Hruodland. Hruodland... Pendant que le bonhomme s'échinait à les traiter de lâches, Azir eut comme un déclic. Ce nom ne lui était pas inconnu. Et lui évoquait le mépris et la consternation qu'il réservait habituellement aux connards dont on lisait les méfaits dans les médias : pédophiles, serial killers et autres grands malades sérieusement atteints, type Reagan par exemple. Mais pourquoi Hruodland sonnait-il dans son esprit ?

La moutarde commençait lentement à remonter. Azir prit sur lui de ne pas s'énerver, pas ici, pas pour rien, de ne pas céder aux provocations. Cet idiot allait faire capoter le seul plan viable qu'ils avaient jusque-là, ou tout du moins le seul qui ne prévoyait pas de raser un nombre conséquent de civils de la carte à cause d'une bête erreur de jugement. Madame Z. était peut-être odieuse, mais elle avait au moins apporté quelque chose, là où cet homme n'était qu'un problème de plus à la longue liste de sujets sensibles qu'il fallait gérer pour tenter de coordonner une équipe.

"Nous avons un plan, mais comme je vous l'ai expliqué je ne l'exposerai pas ici, où l'ennemi peut probablement nous voir et nous entendre à son bon gré. Traitez-moi de lâche si l'envie vous prend, mais je pense avant tout à la sécurité de ceux qui ne peuvent pas se défendre. C'est mon travail, tout comme celui de Colombe, et elle vous dira elle-même qu'il n'en a jamais été autrement. Cette femme sans nom a au moins eu le mérite de faire avancer notre problème, contrairement à vous qui vous obstinez à foncer tête baissée. Vous savez quoi ?"

Il se plaça ostensiblement entre le champ de force et le guerrier divin, proche de la Sainte.

"Si vous tenez tant que ça à frapper, je me mettrai en travers de votre route, comme elle l'a fait précédemment. Et comme toute personne remplie d'un peu de jugeote le ferait si elle voulait vraiment protéger la Terre. Car après l’Égypte, je me doute qu'Anubis sera satisfait."

Le Lion d'or était prêt à sortir les griffes, et il planta son regard améthyste dans celui du guerrier divin pour bien souligner sa détermination. C'est alors, à le voir d'aussi près, qu'il se souvint d'où il connaissait son nom : un Éveillé qui avait rasé des villes entières, et pour qui massacrer relevait semblait-il du loisir. A l'époque il n'avait pas trop fait attention aux détails, car un Dormeur tombat face à cet homme pouvait, au mieux, s'échapper à toutes jambes et au pire prier pour trouver de l'aide. Mais maintenant qu'il se trouvait dans le camp de "l'aide", il tiendrait cet hurluberlu à l’œil. Et s'il fallait en venir aux mains, comme avec Reagan, il le ferait.

Toutefois, Colombe avait posé des questions pertinentes qui l'incitèrent à détourner le regard pour s'adresser directement à Oblivion et elle, plus réceptives à la délicatesse de la situation :

"L'autre chevalier noire s'appelle Gorislava. Plutôt grande, toute fine, rouquine. Elle est partie fouiner de son côté quand nous avons voulu parler aux scientifiques."

Il se retint d'ajouter qu'elle aussi semblait préférer jouer des poings plutôt que des neurones, histoire d'éviter de pousser Hruodland à vérifier si elle était une partenaire de mission plus engageante que les autres. Non, ce serait provoquer désastre de plus sur une négligence. Azir espérait simplement que, contrairement à Colombe, la tempétueuse avait lu ses messages et se tenait à distance respectable de toute tentative de tous les anéantir. Rester calme.

"Étant donné que nous sommes au moins d'accord sur le terme "coopération", je propose que Zhihao, Hruodland et moi-même partions pour le Sanctuaire puis... Nord... Nordheim, si j'ai bien entendu ? Nous sommes obligés de faire deux étapes de toute manières. Pas besoin d'y aller tous ensemble, nous ne ferions que perdre du temps à expliquer encore et encore la présence des uns et des autres.
Colombe, tu m'as l'air parfaite pour garder le champ de force. Est-ce que je peux te confier cette tâche ?"

Le blondinet coula un regard vers la Spectre qui s'était éloignée avec la Chinoise. Si elle n'avait pas essayé de les tuer tous les deux, il lui aurait volontiers proposé la même mission, dans laquelle Colombe pourrait raisonner les gens et elle leur taper dessus si nécessaire.

"Je n'ai pas autorité pour diriger Gorislava et Leticia malheureusement... Si vous pouviez seulement vous contenter de ne pas vous égorger mutuellement, vous seriez d'une grande aide, vraiment."

Gorislava se dirigea à toute vitesse vers la source de l'éruption cosmique, à la fois inquiète et curieuse de ce qu'elle pourrait y découvrir. Soudain, elle détecta une énergie familière se manifester, identique à celle qu'elle avait sentie lorsque Leticia avait tenté de déverser sa déferlante d'aiguilles sur le manoir de Karlyle. Une autre signature spirituelle était également perceptible au beau milieu de ce chaos, plus feinte que les deux précédentes mais non moins vaillante. Quand elle arriva enfin à destination, la rouquine vit que tous ses compagnons de fortune étaient sur place, en plus d'une paire d'étranges personnages, une femme et un adolescent exceptionnellement massif. Si la première était probablement la collègue égarée du Chevalier du Lion, le deuxième paraissait en revanche inconnu au bataillon. Vraisemblablement, cet olibrius était vêtu d'une protection évoquant celle des guerriers d'Asgard, mais le Fourneau ne parvenait pas à identifier son visage. Cela n'avait aucune importance au final, car il n'avait guère besoin de se rappeler de tous les branquignols qu'il rencontrait. Effectivement, s'il devait avoir à accomplir ce travail à chaque fois au lieu de simplement fracasser ses adversaires, il n'était pas sorti de l'auberge. De toute évidence, trop s'attarder sur ces nouvelles trombines ne lui réussissait pas, à en juger par le débris rocheux qui se situait en travers de sa route et qu'il n'avait pas remarqué jusque-là.

"HEEEEEEEEEEEY ! CARE TO EXPLAIN THIS SH- !" beugla Gorislava à l'adresse du groupe, avant d'être interrompue par un obstacle impromptu.

Dans sa précipitation coutumière, la rouquine se vianda donc magistralement par terre et dérapa sur une dizaine de mètres, dépassant le présumé nordique par la même occasion. La figure plongée dans le sable, elle se contenta d'émettre un grognement empreint de lassitude puis de se relever silencieusement. Ceci fait, elle dépoussiéra son Armure Noire et avisa ensuite l'assemblée qui se trouvait devant elle, une expression blasée sur son visage. Non sans émettre un raclement de gorge gêné au préalable, le Fourneau interrogea ainsi son auditoire une seconde fois :

"Hahem... Disais-je donc : CARE TO EXPLAIN THIS SHIT ?! Je croyais que j'étais la seule abrutie à vouloir faire péter cette putain de barrière, ici ! J'vous préviens, si on se met à marcher sur mes plates-bandes, ça va chier !"

Faute de présentations en bonnes et dues formes, les deux inconnus allaient devoir se satisfaire de ce spectacle en guise d'entrée en matière. Dans l'éventualité où cela ne leur suffirait pas, l'infortunée Zhihao pouvait toujours se charger d'introduire sa consœur auprès de ces zigotos. Gorislava n'avait ni la présence d'esprit ni le temps pour cela : tout ce qui lui importait à ce moment précis était de savoir ce qu'il se tramait. Quoi qu'il en soit, elle pouvait déjà se rendre compte au premier coup d'œil que le supposé scandinave semblait du genre balèze. La pression cosmique qu'elle sentait se dégager de lui était tout simplement démentielle, comme s'il contenait plusieurs ogives nucléaires dans ses entrailles.

Colombe était vexée que l’asiatique n’ait pas fait attention à elle ; il faudrait qu’elle y remédie, car l’excentrique Sainte méritait amplement d’être félicitée, mais hélas le problème Hruodland passait en priorité, reléguant même au second plan la nouvelle de la réapparition d’Hypnos. Après avoir entendu ses insultes et ses récriminations puériles, elle ne put qu’approuver les paroles de Leticia et d’Azir : en plus d’être un meurtrier de masse, l’ex-Léviathan était l’un de ces imbéciles qui prenaient leur propre stupidité pour du courage et accordaient plus d’importance à leur petit orgueil personnel qu’à la vie d’innombrables innocents. Elle irait même jusqu’à dire qu’il réussissait l’exploit ô combien difficile d’être plus abruti que Colombe et Gorislava réunies.

« C’est de la prudence, pas de la lâcheté. La dernière fois que quelqu’un a essayé de toucher à la barrière, ça a donné ça. » intervint-elle en montrant les ruines qui s’étendaient à perte de vue dans toutes les directions. « De plus, la magicienne n’est pas la seule à nous avoir prévenus du danger : les scientifiques qui étudient le phénomène estiment que si quelqu’un s’attaque au champ de force – qui s’étend aussi sous terre et dans les airs, ce n’est donc pas comme si nous le pouvions le contourner –, la seconde explosion sera plus de cent fois plus puissante que la première. Même en admettant que nous puissions y survivre, ce dont je doute fortement, cela m’étonnerait que nous soyons en état d’affronter Our et les autres servants d’Anubis. »

La militaire aurait bien ajouté que, tout comme le chevalier du Lion, elle préférait être traitée de pleutre plutôt que d’être responsable de la mort de centaines de milliers de civils du fait de son ignorance, sa bêtise et son arrogance, mais ne se pensait pas capable de l’énoncer d’une manière qui n’éveillerait pas l’ire du guerrier franc.

