Zhihao hocha la tête lorsqu’Azir lui répondit, faisant tout son possible pour ne pas laisser transparaître son amusement après l’avoir vu réfléchir si sérieusement à la question. Ses réactions étaient tout simplement hilarantes, et même si elle savait qu’elle devrait l’empêcher de boire davantage, ou en tout cas faire quelque chose pour l’aider à dessoûler, elle ne pouvait s’y résoudre : c’était comme un accident de train, il était impossible d’en détourner les yeux, qu’importe à quel point on pouvait le vouloir.

« C’est le plus important, protéger sa vertu. » opina-t-elle sagement. « Après l’hôpital, c’est plutôt pour ceux qui aiment les infirmières, non ? Sauf qu’elles sont toutes voilées dans ce pays… ce qui peut avoir son charme, il n’y a qu’à voir tous ces gens qui fantasment sur les nonnes, mais ce n’est pas exactement mon truc. Je me demande si Gorislava aurait essayé de s’habiller en infirmière s’il avait fallu infiltrer un hôpital à un moment… je vous ai raconté qu’elle s’était déguisée en bunny-girl au début de notre mission ? Bon, ça n’a pas très bien marché et au final il a fallu interroger les gens à grand renfort de mandales, mais j’ai eu peur qu’elle remette ça avec un costume de soubrette lorsque nous sommes allées dans ce manoir où nous avons rencontré l’autre sorcière la première fois. »

En parlant de la thaumaturge, la militaire fronça les sourcils quand le Lion dit que son prénom ressemblait à celui de l’irritante Madame Z. C’était une comparaison dont elle se serait volontiers passée, sa vengeance serait terrible ! Elle ne savait pas encore comment elle allait s’y prendre, mais elle lui ferait regretter ses paroles ; il était peut-être capable de se défendre contre les groupies des deux sexes, mais pourrait-il en faire de même face aux pièges vicieux tendus par une membre des forces spéciales ?

Il faudrait qu’elle pense à lui tendre un piège… plus tard, quand elle aurait moins de mal à penser, et qu’elle serait redevenue capable de réfléchir à de meilleures idées que de remplir ses sous-vêtements de poil à gratter ou de remplacer son shampooing par une teinture criarde – et extra-forte – du plus bel effet, le genre que Reagan lui-même n’aurait pas renié.

« Si vous partez, vous allez me laisser derrière aussi ? En tout cas ce n’est pas de la magie ce dont vous me parlez, c’est du cosmos. Le cosmos c’est mal, il y a plein de connards qui s’en servent, dont moi, mais aussi quelques types bien comme vous, heureusement, donc ça compense en partie. La magie c’est pire, tous ceux qui s’en servent sont des connards. Ils peuvent aller se faire foutre, tous autant qu’ils sont, mais surtout Zlatanna, Anubis et Our. » déclara-t-elle ensuite avant d’engloutir son… combientième verre ? Elle avait perdu le compte.

« Je ne sais pas si la caféine ça contre les effets de l’alcool. On peut toujours essayer, je crois que j’ai trop bu moi aussi. Si ça continue, je vais finir par vous avouer que je trouve que vous avez de très beaux yeux. »

Azir approuvait le discours de la femme-chevalier, quand bien même il commençait à perdre quelques mots dans une difficile tentative de donner du sens à tout cela. L'essentiel étaient qu'ils 'entendaient bien, oui c'est ça. Et puis les connards, ils en feraient des petits points habillés en infirmières. Euh non, des bunny-girls habillées en petits points... Des petits points habillés en connards... ? Bref, ils se comprenaient !

"Ce serait fâcheux en effet."

Le Lion leva le bras à destination d'une serveuse, mais s'immobilisa au milieu de son geste car il avait oublié ce qu'il voulait demander. L'addition ou les beaux yeux ? Il regarda machinalement son téléphone, vit qu'il avait un message, le reposa. Il regarda son téléphone, ouvrit le message -quelqu'un lui demandait à quelle heure il comptait rentrer-, le reposa. Il regarda son téléphone, parvint à trouver l'heure, et elle était tardive, le reposa.

"Hum... Visiblement on m'attend. On a qu'à rentrer ensemble, il me semble que tu logeais dans le même hôtel non ? Je te protègerai du café."

