simples et claires. D'un signe de tête, elle se posta à ses côtés et la suivit pratiquement comme son ombre. Elles s'enfonçaient dans le territoire sans paraître se diriger vers une zone définie comme le volcan pour les deux autres. A quoi avait pensé le guerrier divin en possession du morceau de tablette en venant par ici ? Elle pouvait bien tenter d'atteindre son esprit quelque part dans l'un des trois aux-delà scandinaves, mais une capacité aussi précise devait nécessiter beaucoup plus de préparatifs pour une simple mortelle, et cela la trahirait.

Pourtant, à sa grande surprise, Zhihao n'indiqua pas leur destination lors de sa prise de parole suivante. Des problèmes ? Avec Hruodland ? Voilà qui s'annonçait bien. Le guerrier d'Asgard avait pourtant eu l'air jusque-là de tenir son rang : rien aux informations n'avait laissé entendre qu'il avait tout dévasté comme il l'avait suggéré, et si son caractère pouvait facilement devenir agressif, notamment par rapport à sa perte de mémoire et aux fragments qui lui revenaient possiblement par moments, l'attitude de ses deux compagnons d'infortune n'avait pas laissé paraître autant de discorde qu'elle aurait cru.

"Je ne sais pas si je suis la mieux placée pour entendre vos doléances, mais en temps que représentante de Nordheim avec les étrangers, je peux au moins vous écouter. Sachez toutefois que selon la teneur des propos que vous allez tenir, il est possible que j'en informe Hruodland par la suite pour avoir sa version de l'histoire également..."

Bien évidemment la reine de Helheim se doutait que le séjour du Nordique dans les terres désertiques n'allait pas se passer sans accroc. De là à être prise à parti sitôt l'homme perdu de vue, elle avait peut-être sous-estimé sa capacité à causer des troubles.

"Parlez ouvertement et sans prendre de gants, je préfère éviter toute méprise plutôt que ménager notre ego."

Le blondinet craignit le pire en entendant Hruodland se mettre à rire. Soit il avait perdu l'esprit, soit il avait -encore- ses drôles de voix en tête qui lui soufflaient des idées peu recommandables, soit il avait pris Azir aux mots, et vu les plans proposés c'était sans doute une mauvaise chose. Malgré tout ils sondèrent les profondeurs ensemble, jusqu'à repérer plusieurs sources d'énergie qui pouvaient correspondre.

Voyant le guerrier divin lever le bras au-dessus de sa tête, il s'attendait presque à l'entendre crier "EXCALIBUR" et pouvoir le découper en rondelles comme avait pu le faire Athena à l'entraînement. Sauf qu'il ne s'agissait pas de l'ancienne Capricorne et que Hruodland abaissa son bras presque en même temps qu'il donnait ses instructions. Quelle idée avait-il retenue dans le flots de conneries débitées par dépit du Lion d'or ? Et pourquoi courir ? Il ne comptait tout de même pas... avec son épée...

"Inch Allah !"

Il eut tout juste le temps de poser son morceau de tablette que déjà la lave commençait à descendre. Son cosmos grimpa alors en flèche et il disparut de tout champ de vision pendant une fraction de seconde, remonta de l'autre côté de la crevasse ainsi exposée, puis revint à son point de départ d'un bond souple et agile. Après-coup, il songea qu'au lieu de se presser de la sorte, il aurait pu redemander à Hruodland de percer la lave. Mais son orgueil en aurait pris un coup. Et puis il était le Lion d'or, le chevalier le plus rapide du zodiaque. Trop facile.

"La prochaine fois, si vous pouviez expliquer votre plan avant de le mettre en pratique. Vraiment avant, que j'aie le temps de comprendre. Enfin bon... Bien joué..."

Il devait avouer que sans cette technique, il n'aurait pas forcément tout de suite trouvé comment faire. Une salve d'éclairs aurait probablement fait gicler la lave en tous sens, sans vraiment ouvrir un chemin net. Autant dire que ses capacités n'étaient pas mises en valeur dans cet environnement.

L’Égyptien récupéra donc le fragment qu'il avait déposé à l'aller et compara les deux. Il semblait effectivement y avoir une connexion entre eux et la sensation familière s'apaisa, pour ne plus pointer que dans la direction qu'avaient empruntée Uskyld et Zhihao.

"Il n'y a plus qu'à regagner le grand mur donc. Mais dites-moi Hruodland... Simple curiosité... Durandal, c'est bien le nom d'une épée mythique, comme Excalibur ? Je croyais qu'elle venait des légendes médiévales de France, pas d'Asgard. Comment se fait-il que vous la possédiez sous cette forme ?"