« Je vous prierais également de ne pas rejeter la faute sur les victimes : l’ordre d’évacuer la ville avait déjà été donné avant la catastrophe, c’est juste qu’Anubis ne leur a pas laissé le temps de se mettre à l’abri. » poursuivit-elle à la place, se rappelant de cette bribe d’information provenant de l’article de journal qu’elle avait consulté lors de l’entrevue au Manoir Karlyle. « J’imagine qu’ils ont élargi le périmètre d’évacuation après avoir reçu les dernières nouvelles, mais déplacer tous ces gens ne se fait pas en cinq minutes. Et quand bien même nous aurions le champ libre, ce ne serait pas une excuse pour détruire la moitié de la vallée du Nil si nous pouvons l’éviter. »

Une fois cette mise au point effectuée, la Boussole ne put que hocher la tête pour signifier son assentiment au plan d’Azir. Initialement, elle aurait préféré que Hruodland ne les accompagne pas au Sanctuaire et que l’un des deux adultes du groupe reste en Égypte pour s’assurer que les autres ne fassent pas d’âneries, mais après ce qu’elle venait d’entendre, elle avait changé d’avis. Il fallait impérativement éloigner ce fou furieux de la pyramide, ils ne seraient pas trop de deux pour le surveiller, et les trois jeunes filles avaient compris le message : ne pas toucher à la barrière.

Oui, même Gorislava, qui réapparut à ce moment-là comme si les mots du Saint l’avaient invoquée avec une entrée en scène… inimitable. Sous le masque, l’expression de la chinoise était identique à celle qu’arborait la rouquine alors que cette dernière se relevait de la tranchée qu’elle venait de creuser avec sa tronche, s’époussetait et se qualifiait elle-même d’abrutie.

« Au moins vous l’admettez ; votre cas n’est donc peut-être pas si désespéré. » réagit-elle. « Hruodland, Colombe, je vous présente Gorislava du Fourneau Noir. Gorislava, voici Hruodland, Guerrier Divin d’Asgard, et Colombe, chevalier de Bronze, notre sauveuse à tous. Le malentendu est réglé pour le moment, grâce à Colombe. »

Arrivée au niveau de sa consœur, l’électrokinésiste fit appel à la plus simple expression de son pouvoir pour enlever le sable qui collait toujours à ses vêtements et à ses cheveux – le deuxième décrassage de la journée –, puis l’invita à les suivre.

« Puisque nous sommes tous au complet et que je pense que nous sommes suffisamment loin de la pyramide, » – elle inclina un instant la tête en direction du Lion d’Or pour en avoir la confirmation – « je crois que nous allons pouvoir révéler le plan de la magicienne. Leticia, j’aurais besoin que vous fassiez un rapport le plus exhaustif possible à vos supérieurs, si vous voulez bien. Je ne fais pas confiance à Madame Z : elle nous cache trop de choses, ce qu’elle nous a dit sonne trop beau pour être vrai et pour couronner le tout, elle nous a prévenus qu’une fois toute cette affaire terminée toute trace d’elle, y compris nos souvenirs, disparaîtra comme si elle n’avait jamais existé. Je ne sais pas pour vous mais je n’ai pas envie d’être prise au dépourvu si le même cirque recommence dans six mois parce que nous aurons renversé le pot de chambre d’Horus ou que sais-je encore, et j’espère que la mémoire d’un Dieu ne sera pas affectée. »

La Boussole rapporta alors à l’assistance les circonstances et le contenu de leur second entretien avec l’allemande, en faisant très attention à ne rien omettre. Le rôle de la tablette, les événements qui avaient mené à sa fragmentation – le peu que Madame Z avait accepté de leur raconter, en tout cas –, le plan pour s’introduire à l’intérieur du champ de force, le sort qui devrait sceller le portail menant au royaume d’Anubis… et bien sûr, les avertissements grandiloquents de la magicienne et leurs propres réserves concernant ce plan, car contrairement à ce qu’affirmait Hruodland ils ne suivaient pas aveuglément les consignes.

« Des questions ? » demanda-t-elle une fois son récit achevé.

Alors que nous nous éloignons toute la bande de la pyramide et de son champ de force, la tension monte d’un cran. Par là je veux dire le genre de tension à couper au couteau qu’on voit dans les télés réalités. On aura peut-être le droit à nos moments confession plus tard.

Déjà, Hruodland se fait pas aimer en...défendant son point de vue très fort, oui on peut dire ça. Le voilà en train d'accuser le village d'avoir été localisé là à côté d'une pyramide magique et de rejeter les propos de la p'tite dame Z à cause de son nom. Bref, tout pour impressionner personne. Je lui donne au moins le fait qu'il a réussi à faire marrer Oblivion, quoique sarcastiquement. À part ça, tout le monde veut un morceau de l'Asgardien. Tellement que pour une fois je me tais, laissant à tous l'opportunité de remettre ce fou à sa place après tout le non-sens qu'il vient de débiter. À part pour accepter sagement la tâche que me confie Azir, je n'ajoute rien de plus, me contentant d'observer chacun répliquer contre l'Asgardien. Si quelqu'un déclenche le feu, au moins ça sera pas moi. Remarque, traiter tout le monde de lâche et dire que c'est moi la plus courageuse de la troupe, c'est la plus grosse blague de l'heure. J'en reviens toujours pas de ce que j'ai fait et je prends le compliment que j'étais courageuse sur le coup. Je me sens soudainement plus comme Vincent et je ne crois pas que je me suis déjà sentie comme ça auparavant. Mais plus courageuse que les autres? Quand même, ilfaut pas exagérer non plus, c'est juste insultant pour ceux qui sont les vrais badass ici. Je suis intimidée par la moitié d'eux parce qu'ils sont clairement balèzes et je respecte l'autre moitié parce qu'ils sont intelligents. Quant à Gorislava, ben...j'la connais pas assez encore. Il faut dire que j'ai apprécié son entrée, ou devrait-on plutôt dire sa tentative. J'ai presque un peu de peine de la voir se planter tristement comme ça. Je connais ce genre d'échec, alors je sympathise pour elle. Après qu'elle semble s'être calmée, je lui demande :

-T'es sûr que tu veux pas tout reprendre du début? On peut prétendre qu'on a oublié la dernière minute.

Aussi bien lui offrir, ainsi si elle pense vraiment envoyer voler son poing dans la gueule de quelqu'un je l'aurai retardé de trente secondes. Cependant, Zhihao ne nous laisse pas le temps, nous introduisant à sa collègue de travail et rentrant dans le vif du sujet : les tablettes à retrouver et la bataille finale. Ce qui n'est pas si mal, même si je sais que je n'aurais pas la chance d'utiliser la tablette, qui apparemment peut autant servir de GPS que de planche à couper. J'ai absolument contre le plan, tout ce que j'espère c'est qu'on ait assez de temps. Ça doit être pour ça qu'Azir m'a dit de rester près du champ de force : pas juste pour le protéger, mais pour négocier avec Anubis et son serviteur si jamais on voit qu'ils ne reviendront pas à temps. Merde, le Dieu ne m'a jamais répondu tout à l'heure, alors pour négocier?...Va falloir que je travaille fort. Bah, tant qu'on éloigne Hruodland de moi, je suis prête à faire des efforts de mon côté. Pour ce qui est de la bataille finale, je vais travailler sur mes ondes positives afin de les envoyer efficacement à tout le monde le moment venu. Au moins on aura pas à combattre Anubis pour le vrai, il faut seulement fermer un portail.

Une fois que Zhihao finit son histoire, je dois prendre un moment pour réviser mentalement toute cette nouvelle vague d'information. Ils vont chercher les tablettes, nous on va attendre, dès qu'ils reviendront nous rentrerons dans la pyramide, on casse tout et on ferme le portail. Je me répète chaque bout sans m'arrêter, jusqu'au point où je me rends compte que je regarde le sol en plissant les yeux sous la concentration. Je me ressaisis en répondant :

-Hm...non. C'est incroyablement précis et clairement louche de la part de M'dame Z, mais au moins on sait quoi faire. On vous attendra ici en un seul morceau.

Je détourne le regard de Zhihao tout de suite après, n'arrivant pas à soutenir son regard neutre qui nie notre relation. J'en viens même à approcher prudemment Oblivion pour lui demander si je peux lui donner un coup de main.

-Hé j'peux t'aider avec ton rapport?

Ma gorge me brûle. Peut-être est-ce l’air du désert qui me rattrape, au milieu de tout ce chaos, et me rappelle du danger inhérent de cet endroit… ou peut-être que c’est seulement la frustration. Rien dans cette mission n’a été simple ou facile, nous n’avons qu’une vague idée de ce qui se passe, nos seuls indices nous viennent au compte-goutte, révélés bien trop tard par une vieille folle qui prend un peu trop plaisir à nous diriger ainsi… et maintenant, ça. Un parfait étranger qui sort de nulle part, refuse de nous écouter alors qu’il ne sait rien de la situation et en plus se permet de nous traiter de lâches?
Le désert n’est pas un bon endroit. Trop dangereux. Mais il y a toujours d’autres menaces.

Je ne sais pas ce que j’aurais fait, si les autres n’avaient pas été là pour gérer la situation. Une grosse erreur, probablement. Mais l’intervention d’Azir et de Zhihao est suffisante pour me permettre de me calmer et d’ajouter mes propres informations.

-Elle s’appelle Zlatanna, et elle est assez puissante pour nous priver de nos pouvoirs dans son domaine. Puisqu’apparemment c’est tout ce qui t’intéresse.

Sur ces mots, Gorislava revient enfin parmi le groupe avec toute la finesse dont elle est capable et ne se gêne pas pour penser tout haut ce que nous pensons tout bas. Je force un sourire alors que nous nous éloignons de la pyramide et reporte toute mon attention sur la Boussole Noire, mais ma bonne humeur ne dure pas. Évidemment, Zlatanna se permet de faire et dire n’importe quoi, encore. Mais si je dois révéler tout ce que je sais…

-La sécurité des âmes des Enfers est ma priorité, et j’ai demandé à m’occuper d’Anubis seule pour les préserver autant que possible. Si mes supérieurs décident de s’en mêler, ce ne sera plus ma décision.

