Inde – Quartier chic de Goa – J 23h30

L’homme s’alluma une dernière cigarette, puis se dirigea vers la terrasse afin de profiter un peu du ciel étoilé avant de rejoindre son épouse pour une bonne nuit de sommeil. Il avait fort à faire le lendemain, une audience assez délicate programmée le matin, puis plusieurs entrevues avec de gros clients l’après-midi et enfin un vol à prendre pour Singapour. Son emploi du temps avait augmenté proportionnellement à sa notoriété, alors que les rares instants passés avec sa femme devenaient de plus en plus rares, notamment en raison de déplacements nationaux et internationaux de plus en plus fréquents. La rançon de la gloire en quelque sorte…


Inde – Quartier chic de Goa – J+1 07h18

Plusieurs flashs illuminaient la scène, les inspecteurs prenaient les dépositions du personnel de maison et du voisinage, pendant que les scientifiques effectuaient tous les relevés nécessaires pour analyser et mettre en lumière de complémentaires pièces à conviction ou preuves invisibles à l’œil nu. Les deux corps sans tête gisaient l’un à côté de l’autre dans le lit, la main dans la main, baignant dans une effroyable mare de sang. La section était nette, comme réalisée avec le plus affuté des rasoirs, la raideur cadavérique indiquait une mort intervenue entre 03h00 et 06h00. Le plus surprenant était la disparition des têtes, introuvables dans et aux abords de la somptueuse demeure. Devraient-ils y voir la signature émergente d’un tueur en série ?

- « Les gars, voyez avec les employés si des biens de valeur ont été volés, récupérez les emplois du temps des deux victimes et poursuivez les prises de dépositions. Je veux un rapport préliminaire sur mon bureau pour midi. », ordonna celui qui semblait être l’inspecteur principal de l’enquête.

- « Et bordel, retrouvez-moi ces putains de têtes ! », ajouta-t-il sur un ton énervé.

Il devait partir en congés ce soir avec sa femme et ses deux enfants : il pouvait faire une croix dessus…

HRP:

Funeste destin que celui de ce couple. L’inspecteur stagiaire Anju s’interrogeait sur la nature humaine, ainsi que sur les circonstances ayant pu mener un esprit malade à perpétrer un des meurtres les plus horribles qui lui ait été donné de voir. Il avait reçu un ordre de mission des plus inattendus : réceptionner et conduire sur la scène du crime deux représentants divins, bien évidemment dans le secret le plus absolu sur leur identité. « Coopération internationale » qu’on lui avait vendue…

- « Mademoiselle, Monsieur, je suis l’inspecteur stagiaire Anju du commissariat principal de Goa. Bienvenue en Inde ! », accueillit avec politesse le jeune cadre de police.

Sans tarder, le trio prit la route pour rejoindre le domicile des victimes. Le jeune représentant de l’ordre en profita pour répondre aux quelques questions de ses interlocuteurs. Néanmoins, il savait bien qu’aucune information orale ne vaudrait jamais une constatation personnelle, et sur ce point il ne doutait pas un seul instant que les deux envoyés du Sanctuaire en aurait pour leur argent.

- « Tenez, je vous suggère de porter ces gants et d’appliquer un peu de ce baume médical sous chacune de vos narines. Celui-ci surchargera vos capteurs olfactifs pour une heure environ, vous évitant les désagréments… Enfin vous vous doutez bien de quoi je veux parler… », proposa-t-il en soupirant, alors que la voiture se garait à proximité du périmètre de sécurité.

Le trio pénétrait enfin dans la pièce où les abominables homicides avaient eu lieu. Les équipes de la police scientifiques étaient toujours à pied d’œuvre, recherchant le moindre indice, la moindre trace, la moindre fibre, la moindre particule qui pourraient permettre aux enquêteurs de filer un début de piste menant au responsable.

- « Messieurs, les deux inspecteurs étrangers que voici vont nous aider dans cette enquête. Il s’agit d’un ordre du Commissaire en personne. Je vous laisse faire les présentations. », intima l’inspecteur stagiaire à l’ensemble des agents et techniciens présents sur site.

- « Mademoiselle, Monsieur, lorsque vous aurez terminé ici, je vous conduirai dans nos locaux pour un debriefing des premières données recueillies avec l’inspecteur principal en charge de l’enquête. D’ici là, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à demander.», proposa-t-il en détournant lui-même le regard de ce lit maudit.

Le Lion d’or s’affairait à récupérer quelques renseignements utiles, à analyser en détail la scène de crime, pendant que la petite Ourse questionnait le personnel de maison, en quête également de quelques indices pouvant se révéler d'importance pour l’enquête. Ces tâches accomplies, les deux Saints rejoignirent l'un après l'autre l’extérieur de la demeure ; l’inspecteur stagiaire vint à leur rencontre quelques instants plus tard.

