Deux après sa première visite, Reagan était retourné à Johannesburg pour une mission qui paraissait autrement plus intéressante que de collecter des dettes. Cette fois-ci, les pontes de Death Queen Island l'avaient envoyé s'occuper d'un différend avec les triades chinoises. Se rendre en Afrique du Sud semblait étrange compte tenu de la nature de ce travail, mais cette incongruité pouvait en fait s'expliquer très aisément. En effet, si les espions de la Confrérie Noire peinaient encore à dénicher des informations capitales directement en Chine, leur tâche était plus facile dans les régions environnant l'Océan Indien. Ils avaient ainsi découvert l'existence d'une branche régionale des triades à Johannesburg, dans le quartier chinois de la banlieue de Bruma, ce qui était déjà un début pour aller à la rencontre des mafieux. De plus, cela évitait aux Black Knights de prendre des risques inconsidérés en s’enfonçant par exemple dans le bastion principal de l’ennemi, sans aucune connaissance de leurs forces. L’Oiseau de Paradis devait donc se charger de démolir l’antenne sud-africaine des triades afin de les inciter à abandonner les luttes d’influences avec sa faction.

Comparé à la dernière fois, le renégat avait changé sa garde robe : il s'était vêtu d'un blouson en cuir rouge, d'un pantalon assorti et d'un t-shirt blanc. Il était aussi chaussé de bottes noires, portait une chaîne en or autour du cou et avait teint ses cheveux en blond. Sa musculature était devenue beaucoup plus prononcée et il s'était ajouté de l'eye-liner afin d'appuyer son regard acéré. Le port altier et la démarche assurée, il franchit la pergola qui indiquait l'entrée du quartier chinois et commença ses investigations. Reagan était à la recherche d'un certain restaurant, une tâche qui pouvait s'avérer ardue tant le faubourg était immense et tant la zone regorgeait d'établissements de ce type. Selon ses sources, le mot "Mongkok" était présent sur l'enseigne du restaurant dans lequel se réunissaient les membres locaux de l'organisation mafieuse. Le problème était que le Chevalier Noir ne parvenait guère à s'imaginer qu'un syndicat du crime puisse s'installer dans les gargotes du coin, qui ne payaient franchement pas de mine. Il devait toutefois l'avouer, leur aspect populaire et modeste avait l'avantage de la discrétion.

Finalement, le mercenaire arriva en vue du restaurant en question, dont l'apparence transpirait la simplicité et l'ordinaire, bien qu'il jouisse également d'une atmosphère de convivialité. Quand il pénétra à l'intérieur, il s'aperçut que l'endroit était relativement petit et semblait ainsi encore moins propice à des activités criminelles. Cependant, il remarqua qu'un escalier en retrait, dissimulé derrière un panneau décoratif, menait à l'étage du bâtiment. Se pourrait-il que cet accès conduise à la salle où se rencontraient les truands ? Il était aussi possible qu'un passage secret se cache à l'arrière des cuisines, mais Reagan n'en était pas sûr. Il doutait par ailleurs de pouvoir repérer une personne suspecte en plein milieu d'après-midi, le bistrot étant désert à cette heure. Soudain, il fut coupé dans sa réflexion par une serveuse qui se chargea de le saluer :

"Bonjour monsieur, désirez-vous prendre une table ?"

"Non merci, je n'ai pas très faim pour l'instant, je venais juste pour regarder..." répondit l'Oiseau de Paradis.

"Si vous souhaitez réserver pour ce soir, sachez qu'aucune table n'a encore été prise pour l'instant."

"Aucune ? Dans ce cas je vais réserver, oui."

"Ce sera une table pour une ou plusieurs personnes ?" s'enquit la demoiselle, un carnet à la main.

"Une personne, je viens seul."

"Très bien monsieur, je vais vous noter ça. Vous prévoyez de venir à quelle heure ?"

"Sept heures et demi, dans ces eaux-là... Il se peut aussi que je ne me pointe qu'à huit heures, ça dépendra de si je ne m'attarde pas trop en centre-ville."

"A quel nom dois-je mettre la table, monsieur ?"

"Reagan. Bradley Reagan."

"Parfait monsieur Reagan, nous vous attendons donc ce soir !"

La serveuse s'inclina obligeamment devant son client et partit prévenir son employeur en conséquence. Quant au Black Knight, il tourna les talons et quitta l'endroit histoire de se promener ensuite à travers Johannesburg. Néanmoins, il allait éviter de trop se faire remarquer pour le moment, étant donné qu'il devait probablement encore être dans le collimateur de la police municipale. Dieu qu'il allait s'ennuyer avant de se mettre à aplatir ces faces de citron contre son poing saillant...

A sept heures et demi pile du soir, Reagan se présenta au restaurant Mongkok et s'assit à la table individuelle qui lui avait été préparée. Il commanda en entrée du concombre aux épices et des beignets de porcs à la vapeur, puis demanda à ce qu'on lui serve en guise de plat principal un pot-au-feu de bœuf et aux vermicelles, le tout accompagné d'une bière bien fraîche. Confortablement installé et sa nourriture dans l'assiette, le mercenaire ne perdit pas une seconde à dévorer son repas. Pour plus tard, il comptait se réserver un plat de crevettes à l'ail et de crabe au curry, son appétit vorace ne pouvant se contenter de si peu. Néanmoins, il ne se laissa pas distraire par son dîner et commença à observer attentivement la clientèle du bistrot. Parmi les nombreux asiatiques qui devaient fréquenter quotidiennement les lieux, certains d'entre eux devaient sûrement être des membres des triades chinoises. Cependant, il ne parvenait pas à distinguer de profils particuliers au milieu de toutes ces allées et venues.

Au bout d'une demi-heure, l'Oiseau de Paradis détecta une présence cosmique parmi un groupe de quatre personnes. Il s'agissait d'asiatiques habillés de manière tout à fait ordinaire et décontractée, presque comme des touristes, autant dire que rien ne paraissait étrange chez eux. Ce qui clochait était le cosmos que Reagan ressentait au sein de cette bande, une force qu'il ne parvenait pas à attribuer précisément à l'un des quatre individus. Ce dont il était certain, c'était que cette énergie appartenait au groupe et, s'il ne se trompait pas, cela signifiait que la mafia chinoise comptait des Éveillés dans ses rangs. Toutefois, le Chevalier Noir n'arrivait pas à évaluer la puissance de ce cosmos, son détenteur sachant masquer l'intensité de son aura. Le niveau de ces zigotos lui était donc inconnu, un manque d’information supplémentaire qui augmentait le risque encouru lors de cette mission. Qu'importe le danger, il devait tout de même enquêter à leur sujet.

Reagan vit le groupe s'adresser au patron du restaurant, qui s'empressa de leur ouvrir l'accès bloqué par le panneau décoratif. Les quatre gus montèrent ensuite les escaliers et la voie fut consciencieusement refermée juste après. Personne dans le bistrot ne semblait se formaliser de cette faveur, bien qu'il n'était spécifié nulle part que l'endroit avait une salle de service à l'étage. Si l'intuition du mercenaire était correcte, cela signifiait que le lieu vers lequel ces olibrius se dirigeaient était le point de réunion de la mafia chinoise. Finalement, il allait se passer du plat de crustacés pour cette fois et se dépêcher d'engloutir sa nourriture. Son repas terminé, l'Oiseau de Paradis régla l'addition et sortit de l'établissement pour s'infiltrer à l'étage depuis une ruelle déserte. Après s'être assuré qu'aucun œil indiscret ne l'épie, il sauta jusqu'à une fenêtre menant à la pièce où devaient se trouver les gangsters. A sa grande stupéfaction, il ne rencontra personne à l’intérieur de la salle, comme si les inconnus s’étaient évaporés dans la nature.

Persuadé que nul ne pouvait se volatiliser de la sorte sans avoir utilisé une astuce plus qu’élémentaire, Reagan se mit à fouiller le coin de fond en comble. Sa persévérance fut récompensée lorsqu'il dénicha une porte camouflée contre un mur, celle-ci faisant la liaison avec le bâtiment collé juste à côté du bistrot. Le faux blond continua donc sa poursuite des quatre énergumènes par la traversée d’un couloir puis la descente d’un escalier en colimaçon, le chemin qu’il empruntait devenant ainsi de plus en plus tordu. Le Chevalier Noir déboucha alors dans un espace souterrain similaire à un parking, où il retrouva le groupe en compagnie de deux autres individus. Ces derniers étaient un oriental en costard-cravate blanc secondé par un gaillard vêtu d'un imperméable beige et à la peau couverte de bandages.

Alertés par cette intrusion, les six hommes se tournèrent brusquement vers le renégat et se mirent en posture défensive. Celui qui paraissait être le chef, si on se référait à son costume élégant, apostropha furieusement le trouble-fête :

"Qui t'es toi ?! Qu'est-ce que tu viens faire ici ?!"

"Je suis le dératiseur, bande de salopes !" rétorqua crânement l'Oiseau de Paradis. "J'ai entendu dire qu'il y avait des rats qui rôdaient dans le coin, alors je suis venu les exterminer. Vous êtes des triades chinoises, n'est-ce pas ? Tout ce dont vous avez besoin de savoir est que je vais me charger de nettoyer Johannesburg de votre présence..."

"HEIN ?!" rugit le truand, une veine se dessinant sur son front.

Les mafieux, à l'exception du malabar momifié, ne cherchèrent guère plus à se justifier et dégainèrent promptement des flingues afin de cribler l'importun de balles. Ce dernier para aisément les tirs avec ses poings et, une fois la fusillade terminée, ouvrit les mains pour déverser par terre les munitions qu'il venait tout juste de bloquer. Étonnés par ce prodige, les cinq asiatiques demeurèrent éberlués durant quelques instants, avant que leur complice bandé n'intervienne et éclaircisse la situation :

"Inutile de gaspiller vos balles contre ce mec, il possède les mêmes facultés que nous, si ce n'est plus... C'est un envoyé de l'Ordre Noir et j'ai déjà eu l'occasion de me frotter à lui, autant dire que je suis bien placé pour savoir de quoi il est capable."

"Ah d'accord, ça explique tout." grogna l'un des faux touristes.

Les criminels rangèrent leurs pistolets et commencèrent à déboutonner leurs chemises, le Chinois en costard se cachant derrière ses comparses. Quant au gorille momifié, il se contenta de mettre ses mains dans ses poches et de regarder ses collègues se mettre torse nu puis faire craquer les jointures de leurs doigts. Reagan observa alors l'énergie spirituelle des quatre orientaux s'enflammer, ce qui confirmait qu'ils étaient tous des Éveillés. L'hostilité que dégageait leur aura poussa le mercenaire à embraser son cosmos à son tour et à se mettre en garde, bien qu'il doutait que ces bouffons puissent lui poser un quelconque problème. Ces andouilles n'avaient même pas réussi à le repérer tandis que lui si, une inaptitude qui laissait présager de leur manque de force et de maîtrise ! En prenant ce paramètre en considération, comment comptaient-ils se mesurer à un guerrier du calibre de l'Oiseau de Paradis sans essuyer une cuisante défaite ?

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=h5AK9HsK05s -BGM

Néanmoins, il sentait que quelque chose clochait chez ces chinetoques, mais il n'arrivait pas à comprendre quoi... Et qui était donc cette tronche de momie qui les accompagnait et semblait le connaître ? Qu'importe, Reagan n'avait de toute manière guère d'intérêt pour ce que pouvaient raconter les futurs cadavres !

"C'est bien beau de vous être débarrassés de vos jouets, mais n'imaginez pas pour autant pouvoir me battre !" se gargarisa-t-il. "Vous allez découvrir la force d'un véritable Black Knight !"

Devant cette provocation, la seule réplique du quatuor fut de foncer tel un seul homme sur le mercenaire avec une surprenante célérité. Toutefois, les mafieux se séparèrent subitement avant d'entrer en collision avec leur adversaire et se mirent à tournoyer autour de lui. L'Oiseau de Paradis était désormais encerclé et avait du mal à suivre les mouvements de ses ennemis, qui ressemblaient à une espèce de danse hypnotique. Soudain, l'assaut débuta sans crier gare, les Chinois lui décochant des offensives à la façon de fusées propulsées contre lui à toute vitesse. Les quatre gangsters attaquaient en ordre successif et prenaient soin d'alterner leurs places ainsi que leur schéma d'assaut, ceci afin de désorienter leur proie. Cependant, celle-ci parvenait à se défendre et à maintenir la cadence, en dépit de la difficulté que représentait la nouveauté de l’arcane employé par les truands. Frustrés par tant de résistance, ces derniers décidèrent d'accélérer le rythme, en vain.

Dans l'objectif de briser l'encerclement, Reagan émit une puissante onde cosmique qui ne manqua pas de déstabiliser ses antagonistes. Il profita donc de ce répit pour se ruer sur l'un des mafieux et le mettre au tapis d'un direct explosif en pleine tronche. Il enchaîna en terrassant un deuxième criminel d'un revers du coude puis essaya d'en éliminer un troisième dans la foulée. Néanmoins, sa cible intercepta le coup de poing qui lui était destiné et tenta de lui asséner en représailles un maegeri à la gorge. Le Chevalier Noir esquiva ensuite une offensive par derrière du quatrième et bondit hors de leur zone d’attaque histoire de prendre ses distances. S’il avait évité de peu d’encaisser des coups létaux à l’aide de ses réflexes et de sa rapidité, il constatait en revanche que la technique de ses adversaires était plus sophistiquée que la sienne. En signe de défiance et d’agressivité, les deux asiatiques adoptèrent des postures propres aux arts martiaux chinois et invitèrent le mercenaire à approcher. Ils canalisèrent également leur énergie cosmique et la sublimèrent au maximum : cette fois-ci, ils n'allaient plus se retenir et ne sous-estimeraient plus leur opposant.

Reagan accepta de répondre à la provocation des deux Chinois et se lança ainsi à l'assaut d'un sprint fulgurant. Il tenta de tacler l'un de ses adversaires, mais celui-ci épousa le flux de l'attaque et envoya valser le renégat vers son coéquipier. Ce dernier réceptionna l'ennemi d'un direct au foie, enchaîna avec un coup de coude puis déploya le bras qu'il avait plié pour cette action afin de cogner à la figure. Le gangster conclut sa combinaison offensive avec une pression de sa paume contre l'estomac du Chevalier Noir, qui cracha du sang sous l'effet de l'onde qui traversait son corps. Le second truand embraya sur la lancée de son compère en exécutant un coup de pied aérien en plein dans la poire de leur adversaire. Celui-ci s'effondra de tout son long par terre, mais parvint à esquiver une attaque plongeante d'un des mafieux d'une roulade sur le côté.

L'Oiseau de Paradis effectua ensuite un salto avant spectaculaire vers le faux touriste le plus éloigné de lui, enserra la tête de ce dernier entre ses mains et lui dévissa la nuque d'une traite. Le malheureux s'écroula au sol tel un sac de patates tandis que son assassin se jeta férocement sur son collègue terrifié. Le criminel essaya de se défendre de l'offensive du mercenaire, en vain : il fut comme impitoyablement happé par un torrent destructeur, sa maîtrise martiale ne lui permettant pas de juguler la force démentielle qui lui était opposée. Effectivement, Reagan l'écrasa furieusement d'une vague d'énergie cosmique pure lancée depuis son poing gauche, à une vitesse qu'un minable tel que lui ne pouvait concevoir. Le chinois fut propulsé à l'autre bout de la pièce, percuta brutalement le mur et explosa en mille morceaux sous la puissance qui était exercée contre lui. Satisfait du résultat, le Black Knight poussa un soupir de soulagement puis essuya l'hémoglobine qui coulait de ses lèvres, les dommages qu'il avait reçus semblant ne jamais avoir existé.

Néanmoins, verser son sang était un outrage qui exigeait réparation, aussi allait-il tranquillement se venger sur les deux larrons restants. Une expression carnassière au visage, il s'avança lentement mais sûrement vers ses proies. Cependant, le chef présumé des truands et le malabar momifié ne se dégonflèrent pas et firent stoïquement face à leur ennemi.

"Alors, c'est tout ce que vos troufions savent faire ?" les nargua l'Oiseau de Paradis. "On dirait plus des ballerines qu'autre chose, si vous voulez mon avis !"

"Ne t'emballes pas trop vite, mon garçon." grogna l'homme aux bandages. "Je m'attendais à ce que tu sortes victorieux de cet affrontement et que tu sois bien plus balèze que la dernière fois... Maintenant que je t'ai observé, je sais que tu n'as plus aucun secret pour moi et que tu n'es plus de taille !"

"Ben voyons... Et à qui ai-je donc l'honneur ? Je ne me rappelle pas t'avoir déjà rencontré, à ce que je sache."

"Espèce de- ! Tu as du culot pour me dire ça en face, après l'enfer que tu m'as fait subir ! Mais très bien, puisque tu insistes..."

L'inconnu commença alors à enlever les bandelettes qui dissimulaient son visage, révélant progressivement au monde une peau noire couverte de balafres hideuses. Son œil droit était vitreux, son oreille gauche dotée d'un support auditif, son nez remplacé par une prothèse et son râtelier avait été intégralement refait. La sévérité des blessures qu'il collectionnait renvoyait l'image d'un individu réduit à l'état de loque humaine, mais dont le regard incendiaire laissait transparaître une haine incommensurable et une volonté combative à toute épreuve. C'était comme si la rancœur qui l'habitait parvenait à soutenir seule ce physique en ruines. Toutefois, Reagan n'arrivait toujours pas à se souvenir de ce personnage... Après tout, s'il devait se rappeler de tous les gens qu'il avait estropiés, il n'était pas près de se coucher ! Remarquant qu'il l'avait manifestement oublié, ce fut au gaillard mutilé de lui rafraîchir la mémoire :

"Tu te rappelles d'Edward Senga, le mec que tu as sauvagement trucidé il y a deux ans de ça ? En plus d'être son ami, sache que j'étais le commissaire de police de Johannesburg à l'époque, avant que tu ne foutes nos vies en l'air... Tu te souviens maintenant ? Après t'avoir mis une branlée, Eddy m'avait demandé de me charger de ton interrogatoire, sauf que tu m'as totalement massacré dès ton réveil. Si tu savais à quel point j'en ai bavé pour me remettre du calvaire que tu m'as fait endurer, j'enrage rien que d'y penser !"

"Ah oui, ça faisait un bail dis donc !" siffla le mercenaire d'un ton guilleret. "Vous m'aviez bien énervé cette nuit-là, aussi n'y suis-je pas allé de main morte quand j'ai dû vous régler votre compte."

"Sale petite enflure... A cause de toi, j'ai tout perdu ! Que ce soit mon boulot, ma femme, ma maison, mon statut... TOUT ! Et dire que j'avais travaillé dur pour monter dans la société, obtenir une place respectable dans cette fichue ville et épouser une nana de la bourgeoisie locale ! Tu l'aurais vue, une blonde magnifique à la beauté naturelle, pas un connard peroxydé tel que toi ! Ces nostalgiques de l'apartheid fulminaient en voyant un nègre comme moi se marier avec une de leurs filles blanches, mais il a suffit que j'échoue une fois pour qu'ils me le fassent payer avec les intérêts ! Et tout ça, c'est de ta faute !"

"Tes histoires ne m'intéressent pas mon coco, je suis venu ici pour tabasser du chinetoque, pas pour écouter tes pleurnicheries."

"Tu continues de te moquer de moi, hein ?! Tu vas voir, je ne suis plus le même homme que la dernière fois ! Toute ma colère, toute ma tristesse, toute mon amertume et toute ma frustration ont permis à mon cosmos de surpasser ses extrêmes limites ! Mon corps brisé est devenu encore plus puissant qu'avant et mon désir de vengeance a porté ma force toujours plus loin ! Il est hors de question que je perde contre toi une nouvelle fois, tu piges ?!"

"Tu parles beaucoup pour une catin qui s'est faite rouler dessus... Et si tu me montrais si tu as réellement progressé, au lieu de me gaver avec tes élucubrations ?"

L'ex-policier, exaspéré au plus haut point par la désinvolture de l'Oiseau de Paradis, libéra son énergie spirituelle et fondit vers son antagoniste. De ses mains jaillirent des rayons laser d'une couleur écarlate, fusant telles des comètes et frappant violemment leur cible au torse. Cette dernière se replaça promptement en position de défense à l'aide d'une acrobatie puis para une nouvelle salve lumineuse tout aussi vigoureuse que les précédentes. L'ancien commissaire martela ensuite frénétiquement Reagan de coups de poing, mais n'arriva guère à transpercer sa garde malgré tous ses efforts. En conséquence, il tenta de le pilonner au contact avec une rafale photonique, sans plus de succès.

"DADADADADADADADADADADADADADADADADADA !"

Le Chevalier Noir riposta en lui infligeant un uppercut cinglant puis en lui décochant un coup de pied à l'abdomen. Le malabar momifié tomba alors à genoux et cracha une gerbe de sang, son expression faciale trahissant son incrédulité devant la tournure que prenait le duel. Son opposant, d'humeur pédagogue, consentit à lui expliquer où se situait le problème :

"Tu as fait la même erreur de débutant que ton copain, mon vieux. Pour être plus précis, tes attaques ne sont que de la grosse esbroufe de compétition, sans aucune substance derrière elles. Là où Senga cachait son manque de maîtrise par la tricherie, tu compenses la faiblesse de tes coups en privilégiant leur célérité dans l'espoir que leur accumulation te donne l'ascendant. Et encore, ce ne sont pas tes mouvements en eux-mêmes qui sont rapides, mais bien les rayons que tes paumes émettent. Non seulement tes assauts ne peuvent pas me faire de mal, mais en plus je peux facilement les anticiper... En conclusion, tu ne peux pas me vaincre."

"Que tu crois..." répliqua l'ex-policier. "Honnêtement je ne pensais pas te revoir un jour, mais le destin m'a mis de nouveau sur ta route pour que je puisse enfin prendre ma revanche ! Les cieux ont déjà décidé de ma victoire, j'en suis certain !"

"Ou ils ont juste envie de t'achever, ça marche aussi."

"TA GUEEEEEEEEEEEULE !!"

L'homme aux bandages se redressa soudainement et abattit le tranchant de sa main contre le mercenaire. Néanmoins, celui-ci bloqua l'offensive avec son bras gauche et trancha par inadvertance le membre de son agresseur, trop fragile pour résister à une telle collision. L'ancien officier avait pourtant renforcé son coup avec une lame incandescente, alors pourquoi avait-il aussi douloureusement échoué ? Aveuglé par sa fureur, il fit une nouvelle tentative avec son second bras en visant cette fois-ci la gorge de son antagoniste. Hélas, il n'eut pas plus de chance et vit ses os ainsi que ses muscles se déchirer avant de complètement se fendre dans une grotesque effusion d'hémoglobine. L'ex-policier poussa un horrible hurlement de souffrance, mais il se tut brusquement quand Reagan lui brisa les rotules en un instant. Toutefois, ce dernier ne lui laissa guère le temps de choir par terre et lui colla une mandale titanesque en travers de la tronche, faisant valdinguer le gorille momifié jusqu'à un pilier qui se fracassa à l'impact.

L'oriental en costard contempla la carcasse du malheureux et comprit qu'il était mort sur le coup. La gifle avait été d'une telle intensité que son cerveau avait été réduit en compote et son crâne entièrement fracturé. Nul humain ne pouvait survivre après un pareil châtiment, aussi le Chinois ne pouvait-il plus compter que sur lui-même. D'une sérénité exemplaire en dépit du trépas de ses acolytes, il se recoiffa élégamment, réajusta sa cravate et s'approcha du renégat. Il lui tendit ensuite la main de façon amicale, un grand sourire sur son visage semblable à celui d'un Bouddha. Interloqué par ce geste, le Black Knight hésita sur la manière dont il devait gérer cette situation.

"Vous êtes un jeune homme très talentueux, vous le savez ?" le félicita le mafieux. "Que diriez-vous de travailler pour nous ? Les individus de votre qualité manquent cruellement à notre organisation, ce serait un honneur de pouvoir vous compter dans nos rangs... Nos guerriers ne sont peut-être pas aussi redoutables que ceux de la Confrérie Noire, mais notre sens des affaires, notre réseau d'information et notre fortune sont de loin supérieurs à ceux que vous possédez actuellement."

L'intéressé ne pipa mot et se contenta de jauger l'asiatique, qui se demandait s'il ne faisait pas la conversation à un mur. Cependant, il ne se découragea pas et insista sur son offre :

"Vous serez grassement rémunéré, vous pouvez en être convaincu ! Notre hiérarchie saura aussi prendre soin d'un combattant de votre envergure, vous pourrez ainsi jouir d'une position prestigieuse au sein de notre famille ! Alors, qu'en dites-vous ?"

Finalement, Reagan soupira et se gratta la tête, comme s'il s'apprêtait à annoncer une mauvaise nouvelle à quelqu'un qu'il appréciait. Après avoir rassemblé ses idées, il rétorqua au gangster d'une voix lasse :

"Désolé mon brave, mais j'ai trois raisons de refuser votre généreuse proposition. La première est que je préfère construire ma fortune de mes propres mains, sans avoir à dépendre d'une organisation trop stricte. La deuxième est que je déteste abandonner un boulot en cours de route, je trouve ça obscène. Troisièmement : vos triades se feront absorber tôt ou tard par notre faction, et je n'aime pas être dans le camp des perdants."

Sans laisser transparaître son hostilité, le truand essaya d'agripper la figure de l'Oiseau de Paradis, sauf que ce dernier put éviter l'assaut grâce à ses réflexes. Le second éloigna le premier de son périmètre vital en déployant une onde d'énergie sphérique autour de lui. A la stupéfaction du mercenaire, le Chinois parvint à détourner la force dont il irradiait pour la concentrer entre ses deux mains. Il apposa ensuite ses paumes sur le ventre de son ennemi, capitalisant sur l'ouverture provoquée par son éruption de cosmos, et déversa toute la puissance qu'il avait canalisée. L'impulsion dévastatrice projeta Reagan à une vingtaine de mètres et il lutta pour garder son équilibre malgré la violence de la technique qu'il venait d'encaisser. Il en était certain : cet énergumène était d'un niveau largement supérieur à celui des autres guignols.

"Les arts martiaux chinois, en particulier ceux dévoués à la culture du "ki", prennent tout leur sens une fois conjugués à la manipulation du cosmos." professa doctement le chef des mafieux. "Face à un maître tel que moi, une tête brûlée de ton acabit ne peut triompher !"

Il ôta alors sa veste et en sortit des nunchakus d'une taille impressionnante, trop gros pour être maniés par un homme de son gabarit. Néanmoins, le criminel remédia à ce souci en se transformant en une espèce de colosse musculeux, comme s'il s'était extirpé d'un accoutrement trop étroit pour lui. Il ne s'agissait pas d'une simple hypertrophie musculaire, mais bien d'une révélation de ses capacités jusqu'ici restreintes. Le gangster procéda ensuite à un bref exercice de respiration puis s'échauffa avec son arme. Ceci fait, il infusa son instrument de bataille avec une décharge électrique et s'avança lentement en direction du Chevalier Noir. Une expression grave au visage, il nargua ce dernier d'un ton lourd de menaces :

"Si jamais tu te fais toucher par mes nunchakus ne serait-ce qu'une seule fois, ton corps se brisera comme une brindille en bois. Penses-tu toujours pouvoir gagner contre moi, jeune insolent ?"

BGM- https://www.youtube.com/watch?v=wvh9iPYuzes -BGM

"Les arts martiaux chinois, hein ?" grommela le mercenaire, encore endolori et abasourdi. "C'est de l'arnaque ton truc, comme votre médecine ancestrale de charlatans... Je vais te dire ce qui est le plus important quand tu es éveillé au cosmos : C'EST LES TRIPES QUE TU Y METS !"

Reagan embrasa donc son cosmos jusqu'à son paroxysme, effectua un bond sensationnel et émit une lumière éblouissante de son corps. L'éclat dont il irradiait aveugla momentanément son adversaire et il profita de cette opportunité pour lui asséner l'arcane secret hérité de sa constellation : le Radiance Spear. L'Oiseau de Paradis descendit ainsi en flèche vers sa cible, qui tenta de se protéger avec ses nunchakus, et perfora ses fléaux d'un coup de pied aérodynamique. Il poursuivit son assaut en attrapant la nuque de son vis-à-vis afin de lui enfoncer brutalement son genou dans la gueule et, pour faire bonne mesure, lui infligea un flash-kick spectaculaire en pleine mâchoire. En conséquence, le mafieux s'équipa de shuāng chā dāo rangés dans son pantalon puis passa nerveusement à la contre-attaque.

"TOOORYAAAAAAAAAAAAAAAAH !!"

Le renégat écopa de plusieurs coupures pour sa peine, celles-ci suffisant en dépit de leur légèreté à le mettre dans une colère noire. N'étant plus d'humeur à esquiver les offensives, il tronçonna à main nue les couteaux de son ennemi et le frappa rageusement à l'abdomen. L'asiatique dégobilla alors tout le contenu de son estomac par terre et ne put se prémunir de la riposte bestiale de son opposant. Ce dernier l'agonisa d'un ouragan de coups tous plus ravageurs les uns que les autres, jusqu'à réduire l'intégralité de son squelette en miettes. Reagan termina le combat en plantant son index entre les deux yeux de sa victime pour la pulvériser d'une déflagration cosmique.

"HIIIIIDEEEEEEEBUUUUUUUUUUUUUUUU !!"

La silhouette du Chinois s'évapora ainsi dans un geyser fuchsia, ne laissant plus aucune trace de son existence derrière lui. Satisfait après un pareil défouloir, le mercenaire souffla de soulagement et enleva sa blouse rouge pour constater l'étendue des dégâts. Hélas, son habit était complètement laminé et se retrouvait bon pour le recyclage, à défaut d'un rapiéçage qui ne correspondrait de toute évidence pas à ses exigences esthétiques. Qu'importe, il avait accompli sa mission et gagné l'affrontement, c'était tout ce qui comptait pour lui. Fier de sa victoire, le Chevalier Noir posa sa veste sur son épaule gauche et quitta finalement le souterrain. Avec cela, les triades allaient enfin capter qu'elles n'avaient plus intérêt à marcher sur les plates-bandes de Death Queen Island.