Je ne demande pas si elle souhaite encore que je fasse ce rapport après cet avertissement : ce n’est plus sa décision non plus. Ce phénomène s’est déjà produit dans le passé et ses secrets se sont déjà retourné contre nous, si les Seigneurs Hypnos et Thanatos décident que les âmes d’Égypte sont un sacrifice nécessaire pour se débarrasser d’Anubis… je ne pourrai rien y faire.
Mais tout n’est pas perdu. Le Seigneur Hypnos a déjà accepté ma requête une fois, alors si je suis suffisamment convaincante, tout est possible. Il faut juste trouver les bons mots…

Je regarde longuement Azir, comme pour lui confirmer qu’en effet, il ne peut pas me dire quoi faire, mais ça ne veut pas dire que je ne peux pas contribuer autrement.

-Je ne serai pas la bienvenue au Sanctuaire et je ne veux pas l’être, mais je peux vous transporter près de Rodorio pour vous faire gagner du temps.

Tant que ça reste un petit groupe, ça ne devrait pas être un problème… Mais alors que je prends un peu de recule pour commencer à réfléchir à mon rapport, quelque chose d’inattendu se produit : Colombe vient me rejoindre et m’offre son aide. Décidément, cette fille a un instinct de survie plutôt sélectif. Je pourrais dire la même chose de ses capacités… à Los Angeles, pourquoi ne s’est-elle pas défendue?

-… D’accord. Tu as de quoi écrire? J’aimerais m’organiser un peu.

Mentionner Zlatanna sera inévitable, et l’idéal serait même qu’une mention d’elle puisse survivre quelque part si besoin il y a, mais si mon temps passé à FIRMAMENT m’a appris une chose, c’est que les éveillés de son genre ne pensent pas toujours aux détails. Même si le plan de Zhihao échoue, nous pouvons encore laisser suffisamment d’indices derrière nous pour nous aider à la retrouver.

-J’ai besoin que tu me dises tout ce que tu sais sur ce qui s’est passé à Goa, avec le meurtre des Sempouri. Ensuite, on fera la même chose pour Crest et Karlyle. Tu peux… tu n’es pas obligée de parler de la sucette.

Azir en était à se masser les tempes et l'arête du nez, un mal de crâne commençant à s'installer au milieu de ses pensées. L'arrivée de Gorislava rajoutait de l'huile sur le feu, quand il avait enfin pensé la situation stabilisée. Ils s'y mirent tous ensemble pour réfréner la velléité combattive du nordique -pas tellement nordique-, preuve qu'un ennemi commun pouvait rassembler même une Spectre et un Saint ! Cet homme ne tarderait pas à avoir beaucoup d'avis de recherches tapissés au-dessus de sa tête s'il continuait à se comporter de la sorte. Odin cautionnait-il cette attitude ?

"Je vais essayer de résumer simplement pour que n'importe lequel d'entre nous ici comprenne bien. Dans "dieu de la Mort", il y a "mort". Donc, si nous mourons tous, nous alimentons son pouvoir, et s'il veut des serviteurs il n'a qu'à nous ressusciter pour son bon plaisir. Or, la majorité d'entre nous ici est encore vivante, et souhaite le rester."

Il lança un coup d’œil en direction d'Oblivion, priant pour qu'aucune once de contradiction ne sortît de sa bouche, au moins avant que Hruodland ne soit plus à portée d'oreilles.

"En ce qui concerne les Spectres, si j'ai bien suivi l'affaire, si c'est Anubis qui s'empare des âmes, elles ne leur appartiennent plus, donc ils n'ont aucun intérêt à laisser faire. De même, j'imagine, pour votre vénéré Odin. Autrement dit, nous avons tout à y perdre, et Anubis tout à y gagner."

Là, il pouvait difficilement faire plus simple. Aussi, et puisque même Leticia proposait son aide, il ne laissa pas le temps au guerrier divin pour répliquer davantage.

"Va pour ton moyen de transport Leticia. Tout ce qui nous fera gagner du temps est bienvenu. Merci."

L'expérience de sa dernière téléportation encore récente dans sa mémoire, le Lion d'or se prépara à avoir l'estomac retourné en tous sens et les poils hérissés dans les secondes qui suivirent. Mais peu importait. L'avenir de l’Égypte et du monde avant tout !

Intégralement revêtue de son Armure Noire, Zhihao présenta Gorislava aux deux inconnus et réciproquement. La jeune femme s'appelait Colombe et possédait le titre de Bronze Saint, ce qui confirmait sa relation de coreligionnaire avec Azir. Ce dernier ne démentit pas cette information, un silence approbateur qui ne pouvait que consolider l'authenticité du statut de la donzelle. Quant à l'adolescent au physique prodigieux, il s'agirait selon la Chinoise d'un dénommé Hruodland, qui serait donc bel et bien un God Warrior. La rouquine ne savait guère pourquoi, mais elle avait la fâcheuse impression d'avoir déjà aperçu la tronche de cet énergumène quelque part. Par ailleurs, elle ne se souvenait toujours pas dans quel cadre elle avait pu entendre parler du Lion auparavant, un vide à combler qui la turlupinait depuis un moment. Tout ce dont le Fourneau pouvait se remémorer, c'était que ces deux gugusses étaient apparus ou avaient été mentionnés à la télévision. Hélas, le contexte précis continuait encore et toujours de lui échapper, même après les gifles qu'il avait reçues de la part d'Arnold. Une chose semblait certaine néanmoins, c'était que Colombe avait manifestement empêché une catastrophe de se produire. Gorislava n'y aurait pas cru si la Boussole ne le lui avait pas raconté, tant cette Sainte ne payait guère de mine à côté des mastodontes qui l'entouraient.

Parmi ces derniers, qui était donc responsable de ce désastre imminent au final ? Probablement pas Zhihao et le Chevalier d'Or en tout cas : ces deux-là étaient beaucoup trop attachés aux règles de sécurité pour tenter quoi que ce soit de risqué. Leticia, quant à elle, n'émettait pas la même signature cosmique que l'individu qui avait essayé de forcer la barrière magique. Cependant, il fallait admettre qu'un tel comportement était tout à fait son genre, suite à sa tentative de raser le manoir de Karlyle. Il ne restait ainsi que Hruodland sur la liste des suspects, sa responsabilité dans cette affaire étant tout à fait plausible au regard de l'aura démentielle dont il irradiait. Malheureusement, la Boussole n'avait rien dit à son sujet, aussi la rouquine ne pouvait en rester qu'au stade des suppositions. Faute de mieux, la seconde se contenta de déplier la visière de son casque afin de protéger ses yeux du soleil éblouissant et du sable. Le Fourneau avisa d'un œil mauvais la Bronze Saint lorsqu'elle lui demanda si elle ne voulait pas recommencer son introduction, avant de l'ignorer et de croiser les bras d'un air méfiant. De toute évidence, il n'avait pas de temps à perdre avec ces enfantillages : il était suffisamment en retard avec l'exposé stratégique de l'ancienne militaire pour s'occuper d'autre chose.

Gorislava ne connaissait pas son contenu, mais Madame Z avait apparemment un plan pour contrecarrer les sombres desseins d'Anubis et sa sinistre cabale. Toutefois, elle avait également l'intention d'effacer de la mémoire des Éveillés toute trace de son existence. Cette annonce ne paraissait guère plaire à l'assemblée, la rouquine étant quant à elle simplement interloquée par une décision aussi douteuse. Qu'est-ce qui pouvait donc motiver la grande bourgeoise à se carapater ainsi dans son trou une fois la crise égyptienne résolue ?

"Whew, acting hella cold to us, ain't she ?" siffla la rouquine. "Pourquoi elle nous ferait un bitch move pareil, au juste ? On lui a tellement foutu les pétoches que ça, ou quoi ? Je pensais qu'elle était trop balèze pour redouter nos misérab' pouvoirs d'Éveillés moi... à moins qu'ça soit du bon gros mytho."

De son côté, la Spectre rappela quelle était la véritable identité de Madame Z et quels étaient ses objectifs à ses compagnons de fortune. Elle et Colombe se mirent ensuite d'accord pour rédiger le rapport de mission qu'avait suggéré Zhihao, chacune contribuant à l'inventaire des indices précédemment recueillis au cours des différentes investigations. Une sucette fut aussi mentionnée pour une quelconque raison, mais le Fourneau pensa réellement qu'il devait s'agir d'un élément important de l'enquête. Leticia expliqua également qu'elle refusait de se rendre au Sanctuaire, une mention qui fit comprendre à Gorislava qu'elle avait raté une partie conséquente de la conversation. Elle n'était pas la seule néanmoins, le Nordique paraissant déterminé à jouer au plus borné malgré la complexité de la situation actuelle. Le Chevalier du Lion lui répondit obligeamment que toute tentative d'enfoncer le champ de force risquait plus d'étendre le domaine mortifère du dieu chacal que de sauver la planète. Soucieuse de ne pas verser dans l'hypocrisie, la rouquine se garda de tout commentaire et se contenta de se gratter nonchalamment le cuir chevelu.