- « Mademoiselle et Monsieur, si vous avez pu observer tout ce que vous vouliez et obtenir les informations que vous désiriez, je vous propose de nous rendre au commissariat central. J’ai pris soin de commander un assortiment de lunch boxes, vous pourrez ainsi souffler un peu avant de poursuivre avec l’Inspecteur principal. », suggéra de manière très professionnelle le jeune policier.

…/…

Le commissariat principal de Goa était situé en plein centre-ville, loin des signes extérieurs d’opulence et des richesses de cette génération dorée de jeunes gens aux profils divers et variés mais néanmoins avec une caractéristique commune : la réussite professionnelle et une ascension sociale fulgurante. La voiture de fonction dût stopper une vingtaine de minutes aux abords d’un carrefour en raison d’une obstruction pouvant sortir de l’ordinaire pour un occidental : une vache avait décidé de faire une petite sieste en plein milieu de la voie publique.

- « Ne vous inquiétez pas, c’est fréquent en Inde. Ces animaux sont sacrés – quiconque leur ferait du mal commettrait un délit pénal, sans parler des éventuelles représailles de la population… L’imprudent pourrait se faire lapider avant même que la police n’ait pu intervenir. », expliqua le conducteur à ses deux passagers.

Une fois l’incident levé, le trio ne tarda pas à arriver à bon port. L’inspecteur invita les deux jeunes gens à le suivre jusqu’à l’ascenseur. Une fois au deuxième étage, ils pénétrèrent dans une zone sécurisée, puis dans un des salles de brainstorming du service d’enquête de la police judiciaire. Une table centrale pour cinq à six personnes, des prises de courant fort et courant faible incrustées à intervalle régulier dans le bois, un rétroprojecteur au centre. Un écran en toile transportable était disposé près du mur du fond. A côté, contre l’angle formé par deux des murs, un tableau en liège supporté par deux portants en bois contreplaqué. Enfin, un plateau à roulette sur lequel étaient disposés plusieurs boîtes repas, des bouteilles d’eau, ainsi que de boissons sans alcool et enfin deux thermos, un de café et un de thé noir.

- « Je vous en prie, servez-vous. Nous avons environ trois quart d’heure avant que le chef ne revienne de sa pause déjeuner. », invita aimablement leur hôte.

- « Mademoiselle Leticia, il s’agit là d’une méthode de causalité enseignée dans les académies de police de Mumbaï, un cas d’école si vous préférez. L’objectif est de découvrir un coupable à partir des mobiles supposés pour un délit donné, notamment en s’attelant à étudier les liens relationnels entre les personnes et les évènements. Je pourrais vous recommander quelques lectures d’ouvrages criminologiques pertinents si vous le souhaitez. », s’empressa d’expliquer avec engouement le jeune policier.

Il s’agissait là de sa première enquête en tant que membre stagiaire des forces de police de Goa. Bien que le meurtre en question se révélait être un des plus atroces de cette décennie, il ne pouvait réprimer un sentiment honteux de satisfaction, celui de pouvoir traquer un criminel abominable et ainsi œuvrer pour le bien public.

Si le Lion d’or préférait se réserver pour un autre repas, la jeune Ourse grignotait quant à elle bien volontiers. Le temps passa finalement plus rapidement que prévu, à moins que l’inspecteur principal n’ait décidé d’écourter son propre repas pour se replonger dans l’enquête.

…/…

Un homme d’une quarantaine d’année pénétra dans la pièce en claquant la porte derrière lui, la mine sévère et l’œil agacé. Il jeta sans aucun ménagement une pile de dossiers sur la table de réunion, se saisit un à un des dossiers et les fit glisser vers chacun des consultants réunis dans la salle.

- « Madame, Messieurs, je vous remercie d’avoir fait le déplacement. Je ne dirais que deux mots sur cette affaire : quelle merde ! », annonça le chargé d’enquête sans détour aucun.

Il essaya de démarrer le rétro-projecteur, lequel avait visiblement décidé de bouder. Quelques claques vigoureuses plus tard, la première image s’affichait enfin à l’écran : un gros plan sur les cous tranchés et sanguinolents des deux victimes, avec une photographie d’identité de chacune d’elle incrustée en mosaïque dans le coin supérieur droit.

- « Notre première victime se nomme Ashir Sempouri, 35 ans et la seconde Nanda Sempouri, 28 ans. Ils étaient mariés depuis cinq ans. L’heure présumée de leur décès est estimée à 04h00 du matin. », commenta en premier lieu l’inspecteur principal, tout en basculant sur une image similaire de la seconde victime.

- « Madame Sempouri était femme au foyer et Monsieur Sempouri un avocat en droit du commerce international. D’après les premiers éléments d’investigation, il était un petit prodige, dont les services se négociaient à bon prix. Bien évidemment, nous allons investiguer auprès de son entourage professionnel, la jalousie ou encore la vengeance étant des mobiles Ô combien fréquents dans ce genre d’affaire. », poursuivit-il pour parachever le curriculum vitae des deux dormeurs sans têtes.

Avant de poursuivre, le policier alla se servir une tasse de thé. Il afficha ensuite une nouvelle image à l’écran : une sorte de photographie circulaire prise à partir d’un microscope électronique. Les éléments affichés n’étaient pas très parlants pour un non initié…

- « Bien que les analyses ne soient pas encore achevées, l’équipe scientifique m’a déjà communiqué un premier état des relevés effectués sur place. Si ce n’est le triste état des occupants du lit, aucune trace d’effraction ou même de présence tierce dans la villa. Seule la présence des deux victimes et de la femme de ménage a été décelée ; l'alibi de la femme de ménage tient la route. Aucune trace de lutte et aucune trace de substance narcotique dans les prélèvements sanguins post mortem : les victimes sont mortes sur le coup et dans leur sommeil. Ce que vous voyez à l’écran sont des fibres retrouvées au niveau des sections des vertèbres de notre couple maudit ; selon nos experts, il s’agirait de fibres de lin – de plus amples analyses sont en cours pour tenter de déterminer leur provenance… », exposa ensuite le quarantenaire avec grand professionnalisme.

Après deux profondes gorgées, l’inspecteur principal toussa un peu, puis afficha une nouvelle photographie. Cette fois-ci, il s’agissait d’un objet d’apparence ancienne, une antiquité égyptienne à n’en point douter.

- « Et pour en finir avec les éléments que nous avons pu recueillir depuis ce matin, il semblerait que Monsieur Ashir Sempouri était un collectionneur d’art averti. A notre connaissance, son intérêt se portait principalement sur les œuvres et objets anciens des cultures indiennes, égyptiennes et incas. Ce que vous voyez à l’écran est un objet identifié comme manquant dans la collection de Monsieur Sempouri, une dague égyptienne antique pour ce que nous en savons. Nous essayons de réunir plus d’informations sur cet objet, la cupidité pouvant être un mobile de plus pour notre (ou) nos meurtrier(s). », expliqua l’homme aigri à ses invités.

Si des pistes potentielles commençaient à se dessiner, notamment sur les causes ayant menées aux conséquences, l’affaire s’affichait comme trouble sous de nombreux points de vue. Aucune trace, aucun témoin, un mode opératoire fleurtant dangereusement avec la perfection…

Le Commissaire avait visiblement eu le nez fin en faisant appel à des représentants du Sanctuaire. Leurs connaissances culturelles et historiques, ainsi que les théories proposées, se révélaient déjà de précieux atouts et le seraient encore plus si un ou plusieurs éveillés devaient tremper dans cette sordide histoire.

- « Au regard de ce que vous me dites, la vengeance ou le crime passionnel me semblent être deux mobiles secondaires. Les plus plausibles pourraient être la cupidité ou encore le fanatisme ; nous sommes bien placés en Inde avec l'épisode extrémiste du culte Sikh pour appréhender au bon niveau ce type de menace. Pour répondre à vos questions concernant la femme de ménage, cette dernière possède son propre logement. De plus, il est à noter qu’en Inde, employer du personnel de maison est un signe ostentatoire de richesse et de réussite sociale, donc rien d’étonnant dans la démarche de ce couple, bien au contraire. », renchérit l’inspecteur principal à l’attention du Lion d’or.

- « Effectivement Mademoiselle, la criminalité est malheureusement plus élevée dans les grandes villes indiennes qu’elle ne peut l’être en occident, et ce en grande partie à cause du fossé social qui sépare les castes les plus riches des castes les plus pauvres. Ici, vous pouvez vous faire planter un couteau dans le ventre pour un paquet de cigarette… Donc même si les scènes de meurtres orchestrées comme celle de notre affaire sont rarissimes, notre département ne manque quant à lui pas d'activité tout au long de l’année. », ajouta-t-il ensuite pour répondre à la petite Ourse.

L’enquêteur professionnel espérait que l’implication d’éveillés dans ce drame ne se révèlerait pas avérée. Ce type d’affaire était d’ordinaire suffisamment chronophage et complexe sans ajouter d’ingérables variables.

- « Pour l’heure, je vais rassembler dans mon rapport les différents éléments dont nous venons de discuter. Nous allons transmettre une requête à Interpol pour identifier d’éventuels cas similaires à l’étranger. Comme pour les analyses des échantillons recueillis ou encore les investigations sur la traçabilité de l'objet manquant, il faudra un peu de temps avant d’obtenir des informations complémentaires. En attendant, je vous invite donc à prendre un peu de repos, à faire un peu de tourisme ou encore à explorer d’éventuelles pistes de votre côté. Je vous propose que nous nous revoyons demain ou après-demain, selon l’état d’avancement du dossier. », proposa le quarantenaire au duo d’éveillés.

HRP: