Poséidon avançait tranquillement sur le pont menant vers les portes du palais. Tiré à quatre épingles, le dieu portait un costume sombre, taillé sur mesure, une cravate noire sur une chemise immaculée et des boutons de manchettes en orichalque. Il plongea sa main droite dans la poche correspondante et resserra sa main gauche sur la hampe de son trident, il accéléra quelques peu ses pas. Et se porta devant un garde, l’un des seuls présents.

-« Auriez-vous l’amabilité de dire à mon frère que je l’attends… »

Un peu surpris par la demande et le physique avenant du personnage, le garde esquissa une moue dubitative. Néanmoins l’immense trident et la présence oppressante du souverain des mers l’incitèrent à la prudence. Sans tourner le dieu au monarque il actionna l’ouverture de la porte et s’enfonça dans les méandres du palais.

Poséidon le laissa s’esquiver et recula de plusieurs pas pour admirer la beauté du palais, ses nombreuses tours et son apparence sinistre. Il réprima un soupçon de dégout, les gouts architecturaux de son frère tranchait sensiblement avec les siens… « C’est sinistre… » finalement Hadès et lui ont assez peu de choses en commun.

Poséidon augmenta sensiblement la charge cosmique qu’il imposait à l’endroit, plongeant ses forces dans les entrailles de la terre, cherchant la moindre faille sismique capable de lui offrir en soutien en cas de problèmes. Pour l’instant il n’avait aucune idée du rapport qu’avait pu transmettre Minos à ses supérieurs, si jamais l’accueil ne lui était favorable il aurait à sa disposition une porte de sortie.

En attendant le retour d’un interlocuteur digne de ce nom, Poséidon pensa à la mission du dragon des mers, espérant que cette dernière n’échoue pas. Le rosaire lui offrirait un ascendant considérable sur les forces infernales.

En chemin, Mohana pensa aux paroles de Sylphide qui lui expliqua comment s’était déroulé la suite de cet affrontement face aux Dieux Hindous. Tout cela la rassura, elle comprit que ceux de la même culture qu’elle ; avaient simplement réparé le «  mal » qu’ils avaient pu causer auprès de nombreux innocents. Elle le remercia pour les informations, en poussant un soupir de soulagement, même si elle savait que des morts de retour à la vie ne seraient guère du goût de leur Maître.Elle devait aussi reconnaître que le fait que le spectre du Basilic l’accompagne la rassura, il avait plus de connaissance et de savoir pour gérer ce genre de situation. D’ailleurs, il lui donna quelques conseils qu’elle accepta avec plaisir.

-«  D’accord, nous ferons ainsi… Tu sais, je ne me sens pas du tout capable d’assumer ce rôle. Je me sens mieux en étant une simple servante des Enfers. »
Il y avait aussi le renseignement que lui avait donné Andréa concernant la rumeur sur ce qu’il s’était passé dans le Royaume de Poséidon. Pour l'instant elle ne possédait que les informations d'Andréa qui suivait le message des gardes.
De toute façon, elle avait confiance en eux, maintenant, il fallait savoir comment agir dans cette situation. Elle avait bien des idées suivant l’enseignement qu’on lui avait donné, mais elle ne savait pas si cela serait suffisant pour faire bonne figure. Néanmoins, Sapanâ était déterminée à faire face, et rendre fière Dame Pandore.

Pour cela, elle devait ôter la peur qui flotter autour de son cœur, une affaire fort compliqué mais qu’elle essaya d’accomplir en respirant profondément, et en fermant les yeux alors que les gardes étaient en train d’ouvrir la porte d’entrée à la Prêtresse, et à Sylphide qui l’accompagnait. L’ensorceleuse serra encore plus fort le trident lorsqu’elle ouvrit ses yeux qui se posèrent sur la silhouette du divin visiteur qui attendait là, à quelques mètres du palais, comme observant la demeure.S’avançant vers le dieu, Mohana se posait la question de savoir ce qu’allait rencontrer Andréa à Guidecca. Lorsque Roman était arrivé ici, il n’avait conscience de rien, la consigne voulait qu’il fallait prendre son temps pour que le seigneur des enfers s’éveil entièrement. Lorsqu’elle arriva devant le dieu des Océans, elle joignit ses deux mains, le trident entre ses mains, et inclina son buste
.-«  Seigneur Poséidon, avant tout laissez moi vous souhaiter la bienvenu ici, notre Maîtresse, Pandore est actuellement absente. Comme vous le voyez… »

Elle montra le trident qui appartenait à la véritable Prêtresse d’Hadès en guise de bonne foi.
« … Je possède ce trident, car elle m’a confié la lourde tache de la remplacer durant son repos. Par conséquent vous pouvez me parler sans crainte, sa Majesté Hadès est averti de votre arrivée. Libre à lui de se présenter. »
Un léger sourire aux lèvres, la jeune danseuse se redressa. Mohana jeta un rapide coup d'oeil vers Sylphide qui était camouflé dans ses habits de garde.

Elle devança l'étoile céleste qui lui avait dit pendant le chemin qu'il préférait rester en retrait, et accepta de la sorte son souhait.Le plus dur arrivait, Mohana connaissait la raison de la venue du dieu, il voulait parler au Maître des Enfers. Cela serait possible ?

Cependant, elle se devait de faire couler le temps…
-« Pourrais-je connaître les raisons de votre venue ici ? Que s’est-il passé avec les spectres qui sont en paix venu discuter avec vos hommes ? " Questionna-t-elle d’une voix douce, et sereine.

Poséidon parvint tant bien que mal à garder son sang-froid. C’est la deuxième fois en quelques jours à peine qu’Hadès se jouait de lui, qu’Hadès manquait à ses obligations de représentation. La première fois en lui envoyant Minos et deux gorilles en connaissant le contentieux qui l’opposait à l’ancien roi de Crète. La seconde fois en ce moment même… Une enfant prétendant remplacer Pandore accompagné d’un garde de seconde zone.
Un gout amer dans la bouche il inclina sa tête pour saluer les deux arrivants. En relevant cette première il jeta un regard à son propre trident, un simple mouvement et il balayerait ces deux humains. Il appuya la hampe de son arme contre le sol et ce dernier trembla légèrement, un court instant. L’empereur des mers ferma les yeux, concentra son esprit sur la tâche qu’il avait à accomplir ici et réussit à conserver un peu de calme.

-« C’est à mon frère que je souhaite parler et non à ses laquais. » Le dieu entama les cents pas, ne sachant pas quelle direction donner aux évènements. Ces deux-là n’y sont pour rien, ils n’ont qu’une fonction dérisoire, temporaire. Pour faire sortir le loup du bois il faut enfumer la forêt, l’acculer dans une situation si complexe que la fuite demeure la seule solution.

-« Mais je crains qu’il ne souhaite pas me voir, du moins pas comme il est sensé le faire. » Poséidon libéra une partie de sa force cosmique et la laissa s’insinuer dans le sol. Une goutte de pluie s’écrasa sur son épaule, il l’essuya doucement. Le sol vibra, les secousses étaient encore profonde, trop lointaines pour être dangereuses. La pluie s’intensifia, Poséidon restait silencieux, il n’avait aucune idée d’exposer la raison de sa présence à une enfant. Après le sol et la pluie un vent violent se leva derrière l’empereur des mers, les rafales s’écrasèrent contre les murs du sinistre château. Le garde auquel il s’était adressé précédemment avait du mal à rester debout.

-« Mon enfant tu devrais t’abriter il semble que le temps ne soit pas au beau fixe… Et évite ce château. Si l’une des personnes ici présentes n’obtient pas satisfaction très rapidement ce somptueux palais risque bien de disparaître. »

Les iris de Poséidon prirent une teinte bleue azurée… Sa puissance grandissait en chaque instant, il frappa une nouvelle fois le sol de son trident, cette fois-ci l’intensité prit quelques échelons sur l’échelle de Richter, mais cessa rapidement. L’une des fenêtres du palais explosa, quelques fissures firent leur apparition sur le pont… Inébranlable le souverain marin fixait le château avec détermination. Il leva une nouvelle fois son trident, se demandant combien de secousses il faudrait pour faire tomber pareil édifice ? Un dernier regard en direction de Mohana… Depuis combien de temps les forces infernales étaient si faibles ? « Misérables rats… » il abaissa une nouvelle fois son trident contre le sol. Cette fois-ci ce sont les lourdes portes qui cédèrent sous la colère du dieu… Pour l’instant il canalisait les éléments en divers endroits du palais, pour l’instant seulement. La pluie redoubla de violence, obéissant à un Poséidon trempé jusqu'aux os.

Non, Non ! Pensa la jeune fille en observant et écoutant les paroles ; comment pouvait-il agir de la sorte ? Elle n’essaya pas de résister lorsqu’il infligea sa première action contre eux et qui les fit reculer violemment.  
Etait-ce cela un dieu ? Tant de puissance utilisée de cette façon, pourquoi ? Ce mépris, tout la laissait totalement désabusé devant cette rencontre qu’elle avait imaginé autrement. Le fait qu’il ne souhaitait à parler qu’à son frère ne la dérangeait pas, bien sûr que non.  Elle le comprenait parfaitement. L’aura du dieu des océans grandissait, dégageant une colère terrible. Tout cela confortait finalement son opinion qu’elle avait toujours défendue face à tous ceux qui ont toujours vu en son Maître un dieu maléfique. Jamais il n’avait agi ainsi, bien au contraire.
La pluie tomba aussi, mais les gardes du palais firent leur travail à une vitesse incroyable. Cela toucha la danseuse qui se sentait malgré tout indigne de tout cela, de tant de soins, néanmoins elle était aussi soulagée de constater qu’ils l’avaient tous «  adopté » dans ce nouveau rôle.

Le Palais s’effrita, comme l’autre fois avec la visite de la Déesse Kalî, elle s’en souvenait encore. Elle se disait en constatant la «  bravoure » de Poséidon, qu’elle aurait sans doute du l’écouter en acceptant de la suivre. La Déesse Manasa aussi l’avait mise en garde, malheureusement, entêtée elle refusait de croire à cette méchanceté, jusqu’à ce jour.
-«  Merci à vous ! » Susurra-t-elle en s’adressant aux gardes qui se débattaient pour la protéger. La comparaison qu’elle pouvait faire avec son seigneur était hideuse pour leur interlocuteur.
En effet, le seigneur Hadès était opposé à son frère en tout, elle avait eu le privilège de s’occuper de son arrivée, et il fut si attentionné envers tous le monde, si raffiné…
C’était bien là le seul espoir qui la liait à sa croyance envers le véritable point commun qui devait lier tous les dieux devant les humains. En face d’elle se trouvait tout le contraire.  Sapâna se fiait à son enseignement, celui de Naga, et aussi celui du Dieu Shiva, elle ne voulait pas les décevoir, ni eux, ni les spectres. Même si elle avait peur, qu’elle croisa ses bras en se recroquevillant sur elle-même, elle serra contre son cœur le trident de sa Maîtresse en pensant à elle, suppliant pour la revoir au plus vite.
-«  Il ne peut pas s’agir d’une divinité. »
Murmura-t-elle  de sorte à n’être entendu que par Sylphide et les autres personnes de l’armée spectrale.
-«  Aussi fort qu’il puisse être… Jamais un dieu ne pourrait se comporter comme il est en train de le faire. Jamais ! Un dieu ne peut se laisser guider par les sentiments qui semblent l’envahir. Un dieu ne pourrait jamais se montrer orgueilleu après un acte aussi vil que celui qu’il est en train d’accomplir. Seuls les faibles agissent de la sorte » Poursuivit la danseuse du même ton en plantant son regard sur la silhouette du visiteur.C’était un regard de compassion, de tristesse qu’elle lui destina… Elle souhaitait qu’un instant il soit capable de se rendre compte de sa folie, que son comportement n’était pas digne du rang qui était le sien. Mohana était certaine qu’il en était capable, qu’au fond il n’était pas ce qu’il essayait de montrer actuellement.

Il y avait tant d’hypothèses. L'ensorceleuse se rassura en jetant un coup d'oeil à Sylphide qui se tenait prêt, et user déjà ses capacités d'analyses comme il savait si bien le faire, pour éviter les soupçons, elle évita de lui parler de façon direct, et lui adressa les mêmes mots qu'aux autres. De toute façon elle n'avait que des mots de remerciements pour lui, et ce qu'il était en train de faire pour l'aider à gérer la situation si délicate.Malgré tout, la prêtresse se rendait à l’évidence qu’elle ne pourrait pas faire plus qu’actuellement auprès du frère du seigneur des enfers.Légèrement, elle s’avança au mieux de ce que lui offrait la protection des gardes, elle leur adressa un sourire à tous, une apparence sereine qui ne calmait pas les battements rapides de son cœur.
-«  Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne vous arrive rien ! » Sa main qui ne tenait pas le trident était paume ouverte et se dirigea vers chaque gardes pour pouvoir  leur offrir sa bénédiction à tous présents. Elle accompagna ce geste de sa voix basse en récitant le mantra du dieu Shiva. La dague mystique de ce dernier, accrochée à sa ceinture brilla un instant offrant à la jeune enfant l’allure digne des plus sacrés Apsaras. Enfin, d’un ton normal, toujours aussi calme et apaisé elle s’adressa au divin roi du monde sous-marin.
-«  Pourquoi détruire ce Palais ? Ne pensez-vous pas que vous comportez ainsi ne servirait qu’à ôter de la tête de mon Maître l’envie de vous rencontrer ? Vous gagnerez certainement en cessant de malmener sans raison cet endroit. Sa Majesté Hadès est au courant de votre arrivée ! Il ne vous reste plus qu’à attendre maintenant. »
Le visage de la danseuse était toujours aussi beau que le plus triste des requiem, en observant son interlocuteur…

La pluie continuait de tomber à verse sur le château de Pandore mais les émanations sismiques du dieu des Océans cessèrent pour le moment. Il fit un pas en direction de Mohana, puis un deuxième et ainsi de suite pour s’approcher le plus possible de l’enfant. Elle s’était montrée courageuse, au moins une dans ce misérable royaume. Il devinait les difficultés évidentes à prendre une place qui ne lui était pas destinée. Poséidon leva doucement son trident en direction de celui que tenait l’enfant, les lames se croisèrent. Lentement le dieu déplaça le trident de l’indienne et l’examina.

-« Je n’ai jamais apprécié ce trident. Un équilibre précaire, une faiblesse évident en son centre. Si l'on ne peut pas tergiverser sur sa beauté évidente, il n’est là que pour l’apparat… Il lui manque une certaine puissance. » Il recula son arme pour libérer celle de l’enfant. Il leva une seconde fois, cette fois-ci pour écarter les parapluies et autres protections qu’avaient mis en place les gardes pour protéger le corps de Mohana. Poséidon fit en sorte que la nouvelle prêtresse soit aussi exposée que lui aux conditions météorologiques.

-« L’honneur m’interdit de m’en prendre à une enfant. Cependant ne t’avise plus jamais de me donner le moindre conseil ou de proférer un quelconque jugement à mon encontre. » Il s’exprimait d’une voix calme, presque aimante. Il plongea son regard azuré dans le regard enfantin qui lui faisait face, combien de temps ceci allait encore durer ?

-« C’est Hadès que je veux voir. Hadès et personne d’autre… La patience n’est pas mon fort tu sais, je déteste attendre. » Il approcha son visage de celui de Mohana. « Je te conseille d’aller le chercher, je t’accorde une heure. » Finalement il s’éloigna de la représentante pour s’adosser contre les remparts du pont, il inclina son trident sur ces derniers et croisa ses bras contre son torse.

-« Si dans une heure mon frère n’est pas là, je détruirai ce château, j’engloutirai l’entrée des enfers sous des pluies diluviennes et tes gardes serviront de repas aux créatures sous-marines. J’espère que je me suis bien fais comprendre ? Peut-être devrais-je ne pas attendre ? Après tout il réserve un sort bien pire aux fils de l'Atlantide. »

Le dieu se ferma aux protestations extérieures, il cherchait vengeance et obtiendrait cette entrevue. Qu’importe s’il devait réduire les lieux en ruines. L’absence de clémence envers les atlantes morts ne saurait rester impunie. Minos, Hadès et cette gamine ramperont devant la toute-puissance des Océans, des trois il ne restera que lui… Il deviendrait le seul et unique dépositaire de ce monde. De temps en temps il jetait un regard aux gardes, il aurait aimé observer leurs visages effrayés sous leurs heaumes. Puis son regard se porta sur celui qui semblait diriger les squelettes, il le fixa longuement… Était-il réellement ce qu’il prétendait-être ?

La jeune danseuse conservait son apparence sereine, et féerique. Sur son visage, il n’y avait pas de la peur, même lorsque le dieu des océans s’approcha dangereusement. Non, elle écouta sans bouger immuable même face à la menace, le laissant rabaisser le trident de sa Maîtresse qu’elle tenait avec fierté comme pour donner de la force aux gardes. Même sa mise en garde n’effleura pas son esprit, cela ne faisait que renforcer son opinion, et une merveilleuse peine se posa dans ses yeux et son visage.
Encore plus lorsqu’il obligea les gardes à ôter l’abri qui protégeait la Prêtresse de la pluie. Un infime instant et l’Apsara était sous les trombes d’eau qu’elle n’essaya pas d’esquiver. Laissant les gouttes former des perles sur ses épaules, son visage et ses longs cheveux détachés qui s’aplatissaient.

Pourquoi avait-il besoin de montrer d’une façon si ostentatoire sa puissance ? Pourquoi ce besoin de vouloir rabaisser les autres ? L’ensorceleuse se posait tellement de question. Son sari élégant s’imbibait d’eau et devenait à la limite du transparent collant encore plus à sa peau.
Poséidon poursuivit son discours, et s’entêta dans son souhait de parler au seigneur des Enfers, et seulement à lui. Il lui donna même l’ordre de le trouver.

Une heure ! C’était le délai avant que l’interlocuteur des spectres ne s’énerve. Puis il recula… Son regard balaya les gardes qui s’étaient sous le commandement de Sylphide en position, elle les observa en pensant à l’avertissement que le frère de leur dieu venait de lancer.
De toute façon, Sapanâ ne pouvait guère rien faire de plus, elle voulait surtout assurer la protection des gardes, du palais aussi. Il y avait bien la présence de Naga à l’intérieur qui lui permettait de garder confiance sur des dégâts minimes, elle pouvait compter sur lui pour protéger l’intérieur et les habitants.

Secouant sa tête comme pour dégager l’eau de son visage qui revint bien vite, elle sentait également son maquillage couler le long de ses yeux. Mohana ne voulait pas agir précipitamment car face à eux se trouvait un être dominé par la haine, et qui se laissait guider par son orgueil en colère. Peut-être même ressentait-elle de la pitié pour lui.
L’Apsara tapa du bout des ongles sur son tambourin accroché à sa ceinture, comme pour se donner de l’inspiration et accompagner sa réflexion. Que faisait Andréa ? Cela faisait un bon moment qu’elle était partie, ce silence était sans doute la preuve que leur Maître n’était pas encore prêt. Elle remarqua aussi les fées qui volaient autour d’elle et des gardes, en particulier de Sylphide.

Sapanâ tourna en rond, tête basse, grattant son instrument de musique de temps en temps, elle s’arrêta et leva son regard vers ce ciel sombre et celui qui avait lancé ce mauvais présage. Pour l’instant, elle se refusa à faire un choix tant qu’Andréa ne serait pas de retour.
La danseuse regarda le palais, inquiète… La chance était que le dieu des océans était aveugle. Dans son enseignement on lui avait parlé des méfaits de cet état, même chez un être divin ! Il n’agissait pas dans un objectif noble.

-« Nous allons attendre l’arrivée d’Andréa ! » Clama-t-elle à l’attention des gardes…
-« Ensuite, vous vous mettrez à l’abri à l’intérieur du Palais… Et vous protégerez l’entrée des Enfers ! S’il se montre menaçant avant son arrivée, nous n’attendrons pas. »

La jeune Prêtresse soupira, elle se doutait de la suite des événements, d’une guerre qui allait se préparer. Alors autant vendre le rêve de victoire à son adversaire. Son état allait grandement les aider dans ce dessein. Il restait encore beaucoup de temps… Assez pour accroitre son poison…
Elle s’avança vers Poséidon jusqu’à la limite offerte par les gardes.

-« Très bien ! Une heure ! Seulement en tant que représentante de votre divin frère, et en m’excusant en avance de ne guère suivre votre avertissement, je vous demanderai simplement de quitter ce lieu si jamais notre seigneur venait à refuser de venir à votre rencontre. » Elégamment, elle esquissa un sourire envoutant, plein de malice.
-« Votre niveau de conscience devrait vous permettre de savoir que votre proposition n’est en rien équitable. Comment un Dieu aussi pur et juste que notre Seigneur pourrait accepter de se montrer après vos actes et une demande d’entretien si anthipatique ? Avoir le privilège de l’admirer actuellement, serait un miracle… »

La danseuse, se retourna d’un pas de danse raffinée, et d’une voix taquine, poussée par sa passion et sa dévotion envers le Royaume qu’elle défendait, elle acheva.
-« …Même pour vous Ô Grand Seigneur des Océans ! Mais attendons que l’heure passe. »
Elle termina par un rire fin qui était étouffé par le son de la pluie, elle reprit sa place au milieu de la troupe, espérant ne pas s’être trompé dans son analyse dont elle était pratiquement certaine. Il fallait profiter du mauvais chemin que leur interlocuteur venait de prendre pour s'en sortir... Même si au fond, l'apsara souhaitait surtout que les gardes et ceux à l'interieur s'en sortent.

Hadès ne souhaitait pas le rejoindre ? Eh bien en voilà une mauvaise surprise. Le dieu des mers resta silencieux et immobile encore un long moment, la pluie continuait de tomber. Il jeta un coup d’œil à la jeune femme qui venait d’apporter le message... Hadès possédait un piètre respect pour ses guerriers pourquoi les envoyer ainsi à la mort ? Ou alors était-il trop faible, peut-être pas tout à fait maître de ses moyens ? Poséidon sourit à l’idée…

-« Mon comportement ? Si mon comportement avait été réellement menaçant vous seriez déjà tous dans un piteux état… » (Normalement ici on dit vous seriez déjà tous morts, mais peut-on dire ceci à des spectres sans passer pour un con ? Je vous pose la question.) « Ceci n’est qu’une vague excuse pour ne pas honorer les liens sacrés qui m’unissent à lui. Zeus et moi n’aurions jamais dû nous allier à cette vermine. »

Poséidon tenta tant bien que mal de conserver un calme d’apparat, mais l’envie de jouer du trident le démangeait furieusement. Raser cette demeure, ensevelir ces terres sous des trombes d’eau… Pourtant la situation lui imposait de canaliser ses forces, pour le moment du moins. Après tout il ne savait pas combien de guerriers étaient entassés dans cette demeure, combien d’entre eux seraient susceptibles de lui tenir tête ?

-« Il a toujours été le plus lâche de nous trois. Du haut de nos millénaires j’espère désespérément qu’il en soit autrement. »

La réussite d’Eléonore demeurait incertaine, massacrer des spectres à tout va sans le rosaire ne servirait à rien sauf à calmer ses pulsions dévastatrices. Poséidon resserra sa poigne autours du trident, puis obliqua son regard sur Mohana entourée de ses gardes. La toute-puissance lui appartenait déjà, en faire démonstration devant ces mortels ? Superflue.

-« J’apporterai donc la guerre à mon frère. » Pour la première fois depuis le début de la rencontre il offrit à la jeune fille un regard pour le moins amical, une dévotion si sincère méritait bien un sursis. « Prépare tes forces jeune fille… Ma prochaine visite sera moins cordiale. »

Il inclina son visage et tourna doucement les talons, la pluie s’intensifia une dernière fois brouillant la visibilité sur quelques mètres avant de cesser brutalement. L’empereur des mers disparu, la tempête laissa place à de minces rayons de soleil... Le sol est suffisamment gorgé d’eau, suffisamment pour ne plus jouer en terre ennemie.

Mohana craignait la réaction de leur divin interlocuteur, son souhait le plus vrai était d’éloigner les dangers sur les spectres, et les gardes. Même si les paroles n’étaient pas faites pour la rassurer totalement, elle ne pouvait que se féliciter du déroulement immédiat des événements. Elle écouta, et se laissa même attendrir par le dernier regard que le lui lança le dieu des océans avant de se retirer. Tout cela faisait suite aux paroles de la spectre Andréa qui était revenue avec la décision du sombre monarque, qui – heureusement pour le Prêtresse- faisait suite aux répliques qu’elle avait lancées vers Poséidon sur le peu d’espérance qu’il y avait à voir ici la personne qu’il souhaitait voir.

La danseuse préférait garder pour elle les remarques envoyées par le roi des mers à l’encontre du seigneur des enfers. Elle savait bien que le moment était trop fragile pour qu’un mot vienne détruire leur relative réussite de cet instant. Alors, plus un mot devant la déclaration dite sans détour de guerre entre les deux Royaumes, un simple acquiescement de tête, et un regard qui suivait son départ. Ce départ qui fut suivi par les rayons du soleil qui revenaient éclairer le Palais.
Un calme qui plaisait à la jeune fille gagna l’endroit, cependant, l’annonce de Poséidon l’avait laissé comme une statue de cire. Une Guerre Sainte ! Et si Dame Pandore ne revenait pas à temps… C’est elle qui aurait la responsabilité du rôle de Prêtresse comme c’était le cas actuellement. Il fallait se préparer, se montrer de taille… La bataille ne serait pas si aisée, au contraire ! Sapâna serra fort le trident, et lorsqu’elle sentit l’eau qui flottait sur sa silhouette s’évader comme par enchantement au contact du pincement sur son épaule venant des doigts de Sylphide, elle leva sa tête pour l’observer.
Sa remarque lui fit esquisser un sourire tellement cela était la réalité. Les gardes étaient venus près d’elle pour la protéger de la pluie qui tombait encore, qui à chaque instant tombait moins fort pour permettre au spectre déguisé d’agir.

-« Effectivement… » Répondit la Prêtresse du bout des lèvres, toujours pensive et prise d’une certaine angoisse alors que Sylphide s’éloigna sans rien dire de plus que cette phrase. Il avait tenu son rôle parfaitement, et son idée fonctionna à merveille. D’ailleurs il continua sereinement, en commandement les gardes pour remettre de l’ordre ici. Le connaissant, l’apsara savait parfaitement que son mutisme était du au fait qu’il avait à faire. Préférant ne pas le déranger, l’ensorceleuse contempla la façade du palais ayant subi des dégâts, heureusement, moins qu’ils ne l’avaient imaginés au début de l’entretien avec leur nouvel adversaire. Ce n’était pratiquement que du superficiel.
Puis, en finissant son analyse, et que la pluie cessa, d’un geste de la tête et un sourire poli elle laissa aux gardes le soin de retourner auprès de leur chef. Elle s’approcha d’un pas vif vers Andréa, et s’agenouilla à coté d’elle, posant une main délicate sur son épaule. La Liche aussi commença à voir l’eau disparaître à l’aide de la « demande » de Sylphide.
-« Comment vas-tu Andréa ? Tu es arrivée à temps. » Demanda la danseuse en voyant son état et en admirant sa volonté de servir leur empereur.
-« Et comment se porte sa Majesté ? » Poursuivit-elle en se relevant, tout en aidant la Liche à en faire de même, alors qu’au même moment, ils pouvaient entendre des cris d’agonis qui s’échappaient de la gorge des gardes.

Cela était le fait du Basilic. A vrai dire, il avait de curieuses méthodes. Elle se disait qu’il s’agissait surement d’un genre que possédait les « anciens » spectres de la "génération" précédente, car son Maître aussi était parfois étrange.
Bref, même si elle n’appréciait pas vraiment voir et entendre la douleur, Mohana n’eut guère le temps d’agir en voyant les gardes reprendre leur place. Le Basilic avait sans doute voulu abréger les souffrances de ces êtres pour qu’ils reviennent en pleine forme.

Debout, appuyée sur le trident, Sapâna prit la parole, pour s’adresser aux deux spectres, ainsi qu’aux gardes.
-« Merci à vous tous ! Nous avons su faire front devant un être divin ayant des ambitions hostiles à notre encontre, mais plus encore à l’encontre de notre seigneur… Nous devons être prêts à lutter car une Guerre Sainte approche à grand pas. Ils regretteront d’ignorer la vérité nous concernant, où qu’ils préfèrent travestir pour voir en nous les uniques coupables des maux du monde. Notre Seigneur a besoin de nous ! Et nous seront digne de sa confiance… »
Sa voix porta un peu plus fort que d’habitude lorsqu’elle leva le trident en signe de courage, mais conservait une candeur touchante qui montrait cependant qu’elle était encore qu’une jeune fille, et qu’elle était loin de posséder le charisme de Maîtresse Pandore.

Tout allait bien ! Un sourire radieux sur le visage de Mohana naquit en entendant Andréa, même s’il effaça pour laisser place à une profonde écoute lorsqu’elle lui dévoila l’état de leur Seigneur. Ainsi le processus était lent. Il n’y avait pas manière à accélérer sans risquer un échec dramatique.
-« Je suis heureuse ! » Répondit la jeune Prêtresse pour se féliciter de la bonne santé de tous, même si elle savait qu’il faudrait un peu de repos à présent.
-« Quant à notre empereur, souhaitons qu’il soit capable de prendre conscience de sa véritable nature avant l’aube de la Guerre. » Acheva t-elle avant son harangue envers l’assemblée.

Admirant le ciel qui retrouvait son éclat, Mohana répondit simplement que pour l’instant, il n’y avait rien à faire à Andréa. Que le temps était à la concentration, et la préparation de la bataille qui venait d’être annoncée par Poséidon. De son coté, Sylphide poursuivait son travail en récoltant dans une urne l’eau. Qu’avait-il derrière la tête ? Pensa la danseuse la silhouette montrant une certaine fatigue qui l’obligea par précaution à se retirer.

-« Je vais me reposer ! Nous devons recouvrer nos forces. » Clama-t-elle en prenant la direction du Palais sous l’escorte de quelques gardes qui reprirent leur position au passage devant l’entrée.
Elle se sentait soulagée en constatant qu’à l’intérieur hormis quelques verres et un peu de poussière, rien n’était saccagé ! Et les gardes ainsi que les servantes n’avaient rien.
En entrant dans la salle principale, où se trouvait son Sitar divin, elle fût reçue par Devika qui se jeta dans ses bras.
-« Tu vas bien ? J’ai eu si peur… Sapâna ! Allonges-toi un peu tu as le visage livide. » Sans discuter la Prêtresse forcé par le bras qu’elle tenait s’allongea sur le sofa, sa tête s’effondra en arrière, elle vit Naga qui se tenait comme un ornement au fond. Un visage inquiet qui ne lui ressemblait pas.
-« Ne t’en fais pas Devika ! Je subis simplement l’effet d’une fatigue mental. Ce qui ne me rassure pas c’est l’air qui maquille le sage. »
-« Il est ainsi depuis l’arrivée de Poséidon, pensif, inquiet… Muet aussi ! Il n’a même bougé lorsque le monde paniquait ici. » Expliqua la suivante d’une voix mielleuse, en massant le crâne de Mohana qui s’était légèrement relevée.
-« Nous attendrons qu’il daigne nous prêter un peu d’attention. J’aurai besoin de ses conseils, une terrible Guerre est annoncée, Devika. »
-« Repose-toi avant, n’oublie pas que tu dois aussi apprendre à jouer du sitar. » Pendant qu’elle terminait sa phrase l’apsara regarda l’instrument, en se disant que son apprentissage semblait sans fin ! Elle se leva alors remercia sa suivante, salua son maître et se retira dans ses appartements.