Quoi qu'il en soit, toutes ces tergiversations ne lui disaient pas quel était le fameux plan que Zlatanna leur avait échafaudé dans son infinie sagesse. Finalement, la Boussole consentit à expliquer à ses camarades ce en quoi il consistait : collecter les fragments du livre convoité par Anubis afin de pénétrer à l'intérieur de la pyramide. Cependant, il fallait pour cela les récupérer auprès des diverses factions divines dispersées à travers le globe, ce qui constituait un préalable pour le moins laborieux. Le Fourneau sentait déjà des cernes se former sous ses yeux à l'idée d'avoir à cavaler une énième fois dans tous les sens juste pour rassembler les morceaux d'un vieux bouquin poussiéreux. En l'occurrence, il ne s'agissait pas de se farcir les innombrables pages d'un format codex entier, mais de quelques tablettes gravées. Malheureusement, ce genre de quête ennuyait Gorislava au plus haut point, qui en avait soupé de servir continuellement de livreuse du dimanche. Hélas pour elle, le Nécrosphinx avait clairement indiqué que la seule manière d'arrêter le cataclysme était de restituer à Anubis son bien. La rouquine, qui avait précédemment décidé de prendre des bonnes résolutions, devait se résigner à valider ce stratagème foireux.

"Une chasse au trésor maintenant, chouette !" s'exclama-t-elle d'un ton éminemment sarcastique. "Ça va drôlement nous changer après la chasse aux indices, dites-donc ! Chais pas si je vais connaître un sauvetage du monde plus palpitant qu'çui-là ! Vous me préviendrez quand on ira faire la chasse aux œufs de Pâques ensuite, dat would be SO FUCKING NOICE !"

Après cette gueulante aussi brève que soudaine, le Fourneau émit un claquement de langue agacé puis ferma son clapet, conscient qu'il s'était énervé une fois de plus. Il prit donc son mal en patience et se défoula en donnant des coups de pied aux cailloux qui se trouvaient dans le coin. Par inadvertance, Gorislava dégomma un vautour qui s'aventurait dans les parages avec une caillasse éjectée un peu trop vigoureusement. Le charognard, assommé par ce choc inattendu, tomba par terre sous le regard éberlué de la jeune mercenaire. Cette dernière, abasourdie par l'efficacité d'un tir qu'elle imaginait pourtant négligent, porta sa main à sa bouche avant de tourner le dos à ses partenaires. Penaude, elle se mit à siffloter comme si de rien n'était, même si elle doutait que cela fonctionne...

Tout le monde ne réagit pas de la même façon à l’explication. Zhihao attendit patiemment que chacun ait exprimé son point de vue, composant mentalement ses réponses avant de s’adresser aux uns et aux autres.

Colombe et Gorislava avaient questionné les motivations de la magicienne, ce qui était bien normal et prouvait de plus qu’elles pouvaient se servir de leur cerveau quand elles le voulaient vraiment. Le Fourneau s’était ensuite énervé à l’idée de devoir une fois de plus jouer les pigeons voyageurs, mais s’était calmé après avoir accidentellement descendu un pauvre vautour innocent qui n’avait rien demandé à personne.

« Je ne sais pas ce que cherche à faire la magicienne mais ça ne m’inspire pas confiance à moi non plus, et je ne peux m’empêcher de remarquer que malgré toutes ses vantardises, elle ne fait pas partie de ceux qui risquent leur peau ici. Gardez l’œil ouvert. » conseilla la militaire aux deux jeunes filles, avant de s’adresser plus particulièrement à la rouquine : « Vous, vous restez ici avec Leticia et Colombe : les gens du Sanctuaire ne seront déjà pas très contents de nous voir, Hruodland et moi, autant ne pas en rajouter. De plus, nous avons besoin de vous pour surveiller ce qu’il se passe ici et empêcher qui que ce soit de déclencher l’explosion ; je compte sur vous. »

Elle se tourna alors vers la Spectre, qui avait accueilli le plan avec stoïcisme – une nette amélioration par-rapport à son comportement précédent, le fait d’avoir échappé de peu à une catastrophe avait dû remettre les choses en perspective –, offert de transporter le groupe chargé de reconstituer la tablette à Rodorio afin de gagner du temps et était maintenant en grande conversation avec la Sainte. La Boussole se demanda brièvement ce qu’était cette histoire de sucette, se dit finalement qu’il valait sans doute mieux ne pas savoir si elle tenait à ce qui lui restait de santé mentale, et délivra un rappel doublé d’un avertissement :

« J’espère que nous n’aurons pas à en arriver là mais au cas où vos collègues devraient venir, n’oubliez pas de parler de ce qu’a dit Madame Z sur la possible capacité d’Anubis à prendre le contrôle des Spectres. Cela m’étonnerait que ce soit aussi facile, mais nous n’avons qu’un seul parchemin de contre-sort et je préfère faire preuve d’un excès de prudence que voir nos renforts se changer en ennemis. Qui sait, peut-être que vos Dieux peuvent faire quelque chose pour empêcher ça de leur côté, comme ça nous n’aurons pas à compter sur l’aide de la magicienne. »

Enfin, elle revint vers les deux derniers membres de leur petite assemblée, lesquels n’auraient pu être plus différents l’un de l’autre, puisque le premier était le plus épuisant du lot et le second le plus plaisant.

Le guerrier franc avait beau dire qu’il se plierait à la décision de la majorité, il restait néanmoins clair qu’il n’en démordait pas si facilement et qu’il cherchait toujours à les rallier à son opinion. L’asiatique mourait d’envie d’imiter Azir en se massant les tempes à son tour, mais son masque rendait malheureusement la chose impossible. Comment cet homme pouvait-il persister à croire que c’était une bonne idée d’essayer d’attaquer le champ de force ? Même en supposant qu’il parvienne à faire un trou dedans, cela ne voulait pas dire que toute l’énergie stockée dans la barrière disparaîtrait, et il fallait bien que cette énergie aille quelque part… probablement en se dispersant violemment, sous forme d’explosion. Le Lion, lui, continuait bravement d’essayer de faire rentrer un semblant d’intelligence et de sens commun dans le crâne épais de l’ex-Marina. Elle lui souhaitait bien du courage...

« Un scientifique c’est quelqu’un dont le travail est de savoir des choses, de les étudier, de comprendre comment elles fonctionnent et de trouver une utilité à ces connaissances. » résuma l’électrokinésiste après la fin de la réplique du chevalier d’Or, dans une tentative sans doute vaine de remédier à l’ignorance dont l’ancien Léviathan faisait preuve envers le monde moderne. « Mais là n’est pas le sujet : vous pensez qu’Anubis aboie beaucoup mais n’osera pas mordre, pourtant je vois plusieurs raisons de mettre sa menace à exécution. Pour prouver qu’il ne plaisante pas et que ses exigences doivent être prises au sérieux, pour commencer. Pour se débarrasser de plusieurs chevaliers qui pourraient le gêner dans ses plans et peut-être même en faire ses nouveaux serviteurs, comme l’a dit Azir, parce qu’un Dieu des Morts ne se limite pas à des sujets vivants. Et enfin, parce que dans "Dieu de la Mort" il y a certes "Mort", mais il y a aussi "Dieu". »

Elle fit une courte pause après s’être fait l’écho des paroles d’Azir, laissant ses interlocuteurs réfléchir au sens de son propos tout en se livrant à un rapide calcul mental et à la mise en relation du résultat avec d’autres données. Ceci fait, elle reprit le fil de son exposé.

« La partie du pays où nous nous trouvons est assez peu peuplée et les grandes villes sont suffisamment loin pour ne pas être trop sévèrement affectées par une deuxième explosion. Si elle devait avoir lieu, je pense qu’elle devrait faire un peu plus d’un million de victimes, et la population totale du pays est de près de 100 millions de personnes. Parmi tous ces gens, combien se jetteront au pied d’Anubis pour implorer sa pitié, à votre avis ? Combien le nourriront de leur foi, après une telle démonstration de force ? Et je ne parle même pas de la population des pays voisins. Du point de vue d’Anubis, tuer un mécréant pour en convertir cent ou même seulement dix ne doit pas être un mauvais calcul. »

Zhihao espérait que rappeler que le Chacal pouvait être renforcé aussi bien par les âmes des morts que par la foi des vivants réussirait à convaincre l’asgardien de ne pas essayer de voir si la menace de la divinité égyptienne était ou non un coup de bluff, et qu’il comprendrait qu’un « simili plan » c'était toujours mieux que pas de plan du tout.

« Leticia ? Nous sommes prêts. » fit-elle ensuite, car ils avaient perdu assez de temps en discussions oiseuses.

La Spectre abandonna momentanément son échange avec la Petite Ourse pour s’approcher du trio à destination du Sanctuaire et invoqua le pouvoir conféré par les divinités infernales. La trame de la réalité se déchira autour d’eux, et la chinoise eut à peine le temps de se rendre compte qu’ils se trouvaient maintenant dans un monde de noirceur et de désolation avant d’être avalée par une seconde distorsion qui les recracha de nouveau au milieu d’un paysage ensoleillé mais aux bâtiments intacts, à la différence des ruines à leur point de départ. La jeune fille ne s’attarda pas après avoir joué les taxis, disparaissant aussi sec de la même façon qu’elle était venue et les laissant seuls tous les trois. Un chevalier d’Or, un ex-Marina génocidaire et une Black Knight, à quelques minutes à peine du siège des protecteurs d’Athéna, dont ils pouvaient voir d’ici les temples de marbre blanc. Merveilleux...

La petite escapade au Sanctuaire n’aura pas été bien longue. J’ai juste le temps de retrouver le cruel soleil d’Égypte et de récolter le témoignage de Colombe sur ce qui s’est passé à Goa avant de recevoir un nouveau message. C’est une bonne chose, si la recherche pour ces tablettes doit être aussi rapide les menaces d’Anubis n’auront que peu de poids. La Petite Ourse ne peut pas ajouter grand-chose, seulement quelques détails sur le meurtre qui confirme les similitudes avec les autres attaques, mais c’est mieux que rien. Je récolterais le témoignage de Gorislava plus tard : avant, j’ai un petit voyage à faire.

Une fois arrivée à Rodorio, je n’attends pas de voir si les autres sont prêts pour invoquer les fées et nous téléporter aux Enfers, à l’espace d’une seconde, pour nous recracher sur les terres glacées d’Asgard. Je grimace quand une bourrasque vient fouetter ma peau encore brûlante, les nerfs à vif face à de tels extrêmes, et c’est donc sans demander mon reste que je disparais pour retourner dans le désert, là où Colombe et Gorislava attend toujours. Dire que je cet horrible paysage a failli me manquer…

-Ils ont trouvé la première tablette. Plus que deux.

Mais alors que je veux demander à la mercenaire rousse de m’expliquer ce qui s’est passé à New York, je sens un intrus qui approche et je fais volte-face pour me défendre d'une possible attaque. Une autre éveillée, une autre armure que je ne connais pas. Même son nom ne me dit rien… ou du moins, pas toute de suite. Un long frisson me parcoure le dos alors que je serre les poings. Bien sûr. Nous ne sommes pas si loin, après tout, et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle ne s’intéresse pas à la situation.
Ce n’est pas le temps de douter, encore moins d’avoir peur. Cette fille joue les arrogantes, se comporte bizarrement autour de Colombe… et ne peut s’empêcher de poser cette maudite question de trop. Comme tout le monde avant elle.

J’ai été patiente. Très patiente.

Ma vision se voile, l’espace d’un instant. Mon cosmos se déchaîne sous le sable, menace de faire surface tel un geyser, de transpercer cette nouvelle menace de toutes parts et de la tailler en pièce. J’en ai assez. Si nous devons être défiés… si je dois être défiée, ce sera par l’ennemi. L’ignorance n’est plus une excuse.
D’un pas déterminé, je m’avance vers la dénommée Mélya.

-Personne… n’approche… la pyramide!

Zhihao et les garçons étaient donc partis retrouver les tablettes constituant le Livre des Morts, tandis que Gorislava, Leticia et Colombe étaient assignées à la surveillance de la pyramide. Cette tâche était pour la moins ennuyeuse, mais au moins elles n'avaient pas à se farcir une énième chasse au trésor aux quatre coins du globe. Afin de passer le temps de manière utile, la Spectre décida de questionner ses deux partenaires au sujet de leurs enquêtes respectives, en commençant par la Sainte. Peu jouasse à l'idée de se coltiner de nouveau les détails des différentes investigations criminelles, la rouquine choisit à la place de faire un jogging autour du mausolée. La vitesse de ses foulées étant exceptionnellement élevée en raison de ses aptitudes cosmiques, elle ne tarda guère à enchaîner plusieurs tours de l'édifice. Elle eut même le temps de saluer Arnold, William, Robert et Doyle en chemin. Ces derniers étaient en train de prendre leur pause déjeuner, casques déposés par terre et sandwichs à la main. Le Fourneau fut étonné de voir que deux des militaires étaient des blondins moustachus, croyant que cet ornement facial était démodé depuis des lustres. Apparemment, le membre disparu de leur escouade était également affublé d'une moustache, ce qui impliquait qu'ils étaient amateurs de ce genre de pilosité. Néanmoins, le fait que les métis préfèrent porter une barbe contredisait cette théorie relative à la composition de leur équipe. Une chose semblait certaine en tout cas : entre ces quatre-là, c'était la fête à la saucisse bien dégoulinante d'huile.

La charcutaille mise de côté, Gorislava s'aperçut en retournant auprès de ses camarades qu'une nouvelle arrivante était présente sur les lieux. Qualifier cette créature humanoïde de femme n'était que présomption cependant, à en juger par l'armure hideuse qui recouvrait sa silhouette. Difficile de juger sa nature correctement en l'état, surtout s'il s'agissait d'une créature complètement éloignée de toute conception humaine. Détail aussi curieux qu'adorable, cette mystérieuse personne se trimbalait avec un renard de compagnie. La rouquine espérait juste que cette bestiole n'allait pas tenter de leur chaparder quelque chose, sinon cela risquait de mal finir... A ce propos, la situation était progressivement en train de tourner au vinaigre, Leticia n'ayant que peu goûté la requête de l'intrigante. Manifestement, celle-ci se nommait Mélya et détenait le titre de porteuse du Linceul de Makhai. Pour le Fourneau, ce type de cuirasse était inconnu au bataillon et il ne savait pas à quelle faction pouvait bien appartenir cette étrange donzelle. Quoi qu'il en soit, Mélya avait sérieusement courroucé la Spectre, qui était décidée à la transformer en gruyère avec ses innombrables aiguilles. La deuxième interdit également de manière très claire à la première d'approcher de la pyramide, sous peine de lui faire amèrement regretter son outrecuidance.

"What she said." renchérit Gorislava, qui ne savait guère trop où se mettre. "Si tu touches à la pyramide, elle va nous exploser à la gueule. Mais méchamment hein, si j'en crois ce que disent les autres."

Finalement, elle choisit de se placer juste à proximité du hérisson de service, histoire de faire comprendre à son interlocutrice qu'elle ferait mieux d'obéir sagement. Toutefois, la rouquine n'avait pas vraiment l'intention d'assister Leticia au cas où elle aurait à tabasser la détentrice du Linceul de Makhai... En effet, la première préférait largement voir les deux autres gonzesses se crêper le chignon plutôt que de les priver de ce plaisir. Certes, une conduite aussi irresponsable était susceptible d'aggraver une situation déjà critique, mais elle offrait des perspectives trop alléchantes pour être ainsi ignorées. Néanmoins, le Fourneau ne pouvait pas non plus se contenter du rôle de simple spectateur : il avait besoin de sa dose d'action illico presto ! Depuis le temps qu'il rongeait patiemment son frein, n'avait-il donc pas le droit à un défouloir digne de ce nom ?

Dès qu'Oblivion amène les trois volontaires à Rodorio, je lâche un soupir de soulagement.

-Oh putain je pensais qu'il partirait jamais cet enfoiré.

Il y a plusieurs choses qui ne tournent pas rond avec ce gars, mais savoir qu'il autant de pouvoir donne aussi un petit frisson dans le dos. C'est terrible devoir le gérer maintenant, il n'y a aucun doute là-dessus, mais imaginez dans la vie de tous les jours? Merde, il ferait sauter un dépanneur parce qu'on lui aurait expliqué poliment qu'on ne prend pas les pièces d'or datant du 13e siècle et aurait expliqué aux autorités que ce n'est pas de sa faute si un gamin est mort parce qu'il était dans le magasin en train de s'acheter une KitKat : c'était au morveux de lâcher la maternelle pour s'entraîner plus intensivement afin d'être Random-Psychopate-Résistant.

Donc oui, attendre après eux c'est pas palpitant, mais je préfère voir les choses ainsi : on a une pause de Hruodland et on se met pas à risque pour absolument rien. Ça aide aussi de donner un coup de main à Oblivion pour son rapport qu'elle doit envoyer à son patron. De plus, quand elle doit retourner téléporter Azir, Zhihao et Hruodland ailleurs, on comprend toutes assez bien qu'ils n'aient aucune difficulté à récupérer toutes les tablettes, ce qui est une bonne nouvelle en soi. En fait, en apprenant qu'ils en ont déjà trouvé une tablette je lâche un retentissant « Fuck yeah! » de jubilation. Je m'apprête à gueuler la nouvelle à Gorislava, qui est partie se promener un peu plus loin, quand j'entends une voix familière derrière moi. No way...

Je me retourne pour être prise par surprise. Je dois plisser les yeux et m'approcher du masque de la femme en armure avant de demander.

-Mélya? C'est toi en dessous de cette armure? Je croyais que t'étais partie!

C'est seulement en baissant les yeux vers le renardeau qui lui tourne autour que mes pensées sont confirmées. Cela me rend un peu inquiète et mal placée car je réalise qu'il n'y a que moi qui n'a pas encore enfilé la sienne. Alors que j'ouvre la bouche pour demander comment ça va depuis que je l'ai laissée toute seule, elle m'interrompt en demandant qui a créé la secousse. Je m'en vais pour pointer Hruodland du doigt avant de réaliser qu'il est pas avec nous. Et puis, je refuse de donner du crédit aussi peu mérité parce qu'il est l'auteur d'une terrible idée. Tout de même, c'est quand même drôle qu'elle ne nous qualifie pas du premier coup d'œil comme des personnes intéressantes. Elle a tout de suite cherché pour une personne qui n'est pas là. Hé, je fais juste dire, on a pas besoin de faire des démonstrations de force stupides pour être considéré intéressant. Punaise, plus j'y pense, plus ça sonne comme si elle cherche son prochain partenaire amoureux et qu'on ne rentre pas dans ses qualifications. Ça n'aide pas qu'elle s'adresse à moi d'un ton flirteur, qui me fait grimacer de dégoût.

Mais bon, c'est même pas pour ça que je masse le front en l'entendant poser la question à laquelle on a répondu si souvent. Irritée, je lui réponds :

-Bordel Mélya, je t'ai déjà dit qu'on pouvait pas rentrer ou ça allait exploser et raser une autre ville, nous toutes incluses! T'écoutais à moitié ou quoi?

Un bon quart de cette mission pourra être résumée à dire à des connards que non, on peut pas rentrer dans la pyramide. Non, on peut pas la détruire. Non, on peut pas essayer de trouver une faille random pour la détruire. Je vous jure, on est pire que dans Stardust Crusaders : on voit un objet bizarre? On va y toucher sans la moindre suspicion tiens, c'est pas comme si ça faisait pas douze trucs louches qu'on a touchés et qui se sont révélés être des stands dangereux! C'est juste une pyramide ayant apparue après l'explosion d'une catastrophe naturelle, y a sûrement rien de douteux si on rentre dedans et on tape dessus. Je n'ai même pas le moindre élan de panique en voyant Oblivion et Gorislava s'avancer vers elle pour lui enfoncer encore plus profondément le message dans la gorge, après tout elle l'a quand même un peu cherché, même si elle ne peut pas être au courant de comment Hruodland nous a déjà irrité avec les mêmes bêtises. Quant à moi, je prends une grande inspiration pour lui expliquer le plus calmement possible :

-R'garde, si tu tiens tant que ça à rentrer dedans, peux-tu au moins attendre que nos potes reviennent? Quand ils seront là, on aura toutes les pièces clé pour qu'on puisse rentrer. Après on ira tous taper dans la pyramide pour le bien commun de tous et pour se défouler après avoir entendu les conneries d'Hruodland.

Suite aux interventions de Gorislava, dont la patience est sans doute aussi mince que la mienne, la nouvelle venue se contente de la reluquer comme une obsédée et de répliquer avec des arguments d’une telle mauvaise foi que c’est presque impossible de les mettre sur le compte de la simple stupidité. Je considère déjà de nous en débarrasser tout de suite pour ne pas avoir affaire à une possible traîtresse, surtout après cette histoire de tête coupée laissée sur Death Queen Island, mais elle semble se calmer après que Colombe prend le temps de la rabrouer et lui rappeler qu’elle devrait déjà savoir pour l’explosion, puisqu’elles en ont déjà parlé avant. C’est peut-être juste une imbécile, finalement… mais ce n’est pas assez pour me faire baisser ma garde et je guette chacun de ses gestes, chaque impulsion de son cosmos, comme un requin à la recherche de sang. Personne n’a la patience de gérer une autre tête brûlée comme Hruodland, on pourrait juste l’exécuter et ce serait plus simple… Et puis, ça ferait un serviteur d’Eris en moins…

Mais sans son armure, cette fille n’inspire que peu de rage… juste de la frustration, si on peut appeler ça comme ça. Son renard s’amuse à fouiner aux alentours et sa maîtresse tente un minimum de présentation et d’explications, mais ce n’est pas très satisfaisant. Gorislava a compris que la pyramide était hors d’accès, j’ai compris que la pyramide était hors d’accès, même Hruodland a fini par l’accepter, alors ses excuses ne me font aucun effet.

-Fais comme tout le monde et prends sur toi. Le champ de force a déjà explosé et rasé la ville et tout ce que ça lui a fait, c’est le renforcer. Si tu veux mourir pour rien, c’est ton problème… mais est-ce c’est ce que tu veux pour ta bestiole?

Un faible cosmos émane aussi du renard, donc il ne lui sert pas juste d’animal de compagnie, mais ce n’est rien qui lui permettra de survivre si l’explosion est aussi forte que prévue. Honnêtement, ce serait un miracle si nous nous en sortions… surtout pour le petit malin qui aura décidé de porter le coup de trop. Si ce n’est pas moi, quelqu’un d’autre le saura et s’occupera de lui régler son compte. Le monde entier a le regard rivé sur ce qui se passe ici.

-Je dois terminer mon rapport. Gorislava, j’ai besoin de savoir ce qui s’est passé à New York, mais surtout… j’ai besoin que tu me dises tout ce que tu sais sur le Comte Karlyle.

Si quelqu'un a envie de prendre le temps d'expliquer à la nouvelle ce qui s'est passé et répondre à ses questions, les autres sont les bienvenues, mais je ne peux plus retarder ce rapport encore plus longtemps : le groupe de Zhihao pourrait retrouver les tablettes assez vite, et j'ai déjà perdu assez de temps comme ça.

Apparemment, Colombe avait déjà fait connaissance avec Mélya, même si elle n'avait pas encore eu l'occasion de la voir flanquée de son affreuse armure. La première essaya alors de dissuader la seconde de traverser prématurément dans le champ de force, sous peine de provoquer une détonation cataclysmique. Elle tenta ensuite de l'inciter à la patience, en lui expliquant notamment que leurs camarades travaillaient actuellement à rassembler les morceaux du sésame qui leur permettra enfin de pénétrer à l'intérieur de la pyramide. Leticia en ajouta également une couche de son côté, avant de demander à Gorislava de lui raconter ce qu'elle savait au sujet d'Ethan Crest et du comte Karlyle. Malheureusement, la rouquine n'était pour le moment guère encline à satisfaire la requête de sa partenaire, en raison des paroles énigmatiques de Mélya. Ces dernières concernaient la caboche d'un de ses confrères et le port situé près de chez elle, des propos qui la préoccupaient par les horribles implications qu'elles contenaient. De quoi causait-elle donc exactement ? De Prague et de sa rivière ou bien du port de Misery, sur les côtes de Death Queen Island ? Sauf déménagement dont le Fourneau n'aurait pas été mis au courant, sa frangine n'habitait pas à proximité de la Moldau, ce qui excluait normalement cette possibilité. En toute logique, l'incarnation de Makhai devait faire référence aux rivages du quartier général des mercenaires et non à l'adresse de sa chère famille. Néanmoins, Gorislava n'avait en l'état aucun moyen de confirmer cette hypothèse, d'autant plus que cette inquiétante affaire l'avait plongée dans une profonde angoisse.

Cette peur glaciale se mélangea progressivement à l'indignation, jusqu'à ce qu'elles laissent toutes deux place à une terrifiante colère noire. La rouquine n'avait même pas pris la peine de noter la mention de Ntikuma durant la conversation, son nom ayant été suffisamment charcuté pour qu'elle ne le reconnaisse pas. Jusque-là d'une humeur simplement facétieuse, bagarreuse et insolente, elle était cette fois-ci vraiment bouillante de rage. Sa fureur était si intense qu'elle la rendit quasiment sourde et aveugle, incapable de percevoir autre chose que Mélya et d'entendre autre chose que les battements frénétiques de son cœur résonner dans ses oreilles. Derrière les verres rosés repliables de son casque, ses yeux se mirent à brûler d'un éclat aussi incendiaire que meurtrier. Cette histoire ne gravitait dorénavant plus autour des caprices égoïstes du Fourneau, mais bien de son entourage.

Ni une ni deux, il se rua sauvagement sur la porteuse du Linceul, l'agrippa fermement par le visage puis la plaqua violemment contre la surface plane de décombres urbains. Ceux-ci se étaient heureusement éloignés de la barrière, sauf que cela n'enlevait rien à la dangerosité de la situation. Gorislava laissa ensuite son poing droit en retrait, prête à défoncer brutalement la figure de sa proie à la moindre provocation.

"Now listen to me very carefully, you cheeky hoe !" aboya-t-elle à son interlocutrice. "Va falloir que tu m'expliques TRÈS CLAIREMENT ce que t'as voulu me dire par là, au lieu d'me chauffer avec des devinettes à la con ! Et t'as intérêt à ce que ça concerne pas quelqu'un dont j'ai kek'chose à foutre, sinon tu vas te manger mon poing dans ta sale gueule ! T'as pigé ?! Dans ce cas, réponds à mes questions : T'AS RAMENÉ LA TÊTE DE QUI ?! T'ES ALLÉE OÙ ?! QUI T'ES ALLÉE VOIR ?! T'AS FOUTU QUOI ?!"

Le cosmos carmin de la rouquine se déploya alors sous la forme d'un gigantesque brasier, en réponse à la précédente tentative d'intimidation de Mélya à destination de Leticia. Si cette andouille de Makhai croyait impressionner qui que ce soit avec son aura minable, elle se fourrait le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! Le Fourneau n'avait aucune idée de quel trou paumé cette combattante du dimanche sortait, mais il était temps qu'elle comprenne à quel point la compétition était rude en ce bas monde. Après tout, le premier avait subi un entraînement infernal dans le seul et unique but d'affronter Reagan : niveau concurrence exigeante, il s'y connaissait. Ce n'était pas une gourgandine fringuée comme une xénomorphe au rabais qui allait enseigner quoi que ce soit à Gorislava !

Je ne garantis pas la fiabilité de mon gaydar, mais quelque chose me dit qu'il y a peut-être une raison qu'elle nous regarde toutes aussi longuement et m'adressant avec un ton flirteur. Si c'est bien ce que je pense, elle a vraiment les pires pick-up lines : dire à quelqu'un que tu es passé chez lui pour lui déposer un cadeau sur le port, le formulant comme si ledit cadeau tu l'as chié pour révéler qu'en fait c'est une tête coupée, c'est...attends une tête coupée??

-Whoa whoa! Mélya what the fuck! C'est quoi ton putain de problème?!

Oui, je suis choquée, horrifiée et dégoûtée. Certes, Oblivion aussi m'a donné une fois de drôles de conseils comment couper la tête de quelqu'un, mais au moins avec elle je peux au moins espérer qu'elle rigolait et qu'elle a jamais vraiment décapiter une tête, même si j'imagine que ça serait tout à fait son genre. Mais envoyer la tête? Je m'en tape qu'on est des chevaliers servant des dieux, c'est pas une raison pour être barbare comme ça.  On livre pas des parties de corps découpées comme si on est des malades qui publient des vidéos de chatons qui se font tuer sur le Net! Est-ce qu'elle avait une dent contre Gorislava? Pourtant, elle l'a regardé comme si c'est la première fois qu'elle la voyait, donc je saisis pas pourquoi elle lui ferait quelque chose d'aussi morbide!

Son renardeau vient même se placer entre les deux, comme pour protéger sa maîtresse. Normalement, je suis contre la cruauté animale, mais je suis tellement renversée par cette histoire de tête que j'ai le goût de crier à Oblivion « Kick-le! » pour qu'elle l'enlève du chemin, mais mes principes m'en empêchent. Je répète quand même: what the fuck! Je me sentais mal un peu quand j'ai laissé Mélya toute seule. Je n'avais qu'un drôle d'instinct et un malaise pour le justifier, mais à part ça, il n'y avait pas de raison de laisser derrière une fille de mon âge qui paraissait la plus normale du lot (surtout à côté de tous les autres) avec qui j'aurais pu devenir amie, même si nous venons de deux camps différents. Donc oui, à un certain point je me sentais un peu coupable. Mais là je viens de comprendre d'où venait cet instinct : cette fille est complètement tarée et folle.

Après avoir été sûre de provoquer tout le monde, rejetant le risque des dommages qu'elle pourrait causer, se moquant presque d'Oblivion et racontant l'histoire de la tête coupée à Gorislava, elle change complètement d'attitude, tellement que c'en est déconcertant. Elle a passé de super provocatrice et à la recherche de la bagarre à une amicale présentation, comme si elle n'a causé aucune tension et que maintenant qu'on travaille ensemble on est super copains.

-Colombe. Mon nom c'est Colombe. J'ai découvert des gens. Nos potes sont partis chercher les tablettes que l'Our a mentionnées avec sa grosse voix portante à des kilomètres la ronde et qui a laissé après un sablier géant dans le ciel. Ça dû être fort sur les oreilles pour toi puisque t'étais plus près. T'as vu à quoi il ressemble le mec?

Je ne ris pas vraiment à sa blague avec l'orange. En fait, ça me donne envie de masser mon front davantage. Peut-être qu'elle serait mieux de ne pas venir avec nous si un petit agrume lui donne des troubles de mémoire, sachant qu'Anubis nous réserve sans doute bien pire que ça. Qu'est-ce qui va lui arriver si un débris de pyramide va lui tomber sur la tête?  Les chevaliers d'Eris mesdames et messieurs : ils propagent la discorde et la terreur, ils meurent instantanément si on leur balance des cantaloups, des melons d'eau ou des ananas sur la tête. Be afraid. Non mais sérieusement, c'est ça ton excuse pour mettre de côté un détail aussi important?

Alors qu'elle introduit Répy à Oblivion et à Gorislava, j'en apprends un peu plus sur son utilité. Donc, c'est un renard de service? Mince, moi qui croyais qu'il n'y avait que des chiens. Je suppose que les renards sont plus compétents que les chiens pour gérer des Éveillés qui peuvent perdre le contrôle. Je dois donner ça à Eris : quand ça vient à recruter des chevaliers, il y a pas de discrimination. Après avoir échangé avec un regard à Oblivion pour voir si elle pense la même chose que moi, je demande à Mélya :

-T'en aurais pas un deuxième par chance? Qu'on le refile à Hruodland pour qu'il se calme un peu?

Elle n'a pas la chance de me répondre, car Gorislava, soudainement furieuse, s'en prend à elle. Le plaquage brutal me fait sursauter sur le coup, sans me surprendre pour autant. Après tout, à quoi s'attendait-elle? Je suis pas mal sûre qu'Azir et Zhihao n'approuveraient pas... mais ils ne sont pas là, donc on s'en tape. Tant qu'on s'assure que personne ne touche à la barrière, il y a aucun danger à une p'tite bagarre. Remarque, vu la colère de Gori, je doute qu'elle soit petite. J'espère juste que c'était pas quelqu'un qu'elle connaissait, ça serait juste terrible pour elle, la pauvre...

Je jette un deuxième coup d'œil à Oblivion pour voir si elle pense comme moi. Ça fait bizarre que ça soit pas elle qui soit en train de faire peur à quelqu'un...ça veut pas dire qu'elle en est moins intimidante. J'ose quand même lui chuchoter :

-So...d'après toi c'est qui Ntikutamama?

Si c'est vraiment un gosse comme Mélya l'a dit, ça pourrait quand même pas être celui du Fourneau, ou bien son neveu? Elle est peut-être jeune, mais ça se pourrait quand même. No shit alors qu'elle soit autant en furie...

Rien ne donnait l'impression que je tentais de désamorcer la situation et c'était loin d'être ma seule intention... Mais pour ce que c'était, ça a fonctionné. J'ai encore le regard rivé sur ma propre mission, celle de prévenir les Enfers de tout ce qui s'est passé et c'est ce mince fil qui me permet de revenir à la raison et de me garder suffisamment distante pour ne pas m'emporter. Mais il est si fragile, trop fragile... Et j'ai sous-estimé le lien entre les Chevaliers Noirs. Ne sont-ils pas tous des mercenaires, portant une armure pour leurs propres desseins? Un de plus ou de moins, quelle différence pour les autres?

Mais ce n'est pas le cas pour Gorislava. Elle se jette sur Mélya comme une furie, son cosmos rivalisant avec la chaleur du soleil, et lui ordonne d'expliquer ce qui s'est passé sur Death Queen Island. Colombe, terrifiée, me demande à voix basse si je sais de qui elles parlent, mais je ne lui réponds pas. Tout ce qui importe, d'un coup, c'est la rage... et la peur. L'amour. Tant de choses qui menacent de disparaître et de ne laisser que de douloureux souvenirs. Les gens peuvent paraître bien superficiels, presque irréels, tant que ces sentiments n'ont pas la chance de faire surface, et Gorislava n'était pas une exception. On devrait l'arrêter, ce n'est pas sécuritaire d'engager des hostilités si près de la pyramide, je devrais faire quelque chose... mais tout ce que mon Surplis encourage, c'est de jeter encore plus d'huile sur le feu. De nourrir la rage, de le nourrir lui.

Mais l'Ombre commence à expliquer ce qui s'est passé et bien vite tout le monde se calme pour sombrer dans la confusion. Qui aurait pu prédire ça? Toute cette histoire m'avait pourtant bien marqué, mais avec tous les problèmes que j'ai eus de mon côté, je n'y avais plus pensé depuis longtemps. En fronçant les sourcils, je m'approche et guette la réaction de Gorislava. Cet éclat n'était sûrement pas pour... lui?

-Reagan est mort? Je le croyais en prison... dans votre prison.

J'insiste sur le mot en lançant un lourd regard à Colombe, sans grand espoir qu'elle puisse fournir des explications. Après tout, ce n'est qu'un Chevalier de Bronze, elle ne doit même pas avoir le droit d'approcher les cellules. Pire, étant une Sainte, elle doit avoir une vision bien différente de toute cette affaire, comparée à nous.

La rage. Mélya ne peut pas conter son histoire sans perdre un peu de son calme, mais ce qui lui reste de façade ne ment pas. L'attaque à Ubar l'a affectée, peut-être plus qu'elle ne veut l'admettre, et en retour elle était prête à faire la même chose. Étaient-ce de simples menaces en l'air ou se croit-elle vraiment capable de le faire? Elle n'avait que peu d'intérêt pour le possible dommage collatéral lorsqu'elle s'est jointe à nous, mais cette bravade a vite disparu. De quoi se croit-elle capable?

Peu importe. Elle est seule contre nous trois et n'est plus en position de menacer qui que ce soit, armure ou pas. Une simple impulsion de cosmos et de minuscules aiguilles jaillissent lentement du sable, juste sous le dos de l'Ombre, menaçant de la transpercer de toutes parts sans lui laisser la chance de s'échapper, mais je ne lui dis rien, me contente de lui adresser un simple regard rempli de pitié, mais aussi de déception. Je secoue la tête, puis reporte mon attention sur Gorislava.

-Si tu veux lui régler son compte, je ne t'arrêterai pas. Mais on a besoin de toutes nos forces pour battre Anubis et si on ne le renvoie pas d'où il vient, il ne s'arrêtera pas à une tête coupée sur une plage. Nous avons tous quelque chose à perdre.

HRP- La vache, ça ne voulait pas sortir ! Je vous présente mes excuses pour le retard. -HRP

Comprenant dans quel bourbier elle venait de se fourrer, Mélya cracha finalement le morceau et répondit sagement à toutes les questions. Les informations qu'elle dévoila à Gorislava abasourdirent cette dernière, tant leur impact sur sa vie personnelle était important. En substance, la propriétaire du Linceul de Makhai lui déclara que Reagan était décédé et qu'elle avait ramené sa tête coupée à Death Queen Island. Manifestement, un certain Ntikuma se serait occupé de réceptionner ce colis morbide et était parvenu à empêcher une vendetta. A en croire ses paroles, la femme au renard en serait simplement restée là et n'aurait pas touché à un seul cheveu des membres de la Confrérie Noire. Pourtant, elle avait selon son récit toutes les raisons de se venger des mercenaires et des civils résidant sur l'île volcanique. Effectivement, l'Oiseau de Paradis aurait attaqué le quartier général de sa faction et massacré de nombreux innocents, en plus des soldats qui s'étaient dressés sur son chemin. Une autre Ombre - telle était la dénomination des guerriers d'Ubar - s'était chargée de mettre fin à ce massacre et d'abattre le culturiste déchu une bonne fois pour toutes. Face à cette révélation, la colère de la rouquine se mua en incrédulité, incapable d'admettre le décès de celui qui avait poussé sa famille à l'exil. Elle s'était entraînée tellement dur pour ne serait-ce qu'espérer arriver à la cheville de cet homme, jusqu'à sacrifier son enfance dans cet objectif... Puis subitement, une parfaite inconnue débarque à l'improviste et lui annonce sans plaisanter que ce monstre était mort. Cela expliquait beaucoup de choses quant à son absence prolongée, mais le Fourneau avait beaucoup de peine à y croire.

Néanmoins, ce dernier se résigna à accepter cette nouvelle ô combien bouleversante, sa figure trahissant une frustration mêlée d'un soulagement hésitant. Gorislava libéra ensuite Mélya, non parce que Leticia lui avait suggéré de l'épargner, mais bien parce qu'elle avait perdu toute velléité belliqueuse. La première se sentait vidée de son esprit combatif et ne put que s'éloigner de la porteuse de Makhai d'une démarche chancelante. Une expression hagarde au visage, elle se distancia de ses trois compagnons de fortune et se contenta d'observer la pyramide d'un air accablé. Était-ce vraiment comme cela que cette histoire allait se terminer, d'une manière aussi pathétique ? Qu'allait donc pouvoir faire la rouquine de la puissance qu'elle possédait, maintenant que son ancien oppresseur n'était plus de ce monde ? Soudain, ses poings se serrèrent de rage et elle se mordit nerveusement la lèvre inférieure jusqu'au sang. Malgré tous ses efforts pour réprimer ses émotions tumultueuses dans ses entrailles, elle poussa finalement un hurlement déchirant de rage inassouvie. Elle plongea ensuite sa figure dans ses mains, comme si elle cherchait à se l'arracher à la force de ses griffes, puis émit un mugissement étouffé de colère. Une fois la pression relâchée, le Fourneau soupira de lassitude et avoua sincèrement à la femme au renard :

"Désolée... Vous avez bien fait."

Dans cette situation et compte tenu du rapport qui lui avait été livré des exactions de Reagan, elle ne pouvait en toute décence pas répliquer autrement. L'Oiseau de Paradis avait assassiné trop d'innocents pour être pardonné et survivre éternellement à ses nombreuses déculottées. Gorislava reprochait au Sanctuaire d'avoir manqué à sa parole en prétendant le punir au cours d'un affrontement à la loyale, mais dans ces circonstances précises, aucune promesse n'avait été faite. Les Ombres avaient été agressées par le renégat dans leur propre territoire et avaient répondu de façon proportionnée au préjudice qu'elles avaient subi. Sans prétention aucune, contrairement aux Chevaliers d'Athéna, les combattants d'Ubar s'étaient défendus et avaient eu raison de l'envahisseur... Point final.  La rouquine ne pouvait pas vilipender ce genre de politique sans devenir une moralisatrice hypocrite, paradant fièrement avec un sens corrompu de la justice.

Alors que je prends un pas de recul par prudence, persuadée que Mélya va se la péter solide, elle se sauve la peau en donnant du contexte à cette horrible remarque qu’elle a lancé en l’air comme si c’était bonjour…non mais sérieux imaginez si on comptait ça dans du small talk : « Salut Jolaine!  Wow tes enfants ont beaucoup grandi!  Au passant mes p’tits choux cherchez pas votre papa parce que je l’ai dépecé hier soir!  Ah mais pleurez pas, je vous ai envoyé un orteil chacun par la poste.  Joyeuses fêtes! » …non mais sérieux elle aurait pas pu dire ça avant?  Au lieu de faire une Pikachu Shocked Face pendant que Gorislava lui fait des menaces de mort?  Ah et puis laissez tomber, ce qui est fait est fait.  De plus, Gorislava, qui semble prendre un grand coup après toutes ces explications, décide de la laisser aller.

Soudainement, c’est moi qu’on regarde un moment en recherche d’une réponse à propos de Reagan.  Je deviens rouge, ne sachant pas vraiment quoi répondre.  J’ai fait mes devoirs après ma première rencontre avec Zhihao et j’ai regardé quelques reportages pouvant m’éclaircir à propos de cet homme, question d’être au même niveau que tout le monde.  J’imaginais qu’il était dans nos prisons après la râclée qu’il a reçu du Chevalier des Gémeaux.  Que s’est-il passé après pour que ce soient les Ombres qui se ramassent avec la tête alors qu’on l’avait vivant de notre côté?  Est-ce qu’Azir sait qu’il s’est enfui?  Après tout, il s’est quand même battu avec lui une fois, en plus de son rang élevé, donc il doit bien savoir quelque chose.  Ça, j’aurai à lui demander si on ressort vivant de cette mission.  

-Euh ben…apparemment non?, que je bafouille.

Je sais bien que cette réponse ne satisfait personne, moi incluse, mais c’est la seule que j’ai sur le coup.  De toutes façons, le Chevalier noir est dans bien trop d’émois pour s’en préoccuper.  Pas besoin d’être Oblivion pour remarque qu’elle est furieuse, et peut-être plus que ça encore.  Elle s’excuse quand même à Mélya, qui doit être un peu soulagée de pas se battre.  J’imagine qu’on peut conclure que tout est revenu au calme et que tout le monde va tenter de s’occuper avant la bataille.  Je m’en vais doucement à l’écart des autres filles.  Gorislava semble vraiment avoir besoin de son temps à elle après ce qu’elle vient d’apprendre, Oblivion me fait toujours peur et Mélya…so ouin je vais aller dans mon coin aussi.

Pas stressant, pas stressant du tout…non mais de quoi je parles mes mains tremblent.  Je dois me calmer, sinon c’est sûr que ça va se tourner contre moi.  C’est ça que tu voulais Colombe.  Être un Chevalier, être une meilleure personne, suivre un chemin similaire à celui de ton frère…c’est sûr qu’on allait arriver au point de se sacrifier pour l’humanité en allait empêcher un Dieu de la Mort de se réveiller.  Il y a pas de raison d’être nerveuse, je suis supposée avoir un minimum de compétence.  Sûrement que je vais le trouver, parce que sinon je vais crever, so no pressure.  L’attente empire les choses, le silence aussi.  Le doute se glisse aussitôt, tel un serpent glacé qui se joue de nous en nous faisant croire qu’il va nous mordre ou nous étrangler d’une seconde à l’autre.  Je secoue la tête et je m’installe pour méditer, question de penser à autres choses sainement.  Hervé me forçait à en faire du temps qu’il ne s’était pas rendu compte que j’étais une petite merde.   Le nombre de fois que j’ai dû lui expliquer que c’est parce que je pensais à une blague entre amies de l’école que j’éclatais soudainement de rire pendant qu’on méditait.  Si je suis chanceuse aujourd’hui, c’est une blague du genre qui va me distraire de ma méditation au lieu de mon imagination sur comment je pourrais crever et sur ce que j’aurais avoir comme derniers mots pour mes parents avant de partir.

Spoiler:

-Bien sûr. Demande à Colombe. Peut-être que cette fois tes petites menaces fonctionneront.

J’ai gardé le silence suite aux deux questions que l’Ombre a daigné nous poser et c’était la bonne décision : juste après, elle se désintéresse de nous et avoue ouvertement qu’elle préfère travailler avec la Sainte. L’implication dans son ton de voix est loin d’être flatteur, mais pas de la façon dont elle doit s’imaginer : après avoir insulté tout le monde et menacé de saboter notre mission, cette idiote décide de jouer la victime et tente sa chance avec la plus faible de notre groupe… mais pas la plus naïve. Croyait-elle vraiment qu’après avoir conté sa petite histoire avec Reagan, on la prendrait en pitié? Même si Colombe et Gorislava devaient se faire avoir, je ne suis pas prête à la laisser aller si facilement. Ce n’est pas le bon moment pour se débarrasser de l’Ombre, ça ne fait pas de nous des alliés.

Mon cœur rate un battement quand le téléphone du Fourneau sonne. Ça ne fait quand même pas si longtemps que ça…? Je devrais me préparer à partir, les chances que ce message soit autre chose sont bien minces, mais j’attends tout de même la confirmation, avec cet étrange espoir que ce soit peut-être une fausse alerte. La situation est enfin sous contrôle, peut-être que nous pouvons trouver le temps de nous préparer… mais ce serait trop beau pour être vrai. En retenant un soupir, je hoche doucement la tête.

-… Je vais aller chercher les autres. Colombe, tu peux lui dire ce que tu veux, si ça t’amuse.

Bientôt, ça n’aura peut-être plus d’importance. Elle peut bien se payer sa tête si c’est ce qu’elle veut. J’invoque une Fée et disparaît, mais je ne lui demande pas de m’emmener à la frontière asgardienne. Le second groupe peut attendre encore un peu, et j’ai quelque chose de bien plus important à régler. Je n’aurai peut-être pas d’autres chances de le faire.

Azir ne comptait plus ses soupirs dépités. Tandis qu'ils se trouvaient coincés à la frontière d'Asgard avec Hruodland, l'impatience de celui-ci grimpant de manière plus ostensible à chaque minute, Zhihao et lui ne pouvaient que tenter d'échafauder des hypothèses pour répartir les rôles entre tout le monde qui s'effondreraient de toute façon à la seconde où le guerrier divin déciderait qu'il était temps de cogner. Et ils l'avaient fait attendre trop longtemps pour qu'il se retînt encore.

Lorsque la Spectre se présenta enfin, visiblement elle aussi excédée, le Lion d'or se mit à craindre le pire et entra presque à reculons dans le passage. Est-ce que la gente féminine avait été plus raisonnable ?

Alors qu'il posait le pied sur le sable égyptien, revenant à une température plus familière, le blondinet supposa que oui. A l'horizon pas de nouvelles ruines, les campements semblaient avoir été vidés de leurs occupants -tous ceux qui n'étaient pas des scientifiques en quête de données et de dangers, au moins-, et on pouvait toujours percevoir un petit groupe d’Éveillés postés près de la barrière, celle-ci intacte.

Jetant un coup d’œil à la Chinoise en espérant qu'elle eut comme lui l'idée d'aller au-devant pour prévenir les autres avant de foncer tête baissée, Azir se fit griller la politesse par Hruodland, lequel entra dans le vif du sujet sans attendre. Il soupira une fois de plus.

Dans ses bras, la tablette sembla réagir et il l'empoigna un peu plus fortement. Même si l'idée finale était de donner à Anubis le bien qu'il avait réclamé afin de baisser sa garde et court-circuiter sa résurrection grâce au sortilège de Madame Z., l'offrir trop vite ne ferait qu'attiser la suspicion. Et ruiner le maigre bout de plan qui tenait encore debout.