Ça fait mal. Ça fait mal de se faire gifler. Habituellement on voit ça dans les films et c’est plutôt marrant. La solution pour faire taire quelqu’un ou le remettre à sa place suivi d’une seconde de silence et de réalisation, la bouche grande ouverte. C’est marrant dans les films, mais je vous assure que dans la vraie vie ce ne l’est pas. Surtout quand la gifle vient d’une Éveillée. Ouch. La seconde de silence comique devient la seconde offensée, surprise et honteuse de se faire claquer la joue comme ça. Et oui, ça chauffe.

Ça fait encore plus mal quand Leticia me donne un coup de poing dans la gorge. Comment un coup de poing dans la gorge peut faire plus mal qu’une gifle d’après moi? Ben personne ne frappe là, pour moi c’est un signe que même pour la générale majorité, c’est un coup trop douloureux pour être donné. Mais Leticia s’en bat les couilles, on le sait bien. Mais je crois que ce qui a fait plus de dommage que ça, c’est les mots qu’elle a dit juste avant. Elle a visé juste. J’avais le souffle coupé figurativement avant qu’elle ne me le coupe littéralement. Ma jalousie. Je l’ai laissé parler et me dominer une fois de plus. Je l’ai fait souvent avec Vincent, mais avec Azir? On se connaît à peine et je lui ai?...je viens de comprendre. Je le vois comme un grand frère. Je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus au début mais là je viens de comprendre ce qui m’achalait. Je le compare à Vincent. Mais ce n’est pas lui. Je ne le connais même pas. Ça explique pourquoi soudainement je repasse dans ma tête tout ce que je viens de dire et que mon cœur se fait un méga gros face slap.

Ça fait deux fois plus mal quand Azir prend la parole, très en colère. J’aurais imaginé qu’il n’y avait pas plus terrifiant que Leticia, il vient de me prouver le contraire et écrasant une poubelle juste à côté de moi. Le plus transperçant en revanche est ses mots. Je veux bien dire que ça m’a blessée un peu, mais en même temps je songe que ce n’est probablement rien comparé à comment moi je l’ai blessé. C’est donc un peu hypocrite de ma part de dire que je l’ai mal pris. Surtout en considérant qu’il a parfaitement raison. C’est la vérité qui fait surtout mal. C’est ma faute si on est là avec elle. C’est moi qui a mis Azir en danger et j’ose revenir lui faire la morale et l’insulter. Il a raison. Je suis la perte de temps. Depuis combien de temps en fait ai-je joué ce rôle? Plus longtemps que je le crois. Ma soi-disante quête d’existence, elle fait perdre le temps des autres. Ce qui a encore un petit aspect frustrant, mais en même temps je viens de montrer ce que je vaux réellement et oui, je comprends pourquoi ça embête les autres.

Pauvre Azir…J’aurais aimé réaliser mes défauts et mes véritables faiblesses sans avoir à l’attaquer verbalement et gratuitement. Ça me fait réaliser que ce Chevalier du Lion, je ne le connais pas du tout. Il a un passé lui aussi. Même si j’ai aucune idée de quoi il s’agit, il a vécu des expériences qui l’ont rendu simplement meilleur et compétent. Et moi je suis jalouse de ça. J’aimerais être meilleure et compétente. Mais je crois que ce n’est tout simplement pas dans ma fiche de personnage. C’est quand même pas de sa faute à lui. Il est juste...une bonne personne. Il n’y a pas de piège, il n’y a pas de face caché. C’est juste un bon gars. C’est moi la perte de temps. C’est moi qui a un problème de confiance. Oui de confiance. Et bon peut-être d’attention. Peut-être. Je suis surtout pas capable de reconnaître que le bon chez les autres est simplement bon.

C’est peut-être pour toutes ces raisons que quand je le vois sur le point de me jeter sa boisson à la figure, j’écarte mollement un peu mes bras comme une invitation. Je le mérite, c’est la moindre des choses de l’accepter. Je me suis déjà sentie coupable auparavant, mais jamais à ce point. C’est sûr que quand la vie de quelqu’un est sur la balance, ça change relativement le niveau de culpabilité. Il y a être idiote, et puis il y a…ben il y a une idiote irresponsable, comme le dirait Azir. Ou comme cette définition qui est pour être dans le prochain Larousse, il y a Colombe. Le pire est que je ne peux pas blâmer tant que ça le fait que « Mais non je suis juste vraiment stressée parce que j’ai vu une scène de crime plutôt morbide! ». Je suis juste naturellement une salope. Bon et puis la scène de crime a pas aidé. Mais Azir a vu la même chose que moi et lui il n’est pas une bitch pour autant. Le voilà justement qui s’en va au commissariat, me plantant là avec mes regrets et Leticia. D’ailleurs, pour prouver à quel point je suis une grosse patate parfois, j’ai une seconde de confusion quand il prononce mon faux nom. Mais non j’ai bien compris et je n’essaie pas de le retenir. Pour quoi faire? Supplier « Non Azir, reste! J’ai besoin de toi! » alors que je viens de l’envoyer chier? Non. Même moi je suis pas si conne que ça. Il a besoin de temps. Je pense pas qu’il voudra m’avoir près et je comprends parfaitement. Je ne voudrais pas non plus m’avoir près de moi sauf que dans mon cas je suis moi alors s’il a l’occasion, qu’il en profite. Moi je peux pas. Moi je suis prise avec moi-même et Leticia. Et laissez-moi vous dire que la situation est vraiment bizarre pour nous deux. Nous sentons le malaise. Tellement que quand mon ennemie réponds à ma question, je ne l’entends pas tout de suite. Je finis par sortir de ma torpeur pour lui dire de façon tout aussi maladroite, voire timide :

-Ben on…euh…on aurait peut-être une question qui pourrait être posée à un médecin ou à quelqu’un extrêmement violent et de ffff...ouin quelqu'un de violent. Ouais à cause de la question…

On a fait tous ces efforts pour cacher notre identité et la situation, c’est pas maintenant que je vais me planter en dévoilant tout.

-So vous êtes pas amis? Ah moi j’me disais que…ah bon. Peut-être que toi tu saurais? I mean tu…hm…parais comme quelqu’un avec des tendances violentes.

En essuyant du matcha froid de mon visage et en massant ma gorge, j’ajoute :

-D’après toi c’est quoi le meilleur moyen de décapiter quelqu’un d’un coup sans laisser aucune trace? Même pas une trace d’effraction, rien.

J’ose croire que c’est la dague égyptienne qui est l’arme du crime, mais je vois vraiment pas comment on peut décapiter deux personnes en même temps, à moins que ce soit une dague magique ou une autre connerie du genre. Peut-être qu’il y a un autre moyen. Je n’ai rien de mieux à faire à part d’explorer des hypothèses. On ne confirme pas une hypothèse sans preuve.

Tiens c’est sage ça. Dommage que j’ai pas appliqué ça avant d’insulter mon partenaire.

Difficile de croire qu’elle ne l’a pas mérité, mais les mots de son collègue la blessent beaucoup plus que n’importe quel coup qu’elle pourrait se prendre. Son intervention était la goutte qui a fait déborder le vase, j’ai perdu patience avec elle après à peine quelques secondes, alors que doit en penser celui qui doit l’accompagner pendant tout un voyage? Elle se met dans le pétrin pour des raisons idiotes, et ensuite elle insulte celui qui est venu la sauver par simple jalousie? Pourquoi la prendre en pitié?
Parce qu’elle reçoit ce qu’elle demande.

Je ne devrais pas en penser quoi que ce soit, pas après avoir vu le pire de cette petite idiote. Mais la décision du blond de la laisser là avec moi, en sachant très bien ce qui pourrait arriver, place un drôle de poids sur mon cœur. C’est comme ça que ça se passe, donc. Soudainement, je ne menace plus de tuer une Sainte trop fouineuse, je menace de tuer une Sainte trop fouineuse qui a été laissée derrière. Elle connait les risques. Elle n’avait qu’à être plus forte. Mais est-ce qu’elle les connait? Est-ce qu’elle réalise la situation dans laquelle elle se trouve? Clairement, elle n’est pas aussi innocente que je le pensais, et c’est peut-être ma faute après lui avoir révélé sa colère réprimée. Mais elle ne mérite pas ça.

Elle ne s’en rend même pas compte. Peut-être dans un effort pour se ressaisir un peu, elle change de sujet et recommence à me poser des questions, et je me contente de la laisser parler sans répondre. Pas question d’arranger une rencontre avec Ephemer, même si je n’y suis pas, mais si elle pense que moi je peux aider… Oh. Je ne m’attendais pas à ça du tout. Pas innocente du tout, donc.

-Moi qui croyais que tu avais bon fond. Ce n’est pas un peu fort comme punition après le pétrin dans lequel tu vous as mis?

Elle se croit peut-être plus forte que ce qu’elle est vraiment. Plus cruelle. Mais j’ai vu comment elle réagi face à bien moins pire que ça, et je sais très bien qu’elle n’en saura pas capable. Peut-être que la meilleure chose à faire est de lui expliquer un peu, et lui montrer à quel point elle n’est pas prête à commettre ce genre d’atrocité.

-Hm… ce n’est pas exactement ma spécialité, la décapitation… j’ai déjà arraché des têtes, mais je suppose que ce n’est pas ce que tu veux. Si tu veux de la discrétion, je n’irais pas pour une décapitation, déjà, mais plutôt pour un empoisonnement. Mais si tu y tiens, ce sera plus difficile de cacher une effraction, alors à moins de savoir te téléporter tu voudrais soit être invitée à entrer, soit procéder dans un endroit plus public comme une chambre d’hôtel, pour limiter les traces de ta présence qui pourraient être retrouvées. Quant à l’arme… une bonne lame serait le choix le plus efficace, tant qu’elle soit assez lourde et tranchante pour faire le boulot assez vite, mais il faut être sûre de ton coup… sinon, tu pourrais utiliser un garrot, aussi, ce sera lent et ce ne sera pas une jolie coupure, mais avec ta force d’éveillé tu devrais y arriver et c’est très facile de t’en débarrasser après.

C’est… étrangement fascinant, comme question. Et c’est bizarre de me sentir experte à ce point sur un tel sujet, mais c’est aussi très satisfaisant. En scrutant sa réaction, je force un sourire.

-Encore envie d’essayer?

Je sais pas vraiment à quoi je m’attendais, mais pas à ça. Même si comment la tournure des évènements est déjà…disons particulière, je ne croyais pas qu’on penserait que je voudrais décapiter quelqu’un. J’ai vraiment l’air méchante maintenant. Remarque je ne lui ai pas donné tout le contexte. Je ne peux pas, c’est déjà cinglé de ma part de lui poser la question. Mais hey, vu que je ne peux pas me mettre dans la peau d’un psychopate, peut-être qu’en interroger un fera l’affaire. C’est sûr que ça blesse un peu que ladite psychopathe me croit capable d’en être une…ouch.

Avant même que je n’ai le temps de la corriger, elle répond à la question. Je ne suis même pas capable de glisser un mot, pour la simple raison que ma force est présentement concentrée à rester debout. Je…je voulais faire un effort pour ne pas la juger en assumant qu’elle était une folle et une meurtrière débile, mais là…faut m’aider Leticia. Enfin, j’ignore vraiment comment me sentir à ce qu’elle m’explique. Choquée parce qu’elle si connaît un peu trop dans le domaine? Flattée qu’elle tente de m’aider malgré la question douteuse?

Tandis qu’elle me parle des meilleures stratégies pour tuer quelqu’un, je sens mon téléphone vibrer. Sans dire un mot, je jette un coup d’œil discret pour voir de qui il s’agit. Depuis l’engueulade après mon voyage en Amérique du Nord je me suis faite prier de répondre à mon téléphone immédiatement. Mon cœur saute un battement quand je vois que c’est Azir. Impossible de discerner de son message s’il est encore fâché. Probablement que oui. J’ose croire qu’il s’est calmé. Je réponds un très rapide «Ok» avant de ranger mon portable pour reporter toute mon attention sur Leticia. Je pense pas que notre échange va durer une heure, ce qui est une très bonne chose.

Quand elle me demande si je veux toujours le faire, j’aurais cru que j’expliquerais tout de suite que non, je ne compte pas tuer mon collègue de travail, ça va pas la tête et tout ça. Mais non…j’éclate de rire. C’est…absurde. La situation est absurde. Je me suis déjà mise dans la merde mais là…wow c’est quelque chose. Et apparemment elle arrache des têtes. Je discute avec une folle qui il y a quelques minutes de cela voulait m’égorger et m’abandonner dans les déchets. Ce que mon collègue a fait, remarquez. Sans l’égorgement. Je suis en train de vivre une montagne russe d’émotions qui me rend nauséeuse mais hey, c’est moi qui s’est embarquée là-dedans.

-Ahahaha! Ben non je vais pas le tuer esti! On tue pas quelqu’un pour si peu!

Je continue de rire et je finis même par verser quelques larmes. De rire, de découragement, de colère, je n’en sais rien. Ce n’est qu’après avoir enfoui pour une seconde mon visage et masser mes yeux que je marmonne :

-Oh man j’suis…je ne finis pas ma phrase. Je hausse plutôt la voix pour dire à l’intention de Leticia : Je dois y aller. Merci pour ton aide.

Les derniers mots sonnent drôles dans ma bouche quand je pense qu’elle a essayé de me tuer il y a quelques minutes de cela. Pas question de rester là plus longtemps. Remarque que j’ai plus ou moins envie de voir Azir non plus. Surtout après les vacheries que je lui ai balancées à la figure. J’ai le choix entre le lion enragé et les déchets.

La première option semble plus envisageable. Dès qu’il dégote l’adresse, je le rejoindrai.

-Bien sûr…

Ça ne me regarde pas, si elle ne veut pas me donner plus de détails c’est son problème. Après avoir regardé son téléphone, elle annonce qu’elle doit partir, et je me racle la gorge après avoir entendu ses remerciements. Rien ne s’est passé comme prévu… Mais avant qu’elle ne disparaisse, je lui lance un dernier conseil, qui n’a rien à voir avec un meurtre ou une suggestion d’arme.

-Fais attention à toi. Tu as eu de la chance, mais personne ne se bouscule pour sauver les gens comme toi, tu sais… pas même parmi les tiens.

Mon cœur bat à toute allure en prononçant ces derniers mots, même si je n’ai pas vraiment hésité à les ajouter. De la chance, elle? Si on veut oui, et même dans ses pires moments elle parvient à s’en sortir de la façon la plus insolente. Mais combien de temps est-ce que ça va durer? Et pourquoi est-ce que ça m’inquiète autant?

De nouvelles énergies cosmiques s’approchent, et je me masse les poignets en fronçant les sourcils. Je n’arrive plus à me détacher de ces émotions depuis mon départ de FIRMAMENT, puis mon expérience avec Ephemer, pas sans ressentir cette lourde culpabilité qui m’empêche d’agir. J’aurais dû la tuer. J’aurais dû les tuer tous les deux, mais je leur ai donné tellement d’occasions de s’échapper… Le remord peut-il me paralyser à ce point? Raison de plus pour ne pas rentrer aux Enfers tout de suite, si je devais être vu comme ça…
Non. Ephemer avait raison. Si je veux me libérer de ce tourment, je vais devoir y faire face un jour, et ce n’est pas en me cachant que je vais y parvenir. Mais en attendant, j’ai le test parfait qui se présente devant moi, l’occasion de retrouver ce sentiment de rage à nouveau.

Deux hommes, presque deux fois ma taille, bâtis comme des armoires à glace. Plus intimidants qu’autre chose, mais ce n’est pas rare de croiser des jeunes fraîchement éveillés au cosmos qui se prennent pour les rois du monde et ont besoin de ce petit retour à la réalité. Ils doivent être les envoyés de ce cher docteur, mais ils ne se doutent de rien. Je peux déjà ressentir la soif de sang…
En quelques secondes, c’est déjà fini. Le premier rampe au sol en se tenant la jambe, tordue dans tous les sens, pendant que le second tente de se libérer de ma prison d’aiguilles, sans succès. Je m’approche de ce dernier, fais glisser mon doigt contre sa gorge, puis toise son collègue en réfléchissant. Ils n’ont pas besoin d’être deux pour livrer un message… d’un pas las, je m’éloigne du prisonnier.

-Je vais te libérer. Retrouve ton patron. Raconte-lui ce que tu as vu.

-Ce que j’ai vu…?

Ce n’est pas de la rage. C’est presque de la gratitude. J’avais besoin de ça… Je lui offre mon plus beau sourire, ma bouche se remplit de rouge, puis de noir, déformée par les aiguilles formant de nouveaux crocs acérés, qui perce le crâne du premier gorille sans aucune résistance. Il n’a pas le temps de hurler. Son collègue, oui.
De la musique à mes oreilles.

En me rendant vers l’hôtel dont Azir m’a envoyé l’adresse, je songe de nouveau au dernier propos de Leticia. C’était étrange. Remarque, il y a rien de normal chez elle, alors le mot étrange est peut-être trop commun. Mais c’était différent. Je ne parle même pas de sa salutation plutôt polie, car je sais qu’elle peut être gentille (c’est la deuxième fois que ça arrive, quand même), je fais mention à sa mise en garde. Ça sonnait très…personnel. Je sais très bien que je devrais être très concernée par elle, mais je suis toujours incertaine de comment l’interpréter. Attention à la meutrière débile qui arrache des têtes dans ses temps libres? Attention à l’adolescente qui au premier coup d’œil semble vraiment, vraiment pas chanceuse? Attention à l’Éveillée qui étrangement dans ses méfaits arrive quand même à dire une parole de gentillesse?

Bah, je suis mieux de laisser tomber. Ça me dépasse encore qu’on s’est retrouvée ici, mais cette fois-ci je jure que ce sera la dernière rencontre. Elle a raison sur un point : j’ai été vraiment chanceuse. J’ignore comment Azir va maintenant, mais j’aimerais vraiment maintenant qu’on parle ensemble. Je fronce les sourcils à l’idée. C’est habituellement le truc que je n’aime pas faire. Pas ce genre de discussion en tous cas. Mais dans la situation actuelle, il faut bien que je le fasse et que je répare les pots cassés. Je n’ai pas vraiment de talent (et la motivation très souvent) quand ça vient à ce genre de conversation, mais je vais le faire! C’est la moindre des choses. Man up Colombe! Ça devrait être facile. Y a vraiment rien à faire un plat là-dedans. Tu lui parles, vous vous réconciliez et la vie continue. Voilà.

J’entre dans l’hôtel avec détermination, tel un cowboy solitaire démolissant presque les portes du saloon pour montrer sa présence de manière peu subtil mais pourtant cool. Sauf que l’hôtel n’a pas de portes à ouvrir d’un coup de pied mais plutôt un carrousel de porte que je ne tente PAS de défoncer. J’y m’engouffre avec une démarche de penguin alors que la personne âgée devant moi pousse avec lenteur la paroi de verre. J’ai nettoyé le plus possible du revers de ma main le matcha sur ma tête et mes vêtements. La couleur est restée et j’ai maintenant un teint verdâtre qui laisse croire que je suis malade. Quand je me retrouve enfin dans le lobby, je repère très rapidement Azir qui m’attends. Je l’aperçois sans difficulté, après tout il n’y a pas beaucoup de blonds au rez-de-chaussée. Ma détermination et mon courage de lui parler de ce qui s’est passé…ben ils ont fait la malle en l’apercevant. Encore plus quand il m’invite gentiment à le suivre. Le malaise s’installe tout de suite en moi. J’ai aucune idée de ce que je fait et de comment commencer à juste…parler. C’est débile et pas dans le bon sens.

C’est encore pire quand lui il s’excuse. J’en suis abasourdie, je ne m’y attendais pas. C’est moi qui a foutu la merde, et c’est lui qui me demande pardon. Remarque c’est vrai qu’il m’a laissé dans une ruelle. Quand j’y pense, c’est vrai que c’était moyen. Mais tout de même! Je me sens encore plus coupable parce que c’est pas de sa faute, c’est moi qui l’a envoyé chier. C’est moi qui n’aide pas du tout et qui cherche le trouble. Il n’a pas grand-chose à se reprocher.

Il rentre dans sa chambre et je fais de même. Les mots sont restés dans ma gorge, incapable de sortir. Je n’ai pas prononcé le moindre mot. C’est comme si je boudais sans mon propre consentement, ce qui est plutôt agaçant et pas du tout pratique. Je peux retourner le voir tout de suite. J’ai pas envie d’en parler mais il faut bien que je le fasse éventuellement. Alors j’y vais…tout de suite après une douche. Je suis verte et je sens le déchet.

Je suis habituellement pas très perfectionniste quand ça vient à m’habiller ou à mon apparence tout court. Je suis pratiquement toujours en sweatpants. Le commissaire est chanceux de m’avoir vu en jean. C’est ma seule paire. Quand je décide enfin que je devrais cogner à la porte de Azir, je met le premier chandail qui sort de mon sac, c’est-à-dire celui de Rick and Morty avec la phrase « I don’t give a f*** ». Mais mes cheveux par contre, j’y ai donné un peu plus d’attention. Déjà parce que je voulais retarder ma visite un peu encore, puis parce que bon il faut plus que le séchoir à cheveux. C’est pas si pire. Qui a dit de toutes façons qu’il faut être bien vêtu pour paraître crédible dans une session de « Je m’excuse »? Pfff!

Quand je me tiens finalement devant la porte d’Azir, ils sont détachés et m’enveloppent presque. J’ai l’air du cousin velu de la famille Addams. Je reste là une seconde avant de cogner. Ou plutôt deux. Ou plutôt trois. Ça va vraiment être bizarre. Je le sens dans mon âme. Je suis à chier pour ce genre de truc, j’vous le dit. Il doit probablement savoir que je suis plantée là comme une creep. Je finis par cogner et mon partenaire m’ouvre. Il m’invite gentiment à rentrer. Je pense tout de suite à décliner et de laisser tomber, et puis rapidement je finis par accepter par bonne volonté. Comme ça au lieu de me tenir de manière maladroite dans le cadre de la porte, je vais le faire au milieu de la pièce. J’essaie d’abord de faire une petite conversation vide, mais au lieu de commenter sur la météo je complimente sa chambre qui est exactement comme la mienne. Voyant la stupidité de la remarque tout de suite je laisse tomber et je vais juste droit au but :

-Euh…écoute pour tout à l’heure…moi aussi je m’excuse.

Je ne dis pas pourquoi, parce que si je le dis à voix haute je vais déployer toute la stupidité liquide qui remplace l’eau dans mon corps (70% si je me rappelle bien). Et puis je crois qu’il le sait. Tant qu’il me fasse pas le coup de l’innocent on devrait être correct. Je continue, plutôt mal à l’aise :

-Je sais que des fois je suis pas la plus facile à vivre avec…attends non j’me reprends je sonne comme si on se connaissait depuis longtemps. Bon euh…

J’essaie de remettre mes idées en place pour bien m’expliquer. J’y arrive à peine. Je lui offre un ramassis de mots mélangés et confus. Je me sens comme Evan Hansen (à toi qui connait la référence, tope-là). Je parle plus vite et je dois me reprendre quelques fois. Voici un résumé de ce que je lui dit :

-Donc oui pour t’avoir bitché dessus c’est certain. T’avais pas à subir la montagne russe instable que je fais la plupart du temps. Tu sais, super tranquille une minute et puis soudainement woah partout en même temps. Je suis pas la meilleure pour contrôler mes émotions et avec le monde en général. Et c’est con tu sais parce que je réalise que t’es là pour une raison. Pas la raison existentielle…enfin oui mais c’est pas ça que…non je veux dire t’es pas le Lion pour rien. T’es une bonne personne, clairement t’es qualifié pour être là et tout ça. J’aurais dû avoir en tête que pour toi aussi c’était pas facile. Je suis pas facile en soi, mais j’essaie de faire mieux. J’ai la tête dure, alors tu verras. Mais hey faut voir le bon côté des choses! Ça te permet de te pratiquer pour les apprentis difficiles et aiguiser ta patience et moi ça me donne la chance de juste faire confiance aux personnes de bon cœur de juger moins souvent et de laisser le passé derrière! Yeah! J’t’ai dit que tu ressembles à la version blanche de mon frère?

Le ton de ma voix sonnait enjouée vers la fin. Ma face essayait de soutenir le ton avec la même attitude positive mais je le regardais comme pour m’excuser du méga malaise avant de doucement retourner me cacher dans ma chambre.

-J’ferais mieux de m’en retourner. J’vais essayer de faire des recherches sur l’Égypte ancienne, comme ça si jamais c’est la direction que l’enquête prend je serai pas complètement perdue. Je te laisse.

Oof. Je sais pas si ça a bien été mais j'ai l'impression que ma tête s'est vidée.

Deux jours passent sans qu’on ait la moindre nouvelle. Attends deux jours? J’ai l’impression que ça fait des mois, wow…meh ça doit être l’inquiétude face au silence du téléphone. On s’occupe du mieux qu’on peut en prenant notre mal en patience. J’ignore comment Azir a pris l’attente, mais j’imagine qu’il se soucie de l’affaire. Moi aussi d’ailleurs. Je me demande si lui aussi a passé la plupart du temps à essayer de chasser le doute inexplicable qui se pointe quand nous sommes seul. Le doute général qui vous harcèle dès que vous êtes seul et dès que vous avez le dos tourné. Moi j’y suis parvenue en jouant un peu la touriste. Une vache sacrée s'est approchée de moi pour goûter à mes cheveux. J’ai une photo pour le prouver, c'est super. J’ai aussi fait des petites recherches sur l’Égypte Ancienne. Si jamais c’est vers là que l’enquête se dirige, au moins je ne serai pas complètement ignorante.

On finit par nous appeler afin qu'on ramène nos culs au commissariat. Alors qu’on s'y rend, secrètement je me prépare mentalement aux images que nous reverrons peut-être. Mes rêves sont déjà beaucoup en soi, j’ai pas besoin que ces deux cadavres viennent côtoyer le chaton à cinq yeux qui veut toujours rentrer chez moi en possédant ma sœur (j’ai même pas de sœur what the fuck…).

Hum, je m’écarte du sujet. On nous reçoit chaleureusement encore une fois et nous revoici dans la salle de rencontre. Cette fois-ci, en plus du projecteur, nous avons le droit à plusieurs dossiers. À leur vue, je lâche :

-La récolte d’info a été bonne on dirait.

Alors qu’on s’assit et que le commissaire débute sa présentation, j’ouvre le dossier devant nous pour qu’on puisse tous les deux jeter un coup d’œil. Il contient principalement des photocopies de rapport et de photographies prises sur les autres scènes de crime. Parce que maintenant il y en a plus qu’une. À chaque photo sanglante affichée sur le projecteur dans toute sa gloire je préfère tout d’un coup lire à la diagonale un document relatif au cas. J’ai aucune idée qui sont les deux autres victimes, et leur cas sont pas mal les mêmes que celui sur lequel on est tombé en premier. J’ai l’impression d’avoir cessé de respirer la seconde qu’on a appris qu’une victime a survécu. Avant de renverser la table et de crier qu’il faut aller le chercher pour l’interroger le plus vite possible, je me donne une gifle mentale pour me calmer un peu. Le Comte est dans le coma et il est techniquement en danger. Peut-être qu’on va revenir l’achever…

Je laisse notre bon monsieur terminer de nous montrer les nouveaux faits avant de soulever :

-Ces meurtres sont étranges.

No shit Sherlock.

-Donc les trois cas sont arrivés presque en même temps dans les résidences de chaque victime. Aucune trace d’effraction, un objet égyptien volé, ok. Mais pourquoi les criminels ne se sont pas contentés de voler ce qu’ils voulaient en laissant les propriétaires dans l’ignorance? Ils nous ont bien prouver jusqu’à maintenant qu’ils sont capables de rentrer dans une maison ou un manoir sans se faire remarquer.

Est-ce que les coupables veulent qu’on les remarque? Avaient-ils en vérité une relation avec les victimes? Seraient-ils secrètement un peu con? Ah non laissez tomber la dernière hypothèse, quelque chose planifiée si méticuleusement ne peut pas être imaginée par quelqu’un avec quelques cellules grises manquantes.

-En tous cas, en ce qui concerne les trucs volés, Hassan a soulevé une bonne piste l’autre jour avec l’idée de culte. Plus ça va, plus ça ressemble à une secte égyptienne ou une connerie du genre.