Après avoir trouvé le moyen de descendre du toit où Beldur l’avait abandonné, Rogos avait enfin pu mener à bien ses projets de gueuleton. Le répit fut cependant et comme toujours de courte durée, car une Fée ne tarda pas à l’approcher alors qu’il achevait de se remplir la panse. Légèrement irrité par l’arrivée de cette dernière, il fit passer son regard – noir, le regard – du papillon infernal à la brochette d’insectes qu’il était en train de déguster puis de nouveau au papillon, espérant que son cerveau minuscule serait capable de faire le rapprochement. C’était heureusement le cas, à en juger par la façon dont la Fée sembla reculer nerveusement. Satisfait que la menace ait été comprise, le Dullahan prit finalement connaissance du message qui lui était adressé.

Apparemment une opération se préparait à Sydney, en lien avec une sombre histoire de décès d’aborigènes aussi nombreux qu’inexpliqués. Le cavalier sans tête était appelé en renfort puisque c’était lui qui se trouvait le plus près et qu’aucune autre tâche ne l’accaparait pour le moment.

« Pas de repos pour les morts... » regretta-t-il en terminant sa brochette dans un craquement de chitine frite – et délicieusement croustillante – qui poussa la Fée à s’éloigner à bonne distance, pour son plus grand amusement. Le messager ailé continua néanmoins de le suivre alors qu’il se mettait en quête d’un endroit désert d’où il pourrait regagner l’Au-delà, après quoi les rôles s’inversèrent et ce fut à l’insecte de le guider pour la seconde moitié de son voyage inter-planaire.

Il reposa les pieds sur Terre dans ce qu’il apprit être le quartier de Kings Cross, d’après le petit topo que le Squelette qui lui avait envoyé la Fée avait aimablement inclus dans ses ordres de mission. La zone la plus densément peuplée d’Australie, quartier touristique et haut lieu de la vie culturelle et nocturne de la cité, abritant toutes sortes de bars, restaurants, cinémas et autres salles de jeux et de spectacles de plus ou moins bon goût. Si l’endroit était très prisé de la jeunesse branchée de Sydney et d’ailleurs, il ne fallait pourtant pas oublier que, comme souvent avec certains types de « divertissements », le crime organisé ne se trouvait jamais bien loin, son ombre planant sur les activités de prostitution, de trafics de drogues et de jeux d’argent qui proliféraient également ici.

« Évidemment, il fallait que ça tombe sur moi. » maugréa l’Étoile Terrestre, qui ne se sentait pas du tout à l’aise dans un tel environnement. Il n’avait jamais été du genre à se mêler aux fêtards ni à fréquenter ces lieux de perdition, même de son vivant, et le passage à l’existence de Spectre n’avait rien arrangé en la matière. Sans parler de tous ces mois passés cloîtré dans les laboratoires des Agences ; il lui faudrait un certain temps pour se réadapter à la vie civile… Mais il avait un travail à accomplir et ses coreligionnaires comptaient sur lui. Il était chargé d’épauler une Étoile Céleste fraîchement émoulue – il était bon de voir que leurs effectifs s’étaient quelque peu étoffés en son absence – et c’était bien ce qu’il comptait faire.

Marchant toujours dans le sillage du papillon, qui avait d’ailleurs été rejoint par un de ses congénères durant le trajet, le français retourné à ses habits civils se fraya un chemin parmi la foule des passants en faisant bien attention au contenu de ses poches et de son sac ainsi qu’à ses blessures. Il n’était plus très loin, s’il interprétait correctement les mouvements du duo d’insectes, et en effet ceux-ci le menèrent après quelques minutes à un individu qui ne pouvait qu’être son supérieur. S’assurant que personne ne se trouvait à proximité pour les entendre et curieux de savoir quel genre de personne venait de rejoindre leurs rangs, il ne perdit pas un instant avant de l’aborder.

« Rogos du Dullahan au rapport, monsieur. Vous avez demandé de l’assistance ? En quoi puis-je vous être utile ? »

Ses pas le menèrent sur King Ross. Tellement pris dans ces pensées, tentant de savoir par ou commencer qu'il ne s'en était pas aperçu. Le bruit ambiant, la foule et les néons aux couleurs agressives eurent vite fait de sortir le Béhémot de sa rêverie.

Il accompagnait son père à Sydney pour ses voyages d'affaires et déjà à cette époque, le jeune Australien qu'il était évitait ce quartier, surtout de nuit. Trop de monde, trop de drogue, trop de tout.
Il savait que c'était le plus court chemin pour atteindre le quartier aborigènes mais ce n'est pas pour autant que cela l’enchantait.

Drow aperçut les deux fées virevolter près de lui et compris que la cavalerie était arrivée.
« j'espère que je n'ai pas crié au loup pour rien » pensa-t-il.
Il vit arrivé son nouveau collègue qui ne perdit pas de temps en vaines paroles et se présenta d'une façon toute militaire.

Le jeune homme plus grand que Drow ne semblait pas plus à l'aise que lui en ces lieux.
«Drow du Béhémot, enchanté. J'ai demandé de l'assistance. Je suis nouveau et je pense qu'il se passe des choses pas très nettes ici. Mais ce n'est qu'une intuition, rien de concret » L'étoile Céleste préférait être direct avec son nouveau collègue.
Il ajouta levant les yeux pour le regarder « vous avez sûrement plus de bouteille que moi, me donner du monsieur est inutile »

Ils continuèrent d'avancer. Les touristes, qui pourtant connaissaient la réputation du quartier, s'y ruaient en masse pour photographier tout et n'importe quoi. Une couple et leurs enfants posaient devant les portes d'un sexshop. Affligeant.

« Vous êtes blessé ? »interrogea Drow. Fin observateur, l'ont pouvait remarquer une certaine retenue dans les pas du Dullahan. « j'espère que vous ne poussez pas vos limites pour m’épauler » s’enquît-il non sans une pointe de culpabilité mais aussi de satisfaction. Les effectifs infernaux étaient certes limités mais volontaires « bon, pas de repos pour les morts comme on dit ».

Après quelques minutes de marche où l'Australien expliqua qu’après mûres
réflexions, il avait dans l'idée d'interroger directement la population aborigène au sujet d'une mortalité exceptionnellement élevée dans leur population ces derniers mois. Ils arrivèrent au dernier carrefour délimitant King Ross d'un quartier résidentiel de seconde zone ; quand passant devant le dernier bar à la façade plutôt chic, la porte s'ouvrit violemment. Il sembla à Drow apercevoir un félin passer à toute vitesse entre les jambes d'un homme.
Ce dernier ne le vit pas et trébucha. Son vol plané le fit atterrir directement dans les bras du Béhémot.

L'étoile Céleste le réceptionna. L'homme ne semblait pas éméché mais plutôt contrarié et vexé de sa maladresse. Comme tout malabar sans cervelle qui se respecte, au lieu de s'excuser, il préféra se mettre en colère et insulter celui qui lui avait évité une chute monumentale sur le trottoir. En l'occurrence, Drow était tout désigné pour être son bouc émissaire.
Le bourrin faisait deux bonnes têtes de plus que le Spectre et au moins le double en largeur. Ce qui lui donnait plus d'assurance.

« Tu veux te fritter toi ? » hurla-t-il a la face de l'Etoile Céleste, « toi et moi …dans la ruelle !»

Un autre homme arriva. Plus petit que le premier et plus sensé apparemment. Il tira son comparse par le bras « Arrêtes Jarlaxle, on a du boulot. Laisses tomber».

Inspirant à fond, droit comme un i , le visage impassible et surpris que son cosmos reste à sa place, Drow se tourna vers son collègue un sourire aux lèvres « On fait quoi ? On garde la tête sur les épaules ou on punit cet impudent ? »

Le dénommé Drow lui fit une assez bonne première impression : il semblait conscient que le pouvoir de convoquer une Étoile Terrestre n’était pas une prérogative à utiliser à la légère et admettait son inexpérience sans pour autant se rabaisser indûment. Des signes encourageants.

« Mieux vaut garder l’œil ouvert. » répliqua le français, que le fait de devoir se déplacer sur la base d’une simple intuition ne dérangeait au fond pas plus que ça. Il était un Spectre après tout, membre d’un ordre d’éveillés auquel le Destin semblait adorer jouer des tours, plaçant souvent sur leur chemin des coïncidences qui n’en étaient pas vraiment. « Enquêter ne nous coûte pas grand-chose, et nous nous devons de rester à l’affût de toute menace ou opportunité potentielles. Il se peut que ce ne soit qu’une fausse alerte, auquel cas nous n’aurons fait que perdre un peu de notre temps, mais il se peut également qu’il s’agisse de quelque chose de plus sérieux, auquel cas il vaut mieux en être avertis au plus vite. Quant à votre appellation, comprenez que quelle que soit la différence d’expérience, vous êtes un meneur alors que je ne suis qu’un simple exécutant. Mais si vous préférez que je m’adresse à vous autrement, je m’efforcerai de vous mettre à l’aise. »

Ces choses mises au point, les deux Étoiles Maléfiques se remirent en route dans le dédale de ce quartier si particulier et surtout si… exubérant. Le cavalier sans tête se retrouva vite au bord de la surcharge sensorielle, assailli par les lumières d’enseignes tapageuses, la cacophonie de voix et de musiques, le mélange d’odeurs alléchantes ou répugnantes… Il avait décidément passé trop de temps en petit comité dans des locaux aseptisés. Mais au moins il n’était pas seul dans sa souffrance, le Béhémoth ne paraissant guère plus réceptif aux « charmes » des lieux.

Son supérieur restait cependant suffisamment attentif pour remarquer l’inconfort physique de son subordonné. Il n’avait pas à s’inquiéter : « Ne vous en faites pas pour moi, j’ai déjà subi bien pire. Au moins je ne suis pas mort cette fois. »

Ce n’était pas comme s’il comptait beaucoup sur ses capacités physiques pour faire usage de son cosmos de toute façon ; son Surplis était déjà presque entièrement réparé, c’était l’essentiel. Ce dont l’australien parla ensuite, complétant le court briefing transporté par la Fée, importait davantage : la situation que ce dernier décrivait au Dullahan lui rappelait ce qu’Andréa lui avait raconté de son voyage à Asgard, ainsi que d’autres souvenirs de ce qu’il avait appris ces derniers mois au cours de sa propre mission.

« Je vois. Blessé ou non, vous avez bien fait d’appeler du renfort. Les disparitions de masse inexpliquées, c’est très mauvais signe. Si nous ne trouvons rien ici, nous pourrons toujours retourner au bercail et enrôler l’aide des Squelettes pour retrouver ces défunts et les interroger sur les circonstances de leur décès. »

Même avec du renfort, retrouver une poignée d’âmes au milieu des centaines de milliers de nouveaux résidents de l’Au-delà qui échouaient chaque jour au Yomotsu Hirasaka puis sur la rive de l’Achéron ne serait pas une sinécure. Ils n’en étaient pas encore là, toutefois… mais les événements conspiraient une fois de plus pour gêner les serviteurs des Enfers. Devoir progresser au milieu de la foule des touristes et des locaux était une chose, être violemment pris à parti par une grande brute énervée qui n’assumait ni son inattention ni sa maladresse en était une autre. Ça n’avait rien à voir avec leur mission, ils avaient mieux à faire… et pourtant. Que dirait Wolgorn s’il voyait deux Spectres, même incognito, s’écraser ou se débiner face à un tel spécimen ? Même s’ils devaient garder profil bas, il y avait des limites aux vices qu’ils pouvaient se permettre d’ignorer quand ceux-ci se donnaient en spectacle juste sous leur nez.

« En temps normal je dirais de l’envoyer paître… sauf que là j’ai besoin de déstresser un coup. C’est vous le chef, c’est vous qui voyez, tant qu’on fait ça sans trop attirer l’attention. Quant à savoir qui s’occupera de corriger ce monsieur, ça m’est égal. »

Le gros plein de testostérone le regarda comme s’il venait de dire une énormité, ce qui était sans doute le cas de son point de vue. Le petit, lui, leva au ciel des yeux pleins d’exaspération tout en continuant d’essayer de calmer son compère échauffé. Qu’il y arrive ou non, peu importe : dans un cas les Spectres seraient libres de reprendre leur chemin, dans l’autre ce ne serait pas à Rogos de servir de sac de frappe, pour une fois.

L’altercation commençait à attirer des spectateurs, il devenait urgent de gagner un endroit plus calme. La dernière chose dont les Spectres avaient besoin serait que quelqu’un transmette leur signalement à la police, ce qui les forcerait à manœuvrer pour l’éviter pendant tout le reste de leur enquête. Heureusement que Drow était arrivé à court de patience : confronté à l’incessante agressivité de Jarlaxle, le Béhémoth finit par prendre les devants, rappelant douloureusement à la grande brute les raisons pour lesquelles accoster des inconnus dans la rue en leur cherchant des poux était une très mauvaise idée. Rogos suivit le mouvement tandis que l’australien entraînait son compatriote à l’écart, n’échangeant qu’un regard avec le deuxième homme, toujours anonyme.

Le Dullahan n’avait pas rêvé. Quand son supérieur s’était servi de son cosmos sur l’énervé, son compagnon s’en était rendu compte, ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose : il s’agissait également d’un éveillé. L’Étoile Terrestre resta sur ses gardes tout au long du trajet jusqu’à l’allée déserte où Drow se débarrassa brutalement de sa cargaison, et garda les yeux fixés sur sa cible alors que son supérieur présentait ses excuses.

« C’est de sa faute, il aurait dû se rappeler l’expression « Stranger danger ». Et ce n’est pas grave, il y a toujours l’autre. »

L’autre qui choisit d’ailleurs ce moment pour confirmer qu’il était bel et bien un éveillé, peignant par la même occasion un tableau des plus étranges de par ses paroles. Alors comme ça il y avait toute une bande d’éveillés à Sydney et, plus étonnant encore, quelqu’un d’assez puissant pour les plier tous à sa volonté ? Certes, ce n’était pas forcément un grand exploit – entre les recruteurs du Sanctuaire qui sillonnaient la planète à la recherche de nouveaux chevaliers potentiels, les autres factions divines, les Agences et divers autres groupes d’intérêt, ajouté au fait que tout ce petit monde faisait tout son possible pour éliminer ceux qu’ils considéraient comme une menace, il ne devait plus rester que le fond du panier –, toutefois ce n’était pas non plus quelque chose qu’on voyait tous les jours.

« Ça c’était mon collègue en situation de légitime défense. » rétorqua le cavalier sans tête en se plaçant face à l’inconnu, obéissant aux instructions implicites de l’Étoile Céleste. Pour une fois qu’une coïncidence invraisemblable jouait en leur faveur, il n’allait pas laisser passer l’aubaine. « Et vous avez raison, nous ne sommes pas d’ici. Pourquoi vous ne nous expliquez pas tout ça plus en détail ? Quel est cet arrangement dont vous parlez ? Qui a assez de pouvoir pour placer plusieurs éveillés sous sa coupe et punir ceux qui refusent cette domination ? Quel est le rapport avec les aborigènes et qui est cette fameuse vieille ? »

L’homme se méfiait visiblement de Drow, par contre il n’était guère impressionné par cet éclopé qui posait trop de questions. Il faudrait sans doute se montrer plus ferme pour lui faire prendre conscience de sa position.

« Écoutez, si j’étais vous je relâcherais Jarlaxle immédiatement et sans faire d’histoires. » avertit l’homme pendant que le loubard en question émergeait de sa stupeur endolorie pour gratifier le Béhémoth d’un regard venimeux. « C’est un idiot mais c’est l’un des nôtres, et s’attaquer à l’un de nous c’est nous déclarer la guerre à tous. Vous pouvez encore vous en tirer avec une punition pas trop sévère si vous allez implorer le pardon du big boss en lui offrant votre allégeance, sinon… Toi là, tu te crois peut-être fort mais je te garantis que si on commence à se castagner mes copains rappliqueront pour te faire passer un sale quart d’heure. Ton dernier quart d’heure. »

« Mauvaise réponse. » fit le français en s’avançant vers l’éveillé. Celui-ci voulut se mettre en position de combat, commença à concentrer une masse d’énergie violacée dans sa main… mais le Spectre ne lui laissa pas le temps d’intensifier son cosmos à un niveau suffisant pour passer à l’attaque, ni même pour que quiconque le remarque au-delà des occupants de la ruelle. En moins d’une milliseconde, l’homme fut immobilisé, pris au piège d’une véritable forêt de lames obscures jaillies de l’ombre du Dullahan. La température chuta instantanément d’une vingtaine de degrés tandis que du givre se formait là où ces noirs épieux entraient en contact avec la peau du prisonnier ; aucun d’eux ne l’avait transpercé, à dessein, mais chacun était pointé très précisément sur une articulation, un ganglion nerveux, une veine ou une artère majeure, un organe vital. L’homme comprit très vite que s’il était encore en vie c’était uniquement parce que l’Étoile Terrestre l’avait épargné, et qu’il suffirait d’un rien pour la faire changer d’avis. Inutile également d’espérer du renfort, le français n’ayant utilisé que le strict minimum de cosmos nécessaire pour parvenir à ce résultat, aidé en cela par le haut degré de contrôle apporté par son expérience du combat.

« Reprenons du début. » suggéra Rogos, comme s’ils se trouvaient au milieu d’une conversation tout ce qu’il y a de plus civile. « Vous avez parlé d’aborigènes ; c’est drôle, parce que mon ami et moi sommes précisément venus ici pour enquêter sur un nombre anormal de décès survenus dans cette communauté. Vous ne connaîtriez pas le responsable, par hasard ? Oh, et avant que vous ne me demandiez si nous savons dans quoi nous mettons les pieds… souvenez-vous qu’il y a des gens dont c’est le travail de s’occuper des âmes des défunts, des gens qui se rendent compte de ce genre de manigances. Ça ne vous est jamais venu à l’esprit ? »

Le captif devint livide en entendant ce qu’insinuait le Spectre, mais ne se montra pas plus loquace pour autant. Impossible de savoir si c’était du courage ou au contraire une trouille telle qu’elle l’empêchait de parler mais quelle que soit la raison de ce mutisme, le cavalier sans tête avait toujours une dernière carte à jouer…

« Au fait, au cas où vous auriez peur de la réaction de vos camarades si vous vous mettez à table… s’ils tiennent votre famille en otage par exemple… rappelez-vous que nous sommes les gardiens de l’Au-delà. La pire chose qu’ils puissent vous faire c’est de vous tuer – ou de les tuer. Mais avec nous, ce ne serait qu’un début. »

Jarlaxle continuait de se rebeller face à un Béhémoth pourtant très persuasif. Heureusement que son comparse – Nathaniel, puisqu’ils connaissaient son nom à présent – se montrait plus coopératif.

« Je ne sais pas ce qui est arrivé à ces Randall et Flagg – rien d’agréable, je présume – mais croyez-moi, vous n’avez pas envie de découvrir si nous pouvons faire pire. » fit le Dullahan, à la fois pour fermer le clapet du tas de muscles et pour appuyer les propos par lesquels Nathaniel concédait sa défaite. S’ensuivit un récit concis qui contenait néanmoins l’essentiel de ce que les infernaux avaient besoin de savoir : comme Rogos l’avait supposé, c’étaient des êtres chers retenus en otages qui servaient à tenir ces éveillés en laisse. Les avertissements et supplications le laissèrent de marbre par contre, d’autant plus que son interlocuteur ne lui semblait pas tout à fait honnête, ce que Drow ne tarda d’ailleurs pas à confirmer.

« Vous aggravez votre cas. » prévint le Spectre alors que la piqûre de ses lames d’ombre se faisait plus insistante et que l’air se refroidissait d’une dizaine de degrés supplémentaires. « N’essayez pas de nous émouvoir, nous entendons suffisamment d’histoires larmoyantes quand nous décidons du sort des défunts. Intéressons-nous plutôt à ce fameux « Biff » et à ces politiciens véreux – beau pléonasme, au fait – ; je comprend très bien, il n’y a pas qu’ici qu’on en trouve. Et encore une fois, quoi qu’ils soient capables de faire, ils ne sont rien comparé à nous. Qu’ils essayent de nous tuer s’ils l’osent ; quand bien même ils y arriveraient, ce ne serait que partie remise : nous reviendrons à la vie puis à la charge autant de fois que nécessaire. Quant aux otages, c’est très simple : s’ils touchent à un seul de leurs cheveux, ces imbéciles ne feront que nous ôter notre dernière raison de les garder en vie. »

L’Étoile Terrestre ne se donna pas la peine de préciser que si le dénommé Biff et ses amis appelaient les Saints à la rescousse, le remède risquait fort de se révéler pire que le mal. Les paladins d’Athéna avaient beau ne pas se montrer particulièrement diligents quand il s’agissait d’empêcher les humains de s’entre-tuer, le français doutait qu’ils soient très enclins à laisser au pouvoir les responsables de ce qui ressemblait bigrement à une tentative d’épuration ethnique quand celle-ci se déroulait juste sous leur nez. À plus forte raison quand des éveillés étaient impliqués dans cette triste affaire.

Le prisonnier pâlit encore davantage, arrivant certainement aux mêmes conclusions et comprenant que les Spectres se montreraient inflexibles quoi qu’il dise.

« Mais je vous en prie, éclairez notre lanterne, dites-nous de quoi votre patron et les huiles de cette ville sont capables. Je veux des noms, et tant que nous y sommes, j’aimerais savoir qui est cette vieille dont vous avez parlé plus tôt. L’une de vos opposantes ? » devina-t-il en se basant sur le contexte.

« Ensuite, je propose que nous allions rendre une petite visite à Biff : nous n’aurons qu’à prétendre que vous lui amenez de nouvelles recrues après un accrochage, cela ne devrait pas être trop difficile à leur faire avaler. » poursuivit le cavalier sans tête en désignant la grande brute en piteux état ainsi que ses propres blessures, avant de se tourner vers son supérieur. « Si cette approche vous convient, bien sûr. Nous pourrions également prendre contact avec les aborigènes. »

« Et à la moindre entourloupe, vous nous descendez. » termina Nathaniel, qui voyait déjà où il voulait en venir.

« Cela va de soi. »

Un mouvement infime du doigt et un filament ténébreux se sépara d’une des pointes immobilisant l’éveillé, serpenta en s’infiltrant sous sa veste et en ressortit quelques secondes plus tard, enroulé autour d’un portefeuille et d’un smartphone qu’il déposa dans la main du Dullahan. Celui-ci n’eut qu’à ouvrir le premier des deux objets pour y trouver des papiers d’identité.

« Combien de temps pour que je trouve Jennifer et votre fille avec ça, à votre avis ? Pour peu qu’elles existent, naturellement. Vous voyez, vos employeurs ne sont pas les seuls à pouvoir jouer à ce jeu-là. »

« Salaud ! »

« Non, juste prudent. » répondit le Spectre en réitérant l’opération pour fouiller dans les poches de Jarlaxle. « Vous ne craignez peut-être pas de sacrifier votre propre vie, mais celle de vos proches... »

L’Étoile Céleste approuvait son plan, voilà qui faisait plaisir. Par contre Rogos était à côté de la plaque concernant cette fameuse vieille et il s’avérait que les sous-fifres sur lesquels ils étaient tombés étaient trop bas dans la hiérarchie de leur organisation pour leur être d’une grande utilité. Voilà qui faisait nettement moins plaisir, pourtant le Spectre ne laissa rien filtrer de sa contrariété. Ils avaient déjà eu de la chance, cette rencontre fortuite leur avait sans doute épargné des heures de recherches, il ne fallait pas non plus trop en demander. Il apprécierait que Nathaniel en vienne au fait au lieu de tergiverser, cela dit : pourquoi ne leur disait-il pas comment les choses marchaient ici plutôt que de leur dire comment elles ne marchaient pas ? Ils n’allaient pas jouer aux devinettes en procédant par élimination toute la soirée.

« Vous ne savez pas pourquoi on vous ordonne de faire ce que vous faites ? Je ne sais pas moi, au hasard… vous avez un patron horriblement raciste ? Ou un qui cherche à faire main-basse sur les biens des aborigènes, voire même les deux ? Ce sont des motifs de ce genre-là, d’habitude. » fit le Dullahan, sarcastique. « Vos raisons importent peu, tout ce qui nous intéresse c’est de savoir à quelle porte frapper. »

Ce fut à ce moment que Jarlaxle finit par se rendre aux « arguments » du Béhémoth et à se montrer plus coopératif. Pas trop tôt.

« Deux rues d’ici, c’est bien, on progresse. Mais vous pouvez sûrement vous montrer plus précis. » insista le cavalier sans tête, qui n’avait guère envie de sonner à la moitié des maisons du quartier. Un appendice ombreux vint placer un carnet et un stylo à portée du costaud, qui n’eut heureusement pas besoin d’être persuadé davantage avant de se mettre à écrire de sa main valide. Le français reprit ses affaires une fois cela terminé, vit que la perte de son bras dominant avait affecté la graphie du prisonnier mais pas au point de la rendre illisible. Un nom de rue et un numéro étaient inscrits sur le papier, qu’il fit immédiatement passer à son supérieur.

La question de ce qu’ils comptaient faire de leurs captifs se posait effectivement, maintenant qu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient. Les deux hommes de main devraient s’estimer heureux d’être tombés sur cette Étoile Terrestre-ci… après tout une collaboration, même forcée, méritait bien une petite récompense.

« Je suis d’avis de les laisser en vie pour le moment ; leurs camarades se poseront des questions si deux des leurs disparaissent subitement, ça prendrait du temps de cacher les cadavres et on ne sait jamais, ils pourraient toujours se rendre utiles plus tard. » proposa-t-il en justifiant son choix. La paire de voyous ne semblait pas enchantée de l’entendre plaider la clémence non pas pour une quelconque raison morale mais par pur pragmatisme, toutefois une lueur d’espoir s’alluma dans leur regard. Qu’ils n’aillent pas trop vite en besogne, Drow restait seul juge et le Dullahan n’en avait pas terminé ; il conjura un vol de Fées sous leurs yeux ébahis et, alors que les mouchards infernaux se mettaient à tournoyer autour des deux hommes, ajouta : « Nous garderions un œil sur vous, évidemment. À la première incartade, nous en serions immédiatement informés et n’hésiterions pas à sévir. »

« On sera sages, promis ! » fit désespérément Nathaniel, accompagné des acquiescements vigoureux de son comparse.

Leurs cibles identifiées, les papillons de l’Au-delà se dispersèrent pour se fondre dans les ténèbres de la ruelle, démontrant par la même occasion la facilité qu’elles auraient à les espionner dans la plus grande discrétion. Ne restait plus à l’australien qu’à prendre sa décision.

Après avoir pris quelques instants pour considérer sa suggestion tout en terrorisant une dernière fois leurs captifs, l’australien finit par se ranger à l’avis de son subalterne. Les petites frappes seraient bien avisées d’en profiter, car les infernaux étaient rarement aussi généreux. Leur – relative – bonne fortune était autant due à la logique du Dullahan qu’à son respect de l’autorité : en effet, si ce dernier trouvait parfaitement acceptable de prendre une vie dans le feu de l’action, il n’en était pas nécessairement de même lorsque la personne était à sa merci. De son point de vue, tuer quelqu’un dans de telles circonstances était la prérogative des Juges ou des soldats qu’ils habilitaient à délivrer la sentence à leur place, et il n’était pas du genre à outrepasser ainsi les limites de son statut. Cela dit si les propos du Béhémoth avaient été prononcés avec sérieux, ce même sens du respect de la hiérarchie l’aurait conduit à exécuter l’ordre – et l’un des deux prisonniers – sans broncher.

Une fois leurs informateurs suffisamment épouvantés, les Spectres quittèrent les lieux pour passer à l’étape suivante de leur enquête. Le changement d’ambiance fut aussi rapide que radical, le duo d’Étoiles Maléfiques abandonnant le quartier des fêtards pour celui des richards, dont le silence feutré n’était troublé que par les échos étouffés de l’activité régnant quelques rues plus loin. Drow nota la différence en chemin, et ne tarda pas à vouloir planifier leurs prochains mouvements.

« C’est vrai que ça fait drôle, je m’attendais à ce que ce soit plus… vivant. Je suppose que les bonnes gens doivent dormir à cette heure. » fit le cavalier sans tête en réaction aux premières remarques de son supérieur. Quant à la dernière… « Nous verrons une fois que nous y serons je suppose, ce qui ne devrait plus être long. Il me paraît pertinent d’y aller en douceur dans un premier temps, sauf si vous préférez agir promptement, faire forte impression et capitaliser sur l’effet de surprise. »

La seconde solution ne lui déplaisait pas, pour tout dire. Il avait passé trop de temps à se cacher et il avait besoin de se défouler. Des pensées inhabituelles pour lui mais même avec son complexe de persécution – on ne lui enlèverait pas de l’idée que les Moires adoraient s’amuser aux dépens des éveillés en général et des Spectres en particulier –, il fallait bien reconnaître que les chances de rencontrer une opposition sérieuse à Sydney étaient faibles. Le français avait beau n’avoir jamais été le meilleur des combattants, il ne devait y avoir que quelques dizaines d’êtres capables de le vaincre sur cette planète. Parmi ceux-ci, cinq – et non des moindres ! – se trouvaient de son côté et l’Au-delà avait passé un accord avec un sixième. Il n’y avait donc pas lieu de se montrer timoré, même s’il ne comptait pas non plus se départir entièrement de sa prudence.

Ils arrivèrent en vue de leur objectif sur ces entrefaites. Enfin, « en vue », c’était beaucoup dire avec l’obscurité dans laquelle était plongée cette section de rue.

« Curieux, en effet, surtout dans un voisinage aussi cossu. » opina l’Étoile Terrestre, quittant elle-même la lumière pour l’ombre au cas où quelqu’un surveillerait la rue depuis la demeure. « On dirait que quelqu’un n’a pas envie que les gens voient ce qu’il se passe ici. Se pourrait-il que notre vieille ait des activités répréhensibles ? Quel choc ! »

Rogos conclut ses sarcasmes en convoquant un second essaim de Fées qui s’éparpilla immédiatement pour partir en reconnaissance à l’arrière de la propriété, entre autres endroits que les Spectres ne pouvaient observer aisément depuis l’extérieur. Pourquoi se priver ? Ce n’était pas comme si deux personnes pouvaient garder l’ensemble du bâtiment à l’œil. Il laissa passer quelques minutes le temps de leur permettre de bien quadriller le périmètre.

« Voilà qui devrait déjà nous en apprendre plus, et… ah tiens, de nouveaux arrivants, on dirait que nous sommes venus juste au bon moment. »

Un fourgon de couleur sombre flanqué d’une paire de voitures tout aussi sombres remontait la rue. Les véhicules auraient été invisibles dans les ténèbres nocturnes si leurs phares n’avaient pas été allumés, émettant à peine assez de lumière pour donner un minimum de visibilité aux chauffeurs. Aucun éclairage à l’intérieur par contre, le nombre et l’identité des passagers restaient un mystère. Le portail électrique s’ouvrit à leur approche, et les engins motorisés s’y engagèrent les uns à la suite des autres, suivant une allée qui les amena vite à disparaître derrière un coin de l’édifice tandis que le passage se refermait aussitôt. L’un des espions ailés revint quelques instants plus tard, et le Dullahan se chargea de transmettre le rapport de l’insecte à l’Étoile Céleste.

« Il y a un garage un peu plus loin, ils débarquent… toujours dans le noir et en silence… demi-douzaine de passagers, plus… tout un tas de malles et de sacs. D’après la taille, la forme et le poids, je dirais qu’on peut s’en servir pour dissimuler des corps humains. »

Le papillon l’informa pour finir qu’il y avait de la lumière dans une pièce au deuxième étage, dont la fenêtre donnait sur l’arrière-cour. Problème : les rideaux étaient en place, les Fées ne pourraient en apprendre davantage sans s’introduire dans le bâtiment-même.

« D’accord, c’est définitivement louche. On y coupera pas, il va falloir aller à l’intérieur. »

L’Étoile Terrestre attendit patiemment que son supérieur élabore un plan d’action. Les avertissements étaient quelque peu superflus – évidemment que le cavalier sans tête n’allait pas provoquer un bain de sang sans raison ! – mais il hocha néanmoins la tête pour signaler qu’il avait compris. Quand la décision lui fut finalement présentée, il ne put que réagir d’un regard mi-sceptique, mi-amusé. Si le Béhémoth comptait sur le bon sens des types d’en face, ce n’était pas gagné ; le Dullahan pouvait voir d’ici le désastre se profiler. Enfin, il y avait un point positif : au moins l’australien apprendrait très vite qu’on ne pouvait pas se fier à ces choses-là.

« Vous êtes bien optimiste. » fit Rogos en laissant son supérieur passer devant. « Le style de la maison c’est plutôt de toujours assumer qu’on a affaire à des abrutis et/ou à des connards jusqu’à preuve du contraire, au moins on est rarement déçus. »

Le Spectre resta bien en retrait, rasant les murs pendant que l’Étoile Céleste sortait de l’ombre et tentait d’aborder pacifiquement les gardiens de la demeure. La présence de tous ces hommes en armes le rendait nerveux, car les infernaux n’étaient plus à l’époque où les éveillés n’avaient rien à craindre des simples mortels. La vélocité d’une balle de fusil égalait celle de l’attaque d’un chevalier d’Argent, et un tel projectile pouvait se révéler fatal s’il atteignait l’un des points vitaux non-protégés par la plupart des Surplis – les artères fémorales et axillaires mais aussi et surtout la gorge et le visage. Alors certes, Drow reviendrait à la vie même s’il devait lui arriver malheur, cependant les effets secondaires d’une résurrection imparfaite le rendraient temporairement inapte au combat ; mieux valait s’épargner ces désagréments si possible.

Étonnamment, le Dullahan n’était pas le seul à être sur les nerfs. Loin de faire preuve de la confiance débridée initialement affichée par Jarlaxle et Nathaniel, les gardes étaient visiblement agités et anxieux. La tentative de pourparler se heurta d’abord à un mur, puis la situation ne tarda pas à dégénérer.

« Merde ! »

Le français conjura son propre Surplis en un éclair tandis que les coups de feu commençaient à retentir. Drow avait réussi à éviter les premiers mais les suivants restaient dangereux : Rogos savait d’expérience qu’un éveillé ne pouvait pas ressentir l’approche d’une balle de la même manière que celle de l’attaque d’un congénère ; de plus, la nuit empêchait les Spectres de voir tous les tireurs – et donc de prévoir la trajectoire de leurs tirs en observant la position de leurs armes. Il allait falloir se débrouiller autrement.

L’Étoile Terrestre bondit devant son supérieur et les enveloppa tous deux dans un épais voile de ténèbres. La technique se mit instantanément à drainer l’énergie cinétique de chaque projectile entrant en contact avec elle, révélant du même coup leur emplacement à son invocateur ; ce dernier n’eut plus qu’à les attraper au vol d’une série de mouvements ultra-rapides. Dans le même temps, il modélisa mentalement chacune de leurs trajectoires et s’en servit pour déterminer la position approximative des tireurs embusqués. Ceci fait, il altéra et intensifia son arcane avant de l’envoyer à l’assaut de l’ennemi.

« Bacainní Dubh ! »

Une sorte d’immense filet obscur se forma brusquement devant lui, piégeant les sentinelles et continuant de s’étendre jusqu’à la façade du bâtiment… que la noirceur immatérielle traversa pour immobiliser également les hommes de main postés aux fenêtres.

Rogos soupira de soulagement lorsque son pouvoir l’informa qu’il venait de neutraliser cinq gardes, incapables de bouger un muscle, le mécanisme de leurs armes grippé par les liens d’ombre absorbant leur énergie. Sa dernière « partenaire d’entraînement » lui avait conseillé la structure en toile d’araignée en lieu et place de son tsunami de ténèbres habituel afin de maximiser la portée et l’aire d’effet de la technique tout en minimisant la dépense cosmique, mais il n’était pas sûr de réussir à maîtriser aussi rapidement la variante. Le fait qu’il s’en soit servi sur des non-éveillés y était sûrement pour quelque chose…

« Pas de mort. » annonça-t-il, sans pour autant laisser disparaître le bouclier cosmique qui les protégeait toujours. Avec raison, puisqu’un second retour de son arcane lui signala que deux combattants supplémentaires venaient de débouler de derrière le coin de sa maison et s’étaient empêtrés dans la toile. « Et maintenant ça fait sept. »

Ce fut à ce moment-là qu’un curieux détail lui revint en mémoire. Il n’avait pas eu le temps d’y penser dans le feu de l’action, mais l’attitude des gardes était définitivement suspecte : les précédentes victimes des Spectres s’étaient montrées suprêmement certaines de leur supériorité – ou du moins de celle de leur organisation – jusqu’à ce que le contraire leur soit démontré, même en sachant qu’elles avaient affaire à des éveillés. Et il ne s’agissait-là que de simples péons, de leurs propres aveux. Mais dans ce cas, pourquoi cette sentinelle avait-elle failli se pisser dessus à la simple vue d’une armure de chevalier ? Pourquoi une telle différence de moral ? Il était tout à fait possible que le comportement d’origine de Jarlaxle et Nathaniel soit dû à leur idiotie, à leur arrogance ou ne soit qu’un coup de bluff… sauf que le mort-vivant commençait à entrevoir une autre possibilité.

« Vous ne trouvez pas ça bizarre qu’ils aient aussi peur de nous, même s’ils se trompent sur ce que nous sommes ? » s’enquit-il auprès du Béhémoth. « Seigneur, j’espère que ce n’est pas ce à quoi je pense... »

Rogos ouvrit le portail et s’engagea dans l’allée menant à la demeure. Il arracha leurs armes aux gardes d’une impulsion de son pouvoir, puis relaxa légèrement leurs entraves : au lieu de voir leurs mouvements entièrement restreints, ils avaient maintenant l’impression d’être plongés dans de la mélasse. Cela devrait être suffisant pour leur permettre de parler.

« Espèces de monstres… ces salauds ont pas les couilles de s’occuper de nous eux-mêmes, c’est ça ?! » hurla un garde qui se débattait au ralenti, essayant en vain d’échapper à sa prison. « Ils vous ont payés pour terminer leur sale boulot, comme ça ils peuvent se débarrasser de nous sans risque et en gardant les mains propres ?! Mais on se laissera pas faire, vous entendez ! Un jour tout le monde saura ce que vous avez fait, et vous l’emporterez pas au paradis ! »

« Quelqu’un ne l’emportera pas au paradis, ça c’est sûr. » répliqua le Spectre. Cette tirade venimeuse semait déjà les graines du doute en lui, mais ce qui les fit véritablement germer fut de découvrir un trio de faciès distinctement aborigènes en passant en revue chacun des hommes de main capturés. Pourquoi un groupe qui faisait dans l’extermination de ces mêmes aborigènes en embaucherait-il dans ses rangs ? L’hypothèse la plus probable était que sa première intuition concernant la fameuse Madame Musso était la bonne… et donc que Jarlaxle et Nathaniel les avaient pris pour des buses. Très mauvaise idée.

« J’ai comme l’impression qu’on nous a menti. On dirait bien que seule la mort peut guérir la stupidité... »

Se montrer miséricordieux une fois était un investissement, mais deux fois ? On appelait ça une erreur. Et les subordonnés de Thanatos ne faisaient pas ce genre d’erreurs. Chaque chose en son temps, toutefois...

« Il est grand temps que nous ayons une conversation avec la maîtresse des lieux, je crois. Dépêchons-nous, parce qu’avec tous ces coups de feu la police ne devrait pas tarder à arriver. »

Sauf si elle avait reçu l’instruction de ne pas se porter au secours de cette Musso, ce qui expliquerait certainement le sentiment d’impunité de leurs précédentes et futures victimes. Le français se remit en mouvement, ayant reçu un rapport d’une Fée qui le prévenait qu’un petit groupe tentait de s’enfuir par l’arrière de la maison.

Rogos reconsidérait ses choix de vie – ou plutôt d’existence. Il n’avait jamais été le Spectre le plus intimidant ou le plus charismatique, un triste état de fait que son piètre tableau de chasse ne faisait rien pour arranger, mais là il venait de toucher le fond. Si on lui avait dit en lui remettant son Surplis que sa sombre protection lui servirait un jour à bloquer les assauts d’un mioche essayant de lui donner des coups de pied dans les tibias et des coups de poing dans l’entrejambe…

« Wolgorn ne doit jamais entendre parler de ça. Et Andréa non plus. Surtout pas Andréa. » se dit-il en faisant de son mieux pour rester stoïque et conserver un minimum de dignité face à l’offensive la plus ridicule qu’il ait jamais eu à affronter. Ceux qu’il supposait être la famille du morveux étaient tétanisés, horrifiés d’avance à l’idée de ce que l’Étoile Terrestre allait lui faire subir, et Drow s’amusait des mésaventures de son subordonné, le traître. Le Dullahan secoua lentement la tête puis mit fin à l’affligeant spectacle en attrapant l’irritant gamin par l’arrière du col pour le soulever et le tenir à distance – la demie-portion allait finir par se faire mal à force de cogner sur du métal, sinon – ; il fut brièvement tenté de déposer son fardeau en haut d’un arbre ou même sur le toit de la maison pour lui apprendre la politesse mais se ravisa et se contenta de marcher vers ceux qui devaient être ses parents, le fourrant d’autorité dans les bras de sa présumée génitrice. « Je crois que vous avez perdu quelque chose. »

Ceci fait, il rebroussa chemin pour reprendre place aux côtés de son supérieur, laissant au passage son armure se détacher de sa silhouette afin de mettre leurs interlocuteurs en confiance… pour peu que ce soit possible.

« Calmez-vous, il y a méprise et nous pensons avoir une assez bonne idée de ce qui a dû se passer. » reprit le cavalier sans tête, dont les suspicions s’étaient retrouvées confortées par les actions de la maîtresse des lieux et qui résolut de prendre en main l’interrogatoire histoire d’expédier les choses. « J’imagine que ce n’est pas vous qui êtes derrière la récente vague de meurtres d’aborigènes ? »

« NON ! Comment pouvez-vous croire une chose pareille ?! » s’exclama-t-elle, scandalisée. Bien, voilà qui lui avait fait retrouver sa langue.

« Je me disais aussi. Et nous ne vous poserions pas la question si nous étions nous-mêmes de mèche avec les responsables, donc vous voyez bien que nous sommes du même côté. Nous sommes ici pour mettre hors d’état de nuire ceux qui vous ciblent vous et vos congénères, et nous espérons que vous pourrez nous orienter. Ils ont essayé de nous faire prendre des vessies pour des lanternes en prétendant que tout ça était de votre faute, voyez-vous, d’où cette… regrettable introduction. »

Entendre ce raisonnement ne suffisait manifestement pas à les rassurer, cependant la quinquagénaire devait penser que poursuivre la conversation lui permettrait au moins de gagner du temps. Si elle comptait sur des renforts elle risquait d’être déçue mais qu’importe, tant qu’elle leur donnait les bonnes réponses.

« Vous ne pouvez rien faire, ils sont trop puissants, trop bien protégés... »

« Je commence à en avoir assez de ce refrain. » interrompit le français. « Nos ordres émanent de l’autorité la plus éminente qui soit et ce ne sont pas quelques ploutocrates ou politiciens véreux et leurs laquais qui vont nous faire peur. Nous avons perdu assez de temps alors dites-nous qui « ils » sont et pourquoi ils s’en prennent aux aborigènes. »

La subtile pression qu’exerçait le cavalier sans tête ainsi que la présence de leurs deux Surplis – et de tout ce qu’ils représentaient – délièrent la langue de leur interlocutrice, dont les mots exprimaient un dégoût sans bornes : « Pourquoi ils font ça ? L’argent, comme toujours ! Il y a des industriels et des promoteurs qui lorgnent sur nos terres, mais les nôtres refusent de vendre, alors ils les assassinent eux et toute leur famille ! Une fois qu’il n’y a plus d’héritiers c’est la ville qui prend possession des terres et comme la maire est dans leur poche, ils peuvent les racheter pour une bouchée de pain et quelques pots-de-vin avant de construire des usines ou des logements dessus et d’empocher les profits ! Ces monstres exterminent notre peuple pour une foutue plus-value ! »

Elle criait presque à la fin de son explication, la peur cédant le pas à une colère noire, comme si un barrage venait de se rompre. C’était tout ce que le Dullahan voulait entendre : maintenant qu’ils savaient que la mairie était impliquée, la prochaine cible des Étoiles Maléfiques était toute trouvée. Il rappela à lui l’une des Fées surveillant Jarlaxle et Nathaniel, les informations transmises par le papillon infernal venant confirmer les dires de la femme qui pleurait à présent des larmes de rage. Excellent.

« On dirait que nous avons notre destination, qu’en dites-vous ? » demanda Rogos, avant de se rendre compte que quelque chose n’allait pas avec le Béhémoth. « Vous êtes blessé ? » demanda-t-il à voix basse, cherchant à préserver le secret au cas où leurs vis-à-vis n’auraient pas déjà vu le sang coulant du bras de l’australien. « Vous voulez que j’arrange ça ? »

Rogos s'était débarrassé du courageux bonhomme d'une manière un peu sèche. Au regard qu'il jeta à son supérieur la plaisanterie lui avait déplu.

Drow songea à se montrer plus sérieux à l'avenir même si la mine de dégoût du Dullahan valait le détour.

Réprimant un sourire, l'Etoile Céleste céda volontiers la place de premier plan à son collègue. Ce dernier avait prouvé que faire parler les humains était un de ses points forts.

La preuve ne se fit pas attendre. Il avait réussi à sortir la femme de sa tétanie.

Durant son explication sur le pourquoi de toutes ces vies gâchées, une fée vint leur signaler la position de Jarlaxle et Nathaniel. Ces derniers étaient surement auprès de leur chef, ne profitant pas de la clémence du Béhémot pour rentrer dans le droit chemin. Ils allaient gravement le regretter.
Prêt à partir, l’incompréhension se peignit sur le visage de Drow lorsque Rogos lui demanda d'arranger quelque chose.

Suivant le regard de ce dernier, l'Australien comprit que sa blessure était visible. Il passa sa main sur son surplis, nettoyant le sang qui commençait à sécher puis à l'aide d'une légère impulsion de son cosmos, se mit à la refermer.

« Je ne me suis pas aperçu que c'était visible. Merci » murmura-t-il sur le même ton que le Cavalier.
D'une voix plus haute : « Allons retrouver nos camarades »

« ATTENDEZ!! Cria une voix sur le perron de la maison.

Le Béhémot se retourna.

C'était la jeune femme qui avait pris la parole. La plus ancienne semblait avoir livré un combat qui l'avait laissé complètement atavique. D'un coup d'œil Drow incita l'aborigène à continuer. Mieux valait en savoir trop que pas assez. Il n'avait que peu apprécié le quiproquo dans lequel ils étaient tombés.

« Je ne sais pas si ça vous aidera.... Ce que Madame la conseillère a dit est vrai mais pas complètement… » lâchant le petit qui s'était logé dans ses bras, elle s'approcha de quelques pas dans la direction des deux Spectres. « Argent et terrains ne sont que les conséquences d'une mauvaise décision….»

« Ils n'ont pas besoin d'en savoir plus »soupira la conseillère.

« Ce n'est pas de votre faute mais ils veulent savoir pourquoi et s'ils disent vrai, ils pourront remédier à nos problèmes. » puis se tournant vers les deux Infernaux : « Le maire vient de se faire réélire avec l'appui des aborigènes. Sa campagne promettait une école pour tous. Une école d'enfants et adolescents susceptibles de posséder des facilités pour gérer leur cosmos. Une école laïque, sans Dieux pour assouvir leur désir de guerre. Bref, une chance pour certains d'avoir une éducation et un travail en sortant. La police municipal de Sydney aurait eu des éveillés compétents et fidèles aux valeurs de la ville. » la jeune femme reprit son souffle.

Ayant ordonnée ses pensées et toujours impressionnée d'avoir pris la parole elle reprit « Nous ne sommes pas bêtes mais la proposition était si belle. Même le fils du maire était inscrit. Beaucoup d'enfants aborigènes ou non n'auraient pas pu entrer dans une école aussi réputé.
De nombreuses de familles pauvres et très souvent aborigènes ont inscrit leurs enfants. Certains ont présenté une réelle prédisposition pour le cosmos. Mais la nature humaine reprenant le dessus, les hommes de pouvoirs ont vu là une chance d’effectuer des recherches. » prise d'un frisson la femme ne put continuer.

La conseillère municipale prit le relais. Elle semblait s'être rangée à l'opinion de sa compatriote. Les Spectres devaient au moins savoir dans quoi ils mettaient les pieds.

« Je suis tombée sur un rapport dans le bureau du maire. Le premier mort n'était surement qu'un accident mais la facilité avec laquelle ils ont pu la cacher leur a donné des ailes…..Les familles étaient invitées à des week-ends pour admirer les efforts et avancés de leur bambins. Ensuite ils disparaissaient. Bref, ils pouvaient faire leur petites expériences et par la même céder les terrains ou les biens des familles parties en " voyage". Si en plus ces familles étaient aborigènes , cetait tout bénef pour eux.
. »

Jugeant en avoir assez entendu Drow fit signe à Rogos de se mettre en route.

« Le maire est à l'opéra. Une nuit blanche organisée par de grands industriels. C'est pour ça que la police n'est toujours pas la. La majorité de l’effectif est avec le maire. C'était surement ce soir qu'il avait prévu de m'éliminer. …

Drow la laissa reprendre ses esprits.

« Une dernière chose, ne le tuez pas. Je n'arrive pas a croire que je vous dise ça mais ne le tuez pas. S'il meurt, de nouvelles réélections auront lieu et un autre comme lui prendra sa place. Par contre dans le coma ou disparu, j'aurais la régence en quelque sorte et quatre ans pour prouver aux Sydnéens que je peux améliorer leur vie……. Je vous serais reconnaissante et nous pourrions trouver des arrangements.»

La femme semblait penser que les Spectres avaient besoin d'être rémunéré pour une besogne qui pour Drow s’apparentait à un passe temps jouissif.
Que les humains s’entretuent durant une guerre ne le dérangeait pas outre mesure . N’est ce pas ce que les Spectres et les Saints font à longueur de siècles ? Par contre, ces assassinats d'enfants et de leurs familles n'étaient pas de son gout.

Il leva la main pour faire taire la conseillère. Il en savait assez. Sans un mot, il se mit en route sachant pertinemment que son acolyte, professionnel comme jamais, lui emboîterait le pas.

Rebroussant chemin pour retourner vers l'opéra et terminer cette histoire une fois pour toute, le Béhémot songeait à tout les bobards que les parents sont prêts à avaler pour leur progéniture.

Juste quand Rogos pensait enfin avoir le fin mot de l’histoire, la mère du bambin prit le relais de leur précédente interlocutrice et se mit à faire ses propres révélations. Il les écouta avec une consternation croissante, sentant poindre un début de migraine – un comble pour un cavalier sans tête – en comprenant peu à peu que la situation était encore plus désastreuse que tout ce qu’il avait bien pu envisager.

« "Nous ne sommes pas bêtes", hein… permettez-moi d’en douter. » rumina-t-il intérieurement. Qui avait pu croire ne serait-ce qu’une seconde que c’était une bonne idée de créer une école indépendante pour éveillés ? Tôt ou tard les factions divines – ou autres individus mal intentionnés – auraient forcément fini par en entendre parler et si les ahuris à l’origine de ce projet dément pensaient sincèrement qu’elles les laisseraient tranquilles, ils se berçaient d’illusions ! Et ce n’était qu’un problème parmi d’autres : des enfants ordinaires étaient déjà suffisamment difficiles à gérer, mais des enfants dotés de super-pouvoirs, même mineurs ? Où comptaient-ils trouver le personnel qualifié pour encadrer ces petites terreurs et leur permettre de développer leurs pouvoirs en toute sécurité ? Pas étonnant qu’il y ait eu un accident mortel…

Choqué par tant d’inconscience et de naïveté, le Dullahan ne trouva même pas la force d’admonester la conseillère et sa famille alors que Drow prenait les devants, l’entraînant à sa suite. Il n’avait qu’une envie, c’était de mettre fin à cette affaire et de laisser tout cela derrière lui. Hélas, il avait le pressentiment que les choses ne se régleraient pas simplement en débarquant à l’opéra pour brutaliser le maire, ses alliés et ses sous-fifres. En proie à une lassitude familière, le Spectre soupira et plongea une main dans son sac. Il en sortit un smartphone et la batterie qui allait avec ; l’appareil lui avait été remis par les Agences et il en avait retiré la source d’énergie pour éviter que ces dernières ne puissent le localiser ou l’espionner. Une précaution sans doute futile, se dit-il en replaçant la batterie dans le téléphone, avant de le réactiver et de s’en servir pour passer un appel.

« Allô, Big Brother ? C’est Cantor à l’appareil. J’imagine que vous avez tout entendu ? » commença-t-il après s’être assuré qu’ils étaient seuls dans les parages, son supérieur et lui. Une population d’éveillés aussi importante dans une seule ville, assez pour qu’on lui dédie une école, ce n’était même plus une anomalie statistique, c’était une aberration. Les Agences ne pouvaient pas avoir loupé un truc aussi énorme, et une de leurs campagnes de désinformation pourrait expliquer le fait que les infernaux n’en aient pas eu vent jusqu’à présent. Si elles étaient effectivement présentes sur place, toutes les personnes d’intérêt en rapport avec cette affaire avaient déjà dû être placées sur écoute, du maire à Jarlaxle et Nathaniel en passant par la conseillère et son entourage. Les miracles de la technologie moderne...

« Affirmatif. » répondit une voix bien connue, confirmant par-là même ses soupçons. Mirifique, les Étoiles Maléfiques venaient sans doute de mettre le bazar dans les plans de l’alliance et maintenant c’était au français de recoller les morceaux, le tout à partir d’une position d’infériorité dans leurs négociations. Joie.

« Je m’excuse si nous avons mis les pieds en plein dans l’une de vos opérations, mais est-ce que vous pourriez nous envoyer quelqu’un pour qu’on se mette d’accord sur la marche à suivre ? J’ai comme l’impression que le temps nous est compté avant que les locaux ne fassent quelque chose d’extrêmement stupide qui nous attirera le genre d’attention que nos organisations respectives font tout pour éviter. »

Il avait bien conscience qu’il était en train d’outrepasser l’autorité du Béhémoth, mais comme celui-ci était une nouvelle recrue qui n’avait pas dû être mise au courant de la teneur de sa mission précédente et qu’ils avaient une crise imminente sur les bras, Rogos se retrouvait obligé d’agir avant de demander la permission. Il accepterait son juste châtiment une fois le cas de Sydney réglé.

« Continuez vers l’objectif. Rendez-vous sur le chemin. »

L’écran se mit obligeamment à afficher une carte sur laquelle étaient dessinés un itinéraire menant à l’opéra ainsi qu’un marqueur indiquant l’endroit où ils rencontreraient leur contact. Abattu, le Dullahan rangea le portable dans sa poche.

« Je déteste avoir raison. Les Men in Black ne vont pas être contents parce qu’on les force à hâter une opération qu’ils doivent préparer depuis des semaines et qu’on se retrouvera aux commandes de la ville, Wolgorn ne va pas être content qu’on soit obligés de travailler avec eux plutôt que d’imposer unilatéralement notre volonté, Sa Seigneurie n’appréciera pas qu’on Le dérange pour apposer Son sceau à l’accord parce que je n’ai pas l’autorité nécessaire en tant qu’Étoile Terrestre… Quel bordel, je ne sais pas si c’est la faute à Phénix, à Adonaï Tsabaoth, au PWM ou à Luria et sa joyeuse bande de cinglés mais si je mets la main sur les responsables... »

Au cours de sa tirade, Rogos était passé de la déprime à la colère et mimait à présent l’action d’étrangler quelqu’un jusqu’à ce que sa tête saute comme un bouchon de champagne. Repensant à ce qui attendait les criminels éveillés appréhendés par les Agences, son moral remonta et un rictus cruel agrémenta son expression : « Au moins on devrait pouvoir faire d’une pierre deux coups si on leur livre les prisonniers, ça fera une excellente punition pour ces imbéciles qui ont cru pouvoir nous berner. »

Ils étaient déjà sortis de Kings Cross depuis un moment, et leurs pas ne tarderaient pas à les mener aux Royal Botanic Gardens. L’opéra se trouvait juste de l’autre côté mais l’immense parc était fermé à cette heure tardive, il leur faudrait faire le tour… sauf que non, leur contact les attendait à l’intérieur, loin des regards. Mais le cavalier sans tête n’oubliait-il pas quelque chose, dans son énervement ? Ah oui, c’est vrai. Il se retourna vers l’Étoile Céleste avec un air contrit : « Mille pardons. J’imagine que vous devez avoir des questions ? »

Rogos prit ses responsabilités et endura avec stoïcisme les remontrances de son supérieur. Sa colère était parfaitement légitime, toutefois l’Étoile Terrestre n’avait pas vraiment eu le choix : quand bien même aurait-il averti Drow, ce dernier se serait retrouvé obligé de prendre une décision au sujet de choses dont il ignorait jusqu’à l’existence quelques minutes auparavant, à partir d’informations plus que parcellaires. Le temps leur étant compté, le Dullahan avait pris sur lui d’agir, même s’il n’en était pas fier.

« Si j’étais un traître, vous pensez bien que je ne vous le dirais pas. » répondit-il. « Mais je n’en suis pas un, et de toute façon aucun Spectre ne peut trahir Sa Seigneurie sans en payer le prix. D’ailleurs c’est Lui qui m’a envoyé à la rencontre des gens vers lesquels nous nous dirigeons. »

Ayant répliqué à cette accusation, le français prit quelques secondes pour remettre de l’ordre dans ses pensées et trouver la meilleure manière d’obéir à l’ordre de l’Étoile Céleste. Comment communiquer un maximum de renseignements le plus rapidement et surtout le plus fidèlement possible tout en restant simple…

« Tout d’abord, ce n’est pas nous qui étions sur écoute mais Jarlaxle, Nathaniel, la conseillère et toute sa petite coterie. Je ne savais pas que c’était le cas, cependant j’ai commencé à avoir des soupçons quand ils ont mentionné cette histoire d’école ; je n’en ai eu la confirmation qu’en passant le coup de fil. J’ai conscience que cela n’excuse rien. »

Il se retint de passer lui aussi une main dans ses cheveux, l’australien n’apprécierait peut-être pas de le voir imiter ses gestes, même involontairement. Voilà, et maintenant… la grande révélation. Prenant bien garde de baisser la voix de sorte que seul son interlocuteur puisse l’entendre, il reprit le fil de son exposé :

« Quant à ceux que nous allons rencontrer… on les appelle les Agences. La plupart d’entre elles sont nées il y a trente ans, suite à la défaite de Sa Majesté Hadès et l’apparition publique d’Athéna. Certains gouvernements se sont alors dotés d’organisations ultra-secrètes regroupant espions, soldats et scientifiques dans le but d’étudier, de surveiller et si nécessaire combattre les éveillés en cas de défaite du Sanctuaire… et pour prendre l’ascendant sur les nations rivales, bien sûr. Après Tokyo, elles ont compris que la méthode du chacun pour soi les menait droit dans le mur et ont formé une alliance. Nous sommes tombés dessus un peu par hasard il y a un peu plus d’un an ; le Seigneur Thanatos nous a alors donné pour mission, à moi et à trois autres Spectres, de les infiltrer pour en apprendre autant que possible sur ces organisations. Manifestement, Il a dû juger qu’elles pourraient être utiles à Ses plans parce qu’Il a conclu un accord avec. Je ne sais pas s'Il en a informé les autres Étoiles Maléfiques, cela dit. »

Le cavalier sans tête évita cependant de préciser que le Faucheur avait dû prendre Sa décision sans s’appuyer sur les informations récoltées par Ses subordonnés car ceux-ci, soumis à une surveillance de tous les instants, n’avaient trouvé que bien peu d’opportunités – presque aucune dans le cas du français – de communiquer entre eux ou de rapporter leurs maigres trouvailles aux Enfers. Il préférait ne pas passer pour un incompétent s’il pouvait l’éviter.

« D’habitude les Agences évitent de s’immiscer dans nos affaires, la dernière chose dont elles ont envie c’est que les factions divines les remarquent. Elles courent plutôt après des menaces de moindre envergure, généralement d’origine humaine ; l’ennui c’est que cette infestation d’éveillés à Sydney et cette histoire d’école, ça ressemble beaucoup au résultat des manigances des individus ou groupes qu’elles passent leur temps à traquer. Dès que je m’en suis rendu compte, je me suis dit qu’il était très probable que l’alliance soit arrivée ici la première et qu’on était sans doute en train de ruiner ses plans. Nous venons à peine de sceller notre entente, ce serait idiot de la rompre à cause d’une poignée de financiers et de politiciens véreux avec leur milice d’éveillés au rabais. »

Ayant terminé d’expliquer la situation – et de justifier sa conduite par la même occasion –, Rogos retomba dans le silence, prêt à recevoir une nouvelle admonestation de la part du Béhémoth ou à répondre à de nouvelles questions, selon l’humeur de ce dernier. Ils arrivaient en vue du point de rendez-vous, et ils n’avaient pas croisé âme qui vive tout au long de l’itinéraire indiqué ; ce n’est que lorsqu’ils commencèrent à longer les limites du jardin botanique qu’ils retrouvèrent un trio de présences humaines.

Ce fut l’agent Connor qui s’avança vers eux en premier. En civil, le vieil espion britannique projetait une image tout ce qu’il y a de plus débonnaire, contrebalancée par celle de la grande blonde baraquée en blouson de cuir clouté qui restait un peu plus en retrait et observait les Spectres d’un œil vigilant. La partie émergée de l’iceberg, plusieurs de ses collègues devant se cacher tout autour d’eux, établissant un périmètre sécurisé ; il ne serait pas étonnant non plus que quelques tireurs d’élite soient postés plus loin, et ceux-ci seraient d’une autre trempe que les protecteurs de la conseillère. Mais davantage que les snipers et autres soldats dissimulés dans l’ombre, c’était la troisième silhouette en arrière-plan qui inquiétait l’Étoile Terrestre. Celle d’une fille d’à peine douze ou treize ans en apparence, aux longs cheveux blancs et à la pâleur presque maladive.

Rectification donc, deux humains et une aberration. Il aurait dû s’y attendre, les Agences étaient prudentes et ce n’était pas comme si elles croulaient sous les éveillés capables d’affronter l’égal d’un chevalier d’Or, néanmoins il se serait volontiers passé de la recroiser si tôt après qu’elle ait failli réussir à le mettre en pièces. Il ne savait pas s’il s’agissait ou non de sa forme de combat, mais mieux valait ne pas tenter le diable.

« Agent Connor. » salua le Dullahan.

« Bonsoir, docteur Cantor. » répondit le britannique avant de s’adresser à Drow, l’ayant déjà identifié comme étant le plus haut gradé des deux. « Toutes mes excuses pour ce manque de décorum mais nous devons nous hâter, vous avez mis un sacré coup de pied dans la fourmilière avec votre arrivée. Je propose que nous réglions le cas des oligarques locaux et de leurs séides avant que la situation ne dégénère et que nous nous occupions après-coup de savoir si vous accepterez ou non l’offre de madame la conseillère. »

Bon, ça pourrait être pire. Vu le calibre de l’opposition, les Spectres devraient avoir le temps de réfléchir à ce qu’ils comptaient faire ensuite de Sydney. C’était pour ça que le cavalier sans tête avait parlé de remettre les captifs aux Agences : accord ou pas, conscientes de leur infériorité par-rapport aux factions divines ou non, elles restaient des protectrices de l’humanité et verraient d’un mauvais œil l’annexion de la plus grande ville d’Australie. Mais elles étaient avant tout pragmatiques, capables de penser au long terme et de consentir de grands sacrifices si nécessaire. Il devrait être possible de les convaincre de ne pas faire d’histoires en échange de quelques concessions ; elles non plus ne voudraient pas mettre en péril leur pacte avec l’Au-delà sans une excellente raison. Elles avaient tellement plus à perdre...

« Voici toutes les informations que nous avons pu rassembler sur nos ennemis du jour. Vous y trouverez les noms, les visages, le niveau de puissance et le type de pouvoirs de la majeure partie de leurs éveillés. » ajouta l’espion en remettant un dossier aux infernaux.

Drow semblait prêt à accepter la situation pour le moment – même s’il faudrait que Rogos éclaire sa lanterne plus tard au sujet de la « gamine ». Une chance, tout le monde n’avait pas le don de se montrer aussi compréhensif. À l’échange de politesses avec l’agent Connor succéda bientôt une ambiance studieuse tandis que les Spectres assimilaient les renseignements fournis par leurs interlocuteurs.

« Essentiellement des niveaux 1 et 2, avec une paire de niveaux 3 en haut de la pyramide – équivalents Terrestres. » résuma le Dullahan après avoir à son tour compulsé les différents profils, ajoutant les derniers mots pour le Béhémoth, à qui il n’avait pas encore eu le temps d’expliquer le système que les Agences utilisaient pour classifier les éveillés. « Peu de capacités spéciales et rien de bien ésotérique parmi les exemples relevés. A priori ils ne devraient pas être difficiles à neutraliser. »

« Pour vous peut-être ; de notre côté ce n’est pas exactement comme si nous croulions sous les niveaux 5. » répliqua l’anglais avec une pointe d’auto-dérision.

« Mais bien sûr. » fit Rogos, qui ne croyait pas une seconde que les organisations secrètes prévoyaient d’affronter de tels ennemis à la loyale. Les talents de ces éveillés ne leur seraient pas d’une grande aide si quelqu’un empoisonnait leur nourriture ou plaçait une bombe dans leur voiture.

« Bref. Notre plan d’origine pour nous débarrasser des responsables de ces atrocités était de mettre en scène un massacre à l’école d’éveillés. L’histoire classique, un cobaye qui échappe à ses tortionnaires, se venge puis disparaît dans la nature ; c’est comme cela que les choses finissent dans neuf cas sur dix quand quelqu’un est assez stupide pour maltraiter des éveillés sans prévoir les mesures de sécurité appropriées derrière. Nous comptions confier cette mission à mademoiselle Marchesi, elle aurait été parfaite pour le rôle, mais suite à son indisponibilité nous avions prévu de nous rabattre sur Numéro 11 ici-présente. »

Le vétéran conclut son exposé en ébouriffant les cheveux de la jeune fille factice, qui accueillit le geste avec son absence de réaction coutumière. Le Spectre digéra cette révélation ; alors comme ça elle n’était pas là uniquement pour s’assurer que les infernaux seraient sages. Voilà également qui avait le mérite d’expliquer le fait qu’on lui ait fait enfiler un uniforme scolaire.

« D’accord, et maintenant que nous sommes obligés d’accélérer les choses ? »

« Nous vous proposons d’attaquer le maire et son entourage après leur sortie de l’Opéra dans une opération conjointe. » intervint la blonde baraquée. « C’est une soirée privée dont la sécurité est entièrement assurée par les hommes de confiance des participants ; ils en profitent pour discuter de sujets confidentiels qu’ils ne veulent pas voir s’ébruiter. Avec le bon timing, le risque d’impliquer des civils innocents devrait être minimal. Nous pourrions faire passer ça pour une attaque terroriste et faire porter le chapeau à l’une des cellules locales du PWM – à supposer qu’ils ne la revendiquent pas de leur propre chef. »

« Le Perfect World Movement est un groupe éco-terroriste. De vrais cinglés. » précisa le français à son supérieur.

« Moins une organisation qu’une coalition de cellules autonomes, ce qui nous avantage dans la mesure où même les autres membres du PWM ne savent pas avec certitude ce que font leurs propres coreligionnaires. »

Le Dullahan acquiesça. Effectivement, ça pouvait marcher… pas mal du tout pour un plan adapté à la hâte.

« Vous avez de quoi rendre le scénario crédible ? »

La costaude pointa la gamine du doigt : « Technopathe. Aucun problème pour falsifier toutes sortes de communications et d’enregistrements. On a aussi un tas de gars de la Désinformation prêts à maquiller la scène de crime et à orienter les enquêtes de la police, de l’armée et des médias dans la direction souhaitée. Et je crois comprendre que vous êtes pas mal non plus quand il s’agit de persuader d’éventuels témoins de la boucler. »

Toujours aussi préparés. Le cavalier sans tête était curieux de savoir ce qu’ils avaient prévu pour leur plan d’origine avec l’école d’éveillés avant que l’arrivée impromptue des Spectres ne les force à revoir leur copie, mais avec les moyens à leur disposition il n’aurait pas dû être trop difficile de créer de faux documents attestant de la présence d’un sujet de test qui n’avait en réalité jamais existé. Dommage qu’il n’ait pas pu voir une telle opération à l’œuvre avec Oblivion dans le rôle principal comme ils l’avaient initialement décidé, cela aurait certainement été cathartique.

« Avons-nous votre accord, monsieur Drow ? » demanda finalement l’agent Connor.

« J’ai cru comprendre que madame la conseillère préférait que le maire reste en vie, ou du moins que la population ne reçoive pas la confirmation de son décès. Nous n’y voyons pas de problème tant que son silence est assuré. Quant aux éveillés qui leur servent à maintenir leur emprise sur la ville, à lui et à ses comparses, nous souhaiterions les capturer en vie et raisonnablement intacts si possible, mais la réussite de l’opération passe en priorité ; ils peuvent donc être éliminés si nécessaire. Nous vous laissons volontiers messieurs Nathaniel et Jarlaxle : loin de nous l’idée de vouloir priver les Enfers de leur dû. Nous aviserons pour les autres mais là encore l’objectif est de ne laisser aucun témoin, d’une manière ou d’une autre. » fit l’agent Connor lorsque Drow lui demanda de préciser le sort réservé à leurs cibles.

Le britannique leva un sourcil à la question suivante, considérant le Béhémoth quelques secondes avant de répondre : « Vos soupçons sont corrects, Numéro 11 n’est pas un être humain. Je suis quelque peu surpris que le Docteur Cantor ne vous ait pas déjà mis au courant. »

« Je n’ai pas eu le temps de relater mon expérience à mes camarades. » se justifia le Dullahan. « Et de ce que j’ai pu voir, Sa Seigneurie n’a pas jugé bon de diffuser ces renseignements pour le moment. Je Le soupçonne de vouloir suivre votre exemple en compartimentant l’information. »

Ce genre de mesures relevait de la prudence la plus élémentaire quand on savait à quel point les Squelettes pouvaient se comporter comme des pipelettes et qu’Éris rôdait dans les parages. Si c’était bien là le raisonnement du Faucheur – et le français avait conscience qu’en matière de motivations divines, les suppositions étaient toujours hasardeuses –, l’Étoile Terrestre ne pouvait qu’approuver. Bien sûr, il se pouvait également que Thanatos ait été trop occupé pour ordonner que tout le monde soit briefé.

« Je vois. Voulez-vous vous charger vous-même de la suite de l’explication ? »

Rogos vit que la grande blonde était en train de s’impatienter, aussi décida-t-il d’abréger pour ne délivrer que les informations essentielles.

« Oui, merci. Je vous raconterai tout ça en détail plus tard mais grosso modo, il s’agit d’une créature des Agences. Ce que vous voyez n’est qu’une projection parapsy… euh, cosmique ; son véritable corps est ailleurs. Nous n’avons donc pas à nous inquiéter de sa sécurité, et je me porte garant de ses performances. »

L’intéressée accueillit son résumé d’un hochement de tête microscopique, confirmant ses propos. Quand il acheva de parler, la costaude émit un grondement exaspéré.

« Bon, fini de papoter ? Parce que l’heure tourne ! »

« J’en ai terminé. Passez devant, Major, et bonne chance. » répliqua l’anglais, levant les mains en signe d’apaisement. L’agente grogna de nouveau puis guida les deux Spectres et la gamine vers l’arrière d’un fourgon légèrement à l’écart, laissant Connor derrière en sa qualité de non-combattant. Une fois à l’intérieur du véhicule, celui-ci se mit en mouvement vers leur destination, et la militaire profita du trajet pour leur faire passer chacun un paquet : « Prenez ça, vous en aurez besoin. On opère sous protocoles Rolling Stones. »

Rolling Stones ? Il ne s’y était pas trompé, les Agences n’avaient vraiment aucune intention de se battre à la loyale. Le cavalier sans tête ouvrit le paquet qui venait de lui être remis, et vit que celui-ci contenait une sorte de masque à gaz high-tech ultra-compact intégrant lunettes à réalité augmentée, communicateur et protection pour les oreilles ; l’ensemble tenait même sous le casque de son Surplis. La fausse jeune fille, elle, se contenta d’une cagoule pour dissimuler ses traits.

« Ils vont y aller aux armes chimiques et soniques. » clarifia le Dullahan en ajustant son masque. « Si ça réussit, nos adversaires seront affaiblis et désorganisés. »

Il ne croyait pas si bien dire. Après qu'ils aient échangé quelques plans, renseignements pertinents et autres considérations tactiques, le fourgon les déposa dans une rue proche de l’Opéra, et de là ils gagnèrent une position idéale pour leur embuscade. À peine une dizaine de minutes plus tard – le Major avait raison, le timing était serré –, le maire et son entourage sortirent du bâtiment et se dirigèrent vers leurs propres véhicules. Les gorilles du groupe étaient à l’affût du danger, mais rien n’aurait pu les préparer à la soudaineté de l’attaque : au signal transmis par les communicateurs, un agent posté sur un toit voisin tira une grenade aveuglante en l’air, dont le brusque éclat éblouit les cibles. Simultanément, un deuxième agent activa sa propre grenade, remplie cette fois d’un gaz invisible à l’odeur si révoltante que tous ceux qui le respirèrent furent instantanément pris de violentes migraines et de crises de vomissement incontrôlables. Mais l’horreur ne s’arrêta pas là, oh non : d’autres dispositifs plus sophistiqués bombardèrent les malheureux d’ultrasons et d’infrasons pour perturber leur oreille interne, leur faisant du même coup perdre leur sens de l’équilibre, tandis que des faisceaux de micro-ondes leur infligeaient la sensation d’être immolés vivants.

Les infernaux et leurs alliés, eux, ne furent aucunement affectés, protégés qu’ils étaient par leur équipement et la précision chirurgicale des armes des Agences. Numéro 11 acheva de déstabiliser l’opposition d’une impulsion cosmique qui rappela au cavalier sans tête son propre combat contre la créature : sous l’effet de l’anti-distorsion, les lois de la réalité se raffermirent et les facultés cosmiques que les rares ennemis encore en état de se battre invoquaient pour se défendre perdirent subitement une part considérable de leur puissance. Rogos profita immédiatement de l’ouverture, envoyant une vague de ténèbres déferler en direction de leurs cibles, répliquant la technique qui lui avait servi à neutraliser Nathaniel et les gardes du manoir de la conseillère. Il chargea ensuite aux côtés de l’aberration pendant que le Major s’élançait, électrolaser à la main.

« La chasse est ouverte ! » s’écria-t-elle en appuyant sur la gâchette, faisant jaillir un arc d’énergie qui foudroya l’éveillé ennemi le plus proche et le fit s’effondrer au sol, les membres agités de convulsions.