La porteuse de Delta était prête à l’écouter, c’était encourageant. Même si elle demandait également à Hruodland de raconter sa version des faits, Zhihao pouvait toujours compter sur le témoignage d’Azir pour corroborer ses dires ; il n’y avait donc a priori pas à s’inquiéter.

« Merci de votre sollicitude. Pour poser le contexte, si vous ne le savez pas déjà, la source de tous nos ennuis se trouve dans le temple d’Anubis en Égypte, un lieu protégé par une puissante barrière qui émet une explosion cosmique dévastatrice lorsqu’on tente de la traverser ; la première fois que quelqu’un a tenté le coup, cela a tout détruit dans un rayon de plusieurs kilomètres. »

L’éveillée ne s’arrêta pas d’arpenter le périmètre alors qu’elle parlait. Elle se sentait un peu idiote, à suivre son morceau de tablette ; pourquoi pas une baguette de sourcier, tant qu’y elle était ? Ne voyant aucun signe de l’endroit où pouvait bien être caché le prochain fragment, la neige ayant sans doute recouvert toute trace d’excavation depuis belle lurette, elle se mit à scanner le sous-sol avec ses pouvoirs, à la recherche d’un objet de mêmes dimensions et composition chimique que celui qu’elle tenait à la main.

« Hruodland, quand il est arrivé, a pensé que la meilleure chose à faire était de passer en force. Une Sainte a heureusement réussi à s’interposer, mais il a été difficile de le convaincre de ne pas réessayer, même en faisant remarquer que la barrière avait accumulé beaucoup plus d’énergie depuis la première fois et qu’il n’y avait aucune garantie qu’il pourrait la percer ou survivre à la riposte – ou que nous pourrions y survivre. Il se moquait éperdument des dégâts collatéraux que cela pourrait provoquer : pour lui, si ses actions devaient tuer quelqu’un d’autre, ç’aurait été de la faute des victimes. Je paraphrase mais il nous a également traités de pleutres, de faibles, d’imbéciles et de moutons pour le crime d’avoir voulu faire preuve de prudence et de subtilité, et a menacé de tous nous tuer plutôt que de permettre qu’Anubis retrouve son bien – que nous n’avons aucune intention de lui rendre. » poursuivit-elle, relevant un instant le morceau de tablette afin de montrer quel était le bien en question.

Dans la mesure où l’alliance de circonstance qui s’était constituée pour s’opposer au Chacal était composée de Spectres, de Chevaliers Noirs et de Saints, ces derniers étant censés être des alliés d’Asgard et des protecteurs de l’humanité qui ne devaient guère apprécier qu’on mette inutilement en péril la vie d’innombrables innocents, les actions de l’ex-Léviathan représentaient un dangereux incident diplomatique. L’asiatique ne pouvait qu’espérer que la blonde comprendrait toute la gravité de cette situation.

« De plus, il a bien failli perdre le contrôle de son cosmos quand nous sommes passés au Sanctuaire et nous a avoués qu’il entendait des voix qui le poussent au meurtre et à la destruction. Vous comprendrez que cela ne nous rassure pas, surtout venant de quelqu’un qui a vaincu des chevaliers d’Or par le passé, a terrorisé des pays entiers et a au bas mot le sang de dizaines de milliers de personnes sur les mains. Il ne semble cependant pas se souvenir de ces derniers « détails », et s’il pouvait ne jamais s’en rappeler cela nous arrangerait. Étiez-vous au courant, d’ailleurs ? »

Zhihao cessa de marcher à ce moment-là, car le fragment de tablette lui indiqua qu’elle se trouvait juste au-dessus de sa cible et que ses sens surnuméraires lui rapportaient la présence d’un corps minéral de composition identique et imprégné d’une énergie similaire à plusieurs mètres sous la surface. Il y avait un hic toutefois : sa trouvaille ne semblait pas être de la bonne taille. Afin d’en avoir le cœur net, elle se mit à extraire et manipuler le métal contenu dans la terre, et quelques secondes plus tard une vrille formée de sable de fer jaillit de la couche de neige avant de perdre sa cohésion, dévoilant l’objet pris en son sein : un éclat de pierre à peine assez grand pour accueillir une paire de hiéroglyphes tronqués sur l’une de ses faces.

« Je crois que nous avons un problème. » euphémisa-t-elle lorsque le petit fragment s’envola de lui-même pour rejoindre le grand et s’arrêta à quelques centimètres du bord, lévitant à ce qui devait être son emplacement sur la tablette complétée. Ce diagnostic pessimiste fut aussitôt confirmé puisque la boussole thaumaturgique se mit à pointer vers un nouvel objectif, dans une direction qui n’était certainement pas celle du volcan où s’étaient rendus les deux autres chevaliers.

Uskyld écouta sagement l'exposé de la Boussole pendant qu'elle arpentait la neige sans vraiment avoir de destination définie. Elle dut se retenir d'éclater de rire à deux reprises tant les termes employés par la Chinoise lui faisait penser à ceux d'un enfant qui viendrait pleurer parce que son camarade de classe l'a frappé. Son âge plurimillénaire et les talents d'actrice de son hôte l'aidèrent à rester parfaitement impassible.

"Oh ? Donc, si je résume, vous avez peur de lui et vous souhaitez qu'il ne soit plus envoyé en mission ?"

Prévisible. Mais cette femme se rendait-elle au moins compte de ce qu'elle demandait ? Confiner un guerrier de la trempe de Hruodland revenait au mieux à retarder l'explosion d'une bombe, au pire à priver Nordheim d'un atout considérable -et même si elle ne savait pas, limité.

"Hruodland a son caractère il est vrai. Mais si vous êtes là en un seul morceau ainsi que le Lion d'or, c'est bien parce que vous avez su le raisonner, non ? Qu'attendez-vous d'Odin exactement ? Qu'il exécute son guerrier divin pour insubordination ? Qu'il l'empêche de côtoyer d'autres personnes ?"

Un claquement de doigts suffirait à mettre fin au problème. Pourtant, le Franc avait respecté les consignes qui lui avaient été données, et par respect pour cela, la déesse de la Mort paisible ne pouvait simplement mettre fin à leur contrat. Surtout à cause d'une étrangère. Elle décida de tempérer pour le moment.

"Les insultes que vous vous échangez ne m'intéressent pas. Si les chevaliers noirs et le Sanctuaire veulent nouer un contact diplomatique, qu'ils envoient des représentants officiels pour cela. Je peux tout au plus rappeler à cet homme que décimer des vies à tour de bras ne sera utile à personne sinon aux Enfers grecs. Je peux également aborder ce problème de... "voix" que vous venez d'évoquer. Les consignes qu'il a reçues étaient, si j'ai bonne mémoire, de coopérer pour aboutir à l'éviction d'Anubis des affaires de ce monde et arrêter ses méfaits en terme de moissonnage d'âmes. Ce qu'il est en bonne voie d'accomplir jusque-là si j'en crois vos dires. Le reste est à son appréciation."

Bien sûr il y avait aussi la non-agression convenue avec les Spectres, mais cela ne regardait pas son interlocutrice actuelle. Nordheim était la priorité de Hel. Les autres... ne l'intéressaient que s'ils se soumettaient à son autorité exclusive.

"J'en ai entendu parler oui. Une sorte d'amnésie partielle. Mais la mémoire est un domaine vaste et complexe, hors de ma portée et de bons nombres de chevaliers. Je n'ai aucun pouvoir là-dessus. Et si Odin en a un, il ne m'a pas dit ce qu'il compte faire à ce sujet. Donc, évitez simplement de lui rappeler qui il était, ou préparez-vous au pire. C'est le seul conseil que j'ai à donner."

La mise au point effectuée, les voilà qui revenaient à un problème plus immédiat. Apparemment le guerrier divin qui avait reçu son fragment de tablette avait décidé de compliquer la tâche à ceux qui en auraient après elle. Une décision sage quand on ignorait qu'il faudrait la reconstituer plus tard pour le bien du monde... Cela expliquait les vibrations affaiblies du morceau que tenait Zhihao et le silence à propos de l'objet. Pourquoi aussi elles tournaient en rond depuis quelques minutes.

"Permettez que je l'examine ? Si cet objet appartient bien à Anubis, il est lié à la mort. Et mes pouvoirs le sont aussi. Je peux peut-être les faire résonner entre eux tant qu'ils sont assez proches les uns des autres plutôt que les suivre un par un."

Le blondinet croisa les bras et fit mine de prendre un air outré, même si le compliment -pour une fois qu'on ne prenait pas les Saints que pour des mulets bons à tout faire- lui faisait plaisir. Il n'en montra rien, se contentant d'écouter la suite de l'histoire d'une oreille attentive.

"Dragvendil ? L'épée d'Odin ? Doucement, doucement, je croyais que c'était Balmung son épée. L'histoire des saphirs sur les armures... Et puis franchement la couleur des yeux..."

Est-ce que le guerrier divin avait pris la peine de le regarder à un moment ou à un autre ? Réellement ? L’Égyptien se rapprocha et écarquilla volontairement les paupières, dévoilant l'améthyste qui colorait ses iris tout autant que ceux du Volsung. La nuance était peut-être légèrement plus foncée chez Hruodland, mais pour quelqu'un qui ne regardait pas dans le détail leurs yeux étaient bien les mêmes. Et pour autant, il y avait un monde entre Odin et la terre des pharaons.

"J'espère que vous n'avez pas besoin d'un dessin : la couleur des yeux ne suffit pas à légitimer une ascendance... Je n'ai rien en commun avec Asgard et pourtant mes yeux sont bien similaires aux vôtres."

Peut-être la seule chose qu'ils avaient en commun.

"Comment pouvez-vous être ici "en touriste" ? Si vous êtes un Volsung, et donc un descendant d'Odin, alors vous êtes chez vous... non ? Je veux dire, la terre de vos ancêtres... de votre dieu..."

La suite laissa le Saint perplexe. Plus qu'une légende, le récit des exploits de Roland faisait partie de l'Histoire, d'une chanson de geste qui avait traversé les âges pour témoigner d'un fait d'arme remarquable. Et ce héros, cet homme qui avait été chanté, loué, se trouverait devant lui, avec pour seule obsession la force et pour seul mérite récent le massacre de milliers de personnes ?

Sans attendre qu'il eût terminé son introspection, le guerrier d'Asgard s'engagea en direction du mur-frontière. Azir rattrapa son retard rapidement, fixant son dos comme s'il allait y découvrir la réponse. Malgré toute l'appréhension qu'il pouvait avoir, il ne put cependant retenir une remarque amusée :

"Sans doute pas tout, puisque d'évidence vous portez bien Durandal et vous êtes quelqu'un de colérique."

« J’aime croire que je suis une personne relativement saine d’esprit donc oui, j’ai peur de lui. » répondit-elle tranquillement tout en examinant sa trouvaille sous toutes les coutures. En temps normal, elle aurait applaudi la prudence du nordique qui avait décidé de diviser son quart de tablette en ce qui devait représenter plusieurs dizaines de petits fragments, mais dans ces circonstances…

« Vous n’êtes jamais allée à Tokyo, je suppose ? Vous comprendriez, si c’était le cas. Et je ne sais pas si nous pouvons vraiment dire que nous avons réussi à le raisonner : il nous a clairement fait comprendre qu’il n’était pas convaincu par nos arguments, que seuls ses ordres le retenaient et que si ça n’avait tenu qu’à lui il aurait attaqué la barrière, et tant pis pour les autres. Ce qui, loin de profiter aux Enfers grecs, aurait sans doute permis à Anubis de s’emparer d’un million d’âmes d’un coup, soit l’équivalent d’une semaine de drain d’âmes au minimum. »

Dans la mesure où les éléments à leur disposition semblaient indiquer que le Chacal n’avait commencé à détourner les flux spirituels qu’il y a à peine un ou deux jours, cela aurait représenté un accroissement colossal de ses réserves d’énergie. Mais Zhihao doutait que cette considération ait jamais traversé l’esprit de l’ex-Léviathan, et c’était bien là tout le problème. Enfin, quitte à ne pas être prise au sérieux, elle devrait déjà s’estimer heureuse qu’Uskyld ait fait preuve de courtoisie en l’écoutant, contrairement à Madame Z.

« Je ne m’attend pas à ce que vous fassiez quoi que ce soit, je me rend bien compte que ce serait trop demander. Je veux juste m’assurer que vous avez conscience de ce que vous faites. Sa présence risque de compliquer vos relations avec l’extérieur, et je ne parle pas seulement des autres camps d’éveillés. »

Hruodland avait choisi d’attirer l’attention sur lui dans ce qui devait être l’un des endroits les plus surveillés de la planète ; si l’asiatique avait réussi à le reconnaître à travers la caméra d’un des innombrables drones quadrillant le ciel d’El Balyana, d’autres avaient également dû le faire. Et avec la présence de la force des Nations Unies sur place, il ne faudrait pas longtemps pour que tous les gouvernements du monde reçoivent l’information. Les japonais, les russes et les français en particulier risquaient de mal prendre la nouvelle, et les autres pays y réfléchiraient sans doute à deux fois avant de traiter avec une faction qui hébergeait le plus grand meurtrier de masse du vingt-et-unième siècle.

La Boussole laissa tomber le sujet lorsque son interlocutrice passa elle-même à autre chose et proposa de tenter d’utiliser son propre pouvoir pour amplifier les effets du sortilège de la thaumaturge. Cela éveilla l’intérêt de la militaire, qui avait peu d’expérience en matière de facultés cosmiques ésotériques, les Agences concentrant plutôt leurs efforts sur celles que leurs scientifiques pouvaient aider à développer – sa propre électrokinésie en étant l’exemple-type.

« Bien sûr, faites donc. » dit-elle en remettant l’objet à la blonde. « Vous êtes sûre que ça ne risque pas d'interférer avec la magie de la tablette ? »

Uskyld écouta patiemment son interlocutrice, pendant un instant où ni l'une ni l'autre ne se concentraient sur la tablette -quelques minutes tout au plus. Au moins elle était honnête. Pas nécessairement lâche car se trouver en présence d'un pouvoir supérieur avait toujours quelque chose d'intimidant naturel, mais honnête sur son ressenti à l'égard du guerrier divin. Lorsqu'elle mentionna Tokyo, la déesse faillit répliquer au sujet de Niflheim, bien pire de son point de vue, mais c'eut été se compromettre en tant que déesse, puisque théoriquement personne n'en ressortait jamais. Elle-même faisait des efforts pour prendre en considération les frêles humains de Midgard, mais au fond seuls les sujets de Nordheim l'intéressaient. Alors les Japonais...

En revanche la Chinoise soulevait un dernier point plutôt intéressait, que la déesse devrait sans doute mettre à profit dans les temps à venir.

"Moi je pense au contraire que l'extérieur a tout intérêt à amplifier ses relations avec nous. Pour éviter que nous leur envoyions un Hruodland avec des intentions hostiles justement. Enfin, c'est à Odin de décider, mais si vous me dites que ce sont les ordres qui ont retenu son bras, alors priez pour que ces ordres aillent toujours dans votre sens."

Après tout, Zhihao n'était-elle pas l'exemple édifiant que la peur poussait au dialogue ? Et ce dialogue pouvait se changer en acte diplomatique officiel pour peu que les chevaliers noirs y missent les formes. La question était de savoir si les chevaliers noirs avaient une cohérence suffisante pour utiliser de tels moyens, car de mémoire ils n'avait pas à leur tête de divinité ou de représentant officiel. S'il fallait négocier avec chacun d'eux individuellement, les choses risquaient de traîner longtemps.

Le sujet clos, la déesse reçut les fragments et sentit aussitôt la présence d'une magie tierce. Sans doute le sortilège qui permettait aux morceaux de s'aiguiller les uns vers les autres. Elle fit mine de se concentrer un peu, de réfléchir.

"Je n'ai pas l'intention de modifier le sort ou de l'amplifier réellement. Je vais juste m'en servir comme référence pour étendre mes propres pouvoirs à la zone. Comme si nous étions sur un bateau et que je me servais d'une longue-vue si vous voulez."

Elle s'exécuta, manipulant avec d'infinies précautions chaque élément de l'incantation dans une alchimie invisible complexe. En une poignée de secondes, les fragments disséminés ici et là lui apparurent clairement, comme mis en surbrillance à travers les différents obstacles du paysage.

"Bien. Je repère une vingtaine de morceaux plus ou moins lointains autour de nous. Vous avez visiblement une technique rapide et soigneuse pour les ramener, alors je vous indique les endroits et vous extrayez ? Le premier est à 3 m devant nous, enfoui à 5 m dans une gangue rocailleuse."

En vérité il y avait un peu plus de morceaux, mais elle avait fait abstraction des plus éloignés afin de ne pas paraître trop puissante. Et au fur et à mesure qu'elles en approcheraient, elle signalerait la présence des "nouveaux" éléments.

Si quelqu'un avait affirmé au Cinquième Gardien, après l'épisode près de la barrière, qu'il se serait mis à converser tranquillement à propos de généalogie avec Hruodland -ou Roland- au sortir d'un volcan visiblement assez actif pour être rempli de lave, il l'aurait sans doute vertement envoyé paître. Et pourtant le blondinet se rendait compte qu'il n'était peut-être pas si compliqué d'occuper le prétendu ancien arrière-garde, même s'ils continuaient dans le même temps de marcher.

Ainsi donc il se revendiquait de la divinité la plus en vue localement grâce à de simples recherches, après avoir mis Durandal et un héritage Franc dans la balance... A ce moment-là, Azir ne put s'empêcher de tourner la tête vers la supposée direction du Palais d'Odin, que les archives du Sanctuaire mentionnaient situé loin au fond de la vallée, après une ascension longue et ardue à travers le blizzard.

***Si ce qu'il raconte est avéré, il faut qu'on m'explique ce qu'Odin est allé foutre en France au VIIIe siècle. Qu'on me parle de Vikings en plein raids pourquoi pas, mais de là à aller promener son dieu le plus important pour semer un bâtard qui grandirait loin de ses racines ? Ce serait tellement fou...***

Il s'étira rapidement sans cesser de marcher.

"Je ne suis pas remonté jusqu'au Moyen-Âge dans ma généalogie c'est vrai, mais, sans offense, j'ai plus de chances de descendre de vos ennemis Sarrasins ou je ne sais quels Maures, que d'être un... Volsung c'est ça ? Non vraiment, la couleur des yeux ce n'est pas suffisant. Et puis imaginez un peu, nous sommes des milliards d'êtres humains peuplant la Terre aujourd'hui. Si chaque couleur d'yeux devait marquer une descendance particulière, étant donné qu'elles sont tout de même limitées, la consanguinités feraient de terribles ravages. Impossible de survivre dans ces conditions."

Et puis au fond... Aussi légendaire était-il, le Lion d'or préférait ne pas s'imaginer de lien de parenté avec Hruodland. Parce que cela signifierait prôner la paix et la justice au côté d'un lointain cousin qui faisait exactement le contraire. De quoi rendre les relations familiales plus que compliquées. Quelle tête ferait Colombe s'il lui racontait ça ? Ou même Zhihao ?

Le ton du guerrier divin le laissa songeur. Pour un peu il aurait lancé une référence Captain America, mais s'il était aussi ancien qu'il ne le prétendait, non seulement il risquerait de ne pas comprendre et il pourrait le prendre mal. Et il était tout bonnement hors de question de ruiner les efforts de diplomatie que chacun avait fourni jusque-là simplement à cause d'une petite plaisanterie de cinéphile du XXIe siècle.

"1200 ans... En fait si, je suis curieux. Vous avez bien l'air d'un humain mortel, comme moi, comme les femmes que nous avons rencontrées. Pourtant je croyais que seuls les dieux et les Spectres pouvaient vivre si longtemps. Vous êtes-vous réincarnés ou quelque chose comme ça ?"

Il soupira, comme l'empressement du serviteur d'Asgard semblait revenir à la charge.

"Je suppose que quoi que je dise, l'idée d'aller les chercher va vous trotter en tête jusqu'à ce que je cède, alors d'accord."

L’asiatique songea aux paroles de la nordique alors que cette dernière trafiquait la tablette. Utiliser la menace que représentait Hruodland comme « argument de négociation » avec le reste du monde, hein ? C’était bien une idée de viking, ça ; il fallait espérer qu’Odin aurait suffisamment de bon sens pour choisir une autre option, parce qu’une telle chose ne méritait pas le nom de stratégie diplomatique. Non seulement Asgard risquerait d’aliéner le Sanctuaire, actuellement son seul allié, mais en plus Hruodland était une brute psychologiquement instable, à l’esprit étriqué et à la loyauté discutable. Il était passé des Marinas aux Black Knights puis aux Ases ; qu’est-ce qui l’empêchait de changer à nouveau d’allégeance, privant les Royaumes du Nord de leur argument-massue, les couvrant de ridicule et les exposant dans le même temps aux représailles ? Et ce n’étaient que deux problèmes parmi d’autres…

La militaire se tint prête à passer de nouveau à l’action lorsqu’Uskyld compléta ses manipulations, et écouta ses instructions. Elle se concentra sur les coordonnées indiquées, localisa sans peine le mini-fragment du Livre des Morts et le fit sortir du sous-sol gelé de la même manière que le précédent, une nuée de sable de fer déposant le morceau de pierre dans sa main ouverte. Il y avait un hic, cependant : celui-ci était encore plus petit que le premier.

« Nous ne sommes pas prêtes d’y arriver, à ce train-là. Vu la taille des morceaux, je dirais que nous sommes bonnes pour en récolter entre cinquante et une centaine. » remarqua-t-elle. « À quelle distance se trouve le fragment le plus éloigné que vous arrivez à percevoir ? »

Elle avait besoin de cette information pour confirmer une hypothèse : si le Guerrier Divin qui avait dissimulé ces éclats cherchait délibérément à compliquer la tâche de ceux qui tenteraient de reconstituer l’artefact, alors il devait les avoir dispersés sur une large superficie, tout en les cachant dans les endroits les plus inaccessibles possibles. Certes, ces deux-là avaient été faciles à trouver, mais il n'en serait pas forcément de même pour les suivants. Leur temps était limité, mieux valait ne pas le gaspiller.

« Peut-être que nous devrions retourner voir les autres. Si nous devons ratisser tout Asgard, cela ira plus vite à quatre. » proposa-t-elle. Cela aurait de plus l’avantage de ne pas laisser Azir seul trop longtemps avec l’ex-Léviathan, le pauvre guerrier d’Athéna ne méritait pas ça. « À vous de voir. Qu'en dites-vous, vous pensez que nous pouvons continuer comme ça ? »

Il était plutôt évident que l'envoyée des Chevaliers Noirs n'avait pas l'air convaincue. En fait, la déesse pariait même sur le contraire, et le fait de savoir qu'il y avait cette limite d'une année enfonçait encore davantage le clou. Que faire de Hruodland ? Tant qu'elle possédait ce lien avec lui, ce pacte sacré, elle pouvait limiter ses débordements et le contrôler. Mais lorsque la limite atteindrait son terme, qui savait s'il n'allait pas tout simplement vouloir annihiler Nordheim ? Après tout, seul la puissance valait à ses yeux. Le sang de ses pairs ? Puisqu'il avait déjà changé d'allégeance -elle avait pu le confirmer dans ses dernières recherches-, rien ne l'empêchait de recommencer. Non, le réel défi serait d'attiser l'intérêt de cet homme pour qu'il reste dans le giron du Nord. Car, toute déesse perfide et fille de fourbe qu'elle était, Hel avait un orgueil et de l'honneur. Du moins se le répétait-elle.

Pour le moment, se concentrer sur le présent : Anubis et la possible annihilation du monde à moyen terme. La Chinoise avait souligné un point important en quantifiant le nombre de fragments probable, et la gardienne de Helheim pouvait d'un seul élan sentir que les autres se trouvaient entre quelques kilomètres et... plusieurs mondes de distance.

Elle se tourna alors vers le mur-frontière, puis de nouveau Zhihao.

"Ils sont loin et épars. Manifestement le guerrier divin qui s'est chargé de le mettre en lieu sûr a bien fait son travail. Heureusement pour nous, la magicienne qui vous a confié le premier morceau a également veillé correctement régler le problème. Et notre solution arrive, sous la forme de deux chevaliers sans doute impatients d'en finir avec cette histoire."

Mais sans doute pas pour les mêmes raisons.

"Si j'amplifie le sort avec les trois gros morceaux assemblés, nous allons sans doute gagner beaucoup de temps. De boussole, ils vont devenir aimants... et il faudra éviter de se trouver sur la route des fragments restants."

"Un être et une grotte. Le secret de l'immortalité a encore de beaux jours devant lui."

Etait-ce le passage du temps ou le fait que quelqu'un s'intéressait, pour une fois, à lui ? Hruodland semblait de plus en plus distant, comme si parler et se dévoiler le mettait mal à l'aise. A croire que tant qu'on ne parlait pas de sang et de meurtre, il n'était pas lui-même. Mais si cela pouvait permettre à des innocents de profiter encore de beaux jours, Azir se dévouait volontiers pour enfoncer la porte ouverte et poser encore mille questions. Quoi qu'il en soit, le guerrier divin confirmait sans vraiment le dire à haute voix que sa mémoire était altérée, comme Zhihao et lui avaient pu le constater au Sanctuaire pendant sa... "crise".

Le blondinet dévisagea un instant son binôme, ne vit pas réellement de trace d'humour sur ses traits. Comment répondre de façon diplomate... ?

"J'avoue en toute humilité que, ne connaissant pas le terrain et ayant les bras occupés, je n'ai guère envie d'aller à pleine vitesse au risque de tomber dans une crevasse et m'y briser les os. Mach 1 suffira amplement."

Réalisant que peut-être dans sa prison le Preux n'avait pas pu suivre l'Histoire du monde, le Lion d'or se sentit obligé de préciser, en espérant ne pas le vexer au passage :

"La vitesse du son."

Ce qui était déjà, du point de vue de l’Égyptien, suffisamment dangereux pour éviter de renouveler l'expérience trop souvent. Il fléchit les jambes, raffermit sa prise sur les deux morceaux de tablettes, puis se détendit comme un ressort, fendant la neige en une traînée de poudreuse et sautant de préférence sur les rochers, sur les arbres ou toute autre surface dure qui ne risquerait pas de s'effondrer sous son poids.

Ils arrivèrent rapidement en direction des deux jeunes femmes, et avant d'avoir pu dire quoi que ce soit, Azir se retrouva entraîné par la "volonté" de l'objet à vouloir se reconstituer. Il tendit les bras, laissa le sort faire son preuve et recoudre les fragments ensemble. A ce stade, même les autres devaient pouvoir sentir la force en action même sans poser la main dessus.

"J'ai les poils qui se hérissent... Quelque chose me dit que nous devrions nous écarter du passage. Tout de suite !"

Une fois de plus, l’asiatique regretta d’avoir eu raison. Néanmoins, Uskyld se proposait d’apporter une solution au problème et confirma ce faisant l’une de ses suspicions, puisqu’il n’était pas question ce coup-ci de s’appuyer sur la magie de l’allemande pour étendre les effets d’une technique cosmique mais bel et bien de renforcer le sort lui-même. Ainsi donc, la nordique maîtrisait à la fois les arts cosmiques et thaumaturgiques, un mélange pour le moins redoutable... C’était bon à savoir, et pas seulement parce que cela signifiait que leur alliance de circonstance n’était pas démunie du moyen de riposter sur le même terrain que les Égyptiens.

« Je m’en remet à votre expertise. » acquiesça la militaire en se focalisant sur l’approche du second duo de chevaliers. Une approche relativement lente quand on savait que le Lion et l’Ase auraient pu couvrir la distance en un instant comme ils l’avaient fait en partant du village, mais l’un des deux – sans doute Azir, cela lui correspondrait bien – devait préférer faire preuve de prudence en terrain inconnu. La Boussole approuvait complètement.

Le reste du groupe arriva finalement à portée de vue, puis de voix, sa partie de la mission visiblement couronnée de succès. Zhihao voulut les féliciter et leur faire part de la difficulté qu’elles rencontraient de leur côté, mais l’artefact ne lui en laissa pas le temps, puisque les trois fragments et des poussières furent brusquement entraînés les uns vers les autres avec tant de force qu’ils faillirent leur échapper des mains. Ils se recombinèrent et juste après qu’Azir ait délivré son avertissement, les hiéroglyphes à leur surface se mirent d’abord à luire, puis à briller d’une lumière aveuglante, apparemment sans même attendre que la porteuse de Delta fasse son office. La blonde avait-elle déjà amplifié le sort sans qu’elle s’en rende compte, ou était-ce Madame Z qui avait anticipé cette situation et préparé cela à l’avance ? Peu importe, la priorité du moment était d’écouter le Saint et de se mettre à l’abri.

« De nombreux projectiles approchent à grande vitesse. » informa-t-elle les autres après s’être placée du bon côté de la tablette en lévitation – celui qui ne se situait pas sur la trajectoire des fragments manquants – et avoir étendu ses sens à leur portée maximale. Et en effet, l’artefact se comportait à présent comme un aimant surpuissant, attirant les derniers morceaux qui se dirigeaient vers lui en ligne droite avec une vélocité croissante à mesure qu’ils se rapprochaient de l’objectif, transperçant tous les obstacles sur leur passage – arbres, rochers, jusqu’au flanc d’une colline proche – sans même ralentir. Chaque nouvelle pièce du puzzle rejoignit l’ensemble avec un bang sonique et lorsque la dernière trouva sa place, les fissures du matériau s’illuminèrent brièvement avant de disparaître, comme si le Livre des Morts à présent reconstitué n’avait jamais été brisé.

« J’espère que personne ne se trouvait sur le chemin. » grimaça l’asiatique en portant son regard vers la forêt, où plusieurs grands conifères s’étaient effondrés après avoir été violemment perforés par les fragments. « Je suppose que cela veut dire que nous pouvons retourner en Égypte… Pensez-vous que nous devrions donner l’assaut de suite ou profiter du temps qu’il nous reste pour nous reposer, être dans la meilleure condition possible et surtout laisser le temps aux civils d’évacuer ? »

En tout cas il leur faudrait au moins prendre le temps de discuter d’une stratégie un chouïa plus évoluée que « on fonce et on défonce », quand bien même Hruodland ne verrait sans doute pas le problème. Ils seraient plus efficaces avec une meilleure connaissance des capacités de leurs coéquipiers et un plan construit autour de ces capacités.

La déesse n'aurait en définitive pas le temps de s'illustrer ou d'apporter son aide à la petite compagnie : le Saint et ses deux fragments se chargèrent de l'opération, et elle suivit simplement les avertissements en se plaçant du bon côté de la tablette, jusqu'à voir celle-ci reconstituée. Concernant les civils, elle étendit rapidement ses sens, sans détecter d'événement plus inquiétant que quelques dégradations matérielles et environnementales. Son rôle prenait donc fin ici.

"Les journaux parlent d'évacuation depuis deux jours. S'il reste encore des civils, vous devriez pouvoir vous en charger vous-mêmes."

Une simple suggestion, puis un haussement d'épaules.

"Je ne vous accompagne pas, j'ai encore affaire ici. Et notamment m'assurer que cette tablette n'aura pas causé de dommages réellement inquiétants aux Nordhiens."

Elle s'épargna la peine de donner l'ordre à Hruodland de les suivre : celui-ci avait déjà reçu ses instructions, et elles ne changeaient fondamentalement pas puisque l'ennemi demeurait le même, le lieu aussi, les circonstances également. Néanmoins elle gardait les mots de Zhihao en tête, réfléchit une seconde à un moyen d'arrondir peut-être juste un peu les angles pour faire bonne mesure.

"Hruodland, si tu as un doute sur ta liberté d'action n'hésite pas à appeler avant d'agir surtout... L'essentiel est d'agir contre Anubis, mais pas à n'importe quel prix, n'est-ce pas ?"

Le Saint et la femme-chevalier noire avaient l'air suffisamment débrouillards pour s'occuper de le contenir. Elle faisait un petit geste en leur sens, pour cette diplomatie fragile et encore délicate à l'aune de la gouvernance de Hel. Mais il finirait par détruire quelque chose de toutes manières, sur cela la déesse n'avait aucun doute.

"Je vous souhaite bonne réussite à tous."

Et elle les regarda partir sous une averse de neige.