La serveuse arriva finalement et pouffa de rire en entendant le discours décousu. Il était temps que ces deux-là paient leurs consommations avant de tout oublier. Habituée de la chose, elle les guida avec patience pour tout régler en bonne et due forme, reçut un pourboire d'Azir qui s'était trompé en recomptant la monnaie mais lui laissa tout de même, avant de les pousser vers la sortie et de filmer une petite vidéo qu'elle chérirait longtemps.

Sous l’emprise de l’alcool, les deux chevaliers ne devaient plus avoir l’air très vaillant. Azir faisait des efforts admirables pour conserver un semblant de décorum en dépit de son état d’ébriété avancé, mais les pauses aléatoires interrompant ses actions et paroles ruinaient les efforts en question. Quant à Zhihao, elle devait utiliser tout ce qui lui restait de force mentale pour ne pas se mettre à glousser comme une pintade, et là encore la rougeur de ses joues ainsi que le manque d’assurance de ses mouvements diminuaient le succès de la manœuvre. Aucun des spectateurs alentour ne s’y trompait, et ils étaient nombreux à se moquer sans méchanceté – il y en aurait peut-être eu de la part des groupies du Lion, mais elles avaient appris leur leçon – du duo de poivrots, quand ils ne portaient pas des toasts à leur santé. Au moins les gens les appréciaient, donc… c’était positif ?

L’asiatique acquiesça lorsque le guerrier d’Athéna lui fit savoir que quelqu’un lui demandait de rentrer à l’hôtel, une action qu’elle regretta immédiatement tant cela avait suffi à lui faire tourner la tête. Elle se leva maladroitement, paya tout aussi péniblement à la suite d’Azir après avoir échoué à le dissuader de la laisser l’inviter comme elle l’avait promis – Gorislava avait déjà réglé pour ses propres consommations en plus, pour une fois qu’elle essayait de faire quelque chose de gentil, pourquoi les autres insistaient-ils pour refuser ? – et le suivit à l’extérieur, se cramponnant à lui pour ne pas tomber, et lui servant elle-même de béquille en retour.

« Oh, mais on devait danser à nouveau… pas grave, ce sera pour plus tard. » lui répondit-elle d’une manière toute aussi décousue. « Je compte sur vous : le café ne passera pas ! En plus c’est pas bon le café, je comprend pas comment les gens peuvent boire ça, le thé c’est mieux… Et je comprend pas non plus pourquoi vous avez pas voulu me laisser payer, la nourriture est meilleure avec le bon goût du gratuit ! »

Leur départ eut lieu sous un concert de vœux de bon rétablissement, de remerciements, de félicitations, de plusieurs demandes en mariage adressées au chevalier d’Or... ainsi que d’un certain nombre de commentaires salaces visant les deux éveillés. Pourquoi… oh, en effet, ils n’avaient pas fait attention à où ils avaient mis leurs mains en s’agrippant l’un à l’autre. Zhihao fit de son mieux pour repositionner les appendices en question de façon moins compromettante alors qu’ils regagnaient la rue, où la fête continuait de battre son plein. La fraîcheur nocturne lui fit du bien, lui rendant assez de lucidité pour utiliser une technique servant normalement à décomposer les poisons, mais qui marchait tout aussi bien pour dessoûler en vitesse. Elle ne s’était pas débarrassée de tout l’alcool dans son organisme, mais au moins elle n’était plus ivre – et elle éviterait la gueule de bois au réveil, ce qui était toujours un plus.

« Allez, l’hôtel est par là. » dit-elle en guidant son compagnon d’armes pompette dans la bonne direction – après qu’il ait tenté de partir complètement à l’opposé. Les passants continuèrent de les gratifier de regards amusés, de sifflements et de clins d’œil appuyés, qu’elle dut faire davantage d’efforts pour ignorer maintenant qu’elle n’était plus aussi alcoolisée. D’ailleurs, maintenant qu’elle s’était bien amusée à ses dépens, devrait-elle utiliser la même technique sur lui, ou préférerait-il qu’elle le laisse cuver en paix ?

Une part pragmatique de son esprit lui murmura que ce serait le moment parfait pour aller à la pêche aux informations, mais elle la fit taire rapidement. Ce serait bien mal le remercier après tout ce qu’il avait fait ; cela n’aurait pas suffi à l’arrêter, d’ordinaire – ce ne serait pas la première fois que son travail l’obligeait à faire une crasse à quelqu’un qui ne le méritait pas – mais elle avait également des raisons parfaitement logiques de ne pas céder à la tentation. En effet, à supposer qu’elle arrive à extraire un propos cohérent, les renseignements qu’elle pourrait obtenir en cuisinant le chevalier à moitié affalé sur elle ne vaudraient probablement pas la dégradation de la relation qu’ils avaient réussi à établir quand il se rendrait inévitablement compte qu’elle avait profité de son moment de vulnérabilité. Non, une telle action était clairement contre-indiquée.

Satisfaite de son raisonnement, elle continua de l’aider à marcher et posa plutôt une paire de questions inoffensives : « Qui est-ce qui vous attend ? Et que voulez-vous faire après ça, si cette personne ne vous envoie pas au lit ? »

"Le goût de gratiné ? Ah oui, j'ai oublié... Au pire, on commandera un rôti de porc braisé une fois de retour en graisse ! HA HA HA ! En Grèce ! T'as compris ? Le porc en graisse !"

Le Lion s'esclaffa à sa propre plaisanterie, entrecoupé d'un hoquet régulier de quelques minutes. S'il avait encore une vague idée d'où il se trouvait et des différences culturelles auxquelles faire attention -vraiment vague-, les gens alentours lui étaient complètement indifférents et les propos de Zhihao parvenaient déformés à ses oreilles. Il se laissa manipuler quand il fallut redonner un peu de décence à leur avancée laborieuse, vidé de toute notion de résistance. A ce moment-là l'appel du lit lui semblait tout aussi séduisant qu'un bain de minuit à la dérive ou un saut à l'élastique quelque part dans un canyon asséché.

La Chinoise lui parut tantôt assourdissante, tantôt lointaine lorsqu'elle lui adressa à nouveau la parole, réactivant le lourd mécanisme de pensée qu'ils s'étaient acharnés à dérégler.

"La personne qui m'a écrit le message... je crois..."

Il se gratta la tête dans un soupir. Comment s'appelait cette personne déjà ? Oh et puis zut ! Il était Directeur, des tas de gens lui demandaient des tas de choses à des tas de moments. Rentrer à l'hôtel n'en était qu'une de plus et voilà.

"J'ai envie de courir contre une Formule 1, et de gagner la médaille d'or. Mais je suis déjà plus rapide et j'ai déjà de l'or. C'est nul question suspense... Et toi Zhi ? T'as un rêve dans la vie ?"

L’espace d’un instant, Zhihao eut peur que le Lion ne se mette soudain à vomir, à s’étouffer, ou les deux en même temps. Elle fit de son mieux pour le maintenir dans la bonne position pour éviter que cela n’arrive, lui donna quelques tapes dans le dos pour aider à déboucher ses voies respiratoires, et ne s’autorisa à rire à sa plaisanterie qu’une fois certaine que le danger était écarté.

« Attention à ce que le porc ne soit pas périmé depuis longtemps par contre, parce que la graisse antique, ça ne doit pas être très digeste. » opina-t-elle sagement, s’efforçant de continuer de suivre la logique très particulière d’une personne ivre. « Enfin, de toute façon les gens ici ne mangent pas de porc, ils ne savent pas ce qui est bon. Chez moi on le mange très épicé, vous aimez ça la nourriture épicée ? Il faudra que je vous en fasse un jour. »

Le guerrier d’Athéna ne sut pas lui dire qui lui avait ordonné de rentrer à l’hôtel, mais il lui fit part de ses ambitions éthyliques – effectivement, faire la course avec une Formule 1 ne serait pas un bien grand challenge pour lui – avant de lui poser à son tour une question. Une question à laquelle la militaire n’avait pas vraiment de réponse : quel était son but dans la vie, à part d’être le meilleur soldat possible, ce qu’elle n’aurait de toute façon pas pu lui dire si elle voulait conserver sa couverture ? Heureusement, elle n’avait pas à lui révéler la vérité, et dans son état actuel – qui était aussi censé être celui de la chinoise – il ne s’attendait certainement pas à quelque chose de raisonné.

« Vous croyez que c’est possible de faire la course avec Hermès, et de gagner une médaille d’orichalque si vous le battez ? Sinon mon rêve c’est de me faire de l’argent. Un maximum d’argent, comme ça je pourrais m’acheter un château encore plus grand et plus beau que celui du comte de Madame Z. Et comme domestiques, j’aurais tout un harem de beaux gosses aux muscles huilés et de maids en tenue légère. » affirma-t-elle le plus sérieusement du monde. « Pas d’habits de danseuse du ventre par contre, ça me rappellerait l’autre sorcière. »

Alors que leur échange d’inanités se poursuivait, l’asiatique tentant à grand peine de décoder les propos de son compagnon pour en tirer quelque chose d’utile – et tentant avec tout autant de difficulté d’ignorer leur proximité embarrassante –, leur progression se fit graduellement plus problématique. Pas parce qu’Azir avait du mal à tenir debout, mais parce que la foule se faisait plus dense, et que sa composition incluait de moins en moins de fêtards et de plus en plus d’autochtones en colère. Il lui sembla pouvoir entendre les bruits caractéristiques d’une altercation violente à quelque distance, aussi se concentra-t-elle sur ses sens surnuméraires afin de savoir de quoi il en retournait. Elle ne fut pas déçue du résultat : en écoutant la fréquence de la police et en s’infiltrant dans quelques appareils électroniques, il devint vite apparent qu’une marée humaine assiégeait un musée à trois rues de distance, retenue par un cordon des forces de l’ordre. Plus près du duo, plusieurs effigies de dieux égyptiens avaient été érigées et étaient la cible de la vindicte populaire.

« Vous voulez participer ? » demanda-t-elle à son compagnon de boisson, en pointant du doigt les enfants qui s’amusaient à envoyer des rouleaux de papier toilette sur une représentation d’Anubis.

"Merde, ouais."

Une course avec le coursier préféré des Grecs. L'idée excitait l'esprit de compétition du Lion, qui ne se souciait absolument pas à l'instant présent de savoir si ledit dieu serait d'accord et intéressé par un tel pari, ou même dans quelles conditions cela pourrait se passer, et quel degré de crédibilité allait perdre le Sanctuaire en prenant au sérieux une telle idée. Mais c'était beau de rêver un peu. Ce qui était assez amusant car l'idée de Zhihao prenait des allures de Mille et une Nuits alors que lui versait plutôt dans l'Européen occidental. De l'argent, des femmes et des hommes donc. Classique, simple, efficace. Tant que tout le monde était consentant dans l'histoire, pourquoi pas.

"Tu peux peut-être demander au vieux Comte quelques contacts. Ou l'épouser si tu veux gagner du temps, le pauvre."

Et alors qu'Azir riait à nouveau, la Chinoise lui désigna les statues, les enfants, l'attroupement qui se formait. Refroidi tout net, il fronça les sourcils. La soirée était à la victoire sur la destruction du pays, pas à... sa destruction justement.

"Et comment que je vais participer."

Un éclair lumineux fendit la foule, d'autant visible avec l'heure tardive. Des exclamations de surprise se joignirent à celles de colère, puis des acclamations pour le blondinet qui se tenait à présent sur une voiture de police au milieu d'un cordon en train de se former pour protéger l'entrée du lieu de culture. Azir grimaça et porta une main à ses côtes, où une tache rouge indiquait qu'il venait de rouvrir une blessure, probablement au moment de grimper à toute vitesse sur le capot.

Loin de prêter attention à ce menu détail, il fit briller son aura de manière à être toujours mieux vu -et malgré lui, salué.

"QU'EST-CE QUE VOUS ÊTES EN TRAIN DE FAIRE EXACTEMENT ?!"

La colère dans sa voix imposa un brusque silence, confus.

"CES STATUES, CE MUSÉE ! LAISSEZ-LES TRANQUILLES ! Ils sont notre Histoire ! L'Histoire de l'humanité ! Nos racines ! Il y a eu aujourd'hui un combat contre Anubis, que nous avons gagné de très peu. Mais nous l'avons gagné ! Détruire ces vieilles pierres n'apportera rien de plus, sinon montrer que nous sommes des barbares qui oublions d'où nous venons et comment nous en sommes arrivés là ! Si vous avez à vous plaindre, faites-le pacifiquement, aux bonnes personnes ! Pas en saccageant bêtement par représailles ! Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?!"

Le Lion pensait-il vraiment que son idée de course contre le messager des dieux était bonne, ou était-ce l’alcool qui parlait ? Comme pouvaient en témoigner des générations d’étudiants, le breuvage avait le don de faire prendre aux gens les décisions les plus regrettables. Et à propos de regrets, il y avait un détail qui revenait souvent dans la mythologie grecque – même si elle n’était pas la seule – qui rendait l’entreprise pour le moins périlleuse.

« Par contre, il faudrait faire gaffe à ce qu’Hermès le prenne pas mal si vous gagnez. » avertit-elle très sérieusement. Il était de notoriété publique que les olympiens étaient de très mauvais perdants, comme le prouvaient l’histoire d’Arachné – qu’il valait mieux ne pas évoquer à portée d’oreille d’un guerrier d’Athéna – et tant d’autres exemples similaires de vindicte divine complètement disproportionnée.

Continuant de papillonner d’un sujet à l’autre, Azir réagit ensuite aux ambitions de la Boussole, conjurant une image mentale des plus déplaisantes. Mais elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, c’était elle qui avait parlé du comte en question, après tout…

« Oh mon Mao, surtout pas… d’accord, il est tout vieux donc si je l’épouse j’aurais sans doute pas à attendre longtemps avant d’hériter de sa fortune. Cela dit je veux le gagner moi-même cet argent, et puis si je l’épouse ça veut dire que je devrais coucher avec. Mais le pire dans tout ça c’est que si je le fais, les gens se mettront à m’appeler « Madame la Comtesse » ! »

Elle afficha une grimace dégoûtée accompagnée d’un frisson théâtral. Bon, elle forçait un peu le trait, ses compétences d’infiltration signifiaient qu’elle savait comment se comporter avec la soi-disant « bonne société », mais même si elle en était capable, cela restait fort éloigné de l’idée qu’elle se faisait d’un moment agréable.

Le temps de la rigolade s’acheva toutefois brusquement lorsque le Saint posa les yeux sur le début d’émeute. Il sembla dessoûler quasi-instantanément, et en un éclair se retrouva perché sur le toit d’un véhicule des forces de l’ordre. Il se mit alors à haranguer la foule depuis son piédestal, son charisme naturel conjugué à son aura cosmique rayonnante et à celle plus métaphorique que lui conférait sa réputation imposant sans peine un silence religieux. Face au poids de ses arguments et de sa déception, les émeutiers n’eurent d’autre choix que de baisser la tête, penauds, tandis que les policiers se tournaient vers lui pour lui adresser des regards pleins de gratitude.

« On peut brûler des effigies en bois, au moins ? » demanda un autochtone plus hardi que les autres, en désignant les idoles improvisées que ses congénères avaient fabriquées à partir de matériaux de récupération et livrées aux déprédations des enfants. Zhihao ne voyait pas le problème avec ça, ce n’était pas si différent de ce que les occidentaux faisaient pendant le Carnaval, et il fallait bien que leur colère trouve un exutoire. Mais ce n’était pas à elle de décider ; à la place et puisqu’elle n’avait pas son armure avec elle, elle fit usage de ses pouvoirs pour extraire du sol suffisamment de sable de fer pour dissimuler son identité – montrer son visage au restaurant ou dans la rue était une chose, le faire devant une foule entière, dont une part significative avait sorti des téléphones pour filmer le Lion en était une autre – derrière un masque créé à la hâte ainsi qu’une sorte de manteau à capuchon fait d’éclats de métal en lévitation. Ceci fait, elle rejoignit le blond d’un coup de déplacement rapide, ce qui lui valut des œillades beaucoup plus circonspectes de la part de l’assistance, et se mit à soigner la blessure qu’il venait de rouvrir.

« Moi qui pensais que ça s’était refermé… Mes excuses, je regrette que les choses aient dégénéré à ce point. »

Et encore, ce n’étaient que les problèmes dont ils étaient directement témoins ; des événements similaires devaient sûrement se dérouler en ce moment-même un peu partout dans le pays. Le policier le plus proche devait penser la même chose, car après une rapide discussion avec ses collègues, il se dirigea prudemment vers le duo d’éveillés, l’essentiel de son attention étant cependant accaparée par Azir.

« Chevalier du Lion ! Désolé de vous demander ça, mais pourriez-vous nous donner un coup de main ? Nous avons des journalistes sous la main, accepteriez-vous qu’ils transmettent votre message dans tout le pays ? Je vous préviens, ils voudront certainement vous poser des questions. »

"Des effi... ? Ah, oui, tant que ce n'est pas en ville. Ce serait bien d'éviter les incendies. Mais à l'extérieur, tant que ça ne gêne personne, oui."

Le Saint croisa les bras et fit son possible pour ne pas tituber -de douleur comme d'ivresse. A la vitesse où il avait agi, il était peu probable que quelqu'un ait filmé le fait qu'il se soit douloureusement cogné contre le pare-choc de police en négociant sa trajectoire de travers. Son instinct avait oublié que ses muscles et ses sens étaient pour l'heure engourdi. Il se félicita tout de même des regards approbateurs et de la satisfaction générale lorsqu'il avait donné son autorisation.

Athéna serait sans doute fière de voir qu'il permettait ainsi à la tolérance de gagner une nouvelle bataille. Défaire un Anubis en train d'anéantir un pays était une chose, souiller son nom, son histoire et sa mémoire, des éléments qui avaient construit une part de l'humanité de jadis et devaient lui enseigner quelques leçons aujourd'hui, était inadmissible même vis-à-vis d'un ennemi. Si un Aton revenait un jour comme l'avait réussi le Chacal, peut-être pourrait-on limiter les dégâts en lui faisant remarquer que ses vestiges avaient été soigneusement préservé -par intérêt historique, ethnologique, scientifique et encore beaucoup d'adjectif en -ique.

Il marqua un temps d'arrêt en voyant la Chinoise se porter à son secours, pour le policier lui poser une question que son esprit embrumé n'avait pas anticipé. Il se donna une contenance et du temps pour réfléchir en grimaçant légèrement tandis que les soins opéraient, puis tâcha de rester dans la limite de ses moyens actuels :

"Pour le message, j'ai déjà tout dit. Je suis sûr que tous ceux là-bas qui ont leurs portables en main seront en mesure de vous fournir une vidéo adéquate. Si c'est pour la paix, alors diffusez autant que vous voulez. Pour les questions des journalistes... Euh... Demain. Il est tard, nous sommes tous fatigués. Il faut que je me prépare pour la course."

Eh bien oui quoi ! Si Hermès surgissait tout à coup, il fallait qu'il soit prêt !

Même si les hommes face à lui n'avaient strictement pas la moindre idée, ils opinèrent avec compréhension et laissèrent le chevalier descendre de la voiture. Il s'arrêta néanmoins quelques pas plus loin, se tournant vers Zhihao.

"Après vous, gente dame."

Comme c'était pratique la galanterie quand on oubliait le chemin de l'hôtel et le goût du gratiné.

Le chevalier d’or fit de son mieux pour contenter la foule qui, si elle n’était pas exactement en délire, n’était en tout cas plus autant en colère, mais en dépit de ses admirables efforts, l’asiatique ne pensait pas qu’ils l’écouteraient entièrement. C’était bien beau de leur dire d’aller se livrer à leur séance d’iconoclasme pyrotechnique en dehors des limites de la ville mais dans une métropole aussi étendue que le Caire, c’était plus facile à dire qu’à faire. Enfin, il ne devrait pas y avoir trop de problèmes tant qu’ils n’allumaient pas leurs feux de joie trop près de quoi que ce soit de combustible…

Peut-être était-ce dû au fait qu’il n’avait pas dessoûlé aussi complètement que Zhihao l’avait cru, comme le lui révéla l’examen pratiqué à l’aide de ses pouvoirs. Ça et le commentaire sur la course, qui donna aux policiers l’occasion d’entraîner leur jeu d’acteur en faisant semblant de savoir ce dont il parlait et de trouver tout cela parfaitement normal, oui monsieur, circulez, il n’y a rien à voir.

Bon, elle avait refermé la blessure et jugulé l’hémorragie, il ne lui restait plus qu’à soigner ces bleus qui n’étaient pas là tout à l’heure et résultaient donc probablement d’une collision malencontreuse avec le véhicule sur lequel il s’était hissé…

« C’est bon, ça devrait tenir. » conclut-elle juste avant qu’il ne redescende de son perchoir pour repartir en direction de l’hôtel. La militaire aurait aimé pouvoir disparaître dans la foule, mais c’était devenu mission impossible maintenant qu’ils étaient au centre de l’attention… même si les fêtards / émeutiers avaient suffisamment de bon sens pour se tenir à une distance respectueuse du paladin et de sa compagne. Bon, au moins ils n’auraient pas à se frayer un passage au milieu de la cohue, et ce n’était pas comme si le maintien de son déguisement exigeait de grands efforts de sa part.

Elle mima une posture affrontée en réaction au langage qu’employa le Lion pour lui dire de passer devant. Forcément, avec le masque, il fallait trouver d’autres moyens d’exprimer l’outrage, aussi feint soit-il.

« Je vous ai dit que je ne voulais pas être une noble. Mais soit, si vous insistez, moi aussi je peux jouer à ça. »

Aussitôt dit, aussitôt fait, la chinoise changea la façon dont ses éclats de métal étaient disposés, le manteau à capuchon se métamorphosant en l’une de ces robes de princesse excessivement bouffantes qui devaient sûrement empêcher celles qui les portaient de passer les portes. Puis, elle exécuta une révérence parfaite, comme tirée des pages d’un de ces manuels de bonnes manières que les demoiselles de la haute étaient forcées d’ingurgiter… et pour cause, puisqu’elle avait dû mémoriser un certain nombre de ces règles obsolètes, juste au cas où.

« Mille mercis, mon doux sire. Me ferez-vous l’honneur de m’escorter ? » acheva-t-elle avec la diction la plus aristocratique qu’elle soit capable de produire, avant de passer son bras à celui du chevalier et de se remettre à marcher. Elle n'aurait jamais agi ainsi en temps normal, mais il fallait bien qu'elle continue de se faire passer pour plus avinée qu'elle ne l'était réellement. Les retombées seraient un problème pour plus tard. Et en parlant de problèmes pour plus tard…

« Ayons une pensée humaine pour ce pauvre Azir du futur qui devra répondre aux questions des journalistes demain. J’espère qu’ils auront au moins la décence d’attendre la fin de votre gueule de bois. »

Elle exagérait quelque peu, ce n’était pas comme si elle comptait le laisser souffrir autant au réveil. Et puis ce ne serait pas non plus la première fois qu’il jouerait les porte-parole du Sanctuaire en s’adressant aux reporters.

"Wow."

Le chevalier du Lion se figea une seconde devant la soudaine métamorphose vestimentaire de la Chinoise -elle avait appris ça dans les Sims, forcément !-, puis devant son langage qui ne collait pas avec leurs discussions jusque-là. Pour ce qu'il arrivait à se rappeler avec cette fichue migraine qui commençait à lui faire pulser les tympans. Elle voulait jouer les princesses donc. Est-ce qu'il était désigné de facto comme le prince ? Est-ce qu'il devrait l'embrasser à la fin ?!? Celle-là, il ne l'avait pas vue venir. De blague. Pas de jeune femme. Enfin, vous avez compris.

Penaud, Azir se laissa entraîner bien qu'elle ait lui ai demandé le contraire. C'était peut-être une coutume chinoise. Ou alors elle avait eu le coup de foudre en le voyant défendre l'intégrité du patrimoine historique et culturel. Ou c'était un coup d'Aphrodite qui s'ennuyait au loin sur les cimes de l'Olympe et décidait de les récompenser bien à sa façon.

"Attendez une minute, Azir du futur ?! Ça veut dire que je serai capable de voyager dans le temps comme Flash ! Trop cool !"

Il se mit à chercher du regard un éclair de lumière, un éclat doré ou une longue chevelure blonde identique à la sienne, curieux de voir à quoi ressemblait son lui du futur, qui devait très certainement se cacher afin de ne pas changer les événements du passé. Ah mais du coup, il fallait éviter de le chercher. Sauf si son but était de changer un événement qui s'était mal passé ? Est-ce qu'il aurait mieux valu laisser ces manifestants s'en prendre au musée pour empêcher une nouvelle catastrophe divine majeure ?

"Merde, j'ai peut-être fait une bourde du coup..."

Partagé entre l'envie de se voir depuis le futur et la crainte de déclencher un effet papillon destructeur, le Lion d'or garda le silence pendant le reste du trajet, réfléchissant à toute allure.

Quand finalement ils atteignirent l'hôtel, le personnel du Sanctuaire, médecin, gardes du corps et logisticien en tout genre, lui firent oublier ses préoccupations avec un traitement à base d'auscultation méticuleuse -ils avaient vu les images et le sang sur ses bandages-, de la promesse d'un bon lit douillet et d'un petit-déjeuner de roi le lendemain s'il se reposait sagement. Ils firent mouche, laissant le blondinet faire ses adieux à Zhihao avant de se faire dorloter dans son ivresse